La certification des professionnels de l'information et documentation : la démarche originale et responsable de l'ADBS en France

JM 262

Jean MICHEL, Président de l'ADBS

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Texte pour la revue de l'ABD, Association Belge de Documentation. Communication au colloque ABD, Bruxelles, juin 95

             Le rôle d'une association professionnelle consiste principalement à défendre, promouvoir et faire progresser la profession qu'elle représente. On cherche généralement, à travers l'action d'une association professionnelle, à rendre des services aux membres adhérents, en particulier leur permettre de mettre à jour leurs connaissances et de s'adapter aux évolutions de leur environnement. On cherche aussi  à assurer les conditions d'une reconnaissance économique et sociale globale de la profession par des actions d'influence (lobbying).

            Différentes démarches sont traditionnellement proposées pour atteindre les objectifs précédents. Elles vont de l'action de communication médiatique, en passant par les opérations de transfert de savoir et de savoir-faire, à travers des réunions d'échange et des rencontres, des publications ou des séminaires de formation continue.

            Un axe important d'intervention de l'association professionnelle consiste aujourd'hui, et de plus en plus fréquemment, à agir au niveau de l'amélioration des conditions d'exercice de la profession concernée. On s'efforce notamment de définir et de préconiser le respect de régles minimales relatives à la qualité des actes professionnels ou des services rendus comme à la qualification des acteurs professionnels.

            Cette dernière démarche devient essentielle dans un monde plus ouvert et la responsabilité de l'association professionnelle en la matière est désormais entière et évidente. C'est dans cette perspective que l'ADBS, L'Association des Professionnels de l'Information et de la Documentation, a décidé de mettre sur pied une procédure de certification des compétences des professionnels de l'information et documentation, après avoir travaillé depuis plusieurs années sur les référentiels de métiers de ce secteur. L'ADBS a beaucoup misé dans le passé sur l'usage des démarches qualité en documentation. Il était donc logique qu'elle aille plus loin et qu'elle s'engage à fond dans une démarche ambitieuse visant à mieux étalonner les compétences professionnelles et à proposer un instrument permettant aux professionnels comme à leurs employeurs ou clients de négocier sur des bases saines, socialement reconnues et garanties et surtout prometteuses en termes de développement des compétences professionnelles.

 

Un environnement changeant, plus exigeant

             Un ensemble de facteurs externes à la profession ont été pris en considération par l'ADBS pour justifier le lancement d'une démarche de certification des professionnels de l'information et documentation.

            Les économies se mondialisent, les entreprises travaillent de plus en plus dans un environnement international large, l'Europe devient un cadre de travail obligé. A cet égard diverses directives européennes imposent aujourd'hui aux acteurs de terrain de nouvelles règles à respecter qui rendent plus difficile l'enfermement dans des schémas trop strictement nationaux. Pour les professionnels de l'information et documentation, il est urgent de se préparer à cette ouverture des frontières et donc de mieux étalonner les niveaux de compétence en visant, à terme rapproché, l'euro-compatibilité des référentiels professionnels.

            Dans le même temps, les entreprises se préoccupent davantage de la qualité de leurs produits et de leurs services. La démarche qualité devient un facteur clé de conquête de marchés. Les services tertiaires se mettent aussi à appliquer les normes ISO 9.000.Le secteur de l'information et de la documentation n'est pas à l'écart de cette tendance. Une certification des compétences des personnels de ce secteur ne peut que contribuer à assurer la qualité.

            Autre évolution importante, la dérégulation des marchés et le rôle décroissant des Etats dans de nombreux domaines de la vie économique. De nouvelles régles du jeu sont à définir qui ne peuvent résulter que du libre consentement et de la concertation des divers acteurs professionnels. C'est particulièrement le cas des régles de gestion des professions. Les responsabilités des associations professionnelles représentatives sont désormais clairement engagées dans la conduite des changements à opérer au sein des professions.

            Le problème de l'emploi est sûrement un facteur critique que le projet de certification des professionnels de l'information et documentation ne pouvait pas ignorer. Les mutations sont importantes et les professionnels de l'information sont véritablement "dans l'oeil d'un cyclône". La clarification des frontières avec d'autres professions (communication, informatique,...) est nécessaire, comme devient indispensable une nette définition des niveaux de compétence. Sans de telles clarifications internes et externes, les risques de fragilisation de l'emploi en documentation peuvent devenir sérieux.

            Du côté de l'entreprise, les exigences s'affermissent et l'on attend désormais des professionnels que l'on recrute qu'ils aient vraiment les compétences requises et qu'ils sachent s'adapter en permanence à de nouveaux contextes économiques, techniques ou socioculturels. Disposer de référentiels professionnels bien établis, mais susceptibles d'évolutions, est une préoccupation forte de nombreuses entreprises.

            Enfin (mais d'autres facteurs externes pourraient encore être mentionnés), l'émergence d'une véritable société de l'information, et le développement des nouvelles infrastructures (ou autoroutes) de l'information rendent plus nécessaire que jamais un professionnalisme moderne, fondé sur des qualifications solides et attestées, renvoyant elles-mêmes à des acquisitions de connaissances avancées et à un développement permanent des compétences par l'expérience.

 

Une profession en voie de diversification et de complexification

             Un autre ensemble de facteurs relatifs à la profession et à son évolution récente, ont été pris en compte aussi par l'ADBS dans l'établissement de sa démarche de certification des professionnels de l'information et documentation.

            On peut vraiment dire que la profession, qui a déjà connu de grandes évolutions au cours des vingt dernières années, est aujourd'hui en pleine mutation. Le traditionnel métier de documentaliste se complexifie. De nouveaux métiers et de nouveaux marchés professionnels apparaissent (veille technologique, intelligence économique, documentation technique interne d'entreprise, navigation sur réseaux lectroniques, ...). De nouvelles formes d'exercice de la profession se développent (dont certaines liées à l'externalisation des fonctions de documentation). En d'autres terme, on observe une forte tendance à la diversification, mais aussi l'émergence d'un sentiment de brouillage de pistes. Le besoin de clarification se fait sentir mais avec le souci de rendre possibles et accessibles les nouvelles opportunités professionnelles.

            Ce qui est vrai de la diversification en termes de métiers ou de filières de métiers existe aussi en matière de diversité d'origines et de parcours professionnels. La profession accueille des personnes avec des niveaux de formation les plus variés (sans formation supérieure, avec des diplômes de techniciens, avec des diplômes d'enseignement supérieur long, avec des doubles qualifications, etc.). Des documentalistes ayant des diplômes professionnels spécifiques co-existent dans la profession avec des ingénieurs, des juristes, des médecins qui sont amenés à travailler dans le management de l'information et y acquièrent sur le tas une expérience professionnelle. Les responsabilités confiées aux professionnels varient selon ces différents parcours, mais malheureusement de façon trop incertaine. Il paraît donc urgent de proposer un cadre cohérent de représentation de la profession qui permette de gérer positivement cette diversité.

            Une enquête faite récemment auprès de 3.000 professionnels par l'ADBS a parfaitement montré cette large diversité de situations et la réelle hétérogénéité de la profession.

            En outre, les séjours dans la profession sont de durées les plus variables. Pour certains, il est possible de faire carrière dans la profession, pour d'autres, il ne s'agit que d'une étape avant de passer à d'autres responsabilités. Comment mieux assurer la gestion des carrières en documentation?

            Ajoutons encore à ce constat le fait que les techniques et les méthodes de la documentation ont progressé de façon spectaculaire au cours des vingt dernières années. Cela conduit à nouveau à d'importantes différenciations en termes de compétences professionnelles; de jeunes professionnels récemment diplômés à des niveaux intermédiaires (techniciens supérieurs) sont désormais infiniment plus experts dans certaines techniques informatiques ou documentaires par exemple que de plus anciens diplômés à des niveaux supérieurs, exerçant des responsabilités d'encadrement mais n'ayant pas actualisé leurs connaissances.

            Dès lors, la question fondamentale qui se pose à l'ADBS, comme à toute organisation professionnelle représentative responsable, est de savoir comment gérer une telle diversité. Comment faire progresser globalement le "stock" de professionnels en exercice tout en respectant les situations spécifiques? Contrairement aux instituts ou écoles de formation professionnelle qui raisonnent quasi exclusivement sur les flux de nouveaux spécialistes (diplômés) à mettre sur le marché, une organisation telle que l'ADBS doit prendre en compte les dizaines de milliers de professionnels travaillant dans le secteur et apporter des réponses aux légitimes questions de progression de carrière et d'amélioration continue des qualifications et compétences. Cette responsabilité politique et socio-économique, l'ADBS n'a pas hésité à l'assumer; c'est ce qui l'a conduit à mettre sur pied un dispositif original de certification des professionnels de l'information et documentation.

 

Une certification pour quoi faire?

            Les facteurs mentionnés plus haut caractérisent à l'évidence un double mouvement de progression rapide et de diversification complexe de la profession. Les pistes sont de plus en plus brouillées, difficiles à interpréter. Pour les professionnels au premier chef, mais aussi pour leurs employeurs comme pour les recruteurs ou encore les donneurs d'ordre ou clients, des risques existent face à un telle situation confuse: risque de marginalisation de certaines parties de la profession, risque de calage de l'ensemble de la profession sur les niveaux les plus bas des grilles de rémunération, risque de non-reconnaissance des compétences réelles et de blocages de carrière, risque de non-qualité et de confusions au moment des recrutements, etc.

            Les besoins d'une certification des compétences professionnelles sont multiples. Pour la profession, prise dans sa globalité, la certification est un moyen de clarifier les référentiels professionnels et donc de mieux se structurer. Une telle certification peut aussi aider la profession à mieux se positionner dans les grilles ou conventions collectives d'emploi, notamment en facilitant la comparaison avec d'autres secteurs professionnels. Cette nécessité est évidente par exemple, en France, pour les documentalistes exerçant dans la fonction publique et pour qui un statut spécifique est à l'étude: la structuration proposée par l'ADBS, à travers la certification mise en place, sera une aide précieuse à la mise au point de ce statut.

            Pour certains professionnels en exercice, la certification est une aide à la reconnaissance des compétences et doit contribuer à la progression de leurs carrières. Le cas est patent, en France, pour de nombreux documentalistes disposant d'un D.U.T. (Diplôme Univeristaire de Technologie) et qui risquent d'être condamnés à rester "techniciens" (non-cadres) tout au long de leur vie professionnelle, en dépit de la richesse des expériences qu'ils auront pu avoir. La certification est, dans cette perspective, un outil puissant d'aide à la négociation salariale et à la revalorisation des carrières.

            Pour d'autres professionnels, le besoin de reconnaissance officielle des compétences acquises peut être dû à des considérations de mobilité géographique et notamment (et de plus en plus) de mobilité professionnelle intra-européenne. Du fait de l'absence de toute directive européenne relative à l'équivalence des diplômes dans le secteur de l'information et de la documentation, du fait aussi de l'hétérogénéité des situations professionnelles réelles, un schéma clair de structuration de la profession pouvant être reconnu au plan international (et plus particulièrement en Europe dans le cadre d'ECIA - l'European Council of Information Associations -) ne peut qu'aider ces professionnels à réaliser positivement leur mobilité géographique.

            D'autres professionnels encore ont besoin d'une telle certification parcequ'ils doivent répondre, en tant qu'experts, à des consultations nationales ou internationales. Cette exigence est fréquente dans certaines instances telles que la Banque Mondiale ou les organisations des Nations-Unies. Pour de nombreux consultants, cette certification professionnelle est aussi un réel outil de promotion commerciale ou d'aide à la consolidation de leur clientèle ou à la conquête de nouveaux marchés.

            Pour les entreprises, la certification doit faciliter le recrutement de professionnels de l'information et documentation en assurant un bon marquage des compétences réelles. C'est plus particulièrement le cas du recrutement de professionnels confirmés (la situation des jeunes professionnels diplômés étant par nature plus simple).

 

La démarche de l'ADBS et les fondements de la certification

             La création par l'ADBS d'un dispositif de certification des compétences des professionnels de l'information et documentation a été un acte politique fort et responsable. S'appuyant sur l'expérience d'associations professionnelles d'autres secteurs d'activité (Marketing, Contrôle Qualité, Analyse de la Valeur, Maintenance, Ingénierie,...), l'ADBS a décidé la mise en place de ce dispositif de certification en respectant un certain nombre de régles essentielles.

            La première de ces régles est la conformité du dispositif à la récente norme européenne EN 45013 qui détermine les conditions de mise en place des certifications dites de personnels. La norme impose une démarche qualité que l'ADBS s'efforce de suivre. La mise au point et la diffusion des référentiels de métiers constitue par exemple un des piliers de cette démarche qualité. La procédure elle-même de certification s'inscrit dans cette perpective "Qualité" (codification et transparence de la procédure, représentation de toutes les parties concernées au sein de la Commission de certification, archivage des décisions, procédure de recours, etc.).

            La certification imaginée par l'ADBS s'appuie sur la détermination aussi rigoureuse que possible de quatre niveaux de compétences (assistant, technicien, ingénieur, expert) clairement définis et autorisant les possibilités de mobilité professionnelle entre ces divers niveaux. Ainsi est prise en compte la double nécessité de clarification  (structuration) des situations professionnelles et de dynamique de progression des carrières. 

            Autre considération importante: la certification mise en place concerne la reconnaissance des compétences professionnelles réelles telles qu'elles peuvent être constatées à un moment donné de la carrière. La certification s'appuie donc sur deux éléments importants: la formation académique initiale (diplômes de différentes natures) et la formation continue (actualisation des connaissances) d'une part, l'expérience professionnelle réellement acquise d'autre part. Il est important de souligner le fait que la certification se démarque nettement de tout diplôme académique: elle ne sanctionne pas une seule acquisition de connaissances, mais valide des compétences acquises au cours de la carrière. A noter que la certification des compétences n'est valable que pour des périodes de temps limitées (par définition, les compétences professionnelles évoluent en permanence).

            Il faut ajouter que la certification doit correspondre à un acte volontaire de la part du professionnel qui en a besoin et la réclame. En d'autres termes, la certification n'est pas une obligation: elle ne constitue qu'un outil parmi d'autres pour aider les professionnels dans leurs démarches pour la progression de leur carrière.

            Le rôle d'une association professionnelle telle que l'ADBS dans la mise en place d'une telle procédure de certification est important et légitime. Cette responsabilité nouvelle, l'ADBS a souhaité l'assumer parcequ'elle est représentative de la grande majorité des professionnels de l'information et de la documentation exerçant en France et qu'elle est reconnue comme telle par les pouvoirs publics comme par diverses instances internationales (et notamment l'Union européenne). La norme européenne EN 45013 relative à la certification des personnels rend possible une telle démarche responsable; de même, le Conseil de l'Europe a récemment pris position sur ce terrain en renvoyant aux associations professionnelles (et non aux Etats) cette responsabilité d'organisation des professions.

 

Les perspectives de développement de la certification

            Cette "certification des professionnels de l'information et documentation" est un dispositif original, qui nécessite beaucoup d'efforts de pédagogie pour en expliquer les fondements et qui doit aussi s'inscrire dans une perspective de développement à long terme.

            La montée en puissance de la certification doit être raisonnable; il ne s'agit pas de certifier des milliers de professionnels en deux ou trois ans, cela n'aurait pas de sens. Il faut que le dispositif permette la meilleure adaptation possible entre l'offre et la demande et cela de façon aussi régulière que possible.

            Des efforts de promotion de la certification auprès des employeurs, des recruteurs et des donneurs d'ordre doivent être faits désormais. Ils s'inscriront dans une démarche plus globale de promotion de la profession.

            La certification doit contribuer par ailleurs à faire progresser la réflexion collective sur la profession et ses évolutions. Dans ce sens, la mise au point, par l'ADBS, des référentiels de métiers a sûrement été accélèrée par la mise en place de la procédure de certification. De même verra-t-on les programmes de formation continue proposés ici ou là tenir mieux compte du cadre nouveau institué par la certification.

            Les négociations avec certains milieux patronaux, avec de grands réseaux d'entreprises, avec la fonction publique, vont bénéficier désormais des acquis de la certification. D'ores et déjà des démarches en partenariat entre l'ADBS et certaines organisations sont à l'étude pour appliquer collectivement la certification ou l'adapter à certains contextes spécifiques.

            Au plan européen, la certification mise en place par l'ADBS paraît intéresser d'autres associations professionnelles qui pourraient envisager de créer leur propre dispositif de certification, en s'inspirant du modèle français. Des échanges fructueux au sein de l'ECIA (European Council of Information Associations) et des contacts bilatéraux récents laissent entrevoir une évolution rapide de ce dossier au niveau européen. Les efforts à faire désormais résident dans la recherche de régles permettant l'euro-compatibilité des diverses procédures nationales.  Il en résultera sûrement une valorisation importante de la profession au plan européen.