COMPRENDRE ET AGIR ENSEMBLE

LE SENS DE LA REFLEXION PROSPECTIVE

DES PROFESSIONNELS

DE L'INFORMATION ET DE LA DOCUMENTATION

Jean MICHEL

JM267

Publications Jean MICHEL
Page d'accueil Jean MICHEL

in "Documentaliste - Sciences de l'information", Vol 32 N°6, Novembre-décembre 1995 - 40ko

PLAN

Un environnement changeant et surtout plus exigeant

La nouvelle société de l'information et ses conséquences

L'élargissement du champ des interventions professionnelles

Un autre management de l'information

Une profession qui se diversifie et se complexifie

Un professionnel au centre des préoccupations de l'entreprise

Des concepts à promouvoir et des valeurs à défendre


Un exercice de prospective est, par nature, un acte audacieux et risqué. Il part en effet du postulat bien admis selon lequel les évolutions à venir sont, dans leurs grandes lignes, conformes à ce que l'on peut connaître, pressentir, esquisser, désirer ou craindre à un moment donné. Dans cette vision simplificatrice de la démarche de prospective, l'avenir ne serait qu'une forme d'extrapolation du passé et du présent. Or, il est bien évident que les choses ne sont pas aussi simples, les péripéties de la vie le prouvent abondamment. Les experts se trompent, les certitudes s'écroulent, les instabilités et les accidents de parcours viennent souvent démentir les prévisions les plus solidement établies.

Néanmoins, l'effort de prospective, malgré ses limites, reste une impérieuse nécessité à condition qu'on le démarque nettement de la banale prévision futurologique. La prospective, comme on le disait dans les années 70 dans les milieux compétents, c'est l'art de comprendre les phénomènes qui s'inscrivent dans la longue durée en prenant bien en compte la complexité des situations observées, de cerner les tendances lourdes et de déterminer les points de rupture possibles. La prospective ainsi définie permet d'esquisser des faisceaux d'hypothèses d'évolution à partir desquels il est envisageable de prendre des décisions raisonnables ou plus modestement cohérentes. En cela, la prospective est légitime et nécessaire.

Pour les professionnels de l'information et de la documentation, cet exercice de prospective est aujourd'hui plein de sens, très opportun et surtout indispensable. Jamais les conditions de transformation des métiers et des pratiques professionnelles n'ont été à ce point aussi déstabilisantes. Il faut donc essayer de voir plus clair, de mieux comprendre ce qui se passe. La politique de l'autruche est à rejeter sans la moindre hésitation. Des chances nouvelles se profilent à l'horizon, comment les saisir?

L'ADBS s'est efforcée, au cours des dernières années, de prendre des initiatives sur ce terrain de la réflexion prospective, comme elle a su aussi s'engager résolument sur la voie de l'innovation. On en trouvera des témoignages dans ce numéro spécial de Documentaliste. Ce travail de prospective engagé par l'ADBS est une démarche responsable d'une grande association professionnelle moderne. Il s'inscrit du reste dans une action plus large consistant à déterminer la stratégie de développement de l'association à moyen terme.

La démarche prospective est aussi un acte de communication socioprofessionnelle. La prospective n'est pas un art réservé à quelques experts, elle est vraiment une réflexion collective, une prise de conscience de l'ensemble de la profession face aux mutations en cours. Il est donc essentiel de recourir à une publication comme Documentaliste pour ouvrir un large débat sur les transformations actuelles et futures de la profesion, en s'appuyant sur les travaux menés ici ou là au cours des dernières années.

Cette réflexion prospective doit s'alimenter à plusieurs sources, internes ou externes à la profession. Les croisements de regards français mais surtout étrangers sont indispensables. Les interprétations des signaux de l'environnement doivent laisser place aux oppositions de points de vue, voire-même aux contradictions. La prospective ne saurait être une réflexion qui se développe en autarcie. Elle est aussi une occasion de prise de distance par rapport aux pratiques du quotidien qui, si elles sont bien justifiées à court terme, n'en demeurent pas moins stérilisantes pour la réflexion à plus long terme.


UN ENVIRONNEMENT CHANGEANT ET SURTOUT PLUS EXIGEANT

L'économie se mondialise, les entreprises travaillent de plus en plus dans un environnement international élargi, l'Europe devient aujourd'hui un cadre de travail obligé. Diverses directives européennes imposent ainsi aux acteurs de terrain de nouvelles règles à respecter qui rendent plus difficile l'enfermement dans des schémas trop strictement nationaux. Pour les professionnels de l'information et documentation, il est urgent de se préparer à cette ouverture des frontières et donc de mieux déterminer les compétences nécessaires en visant, à terme rapproché, l'euro-compatibilité des référentiels professionnels. La réflexion prospective prend tout son sens dès lors que l'on crée un tel appel d'air.

Dans le même temps, les entreprises se préoccupent davantage de la qualité de leurs produits et de leurs services. La démarche qualité devient un facteur clé de conquête de marchés. Les services tertiaires se mettent aussi à appliquer les normes ISO 9.000.Le secteur de l'information et de la documentation n'est pas à l'écart de cette tendance. A nouveau, une claire vision des évolutions des compétences et des pratiques des professionnels de ce secteur ne peut que contribuer à assurer la qualité exigée par la société aujourd'hui.

Autre évolution importante à prendre en compte, la dérégulation des marchés et l'influence décroissante des Etats dans de nombreux domaines de la vie économique. De nouvelles régles du jeu sont en train d'apparaître qui ne peuvent résulter que du libre consentement et de la concertation des divers acteurs professionnels. C'est particulièrement le cas des régles d'organisation, de développement et de gestion des professions. Les responsabilités des associations professionnelles représentatives sont désormais clairement engagées dans la conduite des changements à opérer au sein des professions. Cette situation nouvelle qui privilégie l'autonomie et la responsabilité des acteurs de terrain conduit tout naturellement à faire des efforts collectifs de prospective sans lesquels les gesticulations à court terme l'emporteraient rapidement sur les choix raisonné à moyen et long termes.

Le problème de l'emploi est à l'évidence un facteur critique que l'on ne peut pas ignorer. Les mutations sont importantes et les professionnels de l'information sont véritablement "dans l'oeil d'un cyclône". La clarification des frontières avec d'autres professions (communication, informatique,...) est nécessaire, comme devient indispensable une nette définition des niveaux de compétence et des responsabilités exercées. Sans de telles clarifications internes et externes, les risques de fragilisation de l'emploi en documentation peuvent devenir sérieux.

Du côté de l'entreprise, les exigences s'affermissent et l'on attend désormais des professionnels que l'on recrute ou que l'on emploie qu'ils aient vraiment les compétences requises et qu'ils sachent s'adapter en permanence à de nouveaux contextes économiques, techniques ou socioculturels. Flexibilité, adaptabilité deviennent de véritables mots d'ordre. Disposer de référentiels professionnels bien établis, mais susceptibles d'évolutions, est désormais une préoccupation forte de nombreuses entreprises. Cela impose à nouveau un travail lucide et prospectif sur les formations et les qualifications professionnelles à horizon de cinq à dix ans.


LA NOUVELLE SOCIETE DE L'INFORMATION ET SES CONSEQUENCES

Sans que l'on puisse vraiment considérer cela comme un facteur d'évolution externe à la profession, il faut bien prendre en compte de façon spécifique l'émergence d'une véritable société de l'information, et analyser les conséquences du développement des nouvelles infrastructures et technologies de l'information sur la profession que l'ADBS représente.

On perçoit clairement aujourd'hui la fin d'une époque, celle des années 70-90, qui a vu le développement remarquable des grandes bases de données spécialisées, la multiplication des services d'information en ligne (avec, en France, l'expérience originale du Minitel) et une première forme - stabilisée - de structuration des marchés et de l'industrie de l'information. Des progrès considérables ont été réalisés au cours de cette période, laissant entrevoir l'apparition d'un monde futur merveilleux, parfait, au sein duquel des producteurs de biens immatériels (des informations) alimenteraient en produits et services de qualité bien définie des clients prêts à les acheter à un prix permettant de dégager des marges bénéficiaires intéressantes.

A quelques années de la fin du vingtième siècle, les cartes semblent brusquement se brouiller. Ce qui paraissait devoir être évident, ne l'est plus. Les repères difficilement établis sont remis en cuse. Une nouvelle vision de la société de l'information de demain commence à émerger. Le développement subite et exponentiel, des usages d'Internet, des réseaux électroniques et des outils multimédias en est le signe le plus évident. Les rapports et les débats sur les futures autoroutes de l'information se multiplient. Il faut désormais changer les référentiels, changer l'échelle des préoccupations, revoir les modèles de management de l'information, raisonner désormais dans une perspective infiniment plus ouverte et plus multidimensionnelle. Les cadres juridiques, économiques, éthiques de la production et de la circulation de l'information sont remis en cause en profondeur. Et en même temps, se manifeste une folle et légitime aspiration de tout un chacun à prendre une part active à la prodigieuses aventure, à cette révolution de l'information que d'aucuns comparent aisément à celle de l'invention de l'imprimerie.

Une nouvelle approche du management global et intégré de l'information devient plus nécessaire que jamais. Elle appelle un nouveau regard sur les pratiques d'intermédiation professionnelle à développer dans le futur alors que l'accès universel et généralisé à l'information rendra les citoyens, les groupes, les entreprises de plus en plus autonomes dans leur gestion de l'information.


L'ELARGISSEMENT DU CHAMP DES INTERVENTIONS PROFESSIONNELLES

Les métiers de l'information et de la documentation se sont progressivement développés soit autour des documents, de leur gestion, de leur exploitation et de leur mise en circulation, soit autour des contenus plus immatériels de ces documents, c'est à dire l'information, sa diffusion et son intégration aux processus de travail et de décision.

Les bibliothèques et les divers systèmes documentaires traditionnels sont fondés sur des pratiques de constitution, de conservation, d'exploitation et de diffusion de collections de livres ou de revues et sur la création d'une documentation d'accompagnement (les références des documents conservés). L'émergence des nouvelles technologies de l'information conduit à une transformation profonde des pratiques de gestion de ces stocks de documents. Les fichiers manuels des bibliothèques se transforment en fichiers informatisés, en bases de données accessibles en ligne (ou disponibles sur CD-ROM). La digitalisation et la gestion électronique des documents amènent à une véritable ingénierie documentaire qui permet de mieux traiter et d'exploiter les grandes masses de documents, de toutes natures, qui circulent dans l'entreprise ou qui constituent son patrimoine.

Côté information (au delà du document), le besoin d'être tenu correctement informé a toujours été une nécessité vitale des gouvernements, des administrations, des entreprises ou des hommes de science. Si le renseignement reste fondamentalement un art discret mais traditionnel, on assiste aujourd'hui à l'émergence de nouvelles pratiques professionnelles intitulées, selon les contextes, veille stratégique, veille technologique, veille concurrentielle ou encore intelligence économique. L'appel à des courtiers en information se développe pour assurer certaines quêtes d'information utile. Les réseaux électroniques et Internet facilitent les transferts d'information au niveau de la planète et rendent possibles de fertiles interactions entre les divers acteurs de la société. De même met-on en place de puissants dispositifs d'échanges de données informatisées (EDI) ou préconise-t-on encore le développement du "group-ware" comme nouvelle méthode de travail basée sur le partage de l'information. Ces pratiques se focalisent sur l'exploitation des contenus d'information à des fins de travail collectif ou de décision. Elles requièrent le maniement d'outils, de logiciels et de procédures de plus en plus sophistiqués.

L'information, la documentation et les métiers correspondants vont inéluctablement se développer et se diversifier dans l'avenir sur tout un vaste espace en expansion, allant de la gestion du document à l'intelligence de l'information. Ils se développeront selon un large éventail de démarches privilégiant soit des processus d'accumulation (de supports ou de contenus), soit des préoccupations de quête ou d'échange de contenus informationnels. Dans la nouvelle société de l'information, les approches du management de l'information et de la documentation se diversifieront mais pourront aussi s'articuler autour de grandes préoccupations (la veille et l'intelligence économique, la gestion des patrimoines documentaires internes, la circulation de l'information décisionnelle,...). Il devient donc essentiel d'être bien présent sur l'ensemble de ces marchés professionnels, traditionnels ou plus récents et de savoir comprendre les nouvelles frontières du champ de "l'information-documentation".


UN AUTRE MANAGEMENT DE L'INFORMATION

Un nouveau management global et intégré de l'information, au service des entreprises, des individus et de la société: telle est la problématique générale autour de laquelle se développe aujourd'hui la réflexion prospective. Cela se traduit par l'affirmation de différentes exigences qui doivent être prises en compte par le professionnel de l'information et de la documentation:

- savoir et pouvoir maîtriser l'information de veille, de découverte, d'invention et d'ouverture sur le monde; rendre possible la navigation efficace mais créative et sélective dans le "cyber-espace";

- savoir et pouvoir développer et exploiter l'information utile, l'information de référence, celle qui accompagne et rend possible l'activité quotidienne des individus et des entreprises;

- valoriser l'information auto-produite par les organisations, l'information à caractère patrimonial et les vastes gisements documentaires longtemps restés en jachère ou en hibernation;

- tenir compte désormais de l'information vivante, de l'information de communication, de l'information à courte durée de vie dont les réseaux et les messageries électroniques largement ouverts amplifient brutalement la croissance .

En termes de champs de préoccupations couverts, cette problématique d'un nouveau management global et intégré de l'information se traduit par une riche diversité de produits, de services et de pratiques pratiques professionnelles allant des traditionnelles bases et banques de données accessibles en ligne aux produits sur CD-ROM et autres produits multimédias, en passant par la gestion électronique de documents, par la circulation de l'information vivante sur Internet ou autres réseaux électroniques ou encore par l'intelligence économique et les différentes démarches de veille informative.

Il faut désormais se préoccuper non seulement d'information bibliographique ou de documentation scientifique et technique traditionnelle, mais prendre aussi en considération de nouveaux champs de management de l'information, de l'information médicale à l'information géographique, de la donnée statistique à la donnée graphique ou sonore, de l'information structurée à l'information informelle, de l'information d'actualité à l'information patrimoniale.

Outre l'élargissement du cadre de référence, le nouveau mangement de l'information doit aujourd'hui s'attaquer à différentes questions fondamentales pour un développement satisfaisant de la société de l'information: qualité des produits et services, sécurité et fiabilité des réseaux et des outils, maîtrise des coûts, formation des acteurs, accompagnement juridique, aspects linguistiques et culturels, changements socio-professionnels et organisationels, et bien d'autres encore.


UNE PROFESSION QUI SE DIVERSIFIE ET SE COMPLEXIFIE

La profession, qui a déjà connu de grandes évolutions au cours des vingt dernières années, est aujourd'hui en pleine mutation. Le traditionnel métier de documentaliste se complexifie. De nouveaux métiers et de nouveaux marchés professionnels apparaissent (veille technologique, intelligence économique, documentation technique interne d'entreprise, navigation sur réseaux électroniques, concepteur de produits multimédias, experts en bibliométrie, etc.). De nouvelles formes d'exercice de la profession se développent (dont certaines liées à l'externalisation inéluctable des fonctions de documentation). En d'autres terme, on observe une forte tendance à la diversification, mais aussi l'émergence d'un sentiment de brouillage de pistes. Le besoin de clarification se fait sentir mais avec le souci de rendre possibles et accessibles les nouvelles opportunités professionnelles.

Ce qui est vrai de la diversification en termes de métiers ou de filières de métiers existe aussi en matière de diversité d'origines et de parcours professionnels. La profession accueille des personnes avec des niveaux de formation les plus variés (sans formation supérieure, avec des diplômes de techniciens, avec des diplômes d'enseignement supérieur long, avec des doubles qualifications, etc.). Des documentalistes ayant des diplômes professionnels spécifiques co-existent dans la profession avec des ingénieurs, des juristes, des médecins qui sont amenés à travailler dans le management de l'information et y acquièrent sur le tas une expérience professionnelle. Les responsabilités confiées aux professionnels varient selon ces différents parcours, souvent de façon trop incertaine. L'enquête faite récemment par l'ADBS auprès de 3.000 professionnels a parfaitement montré cette large diversité de situations et la réelle hétérogénéité de la profession.

En outre, les séjours dans la profession sont de durées les plus variables. Pour certains, il est possible de faire carrière dans la profession, pour d'autres, il ne s'agit que d'une étape avant de passer à d'autres responsabilités. Que signifie donc aujourd'hui et surtout demain la notion de gestion de carrière en documentation?

Parallèlement les techniques et les méthodes de la documentation ont progressé de façon spectaculaire au cours des vingt dernières années. Cela conduit à nouveau à d'importantes différenciations en termes de compétences professionnelles; de jeunes professionnels récemment diplômés à des niveaux intermédiaires (techniciens supérieurs) sont désormais infiniment plus experts dans certaines techniques informatiques ou documentaires par exemple que de plus anciens diplômés à des niveaux supérieurs, exerçant des responsabilités d'encadrement mais n'ayant pas actualisé leurs connaissances.

Dès lors, la question fondamentale qui se pose est de savoir comment gérer une telle diversité. Comment faire progresser globalement l'ensemble de la profession, le "stock" ou "parc" de professionnels en exercice, tout en respectant les situations spécifiques? Comment apporter des réponses aux légitimes questions de progression de carrière et d'amélioration continue des qualifications et compétences?

Comment, dans le même temps, aider les instituts et autres écoles de formation professionnelle qui aliment le marché en flux de nouveaux spécialistes diplômés à déterminer les meilleurs axes de positionnement de leurs projets éducatifs? Quels segments de marché viser? Quels niveaux et caractéristiques de compétences choisir? Quelles exigences nouvelles imposer? Quels termes viser: embauche premier poste, aptitude à la mobilité vers le deuxième poste, qualifications et compétences pour toute la carrière?

La démarche prospective est bien une nécessité pour l'ensemble de la profession, quel que soit le point de vue duquel on se place.


UN PROFESSIONNEL AU CENTRE DES PREOCCUPATIONS DE L'ENTREPRISE

Le professionnel de l'information ou de la documentation ne sera-il dans l'avenir qu'un simple technicien, spécialiste de la mise en oeuvre d'arides ou besogneuses techniques documentaires? Ne pourra-t-il pas contribuer tout autant à des missions ou finalités plus stratégiques, à savoir celles de l'entreprise ou de l'institution dans lequel il travaille, mobilisant des ressources multiples dont la plus grande part d'entre elles n'ont rien à voir avec telle ou telle technique documentaire?

On peut percevoir depuis quelque temps une nette évolution de la fonction information-documentation dans l'entreprise et dans les organisations. C'est autour de la notion de management que se cristallise le plus cette évolution, même si les mutations technologiques jouent aussi un rôle moteur important. Le documentaliste devient un acteur à part entière du management de l'entreprise, en même temps qu'il devient plus conscient de son rôle nouveau de manager de sa propre "boutique" documentaire.

L'information spécialisée ou encore professionnelle est devenue une ressource-clé du développement des entreprises, une composante essentielle de la compétitivité. Il faut pouvoir à tous moments surveiller la concurrence et ses produits, connaître les évolutions des environnements économiques, technologiques ou politiques, maîtriser des données juridiques, réglementaires ou normatives, apprécier les comportements des hommes face aux produits, etc...

La documentation dans cette perspective assume plusieurs missions. Elle est fondamentalement une ouverture sur le monde, elle est la clé du système de veille informative ou d'écoute de l'environnement. Elle est la base même de la prospective et la ressource par excellence de l'anticipation des évolutions à venir. Mais elle est en même temps ouverture sur le monde interne de l'entreprise, assurant par là-même une fluidité des échanges d'information. La documentation est aussi le support logistique des activités quotidiennes de l'entreprise et se transforme continuellement en aide à la décision. La documentation devient alors une "document-action". Par ailleurs, elle contribue largement à la stimulation de la culture de l'entreprise et peut constituer un ferment de développement d'une culture générale professionnelle, en relation avec les politiques de formation ou de ressources humaines. Elle contribue largement à consolider la mémoire de l'entreprise, souvent mise en péril par les transformations de l'institution. La documentation peut aussi devenir méthodologie et les documentalistes se transformer en experts ou conseillers au sein de l'entreprise pour orienter vers les meilleurs choix de données, d'informations ou d'outils de traitement de celles-ci.

De façon assez générale, on voit bien le lien fertile qui peut exister entre information-documentation d'une part et qualité, développement personnel, décision, innovation technique et communication d'autre part. C'est dire toutes les dimensions entrepreneuriales et managériales des activités du secteur de l'information et de la documentation. Et n'oublions pas non plus les démarches plus récentes de création de produits ou services à haute valeur ajoutée qui témoignent d'un besoin de dépasser la stricte manipulation technique ou combinatoire des documents pour privilégier la gestion intelligente des contenus des informations à transférer.

La documentation, c'est aussi un assemblage permanent et renouvelé de ressources les plus diverses. En tant que manager-gestionnaire de ces diverses ressources, le documentaliste doit définir ses objectifs, sa stratégie et ses missions. Il doit concevoir et réaliser des produits adaptés aux besoins identifiés, compatibles avec les missions assignées et cela dans la meilleure économie de moyens possible. Il doit bien sûr penser au marketing des produits et services offerts et assurer la promotion du centre de documentation. La gestion proprement dite des moyens est, en soi, une préoccupation majeure du professionnel de l'information et de la documentation. Il doit aussi se préoccuper de la qualité des produits et services offerts, de la détermination de la meilleure adéquation entre services rendus et énergie consommée. Il lui faut encore se préoccuper d'analyse de la valeur, d'analyse de système, de gestion de la qualité, d'innovation, de créativité et de recherche de compétitivité.


DES CONCEPTS A PROMOUVOIR ET DES VALEURS A DEFENDRE

Le professionnel de l'information et de la documentation, s'il est aujourd'hui dans "l'oeil du cyclone" de la nouvelle société de l'information, ne doit pas pour autant rester impuissant dans la tourmente. Il a des idées à promouvoir, des atouts à faire valoir et des valeurs à défendre. La situation aujourd'hui lui est relativement favorable pour peu qu'il en ait bien conscience.

Sa position privilégiée de médiateur dans les transferts d'informations et de connaissances ne peut que se renforcer dans la nouvelle société de l'information. Le besoin d'intermédiation sera de plus en plus évident alors que tout un chacun pourra accèder aisément à de vastes et multiples sources ou réservoirs d'information. Le problème pour le professionnel ne sera plus de permettre l'accès besogneux à la rareté, mais bien d'assurer une orientation vers la pertinence et l'excellence dans le contexte d'une information surabondante. La sélection des sources de qualité pour mieux répondre aux besoins de la clientèle deviendra une mission essentielle du professionnel de l'information et de la documentation. Mais cette intermédiation intelligente n'est pas aisée à réaliser et demande des compétences différentes de celles qui prévalent aujourd'hui.

Au delà de l'intermédiation, c'est aussi l'aptitude à l'intégration de l'information pertinente dans les processus de décision et d'action de l'entreprise qu'il faut désormais rechercher. L'information n'a pas de valeur intrinsèque. Elle n'a pas de valeur objective, en dépit du fait qu'elle peut avoir un coût de production (mais de plus en plus en chute libre du fait du recours aux nouvelle stechnologies). L'information n'a donc d'intérêt que si elle sert (mais en même temps, elle ne s'use pas quand on s'en sert,... d'où le paradoxe de son économie difficile à asseoir). C'est donc à travers une démarche d'intégration de l'information aux processus de développement de l'entreprise que doit se fonder la compétence du professionnel. Il lui faut penser et agir avec le souci de la valeur ajoutée ou, plus exactement de la valeur intégrée. C'est dans ce sens, par exemple, que se développe aujourd'hui le courant dit de l'intelligence économique.

La profession de l'information et de la documentation a ceci de caractéristique qu'elle doit se préoccuper de deux choses à la fois: des supports et des contenus, des documents et du sens. Mais ces deux dimensions ne sont que les deux faces d'une même médaille et l'une ne peut pas aller sans l'autre. Cela signifie que la profession doit développer son marché sur un vaste continuum d'interventions allant de la gestion efficace des supports à la maîtrise intelligente des contenus informatifs véhiculés ou encore pour simplifier allant de la conservation des livres ou de la gestion électronique des documents à l'intelligence économique ou à le veille informative. La profession n'est plus réductible à un commun dénominateur, simple, fondant sa légitimité dans la maîtrise de quelques bonnes régles classiques de catalogage ou dans la manipulation experte de quincailleries informatiques universellement répandues. Il faut désormais raisonner en termes de différenciation fonctionnelle multidimensionnelle et donc de richesse d'interventions potentielles, avec autant de compétences spécifiques à développer.

Si enfin le professionnel médiateur a bien un rôle à jouer dans la société de l'information de demain, ce rôle ne sera pas limité à celui de simple opérateur technique. Du reste des machines (plus ou moins intelligentes) peuvent le remplacer facilement dans ce rôle. Une composante importante de son action professionnelle réside dans le développement d'une véritable culture de l'information au sein de son entreprise ou organisation. D'une certaine façon, le professionnel de l'information doit aussi devenir éducateur. Il doit aider son environnement (sa clientèle spécifique comme les hommes et les structures de l'entreprise) à mieux maîtriser les évolutions du nouveau management de l'information. Cette nouvelle culture de l'information à développer peut conduire le professionnel à se préoccuper très sérieusement d'aspects éthiques et juridiques et à faire partager ses analyses ou ses valeurs à ceux bénéficient de ses services. L'information n'est pas une marchandise banale, elle n'est pas réductible à de strictes séries de bits informatiques dont la circulation ne serait que l'objet de marchandages économiques. L'information est sens pour la société, elle est intrinséquement liée au développement de la société et à ce titre l'intervention du professionnel ne peut faire l'impasse sur l'affirmation de certaines valeurs humaines et sociales. Les débats actuels sur la future société de l'information mettent en relief les enjeux de démocratie et de développement des potentialités des individus et des groupes; le professionnel de l'information et de la documentation ne peut pas rester à l'écart de ses débats au nom d'une stricte vision économique et fonctionnelle de son rôle. Et c'est sur ce terrain là qu'il aura peut-être le plus à apporter à la société, en même temps que c'est peut être là qu'il est le plus mal armé pour agir.


Démarche prospective, responsable et volontaire: pour l'ADBS le temps est venu de décider de son avenir, comme est venu le temps, pour la profession, de savoir et de vouloir ses orientations pour les prochaines années.