EVOLUTIONS DES FORMATIONS D'INGENIEURS EN EUROPE

CONSEQUENCES POUR L'ENSEIGNEMENT

DES SCIENCES ET TECHNIQUES DU BATIMENT

MAJORS CHANGES IN ENGINEERING EDUCATION IN EUROPE

CONSEQUENCES ON THE TEACHING AND TRAINING

IN THE FIELD OF THE BUILDING CONSTRUCTION

 JM 236

Publications Jean MICHEL
Page d'accueil Jean MICHEL

 

Communication au séminaire international CIB, Paris, février 1994

RESUME

Au cours des vingt dernières années, les formations d'ingénieurs ont connu, en Europe plus particulièrement, d'importantes mutations. Ces évolutions portent tout autant sur les contenus scientifiques et techniques enseignés que sur les modalités pédagogiques ou structurelles d'organisation de ces formations. De nouvelles perspectives ont été dessinées avec le développement des programmes de coopération intra-européenne, avec la multiplication des partenariats universités-entreprises ou avec l'intégration plus forte de la recherche à l'enseignement. De nouveaux établissements et programmes de formation sont apparus, notamment pour pouvoir disposer d'un plus grand nombre d'ingénieurs de production. On analyse, dans cette communication, les évolutions les plus déterminantes des formations d'ingénieurs et on tente d'en cerner les conséquences sur l'enseignement dans le domaine des sciences et techniques du bâtiment.

ABSTRACT

During the last twenty years, major changes appeared, that modified engineering education, particularly in Europe. These evolutions concerned the scientific and technical content of the engineering curriculum, the various ways of teaching and learning as well as the management of engineering education itself. New perspectives were set up through the development of European cooperation schemes, the increasing partnership between University and entreprises and the integration of research within engineering education. New engineering educational programmes were established facing the increasing need for production engineers. One proposes here to present and analyse the most important evolutions in engineering education et to determine some consequences on the teaching and training in the field of the building construction.

 

Les formations d'ingénieurs sont nées dans la seconde moitié du XVIIIème siècle en France, et plus tardivement dans d'autres pays européens, pour répondre à un besoin de compétences spécialisées pour la construction des infrastructures des pays et le développement de leurs industries. Des modèles pédagogiques différents ont vu le jour dans les divers pays, tenant compte des spécificités culturelles et se sont largement diversifiés depuis. Mais à moins de dix années de la fin du XXème siècle, la plupart des responsables politiques, économiques, industriels s'interrogent sur l'avenir de leurs systèmes nationaux de formation d'ingénieurs: difficile adaptation aux besoins de l'industrie, résistance à l'introduction de nouvelles préoccupations de formation, difficultés à suivre les évolutions sociologiques et à intégrer sérieusement de nouvelles perspectives (la libre mobilité des professionnels en Europe, l'accès généralisé à l'information, la compétition économique mondiale, la nécessité de la recherche). Pourtant la filière "formation des ingénieurs" reste une des mieux organisées du système enseignement supérieur et est souvent considérée comme un modèle à imiter (dans certains pays du moins).

 

La question qui se pose aujourd'hui aux responsables de ces formations d'ingénieurs est de savoir s'il ne faut pas  rechercher et soutenir de nouvelles approches éducatives réellement contemporaines et efficaces, qui articulent mieux formation, information, méthodologie, entreprise, compétitivité, culture et technologie? N'est-il pas temps de mettre sur pied des processus de transfert des savoirs qui s'affranchissent des murs  des établissements de formation, qui surmontent les frontières géographiques, sociologiques et disciplinaires et qui permettent de former des équipes mixtes pluridisciplinaires efficaces, des groupes performants et non plus des individualités? L'enseignement des sciences et techniques du bâtiment est directement concerné par ce débat.

INGENIEUR, OUI MAIS PLUS PRECISEMENT QUEL INGENIEUR?

 Il existe, de fait, des conceptions différentes du rôle de l'ingénieur, selon que l'on considère l'ingénieur comme un généraliste ou plutôt comme un spécialiste et selon que l'on situe cet ingénieur dans la sphère de la science, dans celle de la technique ou dans celle du management.

En Grande-Bretagne et dans les pays influencés par la tradition britannique, on considère notamment l'ingénieur comme un professionnel, "super technicien", concevant ou gérant des objets techniques. D'engine à engineer , la liaison sémantique est directe, naturelle et très prégnante. Il existe dès lors dans ces pays de fortes institutions d'ingénieurs (par exemple The Institution of Civil Engineers, créée en 1814 et dotée d'une charte royale) qui attestent de la compétence technique des ingénieurs affiliés et éditent de nombreuses revues  permettant l'actualisation permanente des savoirs professionnels techniques. Historiquement, la formation des ingénieurs y apparaît souvent plus tardivement dans ces pays, les professionnels acquérant traditionnellement "sur le tas", dans l'entreprise, les connaissances techniques nécessaires. La contrepartie de cette approche pragmatique et technicienne de la formation des ingénieurs est sans nul doute le faible intérêt porté par la société à ses propres ingénieurs, une relative dévalorisation du métier, ainsi que la méfiance des milieux professionnels à l'égard des institutions universitaires formant les ingénieurs. A noter que dans le débat actuel sur l'harmonisation des formations européennes et sur le titre d'Euro-ingénieur (EUR-ING), la tradition britannique avec une formation académique courte des ingénieurs (3 ans en général, 4 ans parfois) est perçue, par les collègues continentaux mais aussi par les britanniques eux-mêmes, comme un handicap important. En Grande-Bretagne, la primauté est donc accordée aux données et savoirs à caractère  technologique et aux outils de transfert des savoir-faire pratiques.

Dans  d'autres pays, comme par exemple en Allemagne ou dans certains pays d'Europe centrale ou d'Europe du Nord,  l'ingénieur est avant tout un scientifique, c'est-à-dire un spécialiste de haut niveau d'une certaine discipline scientifique. Selon les schémas conceptuels introduits au début du XIXème siècle par Wilhelm von Humboldt, le travail de laboratoire et de recherche constitue une composante essentielle de la formation supérieure. L'ingénieur, formé dans les Universités techniques allemandes est en principe fortement "exposé" à la recherche et à la science, qu'elles soient fondamentales ou appliquées. En Allemagne, dans les Universités techniques, on est donc amené à insister sur la documentation à caractère scientifique et technique et sur le travail de laboratoire. La durée des études est généralement longue (6 à 7 ans) et le travail personnel est largement développé. Mais depuis les années 70, l'Allemagne a diversifié ses formations et a introduit, avec succès, une nouvelle filière visant à former des ingénieurs de production, plus praticiens, directement opérationnels pour l'entreprise, et maîtrisant parfaitement des technologies sectorielles. Cette formation raccourcie (3 ans et demi) est dispensée dans de nombreuses Ecoles spécialisées (Fachhochschulen). Et on sait bien aujourd'hui que la compétitivité des entreprises allemandes réside en grande partie dans l'existence de professionnels compétents aux différents niveaux hiérarchiques de l'entreprise.

Dans la tradition française (que l'on retrouve dans certains pays latins, latino-américains et africains),  l'ingénieur doit apporter une  réponse globale  à des besoins des hommes et de la société. L'ingénieur joue un rôle influant dans la société,  véritable "assembleur" de techniques et gestionnaire ou manager  de ressources diverses. En France, on cherche notamment à faire prendre conscience aux étudiants des enjeux de l'information économique, industrielle ou stratégique et de l'importance des méthodes générales de résolution de problèmes. L'ingénieur est plus un être social que l'homme d'une discipline. La formation de l'ingénieur met donc l'accent sur la multidisciplinarité et sur l'approche par les "besoins" et par l'économie. Elle s'appuie généralement sur un principe de forte sélection à l'entrée dans les Ecoles d'ingénieurs et s'organise sur une durée de 5 à 6 ans. Mais contrairement à l'approche allemande, les formations françaises d'ingénieurs ont longtemps boudé la recherche, l'ingénieur étant traditionnellement tout sauf un chercheur.

LE POIDS DES INSTITUTIONS DE FORMATION

En France, à partir du milieu du XVIIIème siècle, l'ingénieur, parfait honnête homme, est formé avec l'objectif essentiel de contribuer à la conduite des affaires du royaume, de l'Etat ou plus tard de la grande industrie. Imprégnées d'idées saint-simoniennes, puis positivistes, les premières formations d'ingénieurs évoluent dans le sens d'un renforcement du pouvoir des ingénieurs sur le société française, mais également aussi dans le sens d'une division croissante ou arborescente des spécialités scientifiques et techniques, au point de rendre inéluctable la multiplication, voire même la prolifération,  des Ecoles d'ingénieurs. La loi de 1934, instituant un contrôle sur ces formations d'ingénieurs, témoigne, en ce sens, de la préoccupation des responsables politiques comme industriels du moment de reprendre le contrôle d'un processus de génération quasi spontanée des Ecoles et autres officines voulant former des ingénieurs. En cette fin de XXème siècle, la situation n'a guère changé, si l'on observe les grands débats médiatiques français sur les nouvelles formations d'ingénieurs et surtout l'activité débordante de la Commission des Titres d'Ingénieurs: habilitation de nouvelles Ecoles d'ingénieurs toujours plus spécialisées, création récente, par le Ministère de l'Education nationale, des nouveaux IUP, Instituts Universitaires Professionnels,... Comme un siècle plus tôt avec les chemins de fer vicinaux, chaque Préfecture, chaque Sous-Préfecture finira bien par obtenir son Ecole ou sa filière de formation d'ingénieurs, spécialisée dans des domaines étroits de la connaissance scientifique et technique. En d'autres termes, un modèle archaïque mais poussé au bout de sa logique de développement, l'Ecole d'ingénieurs, née dans le giron d'un pouvoir centralisateur soucieux de maintenir son contrôle sur les activités techniques, industrielles ou économiques du pays, reste une référence incontournable en cette fin de XXème siècle, même si de nouveaux programmes universitaires sont habilités à procurer des titres d'ingénieurs (mais de fait, la structure, les orientations et les pratiques pédagogiques y restent identiques à celles des traditionnelles Grandes Ecoles).

La situation à l'étranger est très proche de ce qui est décrit ci-dessus, même si les points de départ et les modèles canoniques ou historiques diffèrent. Les universités techniques allemandes, anglaises, néerlandaises, espagnoles restent fondamentalement des machines à enseigner héritées d'un XIXème siècle positiviste. Dans l'Europe du Nord, ce modèle va même plus loin que le modèle français en matière de division et de partage des territoires de la connaissance, dans la mesure où la professionnalisation de l'enseignement et l'accent mis sur le développement de la recherche scientifique conduisent à une véritable  balkanisation des disciplines, à la création de chapelles et de chasses gardées et progressivement à un abandon des objectifs pédagogiques et à une fuite vers les activités nobles de la recherche (un "Herr Professor-Doktor" allemand est d'abord et avant tout le patron d'un Institut de recherche, à travers les activités duquel il dégage de bonnes marges bénéficiaires). Ce dernier point préoccupe du reste très sérieusement les spécialistes non seulement de ces pays mais aussi des Etats Unis et du Canada qui s'aperçoivent avec frayeur et affirment dans des colloques spécialisés que les grandes universités techniques ne forment pas vraiment les gens qualifiés et communicants nécessaires à l'industrie d'aujourd'hui.

FORCES ET FAIBLESSES DES SYSTEMES DE FORMATION

 Il n'est pas aujourd'hui abusif d'affirmer que les institutions de formation d'ingénieurs comprennent difficilement (et peut-être de moins en moins) les besoins réels et actuels des sociétés modernes, qu'elles ne participent pas aux vrais courants de transformation de ces sociétés (pensons aux évolutions des villes et de leurs banlieues ou encore à la nécessaire protection de l'environnement ou au développement durable). Et si les Ecoles et autres formations d'ingénieurs restent sourdes aux appels des responsables politiques ou industriels, la raison en est principalement qu'elles ne savent pas se dégager de leurs traditions academico-scientifico-corporatives. Les contenus de formation, les jeux de pouvoir autour des partages des territoires disciplinaires, un enseignement basé sur le transfert reproductif des connaissances, sont autant de freins à une transformation profonde de la perspective éducative.

Des formations trop scolaires (on pense aux charges de travail des étudiants des Instituts Universitaires de Technologie, aux élèves des classes préparatoires aux Grandes Ecoles, aux surcharges en effectifs des grandes Universités Techniques allemandes,...), l'incapacité à intégrer de façon moderne l'accès aux ressources informationnelles dans la formation des jeunes, l'absence de programmes qui permettraient de préparer des équipes mixtes et trans-disciplinaires (des techniciens associés à des ingénieurs, des documentalistes ou des sociologues,...), la difficulté quasi insurmontable à former les futurs ingénieurs à certaines méthodologies du travail intellectuel efficace (du problem solving aux techniques de créativité, en passant par les heuristiques de l'information, l'analyse de système ou la conduite des groupes mixtes), telles sont quelques unes des critiques que l'on entend souvent à propos des formations d'ingénieurs dès lors que l'on dépasse le niveau de l'autosatisfaction nombriliste sereine.

Il est en revanche vrai que des efforts sont faits en permanence par divers acteurs du système  pour tenter d'améliorer ou d'adapter ces formations d'ingénieurs. Ainsi, au cours des vingt dernières années  a-t-on recouru plus systématiquement aux stages en entreprises, aux projets personnels, aux échanges avec des partenaires étrangers (notamment en Europe), aux activités extra-scolaires ou extra-universitaires ou encore à certains outils modernes dont notamment l'ordinateur, véritable maître à bord des Ecoles d'ingénieurs. La formation continue a également connu un essor certain. Mais au fond la plupart de ces "innovations" ont existé et ont été mises en oeuvre tout au long des deux siècles précédents et on peut se demander si elles ne sont pas devenues aujourd'hui le signe le plus évident d'une médiatisation forcenée de ces affaires de formation d'ingénieurs. Quelle Ecole d'ingénieurs pourrait avouer aujourd'hui à des journalistes avides de "scoops" sur la concurrence entre établissements de formation  qu'elle ne procède pas à des échanges d'étudiants avec des partenaires européens, qu'elle n'envoie pas ses étudiants en stage dans les entreprises, qu'elle n'utilise pas les derniers développements de l'intelligence artificielle ou qu'elle n'a pas de pépinière d'entreprises.

L'INGENIEUR, ENTRE INFORMATION ET FORMATION

Comment repenser le problème de la formation des ingénieurs dans le contexte de sociétés "postindustrielles", marquées par une mondialisation des économies, par une élévation incontestable du niveau de savoir et de curiosité des jeunes générations, par une imbrication accrues des diverses forces productives? Peut-on inventer de nouvelles modalités de formation qui prennent mieux en compte l'accès de plus en plus généralisé à l'information et l'ouverture sur le monde? Quels partenaires, quelles structures, quels réseaux de compétence peuvent intervenir dans une transformation profonde des modalités de formation des ingénieurs?

Comparée à celle qui prévalait au milieu du XIXsiécle, la situation actuelle se caractérise surtout  par une émergence de l'information et de la communication dans tous les aspects de la vie individuelle et professionnelle. Pour l'ingénieur cette réalité est de plus en plus au coeur même de sa pratique, puisqu'au fond ce professionnel n'est qu'une courroie de transmission entre les poseurs de problèmes (la société, l'industrie, le grand public, le politique,...) et les réalisateurs de solutions, les constructeurs techniques, les fabricants et diffuseurs de produits. L'ingénieur, qu'il soit chercheur-inventeur, maître d'ouvrage, maitre d'oeuvre, technico-commercial, directeur de société, inspecteur,...est au carrefour de l'échange et de la transformation des informations spécialisées de toutes natures. L'ingénieur ne fabrique pas lui même les produits qu'il procure, par contre il gère des systèmes d'informations à caractère décisionnel qui permettent d'apporter une réponse aux besoins exprimés. L'ingénieur navigue en permanence dans l'information, la transforme, il fait des plans et des projets qui ne sont que des concrétisations informationnelles à un moment donné. Il vend son projet, cherche à convaincre d'autres partenaires ou décideurs. Sans cette mobilisation et ce partage de l'information, l'ingénieur ne pourrait pas exercer son métier.

A un niveau plus macroscopique, il est évident que les systèmes d'information spécialisée deviennent de plus en plus puissants et incontournables. Des bases et banques de données aux systèmes experts, en passant par les chaînes informatisées de CFAO, XAO,..., par l'EDI, par les flux trans-frontières de données ou encore par les normes ou les brevets, toute l'activité des entreprises et des ingénieurs s'inscrit dans une perspective de développement des ressources informationnelles, véritable fer de lance de l'industrie  et des services modernes.  D'ailleurs, il est important de souligner que cette information "professionnelle" (scientifique, technique, économique,...) n'est pas la seule en jeu dans "l'entreprise du troisième type": il faut désormais prendre en compte la légitime capacité d'expression de l'ensemble des salariés (cercles de qualité, groupes de progrès,...), le dialogue indispensable avec des partenaires de cultures techniques ou géographiques différentes, la communication sociale avec le grand public, etc...

Dans ce contexte et dans ces conditions, la question de la formation des ingénieurs prend un tout autre relief et ne peut pas se limiter au seul transfert d'une "boite" de connaissances figées. Si au milieu du XIXème siècle, il était évident que le rôle de l'établissement de formation était de permettre un accès à des données techniques peu répandues dans la société, il n'en est plus de même aujourd'hui puisque tout un chacun est désormais en mesure (dans les pays du Nord, en tout cas) d'accéder à n'importe quel élément de savoir, à n'importe quelle information, y compris aux données disponibles à l'autre bout de la planète et à des renseignements quasiment confidentiels. De façon schématique et volontairement provocante, on pourrait affirmer qu'il n'y a plus nécessité aujourd'hui, de s'appuyer sur des Ecoles ou des Universités pour former des ingénieurs. Ou plus exactement, il n'est plus nécessaire de concentrer géographiquement des étudiants en un lieu précis, pour suivre des enseignements et accéder à des connaissances aisément transférables. Ou encore, si l'Ecole d'ingénieurs a encore un sens, pour quelle fonction et pour quel  service l'a-t-elle: dispenser ce qui est aisément accessible de n'importe quel point de la planète, établir des liaisons entre des connaissances éparpillées et contradictoires, créer une vie culturelle spécifique, contribuer à la stimulation de la production et du transfert des savoirs?

Un cursus de formation d'ingénieur  doit pour l'essentiel consister en un dispositif organisé, guidé, mais personnalisé d'accès aux informations ou connaissances pertinentes. A côté de la stricte fourniture des modalités d'accès aux ressources informationnelles et pédagogiques, l'Ecole d'ingénieurs doit mettre en place les procédures permettant de consolider les savoirs en constitution (travaux pratiques, projets, échanges pédagogiques,...) et de contrôler les résultats des étudiants eu égard aux objectifs assignés.

LES NOUVELLES FRONTIERES DE LA FORMATION

  Les Ecoles situées dans une même région ou celles fonctionnant en réseau (la tendance au regroupement et au partenariat est patente depuis quelques années) sont ou seront amenées à investir dans de nouveaux équipements éducatifs lourds, véritables machines à dispenser de l'information structurante, consultables par des étudiants de diverses origines, sur place ou à distance, comme elles sont conduites aujourd'hui à renforcer leurs équipements pour la recherche. Déjà les Universités IBM, Mac Donald ou Siemens montrent la voie à leurs consoeurs plus traditionnelles. Cette orientation pourrait signifier la fin de l'habilitation par la Commission des Titres d'Ingénieurs, en France, de nouveaux établissements dépourvus de moyens modernes et puissants d'accès à l'information comme elle a déjà été amenée à s'interroger sur les capacités des établissements en matière de recherche.

Au niveau des étudiants, des efforts sont être faits pour faciliter l'accès à l'information, son traitement et sa diffusion. Dans les meilleurs des cas, des travaux sont menés en partenariat avec des industriels pour concevoir des postes intelligents d'auto-apprentissage intégrant divers outils de gestion de l'information. Ces postes de travail et postes d'apprentissage personnalisés pourraient être utilisés par les étudiants tout au long de leur scolarité. Après l'obtention du Diplôme, les étudiants pourraient conserver l'essentiel du patrimoine des ressources accumulées et l'actualiser, dans leur vie professionnelle, grâce à la formation continue et aux diverses modalités d'entretien des savoirs. Des mécanismes financiers seraient du reste à inventer de façon à permettre le passage d'une formation de consommation à une formation d'investissement.

 Les enseignements et chercheurs des Ecoles et autres formations d'ingénieurs sont poussés désormais à réaliser des produits d'information et de formation aisément transférables, échangeables. Il faut pouvoir alimenter des banques de cas et des bases de données didactiques; il faut pouvoir créer des cours diffusables par satellite, le marché de la formation des ingénieurs se mondialisant. En d'autres termes, la rémunération d'un formateur doit de plus en plus privilégier l'investissement fait lors de la réalisation d'outils didactiques transférables et au contraire dissuader l'enseignant rabâchant, répétant le même discours devant des auditoires assoupis et passifs.

Par ailleurs, la composante principale d'une formation d'ingénieurs a toujours été et restera la formation méthodologique. Celle ci est acquise pour l'essentiel, pendant les toutes premières années du cursus, mais est approfondie en fin de formation dans les domaines ou contextes précis d'ingénierie étudiés. Le développement de nouveaux processus d'information et de formation conduit les étudiants à recourir aux heuristiques d'apprentissage les plus riches et les plus efficaces. De même on cherche à stimuler la découverte des milieux différents (l'entreprise, l'étranger, les autres disciplines). La communication sous toutes ses formes (orale, écrite, audiovisuelle, télématique,...), la dynamique des groupes mixtes, la maîtrise des langues  sont autant de composantes d'une formation aux méthodologies de l'information active et du travail efficace.

MACROPEDAGOGIE, QUALITE ET MANAGEMENT DE LA FORMATION

Plusieurs colloques récents abordent la question de la qualité de la formation des ingénieurs et apportent d'intéressants éclairages sur ce que doit être le management d'un système de formation. Mais dès le début des années 80, les Grandes Ecoles françaises d'ingénieurs confrontaient leurs idées et leurs réalisations en matière de "macro-pégagogie" et de gestion des alternatives de formation. Plus que dans tout autre domaine de l'enseignement supérieur se pose la question de la façon dont on articule les différents moyens ou ressources pour atteindre les objectifs.

C'est d'abord la recherche du meilleur dosage possible entre enseignements (conférences plénières ou petites classes), travaux pratiques, travaux de laboratoire, projets personnels de fin d'étude, stages en entreprise, séjours à l'étranger ou bien d'autres formulespédagogiques. N'est-il pas symptomatique que nombre de directions d'Ecoles d'ingénieurs s'intéressent fortement aux activités extra-scolaires des étudiants, quand elles ne les suscitent pas? En d'autres termes, former un ingénieur (du moins dans la tradition française), c'est mettre un étudiant en face de multiples façons de gérer son ouverture sur le monde, mais c'est aussi prendre le risque d'un certain dilettantisme (comme le font parfois remarquer les collègues allemands) si cette diversité des possibles pédagogiques n'est pas gérée.

Cette "macropédagogie" voulue est donc mise en oeuvre au sein des Ecoles par une multiplicité d'acteurs dont on imagine mal l'équivalent dans d'autres domaines de l'enseignement supérieur. Ainsi désigne-t-on fréquemment dans les Ecoles un responsable des stages ou un chargé des relations avec la profession. Des directions pour la formation alternée, pour la formation continue ou pour la formation par la recherche complètent le traditionnel dispositif que constitue la direction des études ou de l'enseignement. Les centres ou unités de service spécialisés (informatique, documentation, audiovisuel,...) concourent de même à cette démarche de macropédagogie. C'est dire que la formation est prise, au sein d'une Ecole d'ingénieurs, comme un tout et comme un processus collectif, au sein duquel chacun apporte sa touche, tout en permettant les libres parcours des étudiants.

Plus spécifiquement, la notion même de direction est intéressante, car elle conduit à évoquer le problème de formation en termes de management. Le Directeur d'une Ecole d'ingénieurs est en quelque sorte un patron d'entreprise qui doit atteindre certains objectifs avec des ressources données, en inscrivant son action dans une démarche vers la qualité. L'équipe de direction (avec différents Directeurs spécialisés) met en oeuvre la politique de formation avec un schéma de fonctionnement original (par rapport aux entreprises classiques) selon lequel on doit nécessairement trouver des convergences entre la logique décisionnelle et économique (la gestion de la "boîte"), la logique éducative (les départements d'enseignement et de recherche, les enseignants, les disciplines), la logique scientifique (le développement des connaissances, la recherche) et la logique des standards, des finalités et du besoin (les filières de formation, les débouchés, les entreprises, les anciens élèves,...).

Il faut ajouter que de plus en plus les Ecoles s'orientent vers la conception et la mise en oeuvre de nouveaux programmes de formation spécialisée (les MASTERES, par exemple en France) qui sont, d'une certaine façon, une ouverture des établissements sur le monde marchand et qui les conduisent à se positionner sur un véritable marché mondial du transfert des connaissances. Mais qui dit marché de la formation dit automatiquement concurrence. Et qui dit concurrence dit nécessairement contrôle et validation de la qualité. C'est sur ce dernier point que des efforts sont faits dans différents pays pour concevoir, assurer et apprécier la qualité des formations dispensées, en s'inspirant des normes ISO 9000.

De façon plus innovante encore, les Ecoles d'ingénieurs se lancent, à l'image des entreprises dans la réalisation de "Projets d'Ecole" (projets d'entreprise) ou dans la mise en place de cercles de qualité pour l'étude de tel ou tel aspect de la gestion de l'établissement. Cette vision plus "systémique" de la formation est bien moderne et permet de mobiliser l'ensemble des partenaires, l'ensemble des ressources disponibles (et pas seulement les enseignants) dans la recherche de nouveaux équilibres pour mieux former les ingénieurs de demain.

La seule et véritablement cruciale question qui reste posée est celle de l'économie de la formation des ingénieurs. Dans le modèle allemand, l'enseignement de masse à l'université est une réalité incontournable qui conduit par exemple le professeur à dispenser des cours devant des auditoires de plusieurs centaines d'étudiants et où la relation de ces derniers avec la recherche n'est désormais plus qu'un mythe. Outre Manche ou outre Atlantique la misère des formations d'ingénieurs est réelle, renforcée par un libéralisme économique privilégiant les rentabilités à court terme aux investissements  éducatifs du long terme. Le contexte français n'est guère meilleur dans la mesure où nombre d'Ecoles d'ingénieurs ont mis en place, dans les années 70, de remarquables structures "macropédagogiques" de formation, mais qui supportent malheureusement mal les contraintes économiques actuelles. En d'autres termes, vouloir former des ingénieurs selon des schémas innovants, n'est-ce pas un luxe que seules désormais les grandes multinationales industrielles pourront s'offrir? Pour le secteur public traditionnel, il ne reste alors que la solution préconisée par certains en France, mise en place récemment aux Pays-Bas et consistant à réduire la durée de la formation et à ramener le cursus de formation de cinq à quatre années.

FORMATION + INGENIEUR + BATIMENT = UNE DIFFICILE EQUATION

 Il est clair que les mutations des formations d'ingénieurs au cours vingt dernières années ont touché tout les domaines scientifiques et techniques, mais se sont malgré tout plus focalisées sur certains secteurs d'enseignement et de recherche que sur d'autres. Il est évident que les formations dans les domaines des nouvelles (ou hautes) technologies ont  connu un attrait tout particulier, d'autant plus que se développaient en périphérie des Ecoles d'ingénieurs des pôles de transfert de technologie et des pépinières d'entreprises. Il est sûr aussi que les formations d'ingénieurs à caractère généraliste ont amplifié un mouvement vers l'intégration plus forte de compétences en matière d'économie et de management. Des préoccupations nouvelles sont apparues dans des domaines neufs comme les biotechnologies, l'agro-alimentaire, le génie des procédés, la productique,... qui ont contribué au développement de nouvelles formations appuyées sur de bons laboratoires de recherche. Ces nouvelles formations ont bien évidemment "cannibalisé" des formations plus traditionnelles comme celles portant sur la sidérurgie, l'électricité ou le bâtiment. Plus que jamais, la concurrence disciplinaire est vive et le marché ouvert: les étudiants déterminent désormais leurs choix avec plus de clairvoyance que par le passé, estimant leurs chances de trouver de bons emplois plus grandes dans des filières porteuses que dans des secteurs traditionnels d'ingénierie.

 L'enseignement des sciences et techniques du bâtiment est confronté, comme tous les secteurs de formation, à la question des niveaux ou standards de formation. Dans le domaine des techniques avancées (ou des hautes technologies) comme dans celui du management des technologies, il n'y a pas de doute: les formations sont nécessairement du niveau le plus élevé, c'est à dire avec un diplôme obtenu cinq ou six années après le baccalauréat et une forte composante scientifique théorique. En revanche, dans un domaine comme celui des sciences et techniques du bâtiment, il est fort probable que le besoin soit prioritairement celui d'ingénieurs de production, voire même de techniciens supérieurs. Les Fachhochschule allemandes sont de ce point de vue plus performantes et adaptées que nombre d'Ecoles généralistes d'ingénieurs en France. Certes, il est nécessaire de prévoir la formation d'ingénieurs orientés vers la recherche dans le domaine du bâtiment, mais alors se pose la délicate question du rapport entre instances de recherche et instances de formation dans ce secteur, comme se pose aussi celle du développement d'un vivier d'enseignants-chercheurs compétents. Comment donc positionner correctement les formations d'ingénieurs pour le bâtiment?

Les évolutions récentes des formations d'ingénieurs font clairement ressortir l'importance des relations partenariales développées entre les Ecoles d'ingénieurs et les entreprises. Plus la trame de ces relations est dense, plus  s'intensifie l'activité de recherche et d'expertise et plus aussi se modifient les contenus et les pédagogies des formations. Le domaine du bâtiment pose de ce point de vue un grave problème. Quels sont les acteurs économiques (industriels, entrepreneurs, maîtres d'ouvrages, maîtres d'oeuvre,...) prêts à véritablement investir dans la formation et la recherche et à développer des partenariats durables, pluriannuels avec des Ecoles d'ingénieurs? La fragilité de l'économie du bâtiment et les modalités traditionnelles d'intervention des acteurs du secteur sont des freins évident à un développement de formations modernes d'ingénieurs dans ce domaine.

La complexité de l'enseignement des sciences et techniques du bâtiment est un facteur à ne pas négliger. Plus que dans d'autres domaines, il s'agit pour l'ingénieur de mobiliser des données les plus diverses, d'assembler des techniques assez hétérogènes, de gérerd'importantes quantités de faits ou d'éléments. En outre, le bâtiment interfère avec l'homme, les techniques dures du domaine sont confrontées aux sciences molles qui s'efforcent de comprendre les relations de l'homme à son environnement bâti. Cette complexité, richesse pour des esprits curieux, champ original d'investigation pour des spécialistes de l'analyse des systèmes ou des amateurs de la programmation serrée, peut dérouter nombre d'étudiants qui n'en perçoivent que la traduction sous forme de juxtapositions disciplinaires ennuyeuses. Comment parvenir à intéresser de futurs ingénieurs aux subtiles péripéties de la conception d'un bâtiment, comment les sensibiliser à la nécessaire intégration des disciplines de base, comment les amener à penser la complexité du bâtiment comme autre chose qu'un puzzle délibérément décomposé par un professeur vicieux?

Enfin, n'est-il pas souhaitable de s'interroger vraiment à propos de l'enseignement des sciences et techniques du bâtiment sur l'articulation souhaitable entre formation initiale, formation continue et entretien des connaissances par l'accès moderne à l'information? Le travail de l'ingénieur dans le domaine du bâtiment est fortement imprégné de savoir-faire techniques et technologiques dont l'actualisation dans le temps est indispensable. Dans ces conditions, quel rôle peut et doit jouer la formation continue? Comment celle-ci doit-elle s'articuler avec la formation initiale de l'ingénieur? De même, quelle place faut-il réserver aux formations post-graduées ou de spécialisation? Quelles compétences supplémentaires vient-on y acquérir? Et plus généralement, quelles approches d'auto-formation faut-il privilégier à partir des gisements d'information aisément disponibles en bases de données, sur CD-ROM ou CD-interactifs, ou à partir d'outils modernes multimédias? Quelle production de modules autonomes de formation doit-on soutenir pour permettre aux ingénieurs travaillant dans le secteur du bâtiment ou entrant dans ce domaine d'acquérir les connaissances qui leur manquent? Peut-on envisager de concevoir, développer et diffuser dans le cadre d'une nouvelle télévision éducative promise à un bel avenir en France ou dans celui d'un marché mondial de la formation à distance en plein essor, des modules modernes d'enseignement des sciences et techniques du bâtiment?

L'heure ne serait-elle pas venue d'un autre regard sur la formation des ingénieurs et d'une véritable révolution dans l'enseignement des sciences et techniques du bâtiment?