La veille informative : quelques remarques méthodologiques

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Communication aux journées d'échange ANFOPPE, Exincourt, 6-7 juillet 1995

INTRODUCTION

            La veille informative est une activité humaine très ancienne. On a toujours eu besoin de s'informer, surveiller son environnement et notamment la concurrence, se comparer aux autres, connaître les tendances du marché. La veille informative n'est, ni plus ni moins, qu'un dispositif de collecte-traitement-diffusion de l'information qui vise à rendre une entreprise, une institution capable de réagir à différents termes face à des évolutions de son environnement.

            Que l'on parle de veille stratégique, de veille technologique ou de veille concurrentielle ou même encore d'intelligence économique, le concept de base reste le même: obtenir les informations pertinentes et utiles qui permettent une bonne réactivité de l'institution concernée. La veille (sous ses différentes formes) est un processus vital pour les entreprises ou organisations mais n'est généralement pas correctement organisée. Les moyens qui contribuent à la veille existent souvent mais ne sont pas toujours correctement sollicités (pensons aux structures d'information et de documentation). Les membres de l'organisation ne sont pas systématiquement impliqués (d'où déperdition considérable de grands pans d'information utile). L'absence d'une volonté politique ou managériale claire en matière de veille informative est responsable d'une approche qui reste trop souvent vernaculaire et anarchique. D'où la nécessité de bien prendre la mesure des  aspects méthodologiques de cette veille informative.

Les composantes ORGANIQUES de la veille informative

            Dans un premier temps, on pourrait distinguer trois composantes organiques principales d'un processus de veille informative, pour lesquelles il convient de s'organiser de façon spécifique:

            - une composante de captage des données, de collecte des informations, d'écoute ou d'observation du terrain et de l'environnement (on pourrait appeler cette composante l'Ecoute);

            - une composante de traitement des signaux, de modélisation ou compréhension des tendances sous-jacentes aux données, ou encore d'extraction du sens (appelons cette composante l'Interprétation);

            - une composante de diffusion des résultats de la veille, de socialisation des idées structurantes, de couplage avec les actions de décision de l'institution (appelons cela l'Intégration).

            A ces trois composantes principales, doit être ajouté un dispositif d'accompagnement visant à assurer une implication de tous les acteurs concernés dans le processus, à les sensibiliser, à les former, à faire aussi exprimer des attentes et des besoins, à faire apprécier ou évaluer les résultats de la veille (rétro-action). On pourrait appeler cette composante le Pilotage-Accompagnement.

Les composantes FONCTIONNELLES  de la veille informative

            Au delà des gestes techniques qui composent la veille informative, il peut être intéressant de se demander à quoi peut servir cette démarche, quelles grandes fonctions de service elle assure. Il est difficile d'établir une liste exhaustive de ces fonctions, chaque institution devant définir ses propres objectifs de veille: une entreprise pharmaceutique peut avoir des objectifs très précis et ambitieux pour la mise en place d'un dispositif de veille technologique (anticiper les choix de la concurrence, par exemple) alors qu'un établissement d'enseignement supérieur se limitera à des fonctions de veille plus modestes visant à développer une certaine culture collective sur des sujets le concernant. On pourrait, à titre d'exemple, distinguer de grandes composantes fonctionnelles comme:

            - aider à décider dans des choix à court terme;

            - orienter au mieux les travaux et les investissements à moyen et long terme;

            - tenir en alerte (capacité de réactivité) les forces vives de l'institution;

            - développer une compréhension  des évolutions de l'environnement;

            - contribuer à une culture d'entreprise pour assurer des progrès collectifs;

            - etc.

            Il importe de bien déterminer au départ les objectifs et grandes fonctions de la veille informative que l'on veut mettre en place. Le risque est grand de se précipiter sur des choix de solutions qui n'apporteront, en fait, aucune réponse satisfaisante aux besoins de l'organisation, des individus ou des groupes. 

Les grandes modalités de la veille informative

            A partir de cette dernière remarque, il est possible distinguer plusieurs façons d'aborder la question de la veille informative.

a) Selon l'orientation générale des axes d'écoute ou d'observation

            - une veille environnementale externe, avec regard périphérique: on observe et interprète les évolutions de plusieurs composantes de l'environnement extérieur à l'institution à travers ce qu'en disent les divers vecteurs d'information et de communication (mettre le nez à la fenêtre);

            - une veille plus axée sur l'analyse des pratiques constatées des clients de l'institution et constituée des observations remontant du terrain et des acteurs de l'institution (agréger de multiples observations remontant du terrain).

b) Selon les termes ou objectifs de la veille

            - la veille-alerte dont l'horizon temporelle est le court terme; on pourrait par exemple mentionner ici la veille concurrentielle (pour des produits), la veille boursière, la veille parlementaire; la fonction de ces types de veille-alerte à court terme est d'aider à la prise de décision réactive à très court terme;

            - la veille à moyen terme relative aux évolutions de la clientèle (veille sur les comportements, pratiques ou usages) ou des partenaires ou concurrents (institutions);

            - la veille-prospective recherchant la compréhension des phénomènes sur la longue durée (tendances lourdes, faits porteurs d'avenir); ce type de veille-propective doit être nettement démarquée de la futurologie; elle s'appuyerait plutôt sur des analyses sociologiqes et historiques; ce type de veille-propspective concerne la stratégie et peut accompagner la culture et le projet d'entreprise.

c) Selon les modes de focalisation

            - la veille orientée, avec détermination d'un tableau de bord de thèmes focaux à surveiller (ou facteurs critiques);

            - la veille non-orientée, non-dirigée thématiquement, visant à l'écoute du bruit de fond, au recueil des signaux faibles (rapports d'étonnement,...).

d) Selon les destinataires des résultats de la veille

            - la veille centrée sur les besoins d'une direction générale (veille plutôt stratégique);

            - la veille alimentant les directions plus techniques ou opérationnelles, dans des champs de spécialisation plus affirmés (veille tactique et opérationnelle);

            - la veille alimentant les cadres techniques et les acteurs de terrain et contribuant à éveiller leur curiosité professionnelle (le bain informationnel de conditionnement);

Les principaux OUTILS de la veille

            La veille informative ne se fait pas en sifflant, les mains dans les poches. Il faut investir de l'énergie, du temps, de l'argent, recourir à des moyens les plus divers.

a) Les moyens humains

            Ce sont bien sûr les plus importants. On peut distinguer ici à plusieurs catégories:

            - les personnels de l'entreprise ou de l'organisation: chacun contribue à sa façon à l'écoute des évolutions de l'environnement et chacun passe en permanence 30% de son temps à traiter de l'information;

            - les professionnels de l'information et de la documentation: c'est leur métier que de collecter et mettre à disposition des informations utiles; ils connaissent les sources utiles et sont capables de mobiliser les ressources externes à l'entreprise;

            - les spécialistes ou experts de la veille (sous-catégorie du groupe précédent) qui peuvent animer des dispositifs de veille, utiliser des outils avancés (réseaux, bibliométrie,...) ou devenir des "agents intelligents";

            - les réseaux de collecte (internes ou externes), les partenaires, les acteurs indirects de la veille;

            - enfin l'échelon directionnel qui doit s'impliquer dans la mise en place d'un dispositif de veille.

b) Les ressources informationnelles et documentaires

            Elles sont pléthoriques, de plus en plus abondantes, ouvertes, mondialisées. Il faut savoir identifier les plus pertinentes et faire les meilleurs choix économiques.

            On peut distinguer des ressources existant au sein même de l'entreprise ou des ressources qui n'existent qu'à l'extérieur de l'organisation.

            On peut encore classer ces ressources selon la nature de supports qu'elles requièrent pour leur manipulation (sources écrites, orales, électroniques, ...).

            Des conférences ou séminaires en passant par les bases de données ou le réseau Internet, des collèges invisibles aux rapports d'étonnement en passant par les revues spécialisées, les sources d'information et de documentation constituent un véritable hyper-espace (cyber-espace dans sa version électronique) au sein duquel il va falloir savoir naviguer.

c) Les ressources méthodologiques et technologiques

            Dès lors que l'on veut aller plus loin que la simple cueillette de l'information, il faut se doter de moyens nouveaux, de nature soit méthodologique (modalités d'organisation de la veille), soit technologique (ingénierie du traitement de l'information, intelligence artificielle, bibliométrie et scientométrie,...). Le rôle des réseaux électroniques est aujourd'hui fondamental dans la veille informative et des outils comme Internet amène à un nouveau regard sur les processus de transfert et d'intégration de l'information au sein des institutions.

Quelques REMARQUES pratiques

            La mise en place d'un dispositif de veille informative structurée dans une institution nécessite que soient respectées plusieurs conditions:

            - décider de la mise en place d'un tel dispositif au niveau décisionnel ou hiérarchique le plus élevé possible, de façon à se donner les moyens de réussir;

            - mobiliser les individus et les divers groupes de l'institution, les impliquer dans le processus et dégager un noyau de partenaires les plus motivés par l'idée de la veille;

            - penser à mettre en place un comité de pilotage de la veille informative (en plus de réseau de collecte);

            - s'appuyer systématiquement sur les entités documentaires ou structures d'information existantes, en leur confiant la réalisation de telle ou telle partie de la veille informative;

            - associer si nécessaire des experts ou partenaires extérieurs (sociologues, collègues étrangers, ...); 

            - ne pas hésiter à faire appel à des stagiaires de certaines formations spécialisées qui peuvent aider à collecter l'information, la traiter, en assurer les meilleures synthèses.

            La veille informative est une activité qui devient incontournable dans un environnement de plus en plus international, dans un monde de plus en plus ouvert et dans une société de l'information rendue possible par le développement de puissantes infrastructures ou autoroutes de l'information. C'est la raison pour laquelle elle doit être correctement pilotée aujourd'hui et doit s'intégrer dans un management global de l'information au sein des entreprises ou organisations.