VALIDITE ET SECURITE

NOUVELLES EXIGENCES ET NOUVELLES RESPONSABILITES

DES PROFESSIONNELS

FACE AU DEVELOPPEMENT DE L'INFORMATION SUR INTERNET

Jean MICHEL

JM265

Publications Jean MICHEL
Page d'accueil Jean MICHEL

in "Lamy droit de l'informatique", n°72, juillet-août 1995 , pp. 1-4 - 28 ko

PLAN

 

Préalable

Une période de transition et de mutation

Le modèle de la diffusion controlée d'une information stabilisée

Le nouveau paradigme de l'information dynamique et ouverte

Les risques d'une production et d'une diffusion non controlées de l'information

Les besoins et exigences de l'entreprise

Validité et securité : d'abord et avant la responsabilité des individus et des groupes

La nouvelle responsabilité du professionnel de l'information

Des approches collectives pour assurer sécurité et validité de l'information

La démarche volontariste et responsable de l'ADBS


PREALABLE

On se limite, dans ce propos, à l'information professionnelle, c'est-à-dire à l'information utile aux entreprises au sens large du terme (entreprises, sociétés de service, organisations diverses, administrations, ...) et aux pratiques professionnelles correspondantes. On ne traite pas, par contre, le problème plus général de la validité et de la sécurité de l'information sur Internet dans les usages individuels ou socioculturels.

UNE PERIODE DE TRANSITION ET DE MUTATION

On vit actuellement une grande mutation dans le management de l'information.

On perçoit clairement la fin d'une époque, celle des années 70-80, qui a vu le développement remarquable des grandes bases de données spécialisées, la multiplication des services d'information en ligne (avec, en France, l'expérience originale et réussie du Minitel) et une première forme - stabilisée - de structuration des marchés et de l'industrie de l'information.

Mais on assiste aussi aujourd'hui à l'émergence d'une nouvelle vision de la société de l'information de demain. Le développement prodigieux, exponentiel, des usages d'Internet en est le signe le plus évident. Les rapports et les débats sur les futures infrastructures ou autoroutes de l'information se multiplient. Il faut désormais changer les référentiels, changer l'échelle des préoccupations, revoir les modèles de management de l'information, raisonner désormais dans une perspective infiniment plus ouverte et selon des schémas d'interactivité nettement plus affirmés.


LE MODELE DE LA DIFFUSION CONTROLEE D'UNE INFORMATION STABILISEE

Les années 70-80 ont été marquées par une une certaine forme d'organisation de la diffusion de l'information électronique caractérisée par le développement d'un système assez vite stabilisé d'acteurs professionnels spécialisés: producteurs de bases de données, centres serveurs, transporteur(s) de données. En France, le monopole de France Télécom sur les télécommunications a conduit, d'une certaine façon, à la régulation et à la stabilisation du système. La création et le développement du serveur national Télésystèmes-Questel témoigne par exemple de cette logique du contrôle de la diffusion de l'information électronique.

Ces années 70-80 ont donné aussi l'occasion à une spécificité française (une innovation technologique, puis sociale) d'émerger: le minitel. L'outil vidéotex, contrôlé par France-Télécom, va permettre le développement de services marchands d'information (en fait, un système de tarification à la connexion).

Mais qu'il s'agisse de la diffusion en mode ASCII ou du développement des produits vidéotex, le modèle des échanges ou de la diffusion de l'information reste le même. Il se caractérise par plusieurs éléments forts:

- une diffusion plutôt unidirectionnelle (du producteur à l'utilisateur) de l'information, avec dans l'ensemble une faible prise en compte des réactions de la clientèle (déresponsabilisation);

- une perspective essentiellement basée sur le concept d'accumulation: des bases de données qui affichent des records de volume de données stockées et qui, dans certains cas deviennent de véritables cimetières d'information;

- des produits qui restent globalement le reflet de processus de traitement de l'information (à nouveau, c'est le pôle producteur-serveur qui impose sa logique);

- une réelle visibilité des produits et services offerts (effet de catalogue);

- un contrôle qualité de plus en plus exigeant;

- une démarche qui met en relation diffusion de l'information et paiement de coûts de connexion et d'usage;

- mais surtout l'oubli que ce qui est offert sur le marché visible ne reste qu'une part infime de l'information disponible et circulante: l'information vivante (ou de communication) n'est pas prise en compte, l'information auto-produite par l'entreprise est systématiquement ignorée.


LE NOUVEAU PARADIGME DE L'INFORMATION DYNAMIQUE ET OUVERTE

Internet, les réseaux électroniques et les futures autoroutes de l''information transforment radicalement la perspective et rendent nécessaire l'émergence de nouvelles attitudes (celles des acteurs économiques comme celles des professionnels de l'information).

L'information (les "bits" pour être plus rigoureux) qui circule désormais sur les réseaux électroniques ouverts se caractérise par plusieurs éléments:

- la sur-abondance: multiplication, en très peu de temps, de ce qui est accessible depuis son ordinateur personnel par un facteur de l'ordre de 1.000, 10.000, voire même plus; la conséquence est évidente: comment survivre face à cette sur-exposition, comment trier, comment ne pas se perdre?

- l'effet de connexion dans un système ouvert: on passe d'un dispositif avec peu d'offreurs-producteurs spécialisés (disons 1.000 à 10.000 pour simplifier) diffusant à un nombre relativement bien identifié de consommateurs professionnels (disons 100.000, à nouveau pour schématiser) à un système où un assez grand nombre d'acteurs (disons 100.000, 1.000.000 ou plus) diffusent à un nombre au moins égal sinon nettement plus grand (de l'ordre du million au minimum) d'acteurs économiques les plus divers;

- la mondialisation des économies et de l'information: le marché s'élargit brusquement; il devient plus intéressant de passer par la Librairie du Congrès pour identifier une ressource que de "galérer" dans un fichier local mal structuré et difficilement accessible;

- l'émergence de l'information circulante, vivante ou à courte durée de vie: à côté de l'information stabilisée (celle qui est stockée dans les grandes bases de données de référence) se développe une information plus fugace, plus interactive (celle que véhicule la messagerie électronique et qui émerge des divers forums électroniques);

- la juxtaposition de natures et de formes d'information les plus variées: données numériques, texteuelles, iconographiques ou sonores mais aussi informations commerciales, institutionnelles et même personnelles; il faut désormais prendre en compte cette multidimensionnalité de l'information;

- un réel raccourcissement des chaînes de production-diffusion de l'information; l'accès devient nettement plus direct, l'intermédiation des producteurs et des serveurs perd de son importance; il est désormais possible de mettre ses propres ressources sur le réseau sans passer par le biais d'un centre serveur imposant sa logique commerciale;

- une nouvelle perspective bi- ou multi-directionnelle: chacun peut être à la fois émetteur et consommateur d'information; le schéma producteur ---> utilisateur perd de son caractère contraignant;

- la possibilité de mélanger informations internes et informations externes dans la logique d'un nouveau management plus global et intégré de l'information;

- enfin la possibilité de gérer cette information sur le poste de travail électronique ou de bureautique, avec toutes les fonctionnalités de la manipulation volontaire et de l'exploitation des fichiers de données et de textes.

Ce développement d'une information dynamique, interactive, ouverte présente un caractère inéluctable et il est désormais nécessaire de se préparer à y faire face (notamment en agissant au niveau de la formation des professionnels).


LES RISQUES D'UNE PRODUCTION ET D'UNE DIFFUSION NON CONTROLEES DE L'INFORMATION

De nombreux risques apparaissent dans ce développement d'une information électronique très ouverte:

- perte de qualité dans les produits et services diffusés sur le réseau; on peut toutefois espèrer que ne nouveaux mécanismes de régulation (et surtout d'auto-régulation) verront le jour pour assurer une certaine garantie de qualité;

- incertitude sur la fiabilité et sur la véracité des sources et de l'information; mais au fond est-ce bien si différent de ce qui existe dans les formes traditionnelles de diffusion de l'information (les papiers soumis aux comités de rédaction des revues sont-ils vraiment écrits par ceux qui les signent et qui vérifie vraiment la véracité des informations diffusées par les très grandes bases de données?);

- possibilité de manipulation de l'information et de désinformation: mais là-encore, le développement de l'information via les réseaux électroniques ne fait que révéler ce qui a sûrement existé dans les formes traditionnelles de diffusion de l'information;

- incertitude sur le cadre juridique ("no mans land") accompagnant la diffusion électronique de l'information; tout semble permis et tout semble interdit selon le point de vue duquel on se place;

- difficulté de mise en place de démarches sûres de commercialisation de l'information diffusée: cette préoccupation légitime, mais quelque peu "épicière", des industriels de l'information les a sûrement conduit à sous-estimer le phénomène Internet et à manquer d'imagination en matière de nouveaux processus de diffusion de l'information;

- risque de passer son temps à naviguer sur le réseau, à survoler les gisements accessibles sans véritablement entrer dedans pour les exploiter vraiment.


LES BESOINS ET EXIGENCES DE L'ENTREPRISE

Face à cette explosion des sources d'information, face à cet accès généralisé et universel à l'information quelles peuvent être les besoins de l'entreprise (prise au sens large du terme). Plusieurs exigences peuvent être énoncées:

- pouvoir disposer d'un ensemble juste nécessaire d'informations (ni trop ni trop peu) permettant le développement de l'action quotidienne de l'entreprise;

- pouvoir surtout disposer d'informations pertinentes, fiables, délivrées au bon moment et bien adaptées aux besoins des acteurs de l'entreprise qui les intégreront dans leurs pratiques professionnelles;

- pouvoir exploiter et gérer collectivement et au moindre coût ces informations collectées; pouvoir capitaliser cette ressource qui coûte de moins en moins cher à l'achat mais qui consomme de plus en plus de temps et de compétences pour en vérifier la pertinence et la qualité et en assurer l'exploitation efficace;

- savoir aussi diffuser ses propres informations sur le réseau, être présent au monde, participer à un vaste mouvement de diffusion et d'échange des informations et des connaissances caractérisant la nouvelle société de l'information;

- enfin se protéger et protéger son patrimoine contre toutes les intrusions, manipulations et autres mauvaises intentions.


VALIDITE ET SECURITE: D'ABORD ET AVANT LA RESPONSABILITE DES INDIVIDUS ET DES GROUPES

On peut bien sûr imaginer que les outils logiciels les plus performants seront mis à disposition de chacun sur les réseaux électroniques pour assurer un certain niveau de sécurité et de fiabilité dans la diffusion de l'information (on pense ici à PGP ...).

Pour l'essentiel (et l'exemple des pratiques quotidiennes sur Internet en témoigne), c'est plutôt dans la responsabilisation des individus et des groupes (acteurs de l'entreprise comme professionnels de l'information) qu'il faut rechercher la solution aux problèmes de sécurité et de validité posés par le développement des réseaux électroniques. La comparaison, certes schématique, avec ce qui se passe dans le domaine de la sécurité routière ou dans celui de la protection contre les infections virales, donne vite à penser qu'au delà de l'établissement de règles toujours dépassées, c'est vraiment la prise de conscience et l'implication des acteurs qu'il faut rechercher. Une nouvelle culture de l'information doit être impérativement développée, et cela dès le plus jeune âge comme dans la formation continue des acteurs de l'entreprise.

Dans le même temps doit être développée la responsabilité des groupes et instances de toutes natures qui peuvent établir et maintenir des dispositifs de régulation. Ce peut être notamment le rôle des organisations professionnelles que de créer les conditions d'émergence de tels dispositifs de régulation, visant à assurer un niveau acceptable de sécurité et de validité.


LA NOUVELLE RESPONSABILITE DU PROFESSIONNEL DE L'INFORMATION

En ce qui concerne l'individu, le professionnel de l'information et de la documentation intervenant dans une entrprise ou pour le compte d'une organsiation, cette responsabilité nouvelle doit pouvoir s'appuyer sur plusieurs exigences:

- avoir une conscience aigüe des nouveaux enjeux, des potentialités et des risques de l'information mise à disposition sur les réseaux électroniques; il faut carrément changer d'attitude, remettre en cause les schémas mentaux développés pendant les vingt dernières années et procéder à la mise à plat de toutes les composantes du nouveau management de l'information;

- développer de nouvelles qualifications (aller au delà des traditionnels savoir-faire comme le catalogage des documents ou l'interrogation des bases de données) et faire émerger de nouvelles aptitudes ou compétences qui sauront prendre en compte les différentes composantes du mangement de l'information: maîtriser à la fois les contenus de l'information, les modalités d'accès, les technologies utiles, les implications économiques et juridiques, les méthodologies du transfert et de la diffusion de l'information, etc.;

- savoir et pouvoir bien identifier les bonnes sources, savoir et pouvoir les évaluer en permanence; cette exigence requiert, plus que par le passé une implication très forte des professionnels de l'information dans l'appréciation des contenus et des sources de l'information;

- être en mesure de conseiller les acteurs de l'entreprise sur les meilleurs usages possibles de l'information électronique disponible; il est clair qu'au delà de l'effet de curiosité que suscitent les réseaux électroniques (comme par exemple la consultation des différents Webs), on recherchera dans l'entreprise une certaine efficacité collective dans la manipulation de ces outils: le rôle de médiateur que peut jouer le professionnel de l'information deviendra vite essentiel;

- pouvoir contribuer à la présentation des ressources informationnelles de l'entreprise et à de nouvelles formes de circulation de l'information utile; cette nouvelle responsabilité aménera forcément le professionnel de l'information à se préoccuper sérieusement des questions de sécurité et de validité.

Toutes ces exigences conduisent à l'émergence d'un nouveau type de professionnel de l'information, que la FID, la Fédération Internationale de l'Information et de la Documentation désigne par le vocable de "modern information professional". Cela implique un nouveau regard sur les formations (initiale et continue) de ces professionnels, une redéfinition des critères déterminant les qualifications professionnelles et sûrement un nouveau positionnement de ces professionnels au sein de l'entreprise.


DES APPROCHES COLLECTIVES POUR ASSURER SECURITE ET VALIDITE DE L'INFORMATION

Si le développement d'une nouvelle culture de l'information semble aujourd'hui indispensable et si la responsabilité des individus, professionnels de l'information et de la documentation, paraît de plus en plus devoir être engagée, il n'en faut pas écarter pour autant d'autres approches plus collectives de la résolution du problème de la sécurité et de la validité de l'information.

Au sein de l'entreprise elle-même, les nouvelles régles du jeu de la diffusion électronique de l'information et d'exploitation de celle-ci doivent être définies. Les mesures les plus évidentes de sécurisation des fichiers de données doivent être prises. Mais au delà des légitimes démarches défensives, il faut pouvoir tirer le meilleur profit de ce qui circule abondamment sur les réseaux électroniques (et cela au moindre coût). De nouvelles formes de veille informative devraient voir le jour avec constitution de groupes ad-hoc (assistés électroniquement) permettant d'identifier, suivre et évaluer les informations qui circulent sur les réseaux. Les professionnels de l'information pourraient du reste joués un rôle actif dans l'animation de ces nouveaux dispositifs de veille qui mobiliseront un plus grand nombre d'acteurs au sein de l'entreprise.

A des niveaux plus globaux (un pays, un secteur d'activité,...) on peut raisonnablement penser qu'émergeront de nouveaux dispositifs régulateurs collectifs permettant de caractériser les sources d'information pertinentes . Le rôle des structures associatives professionnelles sera là-encore déterminant pour assurer la qualification de ces sources, pour établir la labelisation des produits et services d'information offerts ou participer à la construction d'instruments collectifs garantissant la validité des informations diffusées.


LA DEMARCHE VOLONTARISTE ET RESPONSABLE DE L'ADBS

Outre le fait constaté chaque jour davantage que de nombreuses entreprises, organisations et services de documentation commencent à utiliser fortement Internet, on ne peut que suivre avec intérêt les réflexions développées dans certains groupements ou réseaux d'acteurs économiques (les Chambres de Commerce et d'Industrie, les Caisses de Mutualité Agricole par exemple) visant à promouvoir un usage efficace de l'outil pour accroître la compétitivité des entreprises et améliorer l'accès à l'information. Les conseils régionaux s'emploient activement à mettre sur pied les plates-formes permettant aux entreprises de bénéficier des avantages d'Internet.

Il est donc temps pour les acteurs économiques français d'adopter une attitude plus dynamique et responsable face à cette nouvelle façon de communiquer au sein d'un monde ouvert et de déterminer le plus rapidement possible maintenant les usages d'Internet et les services qui aideront à conquérir des marchés et à être à l'écoute d'un environnement aux frontières repoussées fort loin.

L'ADBS, "L'Association des professionnels de l'information et de la documentation", ne veut pas rester passive face à cette révolution. Elle ne veut pas non plus rester à l'écart du débat qui s'instaure à propos des futures autoroutes de l'information ou inforoutes. En tant que grande association professionnelle moderne, elle prend en compte ces nouvelles pratiques de travail en réseau et essaye d'aider ses membres à se familiariser avec l'outil et à se l'approprier. Elle se prononce fermement sur les nouvelles conditions d'exercice de la profession comme sur les dispositifs de régulation à mettre en oeuvre.

C'est autour de ces idées que s'élabore la stratégie de l'ADBS, pragmatique, responsable et tournée vers l'avenir. Cette stratégie vise délibérément l'appropriation professionnelle de l'outil Internet par un maximum de membres de l'Association dans un délai de deux à trois ans. Elle s'appuie sur la motivation explicite des acteurs de terrain et sur la détermination des différents groupes régionaux et sectoriels de l'ADBS de multiplier les initiatives et d'apprendre collectivement l'usage d'Internet.

C'est par la forte implication des professionnels qu'elle représente que l'ADBS espère ainsi contribuer à la résolution des problèmes de sécurité et de validité de l'information.