Mthode du tri
crois ou des comparaisons par
paires
Expos caractre
pdagogique
Jean MICHEL –
31 janvier 2010
Plusieurs objets (entits, solutions, projets, personnesÉ) doivent tre compars et classs les uns par rapport aux autres, ce qui est une situation assez courante.
La mthode du tri crois (ou des comparaisons par paires) que lĠon va expliquer ci-aprs, prsente plusieurs intrts :
- il est en effet nettement plus facile de comparer les objets entre eux, par paire (comparaisons locales), plutt que de chercher dĠemble vouloir les classer dans lĠabsolu du meilleur au moins bon;
- les comparaisons se font sur la base de jugements qualitatifs simples (cĠest meilleur ou cĠest moins bon) ;
- ces comparaisons par paires permettent, aprs traitement mathmatique plus ou moins labor, de dgager une tendance gnrale de hirrachisation ou classement (vers un Òquasi ordreÓ) ;
- la mthode sĠadapte assez bien au contexte de jurys de plusieurs personnes (multi-valuateurs) devant se prononcer entre plusiuers objets (cas des concoursÉ);
- on peut par ailleurs tablir des graphes ou reprsentations visuelles partir des tableaux de chiffres, dĠo une meilleure comprhension de ce qui est important ou non, in fine ;
- la mthode permet enfin (notamment dans le cas de la multi-valuation) de dgager assez facilement des points forts de convergence et dĠamener les jurys discuter plus attentivement les cas de divergence de points de vue.
Il est important toutefois de mettre en relief plusieurs limites :
- il ne sĠagit pas dĠune mthode ÒscientifiqueÓ mme si elle a lĠapparence de la rationalit ; cĠest essentiellement une technique, un outil dĠaide la dcision ;
- le choix des formules mathmatiques utilises pour pondrer et agrger les choix lmentaires reste arbitraire et des simulations montrent aisment la variabilit des rsultats dgags la fin de la dmarche ;
- et bien videmment, compilant des jugements qualitatifs, elle est forcment conditionne par la subjectivit des valuateurs.
Dans le texte qui suit, on essaye de montrer plusieurs variantes de la mthode, tout en expliquant sommairement la ÒmcaniqueÓ utilise.
Pour ne pas imposer un formalisme mathmatique qui pourrait rebuter nombre de lecteurs, on prsentera des exemples simples, tous bass sur lĠobjectif dĠvaluer et classer cinq objets : A, B, C, D, E ( 5 projets, 5 devoirs dĠtudiants, 5 villesÉ.).
1 – Le cadre de
dpart : les valuations lmentaires
On va systmatiquement comparer A B, A C, A D, B C etcÉ en indiquant seulement si A est meilleur, gal ou moins bon que B, etc.
Dans le tableau ci-dessous, on indique si lĠobjet en ligne (en majuscules, gras et italiques) est meilleur (>), moins bon (<), ou gal (=) celui en colonne (majuscules standard).
|
A |
B |
C |
D |
E |
A |
------- |
< |
> |
= |
< |
B |
> |
-------- |
< |
> |
< |
C |
< |
> |
-------- |
= |
= |
D |
= |
< |
= |
-------- |
< |
E |
> |
> |
= |
> |
-------- |
Ici, B est suprieur A ; C est infrieur A et suprieur B ; D est gal A, infrieur B et gal C, E est suprieur A, suprieur B, gal C et suprieur D.
Du fait des comparaisons par paires (et de lĠinversion automatique des valuations), on pourrait bien sr ne considrer que la demi-matrice suprieure, diagonale exclue
|
A |
B |
C |
D |
E |
A |
------- |
< |
> |
= |
< |
B |
|
-------- |
< |
> |
< |
C |
|
|
-------- |
= |
= |
D |
|
|
|
-------- |
< |
E |
|
|
|
|
-------- |
Cette matrice des valuations comparatives donne naissance un ÒgrapheÓ faisant ressortir les objets ÒdominantsÓ et les objets ÒdominsÓ.
Dessin de cette faon, ce graphe est difficilement interprtable. Peut-on y dceler un quelconque ordre ou quasi ordre permettant dĠesquisser un possible classement global des objets ? Difficile a priori, sauf se faire aider par quelques techniques mathmatiques plus ou moins labores, ce que nous allons essayer de faire maintenant.
2 – Des approches simples
dans le cas dĠun valuateur unique
Dans les deux modles ci-dessous, on retient lĠhypothse quĠune seule personne value les objets.
2-1. Une approche base sur un principe de Òmajorit bruteÓ : modle 1
On va donc recourir une premire mtrique brutale permettant de transformer la matrice des valuations comparatives en un tableau de chiffres. Pour chaque objet en ligne, on inscrit une valeur de 1 point dans la case au regard de la colonne dĠun objet quĠil domine (majorit brute). On inscrit 0 par contre en cas dĠgalit ou dĠinfriorit.
On procde ensuite la sommation en ligne des points pour chaque objet (poids), on convertit ces rsultats en pourcentages et on en dduit un rang pour les objets.
|
A |
B |
C |
D |
E |
Poids |
% |
Rang |
A |
------- |
0 |
1 |
0 |
0 |
A
= 1 |
14% |
3ex |
B |
1 |
-------- |
0 |
1 |
0 |
B
= 2 |
29% |
2 |
C |
0 |
1 |
-------- |
0 |
0 |
C
= 1 |
14% |
3ex |
D |
0 |
0 |
0 |
-------- |
0 |
D
= 0 |
0% |
5 |
E |
1 |
1 |
0 |
1 |
-------- |
E
= 3 |
43% |
1 |
|
|
|
|
|
|
Tot = 7 |
100% |
|
En considrant les rangs et les pourcentages, on peut tablir un nouveau graphe prsentant un dbut dĠorientation ou hirrachisation avec des flches orientes pour les seules relations de domination et des tirets en pointills en cas dĠgalit. On peut pour faciliter lĠtablissement du graphe se servir dĠune chelle sur une tendue allant de 0 43% (en mettant toutefois lĠobjet le plus dominant gauche, lĠobjet le plus domin etant droite).
Ce graphe orient (modle 1) fait ressortir dj clairement que lĠobjet E domine assez nettement les 4 autres et que lĠobjet D est plutt domin. Les objets A et C semblent assez quivalents, B tant en position intermdiaire entre E dĠun ct et A et C de lĠautre.
2-2. Une approche recoutant
une pondration des comparaisons : modle 2
On peut sophistiquer le modle et attribuer des pondrations aux relations entre objets :
- les deux objets compars sont quivalents en force ou poids (=) ;
- lĠun des objets est lgrement suprieur lĠautre (>) ;
- lĠun des objets est plus important que lĠautre (>>) ;
- lĠun des objets est beaucoup plus important que lĠautre (>>>).
Cela donne le tableau suivant (lĠobjet en ligne est compar lĠobjet en colonne) :
|
A |
B |
C |
D |
E |
A |
------- |
<< |
> |
= |
< |
B |
>> |
-------- |
<< |
> |
<< |
C |
< |
>> |
-------- |
= |
= |
D |
= |
< |
= |
-------- |
<<< |
E |
> |
>> |
= |
>>> |
-------- |
On recourt alors une nouvelle mtrique consistant attribuer lĠobjet (en ligne) dominant dans la paire une valeur de 1, 2 ou 3 points selon son degr de domination sur lĠobjet en colonnes et une valeur de 0 point sĠil est domin ou sĠil est quivalent.
|
A |
B |
C |
D |
E |
Poids |
% |
Rang |
A |
------- |
0 |
1 |
0 |
0 |
A
= 1 |
8% |
4 |
B |
2 |
-------- |
0 |
1 |
0 |
B
= 3 |
25% |
2 |
C |
0 |
2 |
-------- |
0 |
0 |
C
= 2 |
17% |
3 |
D |
0 |
0 |
0 |
-------- |
0 |
D
= 0 |
0% |
5 |
E |
1 |
2 |
0 |
3 |
-------- |
E
= 6 |
50% |
1 |
|
|
|
|
|
|
Tot=12 |
100% |
|
On en dduit le graphe orient et pondr suivant, pour lequel, en outre, on accentue la force des flches proprotionnellement lĠintensit de la domination.
On voit apparatre sur ce graphe une certaine hirachisation (quasi
ordre), mme si des flches en sens inverse du graphe peuvent tre notes
(triangle A, B, C). Sur cet exemple (et donc avec les valeurs choisies pour ce
cas prcis), on observe une diffrenciation assez nette des poids respectifs
des divers objets.
3 – Approches avec
valuateurs multiples
Du cas mono-valuateur on peut aller vers un contexte valuateurs multiples. On considrera dans les exemples qui suivent un jury de 10 valuateurs.
3-1. Une approche multi-valuateurs Òmajorit bruteÓ : modle 3
On relve les diverses valuations, lĠobjet en ligne tant compar celui en celui en colonne. Pour chaque paire dĠobjets, on note le nombre de jurs en faveur dĠune relation de type > ou de type = .
|
A |
B |
C |
D |
E |
A |
------- |
3
> 1
= |
2
> 3
= |
9
> 1
= |
1
> 2
= |
B |
6
> 1
= |
-------- |
4
> 1
= |
5
> 3
= |
1
> 2
= |
C |
5
> 3
= |
5
> 1
= |
-------- |
9
> 1
= |
2
> 3
= |
D |
0
> 1
= |
2
> 3
= |
0
> 1
= |
-------- |
0
> 1
= |
E |
7
> 2
= |
7
> 2
= |
5
> 3
= |
9
> 1
= |
-------- |
Comme pour le modle 1, on transforme alors la matrice en un tableau de valeurs, en indiquant 1 point pour lĠobjet (en ligne) en position strictement dominante (>) et 0 point dans les autres cas.
|
A |
B |
C |
D |
E |
Poids |
% |
Rang |
A |
------- |
0 |
0 |
1 |
0 |
1 |
10
% |
4 |
B |
1 |
-------- |
0 |
1 |
0 |
2 |
20
% |
3 |
C |
1 |
1 |
-------- |
1 |
0 |
3 |
30
% |
2 |
D |
0 |
0 |
0 |
-------- |
0 |
0 |
0
% |
5 |
E |
1 |
1 |
1 |
1 |
-------- |
4 |
40
% |
1 |
|
|
|
|
|
|
Tot=10 |
100 % |
|
Le graphe associ fait ressortir (dans cet exemple), un ordre quasi parfait avec une rpartition quilibre des ourcentages ou poids des objets.
3-2. Une approche multi-valuateurs Ò la proportionnelleÓ : modle 4
A partir du tableau des comparaisons du modle 3, on peut aussi travailler les relations entre objets en tenant compte, plus judicieusement, du nombre dĠvaluateurs en faveur dĠune option ou de sa contraire (en quelque sorte, introduction dĠune certaine forme de proportionnelle). On transforme nouveau la matrice multi-valuateurs des choix, en comptabilisant (pour chaque paire dĠobjets), le nombre de voix des valuateurs en faveur ou en dfaveur dĠun des objets (les galits ne sont pas prises en compte).
On procde la sommation en ligne des points obtenus, on convertit en pourcentages et on en dduit un rang.
|
A |
B |
C |
D |
E |
Nombre |
% |
Rang |
A |
------- |
3 |
2 |
9 |
1 |
A
= 15 |
18
% |
4 |
B |
6 |
-------- |
4 |
5 |
1 |
B
= 16 |
20
% |
3 |
C |
5 |
5 |
-------- |
9 |
2 |
C
= 21 |
26
% |
2 |
D |
0 |
2 |
0 |
-------- |
0 |
D
= 2 |
2
% |
5 |
E |
7 |
7 |
5 |
9 |
-------- |
E
= 28 |
34
% |
1 |
|
|
|
|
|
|
Tot=82 |
100 |
|
Cela donne naissance au graphe orient suivant. Pour expliciter plus finement les rsultats, on a mis en noir les flches en noir montrent les relations de domination (avec une certaine proportionnalit leur importance) et on a ajou des flches en gris qui correspondent aux relations avec avis contraires (et leur force relative).
Ce graphe peut tre discut au sein du jury, notamment autour des
trois objets A, B et C, plutt proches et certaines relations ÒcontrairesÓ
(minorits fortes) questionner comme par exemple : C > B pour 5
valuateurs mais B > C pour 4
valuateurs.
3-3. Une approche multi-valuateurs avec comparaisons pondres (modle
5)
On peut aller plus loin encore et faire voluer le modle multi-valuateurs en considrant que les valuateurs se prononent sur chaque paire dĠobjets en utilisant la mtrique 4 valeurs du modle 2. On obtient (exemple nouveau ici) le tableau suivant dans lequel on indique, pour chaque case, le nombre dĠvaluateurs accordant lĠune des 4 valeurs suivantes >>>, >>, > ou =. LĠobjet en ligne est compar celui en celui en colonne.
|
A |
B |
C |
D |
E |
A |
------- |
0
>>> 1 >> 2 > 1 = |
0
>>> 1 >> 1 > 3 = |
2
>>> 7 >> 0 > 1 = |
0
>>> 0 >> 1 > 2 = |
B |
0
>>> 4 >> 2 > 1 = |
-------- |
0
>>> 0 >> 4 > 1 = |
0>>> 3 >> 2 > 3 = |
0 >>> 0 >> 1 > 2 = |
C |
0
>>> 0 >> 5 > 3 = |
0
>>> 1 >> 4 > 1 = |
-------- |
6
>>> 2 >> 1 > 1 = |
0
>>> 0 >> 2 > 3 = |
D |
0
>>> 0 >> 0 > 1 = |
0
>>> 0 >> 2 > 3 = |
0
>>> 0 >> 0 > 1 = |
-------- |
0
>>> 0 >> 0 > 1 = |
E |
2
>>> 2 >> 3 > 2 = |
1
>>> 1 >> 5 > 2 = |
0
>>> 1 >> 4 > 3 = |
8 >>> 1>> 0 > 1 = |
-------- |
Pour le calcul des points, on multiplie par les valeurs 3 (>>>), 2 (>>) ou 1 (>) le nombre des valuateurs accordant la mme valeur la relation de domination dĠun objet sur un autre.
Ainsi, dans lĠexemple donn, pour la relation entre A et B :
- 4 valuateurs donnent B >> A, ce qui permet dĠattribuer 4x2=8 points B ;
- 2 valuateurs donnent B > A, ce qui permet dĠattribuer 2 points de plus B.
DĠo un total de 10 points B pour sa relation de domination sur A.
|
A |
B |
C |
D |
E |
Poids |
% |
Rang |
A |
------- |
4 |
3 |
20 |
1 |
A
= 28 |
19
% |
3 |
B |
10 |
-------- |
4 |
8 |
1 |
B
= 23 |
16
% |
4 |
C |
5 |
6 |
-------- |
23 |
2 |
C
= 36 |
25
% |
2 |
D |
0 |
2 |
0 |
-------- |
0 |
D
= 2 |
2
% |
5 |
E |
13 |
10 |
6 |
26 |
-------- |
E
= 55 |
38
% |
1 |
|
|
|
|
|
|
Tot=144 |
100% |
|
A partir de ce tableau, on dresse le graphe orient suivant, dans lequel la force des flches est proportionnelle au diffrentiel de points entre les deux relations de dominant et de domin.
On observe ici que le graphe est quasi bien ordonn ( lĠexception dĠune relation plutt contre-courant B > A). On peut interprter le graphe de la faon suivante :
- un objet E domine incontestablement les 4 autres, et cela de faon quasi unanime pour lĠensemble des valuateurs (un valuateur sur 10 a opt pour E < A, un autre a opt pour E < B et deux ont choisi C < B) ;
- un objet D est totalement domin par les 4 autres et cela de faon quasi unanime (seuls 2 valuateurs ont opt pour une relation contraire D > B) ;
- les 3 objets A, B et C semblent former un groupe assez homogne plus difficile partager, les valuateurs nĠexprimant pas de profondes divergences ; les calculs donnent toutefois un certain avantage C.
Le graphe va maintenant permettre la discussion au sein du jury.
4 – Et pour aller plus
loin, des outils plus sophistiqus
Certains travaux avancs de recherche oprationnelle ont permis de pousser plus loin encore la thorie et les modles du tri crois et de la comparaison par paires. Ils introduisent notamment plusieurs dveloppements nouveaux :
- remplacer les mtriques en 0 (²) et 1 (>) ou en 0 (=), 1 (>), 2 (>>) et 3 (>>>) par une fonction de rpartition de valeurs sur une chelle donne (fonction linaire ou non) ;
- ajouter lors de chaque comparaison une probabilit (certitude plus ou moins grande sur le sens donner la relation de domination), ce qui ouvre la voie lĠutilisation des Òlogiques flouesÓ dans ce type de modlisation et dĠaide la dcision.