REPONSES SYNTHƒTIQUES DE JEAN MICHEL
AUX QUESTIONS DU GROUPE SECTORIEL ADBS
AMƒNAGEMENT-URBANISME-TRANSPORT
APRES LA RENCONTRE DU 26 JUIN 2007
1 - L'environnement
numŽrique (et notamment le numŽrique en rŽseau) bouscule fondamentalement tous
les mŽtiers, et plus particulirement tous ceux relevant de la ÒmŽdiationÓ :
formation, communication, arts, ... et bien sžr documentation. C'est une
rupture majeure dans l'Žvolution des pratiques sociales. Il faut donc en tenir
compte de faon rŽsolue et efficace. Mais ne limitons pas cette dimension
numŽrique ˆ sa seule facette technologique apparente : en fait la rŽvolution
numŽrique est surtout Žconomique et sociale. Elle replace les acteurs,
citoyens, dans de nouveaux systmes de r™les, de fonctions et de relations.
ConsŽquence : les fonctions et mŽtiers de la mŽdiation sont profondŽment remis
en cause. Ils doivent se "refonder" en jouant au mieux des
potentialitŽs de ce nouvel environnement (crŽativitŽ) et en revenant ˆ la
re-caractŽrisation ou actualisation des fondamentaux du mŽtier ou de la
fonction (qu'est-ce que cela signifie aujourd'hui "traiter" le
document? Comment aborder la question de la ma”trise de la "documasseÓ?) .
Il faut plus que jamais s'interroger sur la "valeur ajoutŽe spŽcifique"
(diffŽrentielle) de la mŽdiation professionnelle alors que s'affirme une
tendance inŽluctable ˆ l'autonomisation des acteurs.
2 - Dans ce
contexte, la structure dans laquelle s'exerce la fonction ou mŽdiation
info-documentaire n'est plus la question pertinente. Le "Centre" de
documentation n'est plus nŽcessaire en tant que structure : on peut imaginer
d'autres modalitŽs d'intervention ou d'organisation (entitŽs de proximitŽ,
rŽseaux, interventions ˆ faon...). Par contre, ce qui est sžr, c'est que le
besoin d'une fonction professionnelle ira en s'affirmant du fait mme du
"bazar" qu'engendre le dŽveloppement de la "soupe
numŽrique" : mais la fonction s'exercera en de nombreux endroits de
l'entreprise ou organisation, avec une complŽmentaritŽ d'acteurs divers; de
nouveaux crŽneaux, de nouvelles niches seront ˆ explorer (qualitŽ, RH...) pour
exercer la fonction info-doc. On ne doit donc plus dŽfinir le(a) documentaliste
comme le(a) professionnel(le) qui travaille dans un centre de documentation.
C'est une reprŽsentation mentale qu'il faut changer dans les ttes des
professionnels pour aller vers plus d'imagination pour penser son r™le dans
l'entreprise.
3 - La question de
l'identitŽ professionnelle est cruciale. le problme est complexe : domaine mal
dŽfini, reprŽsentations mentales rŽtrogrades, reconnaissance mal assurŽe,
appellations peu satisfaisantes. Ce travail sur l'identitŽ passe par plusieurs
efforts:
-
une clarification du positionnement sur un domaine large qu'on peut identifier
ˆ travers trois p™les d'attarction I, D, C : dans un contexte donnŽ , il faut
savoir placer son centre de gravitŽ socio-institutionnel au sein de ce triangle
et le faire savoir;
-
un alignement stratŽgique plus nettement affirmŽ : nous ne sommes pas
"identifiŽs et reconnus" parce que nous cataloguons et indexons des
documents ou parce que nous recevons avec beaucoup de dŽvouement des usagers
lambda , nous n'existons que si notre action est en lien direct, en cohŽrence
avec des ŽlŽments de stratŽgie de l'institution, avec des axes politiques
dŽfinis par les directions, avec des processus mŽtiers que nous saurons servir;
-
un travail systŽmique de redŽfinition du positionnement relatif au sein de
l'institution en retenant le principe d'une action spŽcifique au sein de la
nouvelle "Infopolis" que constituent l'ensemble des acteurs et de
leurs dŽmarches propres info-documentaires; cela se traduit par une analyse
stratŽgique des coopŽrations, alliances... comme certainement par la mise en
place de schŽmas de contractualisation des relations entre les gens de la
mŽdiation info-documentaires et les autres acteurs de l'organisation.
4 - La rŽalitŽ
Žconomique est lˆ, il ne sert donc ˆ rien de gŽmir sur son pauvre sort (il
y en a de pires), de se lamenter sur son manque de moyens, sur le fait
qu'on nous demande toujours plus sans moyens supplŽmentaires. Croyez moi, les
professionnels (cadres techniques, documentalistes...) en Inde, en Chine, en
Tunisie, en Roumanie... sont capables d'inventer des rŽponses intelligentes et
efficaces face ˆ une telle contrainte. Il faut donc se donner les moyens de
faire plus et mieux avec moins. Cela passe par :
-
des mises ˆ plat et Žvaluations critiques de nos activitŽs, de nos produits et
services, etc... (spŽcialiste des dŽmarches d'analyse de la valeur, je dois dire
que cette approche mŽthodologique bien connue des milieux industriels est
particulirement utile pour trouver les solutions dans des contextes
impossibles):
-
des dŽmarches rŽsolues de dŽsencombrement, d'allgement, de simplication,
d'Žlimination : on ne peut pas tout faire, tout garder...; des prioritŽs
s'imposent, de nouvelles opportunitŽs passent qu'il faut saisir et pour cela il
faut avoir l'esprit dŽgagŽ, avoir aussi des marge se manoeuvre qu'on se
redŽfinit en se dŽsencombrant;
-
un effort considŽrable de montŽe en compŽtence, en performance, plus que jamais
nŽcessaire ˆ l'heure de la rŽvolution numŽrique : je considre personnellement
que prs de 70% des professionnels en place ne sont pas ˆ la hauteur
aujourd'hui pour faire face aux nouvelles exigences du numŽrique et manquent
cruellement de "digital litteracy";
-
une volontŽ d'Žvaluer en permanence son action, ses produits et services, ses
cha”nes d'activitŽ, avec en arrire plan une meilleure connaissance et ma”trise
des cožts et des temps
-
d'autres faons de travailler, en Žquipe, par projets, avec des chantiers ˆ
lancer en collectif (casser aussi certaines cha”nes d'activitŽs routinires qui
outre qu'elles peuvent ne plus avoir de raison d'tre, sont particulirement
peu propices ˆ l'innovation).
5 - Un point
essentiel : les professionnels doivent plus que par le passŽ changer de
posture. Passer d'une posture de "technicien" exŽcutant ˆ une posture
de "manager" agissant sur son milieu. Cela conduit ˆ privilŽgier plus
nettement des compŽtences sur ce terrain : flair stratŽgique, vision,
leadership, aptitude ˆ piloter le changement, force d'une parole mobilisatrice,
dynamique des hommes et de leurs compŽtences... Cela passe encore par un
travail sur le renforcement de la relation avec les directions ou hiŽrarchies
(et autres baronnies de l'institution) , par la nŽgociation avec les acteurs
aux marges de notre domaine (informatique, communication, RH,
qualitŽ...). Cela passe encore par le dŽveloppement d'attitudes plus
"agressives" , professionnellement parlant, plus conquŽrantes, plus
dŽterminŽes ˆ la valorisation de l'action ; c'est d'une certaine faon, ce que
l'on pourrait schŽmatiser ˆ travers l'expression : les documentalistes n'ont
pas assez la "niaque".
6 - Parmi les
orientations professionnelles ˆ affirmer dŽsormais par et pour le mŽtier, j'en
citerais volontiers quelques unes essentielles ˆ mes yeux :
-
la nouvelle ingŽnierie ÒglobaleÓ du document dans l'organisation, avec une
vision large de la ma”trise de la nouvelle "documasse" et des
interventions mŽthodologiques appropriŽes (rgles du jeu, structures
d'accompagnement, technologies de la production, de la mise en valeur et du
partage, cha”nage du document numŽrique...) ; il faut impŽrativement relier
documentation, archives, records management et webmastering dans cette
perspective plus qu'actuelle et cruciale; je dirais pour schŽmatiser le propos
qu'il vaudrait mieux s'arrter de faire des revues de presse ou gŽrŽr des
abonnements de pŽriodiques et aller plus nettement s'attaquer ˆ la ma”trise de
l'Žnorme bazar que constitue la prolifŽration anarchique du
"documentaire" numŽrique dans les organisations;
-
la ma”trise intelligente et efficace de l'information ("subjective")
intŽgrant des pratiques de veille, de prospective, de critique des sources, de
synthse informationnelle, de dynamisation de l'information (push), de
dŽcloisonnement des circuits et espaces informationnels...; c'est la dimension
"dŽstabilisatrice" du mŽtier, celle sur laquelle on peut aussi faire
une Žnorme valeur ajoutŽe avec une reconnaissance assurŽe; je mettrais
volontiers dans le package la question de la "confiance" (pertinence,
assurance...) informationnelle dont il faut redŽfinir les critres et les
modalitŽs d'exercice ˆ l'heure du numŽrique gŽnŽralisŽ;
-
la montŽe vers la connaissance (KM, gestion des connaissances) avec cette
exigence nouvelle de devoir dŽpasser le seul ou strict niveau purement
informationnel pour aller bien au delˆ, celui de la cognition (individuelle et
collective): c'est la dŽmarche de capitalisation des savoirs et savoir-faire,
notamment tout ce qui peut tre traable, repŽrable documentairement; c'est
aussi la perspective patrimoniale (historique mais aussi prospective), comme
aussi les prŽoccupations essentielles de transversalitŽ et de pŽrennisation;
-
l'indispensable Žvolution vers l'accompagnement des acteurs, la formation, le
conseil, la mŽthodologie transfŽrŽe : plut™t que de se contenter de donner le
poisson, apprendre aux gens ˆ pcher (Mao ou proverbe chinois?); vision plus
large donc du r™le du professionnel de l'info-doc, moins exŽcutant direct et
plus accompagnateur des pratiques sociales et socio-institutionnelles sur
l'information, le document et la connaissance;
-
"l'entrisme infodocumentaire" consistant ˆ aller mettre partout son
grain de sel professionnel, lˆ o se jouent des choses intŽressantes
nŽcessitant une mobilisation importante de l'information et des documents : je
donne immŽdiatement comme exemple les dŽmarches, politiquse ou processus
qualitŽ dans les entreprises, l'accompagnement des dŽmarches ISO (9000,
14000...) et plus gŽnŽralement toutes les situations o de la mŽthodologie est
activement sollicitŽe; d'une certaine faon le documentaliste est un
"mŽthodologue" de l'information et du document (ce qui amnent des
collgues Žtrangers ˆ parler dŽsormais de "documentodologues").
7 - Parmi les points
sur lesquels il faut tre vigilant, opportuniste, actif... j'aimerais en citer
deux:
-
l'intranet (et notamment l'intranet infodocumentaire) : c'est (a devrait tre)
le vŽritable centre de documentation d'aujourd'hui; les professionnels de
l'I&D doivent impŽrativement se positionner sur ce terrain, ne pas le
laisser aux mains d'autres professionnels moins compŽtents pour gŽrer ces
plates-formes de partage transversal; beaucoup d'intranets d'entreprises
devront tre remis ˆ plat de faon drastique dans les 5 prochaines annŽes :
c'est le moment de se positionner comme mŽthodologues de la gestion et du
partage de l'info-documentaire via les intranets ;
-
les rgles du jeu (normes, procŽdures) de l'urbanisme informationnel : oui, il
faut travailler cette dimension qui va depuis les questions de dŽfinition des
objets info-documentaires, ˆ leurs codage et nommage, au traitement
(indexation, mŽtadonnŽes, rŽsumŽs...) , ˆ la dŽfinition des responsabilitŽs
(qui doit faire quoi dans les outils collectifs...) sans oublier le travail sur
les terminologies, vocabulaires, thesaurus, ontologies...
8 - Sur ces bases,
il faut alors s'interroger sur la question des compŽtences, de leur
dŽveloppement , de leur Žvaluation, de leur reconnaissance. C'est un Žnorme
chantier auquel l'ADBS s'est attelŽ depuis plus de 15 ans, avec un rŽel succs
reconnu en France et ˆ l'Žtranger. Mais, ce n'est pas fini.
Je ne reviendrai pas
sur ce que j'ai dit ˆ propos des (mŽdiocres) aptitudes des professionnels ˆ
faire face aux exigences du numŽrique, mais il est clair qu'il y a de
sŽrieux efforts ˆ faire pour se mettre au meilleur niveau aujourd'hui.
Il va falloir
s'interroger sŽrieusement sur l'adŽquation des formations initiales de
documentalistes ˆ ce nouveau contexte... un dŽbat que j'appelle depuis un
certain temps, mais qui semble assez difficile ˆ ouvrir.
Mais n'oublions
pasaussi la formation continue qui
doit aussi tre re-visitŽe de faon assez critique , au delˆ de
l'autosatisfaction des offreurs de stages. Nombre de perspectives ouvertes dans
ce texte appelleraient la conception et la rŽalisation de sŽminaires ou actions
de formation sortant des sentiers battus.
Un vaste
projet...