Jean MICHEL
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Communication à la journée d'étude BIB-DOC-37, Tours, printemps 1994 - 72ko
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PLAN
1- 1. Le circuit court et traditionnel d'accès à la documentation
1- 2. La création des centres de documentation
1- 3. L'informatisation des pratiques documentaires
1- 4. Les producteurs, serveurs et transporteurs de données
1- 5. Le courtage de l'information
1- 6. Les nouvelles méthodologies et technologies de la maîtrise de l'information
1- 7. Le nouveau management des systèmes d'information
2-1. Gestion de stocks ou gestion de flux
2-2. Ouverture sur le monde extérieur ou gestion des patrimoines propres
2-3. Gérer en interne ou acheter en externe
2-4. Passer par un professionnel ou accéder directement à l'information
2-5. Microdocumentation ou macroinformation
2-6. Information de retrouvage ou information de découverte
2-7. Information brute ou information à valeur ajoutée
2-8. Information structurée, fermée ou information ouverte ou encore de connexion
3-1. Entre document et information: l'espace des préoccupations
3-2. Une définition plus précise des niveaux de responsabilité
3-3. La diversification des contenus des missions et des fonctions
3-4. La recherche d'une plus grande valeur ajoutée
3-5. La transformation de l'image des professionnels de la documentation
3-6. Une nécessité définir et promouvoir le "plus" professionnel
De tous temps, l'homme, le savant, l'ingénieur, le médecin, le professionnel, le citoyen ont cherché à accéder à l'information utile pour pouvoir créer, inventer, décider, agir ou réagir en disposant des meilleurs atouts au bon moment. Mais, cet homme en quête permanente d'information pertinente est aussi un formidable producteur de données et de connaissances. Il pense, conçoit et produit des textes, fait des conférences, communique par téléphone, fax ou réseau d'ordinateurs ou s'exprime à la télévision. Cette production d'information générale ou spécialisée est à la base même de la création de dispositifs appropriés de diffusion des connaissances, revues professionnelles, bibliothèques, centres de documentation, bases de données ou réseaux de téléinformatique. Cette production permanente d'information est au centre du développement de ce que l'on appelle désormais l'industrie de l'information. Cette production d'information sert à alimenter les grands réservoirs de données et de connaissances auxquels viennent puiser les mêmes individus et bien d'autres spécialistes encore. La question de la mise en relation interactive de l'offre et de la demande d'information est à la fois ancienne et actuelle. De tous temps ont existé des mécanismes favorisant la diffusion, à la fois immédiate et différée, de l'information et de la documentation, en même temps que se sont développés des dispositifs permettant à ceux qui le désiraient d'accéder à des sources pertinentes d'information. Aujourd'hui, entre d'une part la production de l'information et l'organisation d'une offre structurée et d'autre part l'accès aux réservoirs d'information et l'usage de cette dernière par des millions d'individus, se développent des rapports subtiles, à la fois économiques et politiques. Un véritable marché de l'information s'organise. Des acteurs nouveaux apparaissent qui jouent des rôles de plus en plus spécifiques dans le management général des systèmes d'information. Enfin des technologies nouvelles rendent possibles des médiations de plus en plus riches, alors que des approches méthodologiques originales conduisent à la création et à la commercialisation de produits et services d'information à haute valeur ajoutée. Le phénomène s'est accéléré au cours des vingt dernières années sous la pression conjointe de l'offre et de la demande, mais aussi à la suite des incitations des pouvoirs publics consolidant le développement d'une industrie de l'information naissante. Pour beaucoup de personnes cette évolution reste perçue à travers les seuls aspects visibles des innovations technologiques comme la micro-informatique, le minitel ou la télécopie. La partie cachée de l'iceberg est pourtant impressionnante et concerne l'organisation même du système des acteurs de l'information.
Nous allons essayer d'en dégager dans un premier temps quelques contours à travers une présentation diachronique. Comment s'est complexifié et diversifié le système d'accès à l'information au cours des vingt dernières années et comment sont nées de nouvelles professions vivant de l'échange de l'information?
Puis, nous chercherons à montrer comment les pratiques des professionnels de l'information aussi bien que les usages des acteurs de la vie économique se développent désormais selon de nouveaux positionnements, de nouvelles perspectives ou encore de nouveaux paradigmes.
Enfin, nous tenterons de montrer comment ces transformations conditionnent les pratiques des professionnels de l'information et de la documentation et comment doit se définir et se positionner désormais la profession.
1- 1. Le circuit court et traditionnel d'accès à la documentation
En remontant aux temps déjà reculés du siècle des lumières, de la période des philosophes et autres encyclopédistes, ou encore à celui de l'expansionnisme scientifique, technique et industriel du XIXème siècle, on peut schématiser le système de la relation offre-demande en information-documentation comme celui de l'existence de noyaux plus ou moins importants de savants et de spécialistes s'auto-informant à travers le développement et la diffusion, en cercles restreints, de journaux scientifiques et techniques. Ici ou là, quelques bibliothèques réputées assurent l'accumulation et la conservation de livres et de revues considérées comme essentielles. Dans ce contexte, celui des deux siècles précédant le nôtre, le vecteur de l'échange d'information est le livre ou la revue spécialisée, producteurs et utilisateurs de ces documents sont souvent identiques (on se parle à soi-même d'une certaine façon) et l'organisation du stockage de l'information, pour le réemploi de celle-ci, est assurée par le développement des bibliothèques et celui des outils associés (organisation arborescente des connaissances, classification décimale universelle, fichiers,...). Ce système reste le seul en place jusqu'après la seconde guerre mondiale et perdure encore aujourd'hui dans de nombreux secteurs de la vie économique, sociale ou culturelle.
1- 2. La création des centres de documentation
Avec le développement des organisations professionnelles et avec la création des grands laboratoires de recherche (et notamment, en France, le CNRS) ou des centres d'études techniques vont se constituer, vers le milieu du XXème siècle, de nouvelles structures de management de l'information, à savoir les centres de documentation. Devant l'explosion de la littérature spécialisée et avec l'ouverture plus large des frontières (et peut-être la redécouverte de l'Amérique), il devient nécessaire de créer de nouveaux dispositifs d'accumulation de la documentation scientifique et technique, aptes à engranger de considérables quantités de documents et surtout contribuant à la mise en valeur de cette production spécialisée. On peut faire référence ici, pour la France et à titre d'exemples, au Centre de documentation scientifique et technique du CNRS, aux grands centres de documentation dans les domaines de l'électricité, de l'armement, du génie civil, de la recherche agronomique ou de la santé. Dans ce contexte, la documentation se professionnalise et apparaissent les premières formations sérieuses de documentation (l'INTD, Institut national des techniques documentaires) comme les premières organisations professionnelles (l'ADBS, Association des documentalistes et bibliothécaires spécialisés, aujourd'hui "L'Association des professionnels de l'information et de la documentation"). L'offre en documentation s'élargit considérablement (en provenance de pays étranger notamment) et la demande s'approfondit (on commence à faire de subtiles recherches documentaires, qui nécessitent l'emploi d'outils plus sophistiqués avec systèmes de fiches perforées.
1- 3. L'informatisation des pratiques documentaires
Dans les années 70, arrive l'informatique qui va progressivement révolutionner le monde de la documentation spécialisée et devenir, plus tard, l'un des deux géniteurs de l'industrie de l'information, l'autre étant les télécommunications. Les centres informatiques (ou de calcul, pour être plus correct) des organismes d'étude ou de recherche vont être impliqués dans l'informatisation des fichiers des centres de documentation et l'on commence à parler de bases ou banques de données bibliographiques. Il devient désormais possible pour le chercheur, l'ingénieur, le juriste ou le médecin de retrouver facilement des documents qui l'intéressent dans ces nouveaux réservoirs d'information, et cela grâce à l'apparition de logiciels de recherche documentaires basés sur des manipulations booléennes d'ensembles de données. On peut citer ici le cas de la base de données PASCAL du CNRS qui reste aujourd'hui la troisième en taille au niveau mondial. En fait ces bases de données apparues dans les années 70 ne sont que des ensembles virtuels d'information, l'image informatique des titres et descriptions des documents encore accumulés physiquement sur les rayonnages des centres de documentation. En outre ces bases de données restent surtout le résultat d'un process d'informatisation et auraient bien du mal à être considérés actuellement comme des "produits" (au sens fort de ce terme) d'information. Mais elles ont permis l'éclosion d'une nouvelle profession - les producteurs de bases de données -, le développement d'une nouvelle technique - l'informatique documentaire et ses logiciels -, enfin une transformation des pratiques de recherche d'information dans certains milieux (la recherche, l'enseignement supérieur notamment).
1- 4. Les producteurs, serveurs et transporteurs de données
La fin des années 70 voit la multiplication de ces bases de données, avec comme avantage l'apparition d'une offre fabuleuse pour l'époque, mais aussi avec un grave inconvénient, celui de la juxtaposition de nombreux langages de commandes naturellement incompatibles entre eux. Pour l'utilisateur, la situation devient dramatique: comment accéder à telle ou telle base de données, comment maîtriser les divers langages d'interrogation de ces bases, comment se connecter sur les ordinateurs des centres informatiques hébergeant ces outils de documentation. On voit alors émerger deux nouveaux acteurs qui vont jouer un rôle essentiel par la suite et qui vont essayer d'apporter des réponses pertinentes à cette question de l'accès à l'information. Le premier de ces acteurs (nouveau par la fonction, mais déjà ancien en tant qu'institution), les postes et télécommunications (France Télécom aujourd'hui ou ses filiales) va être l'un de ces leviers du changement en développant une fonction de transporteur des données. Dans les années 80 sont mis en place des équipements très structurants comme TRANSPAC, réseau de transport des données par paquets, qui vont faciliter grandement le développement des flux d'information. Le second des acteurs nouveaux, les centres serveurs, sont par contre des organismes créés de toutes pièces pour faciliter l'interrogation des bases de données. Ces centres serveurs sont à la fois des hypermarchés de la distribution des informations et des guichets uniques pour l'accès à des dizaines de bases de données. Les serveurs achètent, d'une certaine façon, la production des producteurs et la mettent à disposition des utilisateurs, avec un seul langage de commande, un dispositif de facturation unique et des services après-vente et de formation. On est bien entré dans l'ère de l'industrie de l'information. Les centres serveurs se multiplient aux USA, en Europe, en France. Ils peuvent être publics (en France, Télésystèmes-Questel) ou privés. Sous la pression d'un consumérisme naissant, ils font évoluer les logiciels d'interrogation ou langages de commande (recherche sur chaînes de caractères, interrogation en langage naturel, bases de données en texte intégral,...), développent des ergonomies plus conviviales, poussent les producteurs à améliorer la qualité de leurs produits. Au cours de la dernière décennie, serveurs, producteurs et transporteurs ont en outre ajouté à la production et à la diffusion de bases de données classiques en mode ASCII, une nouvelle offre basée sur l'emploi du standard vidéotex (minitel), du moins en France. Dès lors, l'utilisateur, le chercheur, l'ingénieur, le spécialiste, mais aussi le grand public, peuvent accéder à des milliards d'informations, selon des modalités très différentes. L'offre devient surabondante. On commence du reste à se demander si toute cette information est bien de qualité et on envisage sérieusement de demander à un sous-traitant spécialisé de faire, sur commande, des recherches d'information, de sélectionner ce qui est pertinent de ce qui ne l'est pas.
1- 5. Le courtage de l'information
Le courtier en information, ou encore broker, est effectivement un nouveau professionnel de l'information qui apparaît alors que se comptent par centaines puis par milliers les bases de données accessibles et que s'affrontent sur un marché de plus en plus international des dizaines de grands serveurs (avec concentration capitalistique de ceux-ci). Alors que jusqu'à présent le processus de développement de l'industrie de l'information était piloté par l'offre, l'utilisateur n'étant qu'un consommateur finalement assez piégé, avec le courtier en information, c'est désormais la demande qui devient centrale dans le processus. Il faut écouter la demande de l'entrepreneur ou de l'ingénieur et se débrouiller dans la jungle informationnelle pour déceler l'information intéressante et la remettre au client. Les courtiers en information peuvent être internes ou externes, publics parapublics ou privés, généralistes ou spécialisés (secteur juridique, secteur santé-pharmacie, secteur économie-finances, etc...). On peut citer ici le rôle très original joué, en France, par certains courtiers, les ARIST (Agences régionales d'information scientifique et techniques), issus de la mouvance des Chambres de commerce et d'industrie et proposant des services d'information aux PME-PMI.
1- 6. Les nouvelles méthodologies et technologies de la maîtrise de l'information
Le management de l'information se complexifie et se diversifie dans les années 70 et 80, mais on est encore loin d'avoir épuisé le sujet. Plusieurs tendances récentes montrent qu'il y a encore place pour de nouveaux professionnels, que l'on peut mettre sur le marché de nouvelles ressources en information et que les nouvelles technologies peuvent remettre en cause des positions acquises. Citons quelques unes de ces tendances nouvelles.
C'est d'abord les fameuses et néanmoins paradoxales veilles stratégique, technologique, concurrentielle ou commerciale. L'entreprise, le centre de recherche prennent conscience des risques d'une non-maîtrise de l'information spécialisée et s'organisent pour mettre en place de tels dispositifs de surveillance de l'environnement. La profession de "veilleur" voit même le jour et des formations supérieures se mettent en place. Mais la veille est un problème complexe; c'est à la fois le fait de professionnels et celui de l'ensemble des individus et des groupes dans les organisations. La veille est aussi paradoxale dans la mesure où elle n'est que la remise au goût du jour de bonnes pratiques classiques d'information et de documentation, peut-être trop ignorées dans certaines cultures latines.
Mais la veille, notamment la veille technologique, va s'appuyer sur les outils nouveaux de la bibliométrie ou de la scientométrie. Désormais, on va aussi s'intéresser aux flux d'information, vus selon une approche satellitaire (comme pour les évolutions des masses nuageuses) . Par des approches statistiques, on va introduire de la mesure et de l'observation dans les transformations des grands réservoirs d'information que sont les bases de données. On va tenter de percevoir des évolutions significatives et prédire des menaces: apparition de nouvelles thématiques dans les publications scientifiques, dépôts massifs de brevets par certains groupes ou certains pays, etc... Des spécialistes de la bibliométrie sont désormais formés dans différents établissements et des études sont désormais financées par les entreprises en la matière. On va même dans certains milieux officiels jusqu'à parler du traitement et de la gestion de "l'information élaborée".
La téléinformatique, l'interconnexion des ordinateurs, les courriers électroniques conduisent aussi aujourd'hui à de nouveaux développements des pratiques d'information et de documentation. S'ils savent le faire, chercheurs, ingénieurs et autres spécialistes peuvent communiquer directement entre eux à travers des réseaux d'ordinateurs (EARN, INTERNET,...), transférer des textes ou bouts de texte sans avoir recours au papier, participer à de vastes conférences "en ligne" (plusieurs milliers de spécialistes de toute la planète font des contributions en direct sur des thèmes donnés). Cette nouvelle forme de télé-information court-circuite les traditionnels acteurs de la documentation, accélère les échanges d'idées et d'expérience, renforce la dimension collective de la créativité et de l'invention. Mais elle a aussi ses inconvénients, le plus important étant, pour l'instant, l'absence de contrôle et de sélection des textes proposés (rôle qu'assumaient traditionnellement les comités de rédaction des grandes revues scientifiques, comme les services de documentation). Le second inconvénient sérieux est le foisonnement des propositions, la multiplication par cent, par mille, des contributions. On est de ce fait dans l'impossibilité de maîtriser cette information en croissance exponentielle et commence à apparaître l'idée d'un professionnel de l'information, nouveau médiateur, qui aiderait à la décantation des productions et à l'orientation vers ce qui est le plus pertinent.
On ne peut pas ne pas évoquer aussi le développement des nouvelles technologies de stockage des documents ( DON - disque optique numérique -, notamment) et celui de la GED - Gestion électronique de documents -. Les techniques de numérisation des textes et des images, associées aux mémoires électroniques ou optiques de grande capacité, offrent aux entreprises la possibilité de se constituer de grands réservoirs électroniques de documents et de gérer leurs propres patrimoines internes. L'archivage électronique est à la mode. Il a ses congrès et ses spécialistes, il est marché porteur (du moins l'espère-t-on). Son implantation dans les entreprises vise aussi bien la conservation des documents produits en interne (rapports, études, plans,...) que celle des masses de papier associées à certaines activités (chèques bancaires ou polices d'assurance par exemple). Il peut également être utilisé par des chercheurs et des ingénieurs pour la création de banques de données textuelles ou iconographiques, à partir des revues scientifiques et techniques. L'apparition de nouveaux logiciels de reconnaissance optique des caractères (OCR), de traitement linguistique des textes et d'indexation automatique apporte aujourd'hui à l'archivage électronique de nouvelles possibilités: on s'achemine vers la création de systèmes documentaires très performants permettant à la fois le stockage des documents, la réponse à des questions complexes sur plusieurs critères, la navigation dans les ensembles de documents (grâce à des logiciels d'hypertexte), la visualisation et restitution des documents eux-mêmes, ainsi que le développement de pratiques de bibliométrie et de veille. On peut désormais vraiment parler d'ingénierie documentaire. mais pour l'heure, subsistent quelques difficultés sérieuses. Outre le coût assez élevé de ces systèmes nouveaux, il faut reconnaître que la réussite n'est pas à 100% dans l'emploi de ces chaînes de logiciels d'intelligence documentaire. Par ailleurs, la facilité avec laquelle on peut numériser les documents a son revers: l'archivage électronique peut conduire à l'impossibilité de retrouver les documents dans la mémoire électronique par suite d'un manque de préparation (indexation des textes, structuration des plans de classement, codification des documents). Enfin, il n'est pas prouvé qu'il conduise globalement à des gains de temps (sauf dans des conditions idéales).
Il faut encore évoquer l'apparition et le développement prodigieux d'une offre nouvelle d'information sur support CD-ROM. Avec ce support, on peut vraiment parler aujourd'hui de "produit" d'information, avec une conception maîtrisée du disque, de son contenu, de son ergonomie, de ses utilitaires. La production des disques CD-ROM dans les domaines de la formation et de l'information spécialisée est en très forte croissance. Les grands éditeurs traditionnels s'y mettent (comme par exemple Hachette avec son encyclopédie sur CD-ROM). Les CD-ROM trouvent judicieusement leur place dans les bibliothèques universitaires et les établissements de formation. S'affranchissant de la contrainte du transporteur (le droit de péage des télécommunications), le CD-ROM apparaît comme un outil privilégié d'accès (multiple, répété) à de vastes gisements d'information, avec la possibilité de naviguer, à coût quasiment nul, dans ces conteneurs de savoir. L'emploi du CD-ROM, comme celui du CD-I (CD Interactif) en éducation est source certaine d'innovation. Il est bien évident que cette percée du CD-ROM va modifier assez fortement le marché de l'information professionnelle et mettre en cause les déjà classiques diffusions d'information en ligne. Pour l'utilisateur, c'est une complémentarité intéressante, qui demande néanmoins une bonne lucidité dans l'usage des outils et une réelle maîtrise des coûts de l'information.
Le CD-ROM, le CD-I et les logiciels d'hypertexte nous conduisent à introduire une nouvelle perspective, celle du "multimédia". Il est maintenant possible de mettre en relation des textes, des images et des sons et d'offrir des possibilités de navigation entre différents "documents" de natures très variées. On peut constituer de véritables encyclopédies multimedia, nouvelles formes interactives de documentation, mais plus encore nouvelles approches d'une articulation intelligente et moderne de l'information et de la formation.
1- 7. Le nouveau management des systèmes d'information
Toutes ces évolutions récentes, toutes ces transformations des pratiques de l'accès à l'information, toutes ces technologies, produits et services nouveaux entraînent l'apparition de nouvelles catégories de professionnels. On peut aujourd'hui faire appel à des consultants aptes à évaluer des systèmes d'information et de documentation. On peut aussi recourir aux services de concepteurs de produits d'information (bases de données, services vidéotex, bornes interactives, CD-ROM ou produits multimedia, dispositifs d'archivage électronique, etc...). Enfin s'affirme de plus en plus nettement un nouveau rôle, celui de manager de service d'information et de documentation, rôle qui n'a rien à voir avec celui joué par l'informaticien ou les services informatiques traditionnels. La maîtrise des contenus de l'information, le conditionnement de celle-ci pour une utilisation pertinente, la connaissance des technologies de l'information, mais surtout l'écoute des besoins et le souci de la réponse économiquement acceptable et néanmoins satisfaisante sont autant de composantes qui sont privilégiées dans la formation de ces nouveaux professionnels du management de l'information.
Il serait incomplet de terminer cette présentation des acteurs et de l'industrie de l'information sans dire qu'aujourd'hui coexistent à l'évidence des pratiques les plus variées, des plus archaïques aux plus avancées, utilisant ou non des technologies modernes, recourant ou non à la subjectivité de l'homme. On continue à accéder à l'information et à la documentation de façon très empirique, alors que dans le même temps certains acteurs manient déjà des outils et des concepts très performants. Les coûts d'accès à l'information et du management de la documentation peuvent varier dans des rapports impressionnants. Il est toutefois important de souligner ici l'extraordinaire transformation des systèmes d'information et de documentation en une vingtaine d'années, comme il est essentiel aussi de dire que nombre de responsables et cadres d'entreprises restent profondément ignorants des possibilités aujourd'hui offertes et des risques encourus par une non maîtrise des ressources disponibles. Manager l'information est devenu une impérieuse nécessité. C'est désormais l'affaire de professionnels correctement formés et compétents, mais c'est aussi la responsabilité des spécialistes, chercheurs, économistes, ingénieurs, techniciens et industriels d'agir dans le sens d'une nouvelle intelligence de l'entreprise fondée sur un management compétitif de l'information.
On peut donc légitimement s'interroger sur ce que représente aujourd'hui l'usage de l'information et sur les nouvelles approches ou formes d'utilisation de l'information.
D'une certaine façon les schémas hérités des années 60 à 70 sont aujourd'hui largement dépassés, en raison notamment du fait qu'ils privilégiaient une seule approche, celle du développement linéaire, univoque ou encore machinal d'une offre de produits et services d'information et de documentation. Aujourd'hui, les usages se diversifient, l'expression des besoins se précise et devient essentielle, l'accès à l'information se paye, et parfois très cher. En d'autres termes, c'est un véritable marché des produits et services d'information qui se crée, avec ses acteurs, avec son économie, avec ses enjeux.
Mais surtout, ce qui est frappant dans les évolutions du monde de l'information au cours des dix dernières années, c'est l'extraordinaire brouillage de pistes. Ici, faut-il noter une concentration capitalistique des distributeurs de bases de données. Là, par contre, se multiplient les formes de courtage de l'information (publiques ou privées, internes ou externes aux entreprises). Ailleurs, sent-on poindre de nouvelles tendances qui ne s'apparentent plus aux traditionnelles pratiques de documentation, mais qui cherchent à installer dans l'organisation des dispositifs d'alerte ou de veille. Ou encore, dans d'autres lieux, voit-on un lien plus étroit s'établir entre documentation technique et gestion électronique de documents, dans une perspective d'une nouvelle ingénierie documentaire. Les échanges à travers des réseaux de téléinformatique, l'EDI -Electronic Data Interchange-, les systèmes d'aide informatisés d'aide à la décision (ou encore Decision Support Systems), les systèmes d'information géographiques (ou encore geographic information systems) sont autant de nouvelles pratiques de l'information ignorées il y a encore dix ans. Enfin, on peut mettre l'accent aujourd'hui sur le fait que les usages sont à la fois ceux des professionnels de l'information eux-mêmes (pour le compte des entreprises ou organisations), mais aussi de ce que l'on appelle l'utilisateur final, qui accède désormais directement à de vastes gisements d'information ou qui s'implique fortement dans la gestion de son propre système d'information. Ces nouvelles tendances dans l'usage de l'information peuvent se décrire à travers un ensemble de paradigmes, que nous allons présenter.
2-1. Gestion de stocks ou gestion de flux
Si, traditionnellement, la tendance à l'accumulation en documentation est prédominante, se fait jour de plus en plus une tendance opposée qui recherche le "zéro stock" et qui privilégie la gestion de flux.
La tendance à l'empilement, à l'accumulation, est forte dans le secteur traditionnel des bibliothèques. Mais elle est également très présente dans les centres de documentation scientifique et technique des années 60 et 70, comme dans la conception des grandes bases de données bibliographiques ou encore dans l'archivage électronique (GED). L'accumulation correspond à un besoin de préservation d'un patrimoine, mais elle reflète aussi une certaine forme d'insécurité dans la décision (n'a-t-on pas dit que les grandes bases de données n'étaient que des bouées de sauvetage?).
La tendance à la gestion des flux d'information est également ancienne (le renseignement par exemple), mais s'affirme plus nettement au cours des dernières décennies. C'est le cas du courtage en information, mais c'est aussi la situation des réseaux de chercheurs dialoguant sur EARN ou INTERNET, comme celle des ingénieurs et techniciens d'entreprises échangeant des données formalisées à travers de l'EDI. Cette forme d'usage de l'information privilégie l'écoute du besoin (prioritaire par rapport à la mise en avant de l'offre), la sélection très forte des données ou informations pertinentes, ainsi que la rapidité dans la transmission des données.
Naturellement, et comme cela sera dit plus loin pour d'autres paradigmes, les deux tendances ne s'excluent pas et se complètent même parfois avec bonheur.
2-2. Ouverture sur le monde extérieur ou gestion des patrimoines propres
Une première perspective d'usage de l'information se définit comme la tentative de découvrir le monde inconnu. Il s'agit de trouver des réponses à ses questions, de combler ses lacunes de savoir, en allant chercher ailleurs ce qui a déjà été trouvé et dit. Cette démarche d'ouverture sur des environnements extérieurs (géographiques ou temporels) est à la base de la création des centres de documentation, comme à celle des courtiers ou brokers. Mais c'est aussi ce qui se passe quand des chercheurs ne se connaissant pas s'échangent des informations à travers des réseaux de téléinformatique.
En opposition avec cette première pratique d'information, existe la tendance à la mise en mémoire de ce dont on dispose, de ce que l'on connaît, dans le but de pouvoir y faire appel à nouveau et de valoriser des patrimoines de connaissances ou de données. C'est aujourd'hui sur ce thème que se mobilisent les énergies de ceux qui veulent valoriser la littérature grise des centres d'études ou de recherches. Cette valorisation patrimoniale se retrouve également dans les décisions de créer des nouveaux supports de type CD-ROM accumulant des trésors d'informations, de textes ou d'images. On la trouve encore derrière les velléités des entreprises de se doter d'outils d'archivage électronique pour gérer leur documentation technique.
Dans une entreprise donnée, on pourra mettre l'accent sur l'une ou l'autre de ces pratiques, sachant que les modalités de gestion sont différentes et que les conséquences à court, moyen ou long terme ne sont pas les mêmes.
2-3. Gérer en interne ou acheter en externe
Un débat important s'instaure dans de nombreuses entreprises aujourd'hui en matière de management de l'information. Faut-il mettre sur pied et gérer des dispositifs internes ou ne vaut-il pas mieux sous-traiter sa quête de l'information et faire appel aux services d'intermédiaires externes?
La solution classique reste évidemment la création, en interne, d'un outil de documentation, plus ou moins important. Dans cette hypothèse, l'entreprise a sous la main la réponse à ses besoins et plus généralement peut gérer ses propres ressources informationnelles et documentaires. Cette démarche est courante pour les structures de documentation, mais elle existe aussi en matière de constitution de bases de données propres, de courtage interne ou encore de veille informative organisée en interne.
A l'opposé, il peut paraître intéressant de ne pas s'encombrer d'une gestion interne de son système d'information, mais par contre de faire appel, en tant que de besoin, à des prestataires de service externes. Qu'ils s'agisse de l'interrogation de bases de données externes (via des centres serveurs classiques ou des services vidéotex), du recours aux courtiers en information, de l'achat de produits d'information et de documentation réalisés en externe (revues de presse, synthèses documentaires,...) ou encore à l'appel à des consultants pour réorganiser des dispositifs d'information, on constate aujourd'hui un important changement d'attitude des entreprises qui n'hésitent plus à passer par l'extérieur pour gérer leur problème d'information.
Le choix entre les deux voies est affaire d'opportunité, mais aussi de réalisme économique. Mais il peut aussi traduire la volonté de l'entreprise de garder la maîtrise de la méthodologie de management de l'information ou au contraire de ne pas s'encombrer d'un dispositif interne de documentation.
2-4. Passer par un professionnel ou accéder directement à l'information
D'importantes discussions sont apparues au moment de la création des grandes bases de données bibliographiques. Peut-on désormais se passer de l'intervention d'un professionnel de l'information et de la documentation et accéder directement (en tant qu'utilisateur final) à ces nouveaux réservoirs de données? En fait, la question était mal posée et aujourd'hui coexistent deux modalités d'accès et d'usage de l'information.
Le passage par un professionnel, interne ou externe à l'entreprise, permet d'obtenir des réponses plus pointues à des requêtes d'information. Il permet aussi d'aller plus loin dans le brassage des données, de tirer de meilleures synthèses de l'existant et d'ajouter de la valeur aux informations recueillies. L'appel à un professionnel est indispensable pour l'interrogation de nombre de bases de données compliquées (scientifiques ou non) ou en texte intégral (pour éviter de perdre de l'argent). Il est aussi indispensable dans l'emploi de nouvelles technologies telles que l'archivage électronique ou le multimédia élaboré ou de nouveaux logiciels de bibliométrie ou d'analyse statistique. Le professionnel est très utile dans la gestion des patrimoines internes ou l'organisation d'une fonction de veille au sein de l'entreprise.
Inversement, l'utilisateur final accède (ou peut accéder) aujourd'hui sans problème aux rayonnages de bibliothèques, aux services vidéotex (Minitel), aux CD-ROM, voire-même pour l'utilisateur bien équipé, aux réseaux d'interconnexion d'ordinateurs. L'accès direct est la base même du fonctionnement de ce que l'on appelle les collèges invisibles.
Il est intéressant de noter que certains produits d'information sont désormais conditionnés selon ces deux modalités d'accès.
2-5. Microdocumentation ou macroinformation
Ce paradigme correspond à l'existence de deux visions des usages de l'information, aujourd'hui également présentes dans les entreprises et les organisations. Les outils disponibles rendent possibles l'une et l'autre des approches, et cela avec les mêmes sources d'information.
La microdocumentation est, au fond la recherche d'une information ou d'un document en réponse à une préoccupation donnée. Parmi les centaines de milliers de références bibliographiques aisément accessibles, il est possible d'en sélectionner 10 ou 20 qui répondent parfaitement à la requête. Cet usage de l'information est à la base même des traditionnels services de documentation comme des bases de données en mode ASCII ou en mode vidéotex. Il est de plus en plus aisé de faire de la microdocumentation, c'est à dire de la recherche fine d'informations ou de documents, avec les nouveaux outils que sont les CD-ROM ou la GED. Il est clair aussi que l'intervention des courtiers en information reste majoritairement dans le champ de la microdocumentation, c'est à dire la réponse pertinente à des questions d'entreprises.
La macrodocumentation pourrait se caractériser comme une vision satellitaire des stocks et flux d'information, et cela à l'échelle de la planète ou sur de longues périodes. On ne cherche plus l'aiguille dans une meule de foin, mais on s'intéresse désormais à la structure et l'évolution de la meule. Cette macrodocumentation renvoie à des concepts de veille (stratégique, technologique, concurrentielle, ...). Elle émane d'acteurs plus institutionnels (Ministères, grands groupes industriels, grands laboratoires de recherche,...). Elle s'appuie sur des outils d'analyse statistique et probabiliste des flux d'information et plus particulièrement de bibliométrie, de scientométrie, d'infométrie. Cette macrodocumentation se focalise sur les évolutions en grandes masses mais aussi sur les localisations de nouveaux germes de développement de connaissances ou d'actions (voir l'oeil du cyclone se former, bien le localiser, estimer l'évolution).
2-6. Information de retrouvage ou information de découverte
On perçoit aujourd'hui de nouveaux usages de l'information et de la documentation qui mettent l'accent sur des concepts étranges comme ceux de feuilletage, de navigation, de brassage. A partir de ce constat, il est aisé de distinguer à nouveau deux grandes approches de la recherche et de l'usage de l'information.
Traditionnellement (dans le milieu des professionnels de la documentation surtout), les outils d'accès aux informations et aux documents sont construits selon un schéma simple: on acquiert des documents, on les traite et on les classe ou range, puis on s'efforce de les retrouver quand le besoin s'en fait sentir. Cette documentation que l'on peut qualifier de "retrouvage" est celle des bibliothèques traditionnelles, mais aussi celle des bases de données produites en interne (et notamment les bases personnelles) ou encore celle des systèmes d'archivage électronique. Toute la problématique consiste à pouvoir retrouver ce que l'on sait avoir mis quelque part, une fois. Les instruments de recherche vise ce retrouvage.
Une autre approche, plus naïve, plus spontanée, consiste à partir de l'existence de gisements d'information et de documentation et à chercher à en faire sortir quelque chose sans connaître pour autant le mode de constitution de ces gisements. A la démarche de retrouvage s'oppose une démarche de découverte ("découvrir l'Amérique") par des heuristiques les plus variées. Dans certains cas, on puise au hasard dans la base de données, dans d'autres situations on feuillette l'encyclopédie sur CD-ROM. On navigue, d'un point à un autre, de noeud à noeud, dans des systèmes hypertextuels d'information. Cette démarche de découverte, naturelle chez l'homme, aide à la prolifération des connaissances; elle permet de construire des environnements informationnels multidimensionnels riches.
2-7. Information brute ou information à valeur ajoutée
On ne commentera pas très longtemps ce paradigme. Il est évident que coexistent, là encore, deux modes d'usage de l'information au regard de l'incorporation ou non de valeur ajoutée dans cette information.
Les entreprises, les professionnels réclament de l'information brute, de la donnée (que l'on qualifiera - non sans quelques hésitations - d'objective). Bases de données factuelles, banques de données sur les matériaux, les cours de la bourse, etc..., ces outils sont désormais bien présents sur le marché de l'information, accessibles en ligne ou sur CD-ROM, en mode ASCII ou en mode vidéotex.
A côté de ces données factuelles objectives, brutes, les entreprises peuvent avoir besoin d'informations plus élaborées, recoupant de multiples analyses de données: synthèses, analyses statistiques, rapports divers, etc... Cette élaboration de l'information, cette incorporation de valeur ajoutée peuvent porter sur le contenue même de l'information, sur les commentaires autour de l'information ou encore sur le conditionnement de cette information.
2-8. Information structurée, fermée ou information ouverte ou encore de connexion
Pour clore ce chapitre des nouvelles approches de l'usage de l'information, on peut faire référence aux développements récents des réseaux de téléinformatique et s'interroger sur l'opposition qui peut désormais exister entre une information structurée et fermée et une information ouverte ou de connexion.
Traditionnellement, les systèmes documentaires se sont organisés de façon à structurer l'information, à la classer et à permettre son retrouvage. Les systèmes plus avancés de documentation technique, ou encore de l'EDI, s'appuie sur une structuration forte de l'information et de la documentation. Rien ne doit être laissée au hasard. Il faut découper l'information en atomes de sens bien identifiés (champs). Le monde est mis en boîte (CD-ROM), il est bien fermé.
La tendance qui apparaît aujourd'hui avec la téléinformatique, l'interconnexion des ordinateurs (réseaux INTERNET, EARN,...) et surtout les messageries électroniques reprend, au fond, un schéma bien connu, celui des collèges invisibles de spécialistes, mais à une autre échelle. L'échange d'information et de documentation devient ouvert, planétaire, immédiat. Plus de 10.000 personnes peuvent contribuer à une même investigation sur une préoccupation donnée. Mais il y a le revers de la médaille: l'ouverture du système implique une faible sélection des informations et l'émergence d'un brouillage des idées assez catastrophique.
3-1. Entre document et information: l'espace des préoccupations
Dans le passé, les métiers de la documentation se sont organisés et développés soit autour du livre, soit autour de l'information, soit enfin, et de plus en plus, autour d'une combinaison des deux dimensions précédentes.
C'est d'abord les concepts de bibliothèque et de bibliothécaire qui viennent à l'esprit quand on évoque le mot documentation et il est légitime de dire que les divers systèmes documentaires, nationaux, régionaux, locaux, sectoriels, multidisciplinaires, etc..., sont issus des pratiques classiques de constitution, de conservation et d'exploitation de collections de livres ou de revues. Les démarches sont de nature accumulative (et par suite, patrimoniale) et se fondent sur la nécessité de pouvoir retrouver en permanence un document que l'on cherche et dont on sait qu'il a été mis quelque part dans la bibliothèque. On peut ajouter que cette approche s'appuie plus sur une logique de l'offre (celle des éditeurs et des auteurs) que sur une adaptation fine aux besoins (la demande). Enfin, pour rester schématique, les métiers de la conservation ont connu, comme d'autres secteurs de la société, l'émergence des nouvelles technologies de l'information et les fichiers manuels des bibliothèques se sont progressivement transformés en fichiers informatisés, en bases de données, en OPAC (On-line Public Access Catalogues) et plus récemment en CD-ROM.
Du côté de la quête de l'information, il faut d'abord souligner le fait que les espions et le renseignement ont toujours existé et que le besoin d'être tenu correctement informé a toujours été une nécessité vitale pour les gouvernements ou les administrations, comme pour les entreprises ou les scientifiques. Il est toutefois difficile de trouver de bons manuels sur l'art de l'espionnage et en général les métiers correspondants restent fondamentalement marqués par leur caractère secret. Notons que ce que l'on appelle aujourd'hui veille stratégique, veille technologique ou veille informative (ou encore, en anglais, business intelligence) se situe bien dans cette deuxième logique, avec le maniement d'outils et de procédures de plus en plus sophistiqués. De même, l'appel à un courtier en information (ou encore broker) est bien une sous-traitance de la quête de l'information en vue de prendre une décision de nature stratégique.
La documentation et les métiers correspondants vont donc se développer sur tout l'espace entre ces deux pôles, à savoir, le livre ou l'information, l'accumulation ou la quête, l'offre ou la demande, la gestion de stocks ou la gestion de flux, les contextes spécifiques conduisant à privilégier conjoncturellement une solution plutôt qu'une autre. Un véritable continuum de pratiques professionnelles existe, avec des missions simples ou complexes, générales ou spécialisées, ponctuelles ou globales. Et c'est cette réalité nouvelle qu'il faut prendre en considération quand on évoque la documentation. Le mot même de documentaliste en vient à ne plus pouvoir désigner précisément une profession, au même titre que le concept d'ingénieur signifie plus aujourd'hui un rôle social, une fonction, des missions qu'un contenu professionnel ou technique précis.
3-2. Une définition plus précise des niveaux de responsabilité
Autrefois, être documentaliste consistait à acquérir des documents, à les traiter (catalogage, indexation), à réaliser des fichiers d'information, à mettre les documents à disposition des demandeurs et à répondre à des questions de ces derniers. Exerçaient le métier de la documentation des personnes de toutes origines et surtout de niveaux de formation ou de responsabilité très divers. Ce métier de documentaliste s'identifiait bien à un contenu de travail spécifique, généralement réalisé hors hiérarchie stricte. On trouvait là aussi bien des diplômés de l'enseignement supérieur (parfois même avec des doctorats) que des hommes de terrain sans formation spécifique (et même sans baccalauréat).
Par suite de l'évolution des formations de documentalistes (avec des formations à différents niveaux: DUT, maîtrise, DESS,...), mais par suite aussi de la complexification des opérations de la documentation comme de la nécessité d'un meilleur management des unités documentaires, on assiste désormais à une tendance vers une définition plus stricte des niveaux de responsabilité, avec des conséquences parfois importantes sur les contenus professionnels et sur les salaires. Les études menées par les associations professionnelles sur les métiers et les qualifications font désormais ressortir plus nettement les niveaux suivants:
- l'assistant ou aide-documentaliste;
- le technicien en documentation (formation de niveau Bac + 2);
- l'ingénieur en documentation (niveau Bac + 4 ou 5).
On serait aussi tenter de définir un niveau supplémentaire, celui de l'expert reconnu, intervenant comme conseiller dans diverses organisations.
Il est évident que l'assistant met en oeuvre des logistiques documentaires sans avoir la possibilité de concevoir ou aménager celles-ci, ce que, par contre le technicien est à même de faire. Les formations en IUT sont de ce point de vue bien centrées sur des missions de conception et d'exploitation de logistiques de fonctionnement d'unités documentaires, comme de réalisation de produits documentaires. Le niveau ingénieur correspond soit à des préoccupations de management plus importantes (responsabilité de budget, de personnel et de résultat), soit à des missions de conception de systèmes d'information (produits ou services), soit encore à des responsabilités de fourniture d'information spécialisée proches du conseil (par exemple, veille stratégique). Des démarches de certification des professionnels de l'information et de la documentation retiennent comme base la détermination précédente des niveaux fonctionnels de responsabilités, tout en intégrant les nécessaires mobilités individuelles entre ces divers niveaux.
3-3. La diversification des contenus des missions et des fonctions
Traditionnellement, les contenus professionnels de la documentation se limitaient aux activités composant ce que l'on appelait "la chaîne documentaire": acquisition de documents, catalogage et indexation de ceux-ci, mise à disposition des livres ou revues aux usagers. Une seule personne assurait bien souvent la totalité de la chaîne dans les petites unités documentaires (et l'assure encore dans nombre de situations). Dans les grands centres de documentation pouvait exister une division socioprofessionnelle du travail (les approvisionneurs, les catalogueurs, les indexeurs, les informaticiens,...). A un niveau macro-économique, les grands systèmes documentaires étaient de même fondés sur une mise en relation des apports respectifs de divers professionnels, dans le cadre de macro-chaînes (ou systèmes) documentaires.
L'informatique et les nouvelles technologies de l'information ont commencé au début des années 70 à modifier l'environnement des métiers et ont conduit à l'émergence de nouvelles pratiques professionnelles. Les centres de documentation les plus importants, développant, via l'informatique, leurs fichiers documentaires, se transforment pour partie en producteurs de bases de données. Ces dernières sont mises sur le marché par l'intermédiaire de centres serveurs, des hypermarchés de l'information, qui eux s'appuient sur les nouveaux transporteurs que sont les administrations des télécommunications. Pour rendre le dispositif plus complexe encore, on offre à l'usager d'accéder à cette information ou documentation via un nouvel outil extraordinairement convivial et performant, le minitel; dès lors une nouvelle génération de concepteurs et de producteurs de bases de données en vidéotex voie le jour et se démultiplie. Devant l'immensité des possibles, il ne reste plus au chef d'entreprise (qui a besoin d'information pour décider) qu'à devoir recourir au service de nouveaux sous-traitants, les fameux courtiers en information, ou brokers (ARIST ou courtiers privés externes, mais aussi courtiers internes dans le cas de grandes sociétés). L'arrivée en force sur le marché des technologies de numérisation des documents (GED) ajoute encore une nouvelle complexité puisque désormais archives et documentation vont se trouver plus aisément rapprochées.
Ainsi apparaissent de nouveaux métiers toujours plus spécialisés qui ne font plus référence à la classique et linéaire chaîne documentaire, mais qui mettent l'accent sur la dimension systémique de la documentation d'aujourd'hui. On continue à parler bien sûr de documentalistes mais on évoque de plus en plus des métiers tels qu'experts en veille technologique, en veille stratégique ou en veille commerciale, spécialistes en bibliométrie ou scientométrie, concepteurs de systèmes d'information ou de produits multimedias ou hypermédias, gestionnaires de documentation structurée (la documentation et la rédaction techniques), spécialistes de l'archivage électronique ou de gestion électronique de documents. Par ailleurs, les documentalistes s'insinuent de plus en plus du côté de la communication (communication interne ou même externe) ou du côté de certains savoir-faire méthodologiques (PAO, conception de produits de vulgarisation, muséographie,...) ou encore du côté de la pédagogie et de la formation (spécialistes des transferts informatifs et cognitifs). D'autres enfin commencent à explorer les liens entre information, documentation, archives et culture d'entreprise. N'oublions pas, non plus, ce qui se passe du côté de l'information géographique (SIG) ou de l'information médicale.
3-4. La recherche d'une plus grande valeur ajoutée
Le métier de documentaliste était finalement relativement simple et ne donnait pas lieu à l'exercice de spéculations originales. Les livres arrivaient, on les traitait, on les rangeait, on les mettait à disposition des usagers et on recommençait. Le caractère sisyphien de la documentation a souvent été souligné, comme a pu être maintes fois constatée la relative linéarité des pratiques professionnelles ("des gestes et des chaînes"). Mais dès que l'on commence à parler de bases ou banques de données et que l'on met des produits d'information sur le marché, on se rend vite compte que la documentation ne peut pas se réduire à la somme ou succession de ses seuls gestes constitutifs. La technique documentaire ne peut pas et ne peut plus être une fin en soi. Il faut raisonner en termes de finalités, de services et de produits. Il faut penser autrement à l'usager. Il faut cerner les conséquences économiques des propositions techniques ou professionnelles. On passe progressivement d'une logique de la production à une nouvelle logique de l'usage et de la valorisation. Par ailleurs, du côté de la demande, on devient plus exigeant. On ne veut plus de services minitel mal conçus ou de banques de données aux ergonomies impossibles. On veut la réponse pertinente tout-de-suite et on ne comprend pas que la logique documentaire puisse être un frein à la décision rapide. Quant client, il baigne désormais dans un environnement informatisé; il devient toujours plus efficace dans l'accès direct à l'information et à la documentation. Le véritable concurrent du professionnel documentaliste devient paradoxalement l'usager lui-même (ce qui peut être dramatique, quand cet usager ou ce client est le patron de l'entreprise dans laquelle on intervient).
La tendance est désormais à l'incorporation de valeur ajoutée. Il ne suffit plus de faire circuler correctement les périodiques dans l'entreprise. Il faut maintenant exploiter l'information, faire des recoupements, alerter, concevoir des produits adaptés aux différentes cibles. Cette recherche d'une plus grande valeur ajoutée s'exprime à la fois dans les contenus mêmes de l'information (expertise, conseil, veille, alerte,...), dans les procédures de recoupement ou croisement des informations et de la documentation (gestion de systèmes d'information, conception de systèmes d'aide informatisée à la décision, animation de groupes d'experts, travaux de synthèse multidimensionnelle,...) ou encore dans les modalités de la diffusion (conception de produits spécifiques, de lettres, réalisation de posters ou d'expositions, mise en oeuvre de systèmes vidéotex de diffusion ou implication dans des réseaux de courrier électronique,...).
Et cela conduit à de nouveaux positionnements hiérarchiques et fonctionnels des professionnels de la documentation dans les organisations.
3-5. La transformation de l'image des professionnels de la documentation
L'image des professionnels de la documentation change fortement. Les associations professionnelles ont beaucoup oeuvré pour qu'il en soit ainsi, mais de façon assez logique, l'image suit, voire même, anticipe les évolutions mentionnées plus haut. La presse s'intéresse aux nouveaux métiers de la documentation. Les responsables d'entreprise s'interrogent et n'hésitent pas à parler désormais de politique de documentation. La fonction information-documentation se positionne désormais à un niveau proche de ceux de la communication ou de la gestion des ressources humaines. Les professionnels eux-mêmes adoptent le langage gagnant de la compétitivité et de la qualité, tout en maintenant fermes leurs principes déontologiques et en introduisant systématiquement dans la vie de l'entreprise la nécessaire dimension culturelle de la maîtrise de l'information et de la documentation. Il faut enfin souligner le fait que la diversification et les nouveaux développements des programmes de formation initiale des documentalistes font clairement ressortir ces nouveaux positionnement d'image.
La tendance est réelle à la fois au niveau des individus pris isolément comme au niveau de la communauté des professionnels. Une lecture des offres et demandes d'emploi publiées par l'ADBS montre bien que la profession est sur une dynamique de croissance et de développement, perçue comme tel par le corps social et les médias, même si, ici ou là, certaines administrations ou hiérarchies passéistes ne semblent pas avoir compris (ou vouloir comprendre) cette tendance.
3-6. Une nécessité définir et promouvoir le "plus" professionnel
A la fin de l'année 1992, le Président de l'ADBS devait intervenir vigoureusement, en France, pour empêcher que soit mis en cause, de façon dommageable pour la profession, un des rares corps de documentalistes de l'administration française. Début 1993, une réunion au siège de l'ADBS faisait ressortir la situation critique de nombre de professionnels travaillant dans la fonction publique d'Etat, en France. Quant aux conditions de réalisation de la fonction documentaire dans les diverses collectivités territoriales, elles restent malheureusement très insatisfaisantes. Ces divers problèmes de statuts et de conditions d'exercice des métiers de la documentation montrent que la profession reste encore mal connue ou est perçue de façon erronée ou partiale, alors que l'on constate partout de nouvelles conditions d'évolution de la profession.
Aussi plusieurs chantiers ont été récemment ouverts au sein de l'ADBS, pour promouvoir autrement les compétences des spécialistes de la documentation.
Il faut d'abord bien se connaître : l'enquête sur la profession lancée par la Commission Métiers et Qualifications de l'ADBS, avec plus de 3.000 réponses, aide à voir plus clair sur la réalité des emplois en documentation.
Il faut aussi mieux se définir: les travaux en cours sur les qualifications permettront de caractériser les différents métiers, de fournir des "référentiels" utiles et donc d'expliquer aux employeurs ce qu'ils peuvent attendre de tel ou tel profil professionnel.
Il faut par ailleurs savoir évaluer les compétences: selon une démarche de qualité totale, il devient nécessaire de certifier non seulement les produits ou services offerts, mais aussi les diverses capacités professionnelles. C'est l'objet de la procédure de certification des professionnels de l'information et documentation mise en place récemment en France par l'ADBS.
Il faut encore prévoir les évolutions . Un groupe ad-hoc, au sein de l'ADBS, sur la prospective de la fonction documentaire a commencé à explorer les nouveaux territoires professionnels. Ce travail de prospective sera particulièrement utile pour orienter les formations initiales des documentalistes.
Il faut enfin promouvoir la profession, les fonctions, les métiers et les compétences et les "vendre" aux prescripteurs ou donneurs d'ordre, aux recruteurs et aux employeurs. Travail médiatique bien sûr, mais aussi travail de fond et de persuasion.
La documentation, une profession d'avenir pour ceux qui sauront être à l'écoute des mutations méthodologiques et technologiques et anticiper les attentes et besoins des diverses entreprises ou organisations.