UNE APPROCHE SYSTEMIQUE DU MANAGEMENT DE L'INFORMATION

LES NOUVELLES FORMES D'UTILISATION DE L'INFORMATION

  JM 237

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Communication au Colloque d'Alexandrie, Commission Française pour l'UNESCO, décembre 1993

 

            L'information et la documentation, comme toute activité professionnelle, se pratiquent dans un contexte économique, sociologique et politique donné. La documentation ne se développe pas en dehors de son temps, pas plus qu'elle ne vit de l'air du temps. Il faut désormais se préoccuper de la bonne adéquation entre les services que l'on prétend offrir et les ressources dont on dispose, et cela avec une certaine vision politique ou stratégique de cette activité professionnelle. En d'autres termes, il faut "manager" la documentation, repenser les usages de l'information.

            Pendant longtemps, le principal reproche fait aux professionnels de l'information et de la documentation a pu concerner leur incapacité à raisonner leur pratique en termes de management et leur tendance à limiter leur contribution professionnelle à de strictes successions de gestes ou opérations techniques (le catalogage, l'indexation, la fabrication d'un bulletin documentaire ou d'une revue de presse,...). Mais depuis cinq à dix ans, les notions de management, de coût, de service rendu, de qualité, de rentabilité, de veille informative se sont progressivement introduites dans les centres de documentation et autres structures de gestion de l'information.

            Mais comment définir un bon management de la documentation? Comment gérer de nouveaux usages de l'information? En s'inspirant de l'analyse de système, on peut définir un bon management de l'information et de la documentation comme un ensemble cohérent de pratiques de direction, de gestion et de conception qui permettent d'offrir des services de qualité à des clientèles bien identifiées, avec une utilisation optimale des ressources disponibles, dans un contexte bien déterminé et avec une certaine vision stratégique du développement de l'unité documentaire concernée. L'approche systémique oblige à considérer le problème du management comme un tout, comme un ensemble d'éléments en interaction. Elle permet aussi de prendre en considération de nouvelles perspectives comme celles de l'analyse de la valeur et de la qualité des produits et services d'information et de documentation ou encore de nouveaux usages de l'information comme la veille informative (stratégique, technologique, concurrentielle).

 

1 - LE MANAGEMENT DE L'INFORMATION ET DE LA DOCUMENTATION

 1-1. L'expression d'une politique

            Il ne peut pas y avoir de management sans que soit correctement explicitée la politique que l'on veut ou que l'on doit suivre. En documentation, l'expression d'une politique est une nécessité vitale. Trop souvent, la tendance naturelle en documentation a souvent été de considérer prioritairement et quasi exclusivement les outils et les pratiques professionnels et de déduire de ceux-ci des politiques implicites, malheureusement inopérantes ou inadaptées.

            L'expression d'une politique c'est d'abord l'affichage des grandes missions ou objectifs de l'unité documentaire. Selon les contextes, cela pourra être:

            - assurer un environnement informationnel pertinent pour la prise de décision stratégique;

            - contribuer à l'actualisation des connaissances des salariés de l'entreprise;

            - participer à la consolidation des connaissances en construction de jeunes enfants;

            - conserver et valoriser un patrimoine documentaire.

            Ces grandes missions doivent être clairement établies et avoir fait l'objet d'un débat au plus haut niveau de l'institution concernée. Elles doivent exprimer des priorités. Elles doivent être réalistes et tenir correctement compte des spécificités des contextes donnés.

            La politique s'exprime également à travers les modalités d'intégration de l'unité documentaire au sein de l'institution. La qualité de l'insertion se lit à l'organigramme de la société ou encore à la participation du responsable de la documentation aux réunions stratégiques (réunions de direction,...).

            Il est évident enfin que l'expression d'une politique doit émaner, en tout premier lieu, du responsable de l'établissement, même si cela doit être fait en concertation avec les professionnels concernés.

 1-2. Des relations avec des environnements variés

            On ne peut pas faire de la bonne information, de la bonne documentation en développant celles-ci en autarcie. L'information et la documentation sont par essence une ouverture sur le monde. Il faut donc s'interroger sur les environnements pertinents avec lesquels l'unité documentaire doit assurer des relations de coopération, d'échange, de co-développement,...

            Il convient d'insister en priorité sur les relations avec diverses structures officielles  ayant des responsabilités en matière d'information et de documentation. Mais il faut aussi bien identifier les différents réseaux documentaires locaux, régionaux, nationaux ou internationaux qui pourraient offrir des ressources utiles. On n'oubliera pas les structures ou environnements hors documentation .

            Il faut souvent faire preuve de beaucoup de pugnacité pour parvenir à faire reconnaître la nécessité de l'information et de la documentation. Il est alors souvent indispensable de s'appuyer sur des relais, de trouver des partenaires qui cautionneront la politique documentaire.

1-3. La connaissance des utilisateurs et de leurs besoins

            Au delà de l'affirmation selon laquelle le professionnel se dévoue  à ses utilisateurs, il faut peut-être s'interroger sur ce que représente vraiment ces utilisateurs ou usagers. Il faut insister ici sur la nécessité de bien connaître sa clientèle, d'établir des typologies rigoureuses d'utilisateurs, en analysant de façon précise les besoins et pratiques d'information et de documentation de ceux-ci.

            Par ailleurs, on doit mentionner ici le problème délicat de la nature de la relation entre professionnels de l'information et de la documentation et utilisateurs. Entre le guichetier rébarbatif et la mère poule envahissante, il faut savoir trouver le juste milieu. Il faut définir précisément les modes de relation appropriés et surtout "professionnels". Il faut aussi savoir gérer les conflits entre intérêts individuels et intérêts collectifs, établir des priorités, faire respecter des équilibres entre les divers besoins des divers groupes d'utilisateurs.

1-4. La détermination des fonctions à assurer

            Une fois les grandes missions connues, on s'efforcera de les traduire en termes de fonctions à assurer, et cela en tenant compte de la diversité des besoins et des usages. Une unité documentaire, un service d'information, auront généralement un ensemble de fonctions à réaliser. Des priorités devront être déterminées entre ces diverses fonctions.

            a) Certaines fonctions seront définies comme des "fonctions de service", c'est-à-dire qu'elles correspondent aux axes politiques préalablement établies. Par exemple, des fonctions de service d'un Centre de documentation et d'information en milieu scolaire peuvent être les suivantes:

            - mettre à disposition des élèves des documents en complément des enseignements dispensés;

            - donner le goût de la lecture et de la découverte par le livre;

            - offrir des possibilités d'ouverture informationnelle sur le monde;

            - assurer un apprentissage des méthodes de la documentation;

            - permettre des liaisons de diverses nature entre des connaissances en constitution.

            b) D'autres fonctions seront appelées des "fonctions contraintes"; elles correspondent à des nécessités à respecter, comme par exemple:

            - protéger contre le vol ou la détérioration des documents;

            - assurer la sécurité des enfants;

            - offrir un cadre propice à la lecture;

            - permettre une consultation aisée des fichiers et équipements.

            Ces fonctions sont soit incontournables, soit des "plus" à apporter au fonctionnement de l'unité documentaire.

            c) Enfin, une troisième catégorie de fonctions concrétise ou permettent de réaliser les précédentes: ce sont les fonctions dites "techniques". Celles-ci concernent plus directement les activités des professionnels de la documentation et sont spécifiques des choix de solutions adoptées. Ainsi pourra-t-on considérer comme fonctions techniques:

            - traiter (cataloguer et indexer) les documents;

            - constituer des fichiers documentaires;

            - conserver les documents.

            Il va de soi que l'idéal serait d'avoir le maximum de fonctions de service avec le minimum de fonctions techniques. En tout cas, l'utilisateur valorise exclusivement les fonctions de service et ne comprend pas pourquoi il n'obtient pas satisfaction sous prétexte que les fonctions techniques sont trop prenantes.

1-5. Les services et produits à proposer

            Il faut maintenant s'interroger sur les services que l'on doit ou que l'on veut offrir, en tenant compte des priorités politiques sur les missions, les fonctions, les cibles et les besoins. Il faut faire preuve d'imagination et oser inventer des services ou produits appropriés.

            Ainsi aux classiques services que constituent la consultation sur place des documents ou encore le prêt de ceux-ci, on peut ajouter l'interrogation ou consultation de bases de données (en ligne ou sur CD-ROM), la fourniture de dossiers documentaires ou de revues de presse, la diffusion de produits à plus haute valeur ajoutée (synthèses, documents à caractère didactique,...).

            Ces divers services ou produits doivent être correctement conçus et caractérisés (quoi, pour qui, pour quoi faire, sous quelles conditions,...); ils doivent être hiérarchisés, structurés sous forme de gammes de produits; ils doivent être aussi affichés (promotion, information,...); enfin, ils peuvent faire l'objet de pratiques tarifaires particulières.

            Il est essentiel par ailleurs de définir ces produits ou services avec une démarche qualité rigoureuse: adaptation du service au juste besoin, critères d'exigence définis (conditions d'accès, degré d'approfondissement, action dans le temps,...).

 1-6. Le marketing documentaire

            Il ne suffit pas d'être un bon professionnel de l'information et de la documentation, de faire de bons fichiers, de bien cataloguer et indexer les documents. Il faut désormais se préoccuper tout autant de la promotion de son centre de documentation et des produits ou services d'information auprès des clientèles visées.

            Cela commence par une démarche volontariste et ambitieuse d'information sur les possibilités offertes et sur les spécificités de l'unité. Cela peut aller jusqu'à des actions particulières de promotion, à des moments précis (pensons aux rencontres annuelles, assemblées générales, congrès,...) ou encore à des démarches de valorisation (expositions, conférences, posters, démonstrations d'équipements nouveaux,...).

            Le marketing documentaire, c'est bien sûr la conception de produits ou services bien adaptés aux besoins des cibles visés, mais c'est aussi le souci de l'attractivité, de la qualité de présentation, de l'ergonomie de travail, du plaisir des lieux et des espaces.

 1-7. La sensibilisation et la formation des utilisateurs

            Un aspect particulier du marketing documentaire réside dans la conception et la réalisation d'actions de sensibilisation et de formation des utilisateurs aux méthodes et ressources de l'information et de la documentation. Ces démarches peuvent varier entre la stricte visite des lieux et installations et l'action pédagogique forte (module de formation spécifique). 

            Il est clair que ces actions de sensibilisation et de formation devraient être au coeur d'une politique d'information et de documentation au sein de tout organisme.

1-8. La constitution des fonds propres de documentation

            Selon les contextes et selon les missions et fonctions choisies, on sera amené à mettre sur pied une politique de développement de fonds documentaires propres.

            C'est d'abord la détermination et l'affichage d'un budget affecté à ces acquisitions et abonnements. Mais c'est aussi la recherche d'obtention de fonds documentaires par d'autres moyens que l'achat.

            Il faudra ensuite déterminer la structure de ce fonds documentaire, en déterminant les natures de documents appropriées (livres, revues, journaux, images, CD-ROM,...), les thèmes à retenir (selon les diverses disciplines enseignées, littérature de loisir, etc...). On s'interrogera sur l'intérêt de disposer de fonds de "littérature grise" (des travaux de chercheurs ou ingénieurs, des rapports,...). Il faudra déterminer la part des renouvellements, comme il faudra aussi établir un juste rapport entre nombre d'exemplaires d'un même titre et nombre de clients concernés. Il faudra encore envisager l'acquisition d'outils encyclopédiques modernes comme les CD-ROM.

            La création et le développement d'un fonds propre de documentation pose de nombreuses autres questions: doit-on conserver les documents et si oui lesquels et pendant combien de temps? Doit-on éliminer et comment?

1-9. L'accès aux ressources documentaires externes

            Il va de soi qu'on ne peut pas tout trouver au sein de son service d'information et de plus en plus, la documentation passe par l'accès à de vastes gisements externes, disponibles sur l'ensemble de la planète. Aussi est-il judicieux de prévoir les modalités d'accès à ces documentations extérieures.

            A un premier niveau, et pour des étudiants par exemple, on ne peut que recommander la fréquentation d'une bibliothèque municipale ou d'autres outils documentaires de proximité. Mais on peut aussi commencer à raisonner en termes de consultation de bases de données: un Minitel (selon un usage bien contrôlé) permet, en France, de faire de remarquables recherches documentaires et devenir par là-même un instrument pédagogique intéressant. Des prêts inter bibliothèques existent aussi et la télécopie (également judicieusement utilisée) permet d'obtenir des textes non disponibles chez soi. Les échanges à travers des réseaux d'ordinateurs se développent également et permettent un plus large accès aux ressources externes.

1-10. Le management des ressources humaines

            Pour faire marcher la machine documentaire, il va falloir s'appuyer sur des professionnels compétents. De façon générale, ce management des ressources humaines pour la documentation conduit à s'interroger sur plusieurs problèmes:

            - place des personnes à l'organigramme;

            - fiche de poste et responsabilités à exercer;

            - modalités de recrutement;

            - plan de carrière et mobilité professionnelle;

            - formation continue;

            - relations avec divers partenaires internes ou externes;

            - recrutements complémentaires (vacataires,...);

            - organisation du travail et des tâches;

            - éventuellement problèmes spécifiques de rémunération.

            Le contexte spécifique de chaque organisme ne permet pas toujours de mener une vraie politique de management des ressources humaines comme on peut le faire dans les grandes entreprises ou les grands centres de documentation. Mais il est toutefois utile de s'en inspirer, notamment dans ce qui a trait au développement professionnel comme dans la définition des missions, des fonctions et des responsabilités.

 1-11. L'organisation des locaux et des équipements

            Si les ressources humaines et les ressources documentaires sont bien perçues aujourd'hui comme essentielles pour assurer le succès d'une unité documentaire, il n'est pas toujours évident que soit accordée la même importance aux composantes strictement matérielles que constituent les locaux et les équipements. Or la documentation se vit dans l'espace, s'organise en lieux spécifiques, se branche sur des réseaux et des machines, consomme de la place et doit offrir à ses utilisateurs des ergonomies de travail bien définies. Les problèmes à résoudre ici concernent:

            - la localisation idéale des espaces de la documentation;

            - la détermination des surfaces et volumes nécessaires;

            - la fonctionnalité des espaces, leur caractère privé ou public;

            - les relations entre les lieux;

            - la signalétique des espaces;

            - les équipements indispensables (rayonnages, ordinateurs et autres outils,...);

            - les problèmes d'ambiance: bruit, couleur, aménagement, confort.

            Le centre de documentation est bien un lieu original, dont il faut réussir la conception et surtout dont il faut assurer l'animation. Localisation, espaces, équipements et ambiances sont des facteurs clés de réussite d'un bon centre de documentation.  

1-12. La disposition de moyens techniques spécifiques

            La documentation est de plus en plus un art qui mélange intelligence et technologie. L'informatique a, depuis plus de quinze ans, profondément bouleversé les pratiques documentaires. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont omniprésentes en documentation: vidéotex, réseaux d'ordinateurs, hypermédias et hypertexte, CD-ROM, vidéodisque, DON, télécopie, ...

            Un projet documentaire, quel qu'il soit, ne peut plus ignorer ces nouveaux outils; ceux-ci doivent être intégrés dès le départ dans la conception de l'unité documentaire, tout en sachant que, d'une part, la vitesse des changements dans ce domaine est un véritable handicap pour le choix de la meilleure solution, mais que, d'autre part, les coûts de ces moyens baissent constamment.

            Il faut par ailleurs souligner le caractère attractif de ces technologies qui séduisent assez largement les jeunes générations. La technologie peut être un puissant prétexte à la découverte des potentialités de la documentation et de ses méthodes. Effet levier incontestable, effet médiatique sûrement, mais pourquoi ne pas s'en servir?

1-13. L'organisation des chaînes d'activité

            Nombre d'activités en documentation s'organisent selon des processus répétitifs. Ainsi le traitement des documents (des centaines, des milliers de documents) se traduit-il toujours par les mêmes gestes, au point que l'on parle fréquemment de "la chaîne documentaire". Ce travail, souvent ingrat, mal connu mais essentiel peut prendre beaucoup de temps et, parfois, être un frein au développement de pratiques professionnelles plus innovantes.

            Il faut savoir travailler efficacement, savoir faire appel à des solutions alternatives (achat de notices bibliographiques, par exemple), en tout cas réduire le temps consacré à ces chaînes d'activité techniques. Il faut aussi s'interroger sur les conditions de réalisation de ces tâches (moments, lieux, méthodes, outils informatisés de travail). Enfin, on prendra garde de ne pas confondre chaîne de traitement documentaire et politique de documentation.

1-14.  La bonne gestion des temps de l'information

            L'information et la documentation sont indissociablement liées au temps. Trop souvent, les pratiques documentaires se déroulent "hors temps", dans une sorte d'atemporalité irresponsable. Les services de documentation sont ouverts au moment où les utilisateurs sont occupés par ailleurs, mais fermés au moment où ceux-ci seraient disponibles. Les livres acquis sont mis à disposition dans des délais excessifs (six mois à un an dans certains grands centres de documentation ou grandes bibliothèques) par suite des lourdeurs ou rigidités des chaînes de traitement. les produits documentaires sont diffusés à contretemps, lorsque les utilisateurs n'en ressentent pas le besoin. On sous-estime les cycles propres d'information de ces utilisateurs, en imposant à ces derniers les logiques temporelles des professionnelles de la documentation.

            Le management de la documentation, c'est notamment la détermination d'objectifs clairs en matière de gestion des temps, avec fixation d'indicateurs précis: délais de mise à disposition des documents, conditions appropriées d'ouverture des installations, fréquence ou rythme de diffusion des produits documentaires, moments clés ou critiques eu égard à la vie des utilisateurs. 

1-15. Les coûts et l'économie de l'information

            Le réalisme oblige aujourd'hui à mettre l'accent sur les coûts de la documentation. Les livres, les revues, les photocopies, l'interrogation du Minitel, etc... tout cela coûte de l'argent. De même, le travail du professionnel de la documentation s'inscrit dans le temps et donc se traduit par des salaires à payer.

            Il est essentiel de bien avoir conscience de ces coûts de la documentation et de déterminer différents indicateurs statistiques de gestion qui permettront de piloter le dispositif documentaire: coût moyen des acquisitions, coût ou temps moyen de traitement des documents, nombre de consultations et de prêts, coûts moyens, etc...

            Il est de même important de faire prendre conscience à l'utilisateur du coût des choses et peut-être de l'amener à prendre en charge tout ou partie de ce coût par des dispositions tarifaires. Il n'est pas toujours possible d'introduire des transactions financières dans tous les établissements mais on pourrait imaginer des sensibilisations au prix des diverses ressources documentaires comme au coût de ses propres pratiques de recherche (mesure des temps consacrés à se documenter selon telle ou telle source).

1-16. La mobilisation des ressources financières nécessaires

            Il va falloir trouver les ressources financières qui permettront le fonctionnement de la machine documentaire.

            C'est d'abord la détermination d'un budget spécifique qui doit permettre à la fois les acquisitions nouvelles et les renouvellements (attention aux abonnements aux périodiques ou encore aux mises à jour de certains outils comme les CD-ROM).

            Si une partie des ressources financières proviennent d'une affectation budgétaire, interne à l'organisme, il ne faut pas négliger d'autres apports. Ainsi existe-t-il différentes possibilités pour l'obtention de moyens spécifiques (dons de livres, prêts de matériels, expositions,...). Beaucoup de documents intéressants peuvent être obtenus gratuitement. Sans aller jusqu'à la vente de prestations documentaires (possibles dans le contexte de l'entreprise privée), on peut néanmoins imaginer des prestations échangées avec des partenaires locaux (libraires, entreprises,...).

1-17. La mise en place d'un dispositif de contrôle

            Il ne peut y avoir de bon management sans dispositif de mesure de l'efficacité, sans outil de contrôle de la réalisation des objectifs. Cela passe par la détermination d'indicateurs de gestion et par la mise en place d'outils statistiques de mesure des services rendus. Mais on doit aussi penser aux rapports annuels d'activité, aux bilans réguliers sur telle ou telle composante du management documentaire. Enfin, on pourra, dans certains cas procéder à des évaluations ou audits spécifiques.

 

2 - L'ANALYSE DE LA VALEUR ET LA SPECIFICATION DE LA QUALITE FONCTIONNELLE DES PRODUITS ET SERVICES D'INFORMATION

             La compétitivité des produits et services est l'un des défis majeurs des sociétés modernes, dans un contexte de concurrence internationale de plus en plus vive. Les produits et services d'information et de documentation, longtemps considérés ou placés en marge de la compétition économique, sont désormais et à leur tour directement concernés par la nécessité de la qualité et cet impératif de la compétitivité. Comme dans d'autres secteurs d'activité, industriels ou tertiaires, l'utilisation de méthodes nouvelles telles que l'analyse de la valeur, apporte un nouvel éclairage dans la conception des produits d'information comme pour la gestion des centres de documentation.

            En une dizaine d'années de pratiques et de développements de la méthode d'analyse de la valeur (ou AV) dans le domaine particulier de la documentation, de l'information et de la communication, il a été possible de définir et de développer des approches spécifiques, tenant compte des caractéristiques particulières des produits et services d'information et du milieu professionnel qui les réalise. L'expression AVID - Analyse de la Valeur appliquée aux produits et services d'Information et de Documentation -  commence à être assez largement acceptée. Désormais les professionnels et les acteurs économiques de "l'industrie de l'information" investissent dans de la méthode -et plus particulièrement en analyse de la valeur- lorsqu'ils sont sérieusement confrontés à la concurrence, lorsqu'ils doivent concevoir de nouveaux produits ou simplement lorsqu'ils cherchent à faire prendre en compte et à valoriser la fonction information-documentation dans les entreprises et les organisations.

2-1. Les principes et concepts de base de l'analyse de la valeur

            Le souci de l'économie, le calage strict sur le besoin et le marché, l'analyse fonctionnelle et la spécification de la qualité fonctionnelle, l'approche pluridisciplinaire de la conception et le travail de groupe, la mobilisation efficace de l'information et l'usage des techniques de la créativité sont au coeur de la méthode. L'analyse de la valeur, par sa démarche, ses concepts et ses outils, constitue une nouvelle approche de l'évaluation et de la conception des produits et services. Méthode originale de conduite de projet, elle facilite par là même l'obtention d'une efficacité globale et déployée bien à propos. L'analyse de la valeur est une méthode de travail qui valorise les compétences de l'entreprise, qui privilégie les synergies et la démarche systémique. Elle s'inscrit parfaitement dans la cohérence des évolutions de l'entreprise vers la Qualité Totale.

            Longtemps limitées aux produits industriels, les applications de l'analyse de la valeur sont aujourd'hui plus nombreuses dans les divers secteurs tertiaires : rationalisation des approvisionnements, re-conception de chaînes de facturation, "check-up" ou bilan de santé de services administratifs, étude des processus d'apprentissage ou de recherche,... et plus récemment applications aux produits et services d'information et de documentation.

2-2. L'analyse de la valeur des produits et services d'information et de documentation

            Les sociétés modernes faisant une part de plus en plus importante aux produits et aux technologies de l'information, les agents économiques responsables expriment nettement leur besoin de rationaliser l'usage de cette ressource nouvelle qu'est l'information. Qu'il s'agisse de réduire les coûts de services trop chers, de rationaliser les moyens en documentation ou d'améliorer la qualité des produits d'information, de documentation ou de communication, l'analyse de la valeur vient à point nommé dans un secteur qui n'avait pas encore connu, de manière forte, l'impératif de la compétitivité et l'exigence de la qualité (au sens moderne et industriel de ce terme).

            Les objectifs des actions d'AVID conduites dans les cinq dernières années concernent aussi bien la recherche de réductions de coût (faire chuter de 30% le coût annuel de constitution et de gestion d'une base de données en texte intégral, gagner 50.000 francs sur le coût annuel de production d'un bulletin de documentation,...) que l'amélioration de la qualité (mieux cibler des bulletins ou lettres d'information, améliorer l'ergonomie de consultation de produits télématiques, etc...) ou encore l'adaptation du management et de l'organisation des unités documentaires à de nouvelles exigences d'environnement ou à de nouvelles contraintes. Les demandes d'application de l'analyse de la valeur sont exprimées par:

            - des responsables d'unités documentaires;

            - des chefs d'entreprise ou des directeurs d'organismes;

            - et parfois aussi des personnels eux-mêmes des centres de documentation.

            Il est intéressant d'observer ici que les démarches d'analyse de la valeur permettent de concilier ces trois types de demandes, dans la mesure où le changement qui résultera de l'étude AV ne pourra se faire qu'avec l'assentiment de toutes les parties (la direction, les responsables opérationnels et les personnels). En ce sens, il est légitime de parler, à propos de l'analyse de la valeur, de démarche d'évaluation participative et de conduite du changement dans l'organisation, s'opposant de façon très nette aux traditionnels audits.

            On distingue traditionnellement deux catégories d'actions d'analyse de la valeur:

            - l'analyse de la valeur de rationalisation (value analysis) qui vise à étudier des produits ou services existants pour chercher à les améliorer, à les reconcevoir et les rendre plus compétitifs (évaluation-reconception);

            - l'analyse de la valeur d'innovation (value engineering) qui permet de créer de nouveaux produits ou services (ingénierie documentaire, innovation) et qui s'appuie notamment sur le Cahier des charges fonctionnel (ou CdCF).

            Il va de soi que la création ex-nihilo de nouveaux produits est toujours quelque chose de très stimulant. Toutefois ces applications de l'AV à la création de nouveaux produits, plus complexes, ne constituent pas encore la majorité des cas étudiés. Les demandes d'interventions en AVID restent dans la plupart des cas centrées sur l'évaluation et la reconception de produits ou services existants: bilans de santé de centres de documentation, de bulletins d'information ou de documentation, de bases de données, avec détermination de médications ou thérapies appropriées. Utiles à court terme,  ces démarches de rationalisation conduisent aussi très souvent à modifier les attitudes des personnes et constituent, à cet égard, un excellent tremplin pour des innovations pour le moyen et le long terme. Relevant d'une approche très responsable d'un management moderne, intégrant pleinement la démarche de qualité, ces études de rationalisation deviennent de plus en plus nécessaires et force est de constater qu'elles commencent à toucher des organismes aussi variés que des grandes sociétés industrielles, des structures tertiaires (banques, assurances, collectivités territoriales,...) ou des entités très traditionnelles (bibliothèques universitaires, bibliothèques de prêt, Centres d'information et de documentation (CDI) des lycées et collèges.

2-3. L'évaluation des produits et services d'information

            L'AVID aborde l'évaluation et la reconception de produits ou de services comme un processus volontaire et collectif de changement ou d'aide à la transformation de l'entité documentaire. Elle se caractérise alors comme une démarche de conduite de projet. Pour atteindre ces objectifs, plusieurs règles doivent être respectées:

            - d'abord, clarifier les objectifs ou intentions de l'action, en cerner les limites et adapter en conséquence les moyens qui seront retenus pour l'action;

            - mettre en oeuvre un processus collectif de résolution de problème, en déléguant à un groupe ad-hoc la réalisation de l'évaluation: ce groupe représentant plusieurs points de vue est animé par un spécialiste des démarches AV;

            - faire participer à la réflexion toute personne le souhaitant (auditions, travail en sous-commissions,...) si nécessaire;

            - mettre l'accent sur tout ce qui relève de l'expression des finalités, des missions ou des fonctions pour mieux percevoir les glissements qui peuvent se produire dans le management de l'unité documentaire ou dans la charte fonctionnelle du produit ;

            - chiffrer, mesurer, peser, estimer, avoir l'obsession du coût des choses: on veut comprendre à combien reviennent les diverses fonctions introduites dans le produit ou le service, de façon à pouvoir les comparer avec les préférences des utilisateurs;

            - en permanence questionner, mobiliser l'information pertinente, ne pas se laisser abuser par l'apparence première des choses, recouper les données, croiser les perceptions;

            - prendre en compte la dimension "systémique" du problème, en  recherchant les relations entre ses diverses composantes et en resituant le problème dans son contexte;

            - ouvrir des perspectives d'innovation en intégrant des démarches de créativité dans l'évaluation même. La motivation des personnes participant à l'évaluation est d'autant plus forte qu'elles perçoivent à la fois les problèmes qui se posent et les voies de solutions appropriées;

            -considérer le travail d'évaluation comme un processus de conduite de projet, avec notamment un strict respect des échéances et des délais, un plan de travail efficace, un schéma clair des éléments et des étapes de la décision et un dispositif d'information et de communication adapté.

2-4. Un bilan d'applications AVID en France

            En France, plusieurs expérimentations ont donc été conduites avec succès, dans le milieu des années 80, permettant soit l'étude du fonctionnement d'un centre de documentation de petite taille, soit la conception d'aides à l'exportation d'ingénierie documentaire (AFNOR), soit aussi à la création d'un nouveau produit mixte d'information et de formation au sein d'une chambre de commerce et d'industrie. Les travaux menés dans le cadre de cette expérimentation sont connus et ont  été publié en 1988 par l'ADBS: "Valeur et compétitivité de l'information documentaire: l'analyse de la valeur en documentation", par Jean MICHEL et Eric SUTTER.

            D'autres applications ont également été faites depuis, portant sur des bases de données informatisées, des chaînes de traitement documentaire, la création de centres de documentation, le recalibrage des activités de cellules documentaires, etc... Ces applications plus récentes ont été demandées par des responsables d'unités documentaires ou des producteurs de bases de données qui se trouvaient confrontées à des impératifs nouveaux d'adaptation de produit, de reconversion d'activité ou de réduction de personnel. Certaines de ces applications sont relatées dans un second ouvrage paru à l'ADBS en 1992: "Pratique du management de l'information: analyse de la valeur et résolution de problèmes" par Jean MICHEL, en collaboration avec Eric SUTTER. Ces applications  se caractérisent par les résultats globaux suivants:

            - des champs d'application multiples et variés : du bulletin de documentation à la  banque de données, du flux immatériel d'information aux moyens matériels de stockage et conservation de la documentation, de l'organisation d'un service de courtage d'information à la mise en place de structures de documentation au sein de grandes organisations,...;

            - des approches également diversifiées : étude de produits, analyse de processus de fabrication, amélioration de l'existant, innovation,...;

            -  des effets multidimensionnels : connaître et serrer les coûts de production, adapter les produits aux vrais besoins, fournir la qualité d'usage et non la qualité technique en soi, améliorer les relations de travail, développer un regard critique face aux modes (technologiques notamment).

            Les applications de l'analyse de la valeur aux produits et services d'information et de documentation peuvent se classer en plusieurs catégories.

            a) Les études légères d'évaluation, bilans de santé

            Un premier groupe d'applications de cette démarche d'évaluation fonctionnelle, participative et créative concerne de petites unités documentaires (4 à 6 personnes). On cherche principalement à faire un bilan de santé, à redéfinir les missions et les produits, à cerner des possibilités de redéploiement et des voies d'innovation. Un travail assez léger avec quelques réunions d'un groupe AV permet en quelques semaines de sortir des éléments clés pour revoir les axes stratégiques et le management de ces unités ou les éléments fonctionnels de détermination du produit étudié. Deux grands types de problèmes apparaissent généralement:

            - d'une part une dérive dans les missions et une tendance à privilégier le perfectionnement des outils et des procédures au détriment des services rendus;

            - d'autre part des conflits de personnes et des carences dans la communication interne et dans le  management des ressources humaines.

             b) Les études de reconception de produits ou services

            Des centres de documentation plus importants (10 à 20 personnes), des réseaux d'unités documentaires, des services industriels constituent le terrain de prédilection d'un deuxième groupe d'applications AVID. En général, on s'attaque à des problèmes plus conséquents: une base de données collective, un ensemble de bulletins documentaires, des restructurations, un fonctionnement en réseau,.... La démarche met l'accent, non seulement sur l'analyse de l'existant (le produit, ses coûts, ses fonctions), mais aussi sur l'établissement d'un nouveau Cahier des charges fonctionnel et sur la recherche créative de principes de solutions.

            On peut alors être amené à scinder l'évaluation en plusieurs parties ou études. Une démarche de ce type développée au sein de la Mutualité Agricole, en France, conduit ainsi à mettre en oeuvre quatre études spécifiques concomitantes:

            -la reconception du bulletin documentaire de la Mutualité Agricole;

            -la conception d'un Cahier des Charges Fonctionnel générique des bulletins et autres produits d'information des Caisses régionales et départementales;

            -la définition de la Fonction Information Documentation (FID) à mettre en oeuvre dans les Caisses de Mutualité Agricole à l'échelon régional;

            -l'évaluation de la politique générale de documentation au sein des Caisses centrales de la Mutualité Agricole.

             c) Les démarches d'innovation

            Résolument tournées vers l'innovation, les actions d'AVID de la troisième catégorie visent à déterminer des Cahiers des Charges Fonctionnels de nouveaux produits ou services. On peut citer des études menées  sur la conception d'un Cahier des Charges Fonctionnel générique de bulletins et autres produits d'information pour un grand organisme national, ou encore sur la définition de la Fonction Information Documentation (FID) à mettre en oeuvre dans certaines sociétés. Des produits originaux de marketing documentaire sont aussi étudiés , de même que peut être citée l'étude conduite au sein  d'une grande société industrielle (CdCF d'une nouvelle banque de données sur des matériaux) ou encore celle menée dans un Institut universitaire de formation des maîtres,pour la création d'un futur centre de ressources.

            Ces dernières applications démontrent la puissance d'innovation de la méthode, qui s'applique à merveille dans le domaine difficile des produits complexes d'information comme dans celui de la création de structures originales.

2-5. Vers une nouvelle politique de la documentation

            Améliorer la management des centres de documentation et des entreprises d'information passe par une claire définition des produits et services offerts adaptés à un marché bien cerné, par une maîtrise rigoureuse des coûts de réalisation de ces produits et services et enfin par une mobilisation efficace et concerté de tout le savoir et le savoir-faire disponible. L'analyse de la valeur, par sonapproche économique, fonctionnelle, participative et pluridisciplinaire, est une méthode moderne de conception et de management qui concourt à l'accroissement de la compétitivité.     Les expériences menées ces dernières années dans l'application de la démarche d'analyse de la valeur montrent clairement la nécessité et l'intérêt d'une nouvelle philosophie de l'évaluation de reconception ou de l'innovation pour accroître la compétitivité et la qualité des produits et services d'information et de documentation. L'AVID peut contribuer à une meilleure définition des missions des unités documentaires et des entreprise d'information, à de meilleurs choix parmi l'ensemble des moyens disponibles pour atteindre les objectifs et rendre les services attendus. Mais elle peut aussi contribuer à une amélioration des conditions de travail et à une motivation accrue ou renouvelée des personnels des unités documentaires et des professionnels de l'information spécialisée.

 

3 - LES NOUVELLES APPROCHES DE L'USAGE DE L'INFORMATION

            A la lumière de ce nouveau management de l'information fondé sur l'analyse de système et mettant en oeuvre des pratiques d'analyse de la valeur des produits et services d'information et de documentation, on peut légitimement s'interroger sur ce que représente aujourd'hui l'usage de l'information et sur les nouvelles approches ou formes d'utilisation de l'information.

            D'une certaine façon les schémas hérités des années 60 à 70 sont aujourd'hui largement dépassés, en raison notamment du fait qu'ils privilégiaient une seule approche, celle du développement linéaire, univoque ou encore machinal d'une offre de produits et services d'information et de documentation. Aujourd'hui, les usages se diversifient, l'expression des besoins se précise et devient essentielle, l'accès à l'information se paye, et parfois très cher. En d'autres termes, c'est un véritable marché des produits et services d'information qui se crée, avec ses acteurs, avec son économie, avec ses enjeux.

            Mais surtout, ce qui est frappant dans les évolutions du monde de l'information au cours des dix dernières années, c'est l'extraordinaire brouillage de pistes. Ici, faut-il noter une concentration capitalistique des distributeurs de bases de données. Là, par contre, se multiplient les formes de courtage de l'information (publiques ou privées, internes ou externes aux entreprises). Ailleurs, sent-on poindre de nouvelles tendances  qui ne s'apparentent plus aux traditionnelles pratiques de documentation, mais qui cherchent à installer dans l'organisation des dispositifs d'alerte ou de veille. Ou encore, dans d'autres lieux, voit-on un lien plus étroit s'établir entre documentation technique et gestion électronique de documents, dans une perspective d'une nouvelle ingénierie documentaire. Les échanges à travers des réseaux de téléinformatique, l'EDI -Electronic Data Interchange-, les systèmes d'aide informatisés d'aide à la décision (ou encore Decision Support Systems), les systèmes d'information géographiques (ou encore geographic information systems) sont autant de nouvelles pratiques de l'information ignorées il y a encore dix ans. Enfin, on peut mettre l'accent aujourd'hui sur le fait que les usages sont à la fois ceux des professionnels de l'information eux-mêmes (pour le compte des entreprises ou organisations), mais aussi de ce que l'on appelle l'utilisateur final, qui accède désormais directement à de vastes gisements d'information ou qui s'implique fortement dans la gestion de son propre système d'information.

            Essayons de présenter ces nouvelles tendances dans l'usage de l'information selon un certain nombre de paradigmes.

 3-1. Gestion de stocks ou gestion de flux

            Si, traditionnellement, la tendance à l'accumulation en documentation est prédominante, se fait jour de plus en plus une tendance opposée qui recherche le "zéro stock" et qui privilégie la gestion de flux.

            La tendance à l'empilement, à l'accumulation, est forte dans le secteur traditionnel des bibliothèques. Mais elle est également très présente dans les centres de documentation scientifique et technique des années 60 et 70, comme dans la conception des grandes bases de données bibliographiques ou encore dans l'archivage électronique (GED). L'accumulation correspond à un besoin de préservation d'un patrimoine, mais elle reflète aussi une certaine forme d'insécurité dans la décision (n'a-t-on pas dit que les grandes bases de données n'étaient que des bouées de sauvetage?).

            La tendance à la gestion des flux d'information est également ancienne (le renseignement par exemple), mais s'affirme plus nettement au cours des dernières décennies. C'est le cas du courtage en information, mais c'est aussi la situation des réseaux de chercheurs dialoguant sur EARN ou INTERNET, comme celle des ingénieurs et techniciens d'entreprises échangeant des données formalisées à travers de l'EDI. Cette forme d'usage de l'information privilégie l'écoute du besoin (prioritaire par rapport à la mise en avant de l'offre), la sélection très forte des données ou informations pertinentes, ainsi que la rapidité dans la transmission des données.

            Naturellement, et comme cela sera dit plus loin pour d'autres paradigmes, les deux tendances ne s'excluent pas et se complètent même parfois avec bonheur.

3-2. Ouverture sur le monde extérieur ou gestion des patrimoines propres

            Une première perspective d'usage de l'information se définit comme la tentative de découvrir le monde inconnu. Il s'agit de trouver des réponses à ses questions, de combler ses lacunes de savoir, en allant chercher ailleurs ce qui a déjà été trouvé et dit. Cette démarche d'ouverture sur des environnements extérieurs (géographiques ou temporels) est à la base de la création des centres de documentation, comme à celle des courtiers ou brokers. Mais c'est aussi ce qui se passe quand des chercheurs ne se connaissant pas s'échangent des informations à travers des réseaux de téléinformatique.

            En opposition avec cette première pratique d'information, existe la tendance à la mise en mémoire de ce dont on dispose, de ce que l'on connaît, dans le but de pouvoir y faire appel à nouveau et de valoriser des patrimoines de connaissances ou de données. C'est aujourd'hui sur ce thème que se mobilisent les énergies de ceux qui veulent valoriser la littérature grise des centres d'études ou de recherches. Cette valorisation patrimoniale se retrouve également dans les décisions de créer des nouveaux supports de type CD-ROM accumulant des trésors d'informations, de textes ou d'images. On la trouve encore derrière les velléités des entreprises de se doter d'outils d'archivage électronique pour gérer leur documentation technique.

            Dans une entreprise donnée, on pourra mettre l'accent sur l'une ou l'autre de ces pratiques, sachant que les modalités de gestion sont différentes et que les conséquences à court, moyen ou long terme ne sont pas les mêmes.

3-3. Gérer en interne ou acheter en externe

            Un débat important s'instaure dans de nombreuses entreprises aujourd'hui en matière de management de l'information. Faut-il mettre sur pied et gérer des dispositifs internes ou ne vaut-il pas mieux sous-traiter sa quête de l'information et faire appel aux services d'intermédiaires externes?

            La solution classique reste évidemment la création, en interne, d'un outil de documentation, plus ou moins important. Dans cette hypothèse, l'entreprise a sous la main la réponse à ses besoins et plus généralement peut gérer ses propres ressources informationnelles et documentaires. Cette démarche est courante pour les structures de documentation, mais elle existe aussi en matière de constitution de bases de données propres, de courtage interne ou encore de veille informative organisée en interne.

            A l'opposé, il peut paraître intéressant de ne pas s'encombrer d'une gestion interne de son système d'information, mais par contre de faire appel, en tant que de besoin, à des prestataires de service externes. Qu'ils s'agisse de l'interrogation de bases de données externes (via des centres serveurs classiques ou des services vidéotex), du recours aux courtiers en information, de l'achat de produits d'information et de documentation réalisés en externe (revues de presse, synthèses documentaires,...) ou encore à l'appel à des consultants pour réorganiser des dispositifs d'information, on constate aujourd'hui un important changement d'attitude des entreprises qui n'hésitent plus à passer par l'extérieur pour gérer leur problème d'information.

            Le choix entre les deux voies est affaire d'opportunité, mais aussi de réalisme économique. Mais il peut aussi traduire la volonté de l'entreprise de garder la maîtrise de la méthodologie de management de l'information ou au contraire de ne pas s'encombrer d'un dispositif interne de documentation.

3-4. Passer par un professionnel ou accéder directement à l'information

            D'importantes discussions sont apparues au moment de la création des grandes bases de données bibliographiques. Peut-on désormais se passer de l'intervention d'un professionnel de l'information et de la documentation et accéder directement (en tant qu'utilisateur final) à ces nouveaux réservoirs de données? En fait, la question était mal posée et aujourd'hui coexistent deux modalités d'accès et d'usage de l'information.

            Le passage par un professionnel, interne ou externe à l'entreprise,  permet d'obtenir des réponses plus pointues à des requêtes d'information. Il permet aussi d'aller plus loin dans le brassage des données, de tirer de meilleures synthèses de l'existant et d'ajouter de la valeur aux informations recueillies. L'appel à un professionnel est indispensable pour l'interrogation de nombre de bases de données compliquées (scientifiques ou non) ou en texte intégral (pour éviter de perdre de l'argent). Il est aussi indispensable dans l'emploi de nouvelles technologies telles que l'archivage électronique ou le multimédia élaboré ou de nouveaux logiciels de bibliométrie ou d'analyse statistique. Le professionnel est très utile dans la gestion des patrimoines internes ou l'organisation d'une fonction de veille au sein de l'entreprise.

            Inversement, l'utilisateur final accède (ou peut accéder) aujourd'hui sans problème aux rayonnages de bibliothèques, aux services vidéotex (Minitel), aux CD-ROM, voire-même pour l'utilisateur bien équipé, aux réseaux d'interconnexion d'ordinateurs. L'accès direct est la base même du fonctionnement de ce que l'on appelle les collèges invisibles.

            Il est intéressant de noter que certains produits d'information sont désormais conditionnés selon ces deux modalités d'accès.

3-5. Microdocumentation ou macroinformation

            Ce paradigme correspond à l'existence de deux visions des usages de l'information, aujourd'hui également présentes dans les entreprises et les organisations. Les outils disponibles rendent possibles l'une et l'autre des approches, et cela avec les mêmes sources d'information.

            La microdocumentation est, au fond la recherche d'une information ou d'un document en réponse à une préoccupation donnée. Parmi les centaines de milliers de références bibliographiques aisément accessibles, il est possible d'en sélectionner 10 ou 20 qui répondent parfaitement à la requête. Cet usage de l'information est à la base même des traditionnels services de documentation comme des bases de données en mode ASCII ou en mode vidéotex. Il est de plus en plus aisé de faire de la microdocumentation, c'est à dire de la recherche fine d'informations ou de documents, avec les nouveaux outils que sont les CD-ROM ou la GED. Il est clair aussi que l'intervention des courtiers en information reste majoritairement dans le champ de la microdocumentation, c'est à dire la réponse pertinente à des questions d'entreprises.

            La macrodocumentation pourrait se caractériser comme une vision satellitaire des stocks et flux d'information, et cela à l'échelle de la planète ou sur de longues périodes. On ne cherche plus l'aiguille dans une meule de foin, mais on s'intéresse désormais à la structure et l'évolution de la meule. Cette macrodocumentation renvoie à des concepts de veille (stratégique, technologique, concurrentielle, ...). Elle émane d'acteurs plus institutionnels (Ministères, grands groupes industriels, grands laboratoires de recherche,...). Elle s'appuie sur des outils d'analyse statistique et probabiliste des flux d'information et plus particulièrement de bibliométrie, de scientométrie, d'infométrie. Cette macrodocumentation se focalise sur les évolutions en grandes masses mais aussi sur les localisations de nouveaux germes de développement de connaissances ou d'actions (voir l'oeil du cyclone se former, bien le localiser, estimer l'évolution).

3-6. Information de retrouvage ou information de découverte

            On perçoit aujourd'hui de nouveaux usages de l'information et de la documentation qui mettent l'accent sur des concepts étranges comme ceux de feuilletage, de navigation, de brassage. A partir de ce constat, il est aisé de distinguer à nouveau deux grandes approches de la recherche et de l'usage de l'information.

            Traditionnellement (dans le milieu des professionnels de la documentation surtout), les outils d'accès aux informations et aux documents sont construits selon un schéma simple: on acquiert des documents, on les traite et on les classe ou range, puis on s'efforce de les retrouver quand le besoin s'en fait sentir. Cette documentation que l'on peut qualifier de "retrouvage" est celle des bibliothèques traditionnelles, mais aussi celle des bases de données produites en interne (et notamment les bases personnelles) ou encore celle des systèmes d'archivage électronique. Toute la problématique consiste à pouvoir retrouver ce que l'on sait avoir mis quelque part, une fois. Les instruments de recherche vise ce retrouvage.

            Une autre approche, plus naïve, plus spontanée, consiste à partir de l'existence de gisements d'information et de documentation et à chercher à en faire sortir quelque chose sans connaître pour autant le mode de constitution de ces gisements. A la démarche de retrouvage s'oppose une démarche de découverte ("découvrir l'Amérique") par des heuristiques les plus variées. Dans certains cas, on puise au hasard dans la base de données, dans d'autres situations on feuillette l'encyclopédie sur CD-ROM. On navigue, d'un point à un autre, de noeud à noeud, dans des systèmes hypertextuels d'information. Cette démarche de découverte, naturelle chez l'homme, aide à la prolifération des connaissances; elle permet de construire des environnements informationnels multidimensionnels riches.

3-7. Information brute ou information à valeur ajoutée

            On ne commentera pas très longtemps ce paradigme. Il est évident que coexistent, là encore, deux modes d'usage de l'information au regard de l'incorporation ou non de valeur ajoutée dans cette information.

            Les entreprises, les professionnels réclament de l'information brute, de la donnée (que l'on qualifiera - non sans quelques hésitations - d'objective). Bases de données factuelles, banques de données sur les matériaux, les cours de la bourse, etc..., ces outils sont désormais bien présents sur le marché de l'information, accessibles en ligne ou sur CD-ROM, en mode ASCII ou en mode vidéotex.

            A côté de ces données factuelles objectives, brutes, les entreprises peuvent avoir besoin d'informations plus élaborées, recoupant de multiples analyses de données: synthèses, analyses statistiques, rapports divers, etc... Cette élaboration de l'information, cette incorporation de valeur ajoutée peuvent porter sur le contenue même de l'information, sur les commentaires autour de l'information ou encore sur le conditionnement de cette information. 

 3-8. Information structurée, fermée ou information ouverte, fugace ou encore de connexion

            Pour clore ce chapitre des nouvelles approches de l'usage de l'information, on peut faire référence aux développements récents des réseaux de téléinformatique et s'interroger sur l'opposition qui peut désormais exister entre une information structurée et fermée et une information ouverte ou de connexion.

            Traditionnellement, les systèmes documentaires se sont organisés de façon à structurer l'information, à la classer et à permettre son retrouvage. Les systèmes plus avancés de documentation technique, ou encore de l'EDI, s'appuie sur une structuration forte de l'information et de la documentation. Rien ne doit être laissée au hasard. Il faut découper l'information en atomes de sens bien identifiés (champs). Le monde est mis en boîte (CD-ROM), il est bien fermé.

            La tendance qui apparaît aujourd'hui avec la téléinformatique, l'interconnexion des ordinateurs (réseaux INTERNET, EARN,...) et surtout les messageries électroniques reprend, au fond, un schéma bien connu, celui des collèges invisibles de spécialistes, mais à une autre échelle. L'échange d'information et de documentation devient ouvert, planétaire, immédiat. Plus de 10.000 personnes peuvent contribuer à une même investigation sur une préoccupation donnée. Mais il y a le revers de la médaille: l'ouverture du système implique une faible sélection des informations et l'émergence d'un brouillage des idées assez catastrophique.

  

            Quels usages de l'information pour le futur? Les pistes sont nombreuses, les effets de mode ne manquent pas. A chacun, à chaque entreprise de faire le choix de ce qui peut lui être le plus utile. Mais pour cela, un bon management de l'information s'impose, de même que restent indispensables les évaluations des besoins et des produits ou services offerts.