L'exigence d'un professionnalisme moderne

JM 268

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Communication au séminaire INFODOCROM 95, Bucarest, 26 septembre 1995

 C'est en tant que Président de "L'Association des Professionnels de l'Information et de la Documentation" (ADBS), qui regroupe en France et dans plusieurs pays européens plus de 5.000 spécialistes du management de l'information et de la documentation, mais aussi en tant que co-concepteur et co-organisateur du Séminaire INFODOCROM 95 que je souhaite m'adresser à vous ce matin et vous dire toute le plaisir que j'ai d'être parmi vous.

 Je tiens, en tout premier lieu, à vous transmettre les meilleurs voeux de succès pour ce séminaire de la part de la communauté des professionnels français et francophones de l'information qui suivent avec attention et grand intérêt le développement de vos actions. Les liens qui unissent traditionnellement la France et la Roumanie sont particulièrement importants pour le domaine qui est le nôtre - le management de l'information et de la documentation -  et je peux vous assurer que nous saurons trouver, grâce à cette remarquable compréhension intime et à ce grand respect mutuel, les voies d'une coopération fructueuse pour nos deux pays.

 Surtout, je souhaite vous féliciter pour l'entreprise que vous menez, courageusement. Bravo d'avoir décidé, conçu et mis sur pied ce séminaire INFODOCROM 95, le premier séminaire national organisé par votre toute jeune Société Roumaine de l'Information et de la Documentation. Ayant eu le bonheur de participer très étroitement à la naissance et au développement de votre Société, mais ayant aussi suivi de près le travail accompli pendant les derniers mois pour mettre sur pied ce séminaire, je connais parfaitement l'importance du chemin parcouru et des efforts déployés. Il me revient tout naturellement le devoir de le faire savoir à l'ensemble des collègues professionnels roumains et étrangers. Je suis aujourd'hui vraiment  très enthousiaste à l'idée de participer à un mouvement qui, j'en suis sûr, va prendre son essor et une réelle signification dans les prochains mois et les prochaines années. 

 D'entrée de jeu, je tiens à affirmer l'importance et le rôle déterminant de nos associations, la Société Roumaine de l'Information et de la Documentation et L'Association des Professionnels de l'Information et de la Documentation, dans le développement des compétences professionnelles alors qu'émerge une nouvelle et véritable société de l'information. Le mouvement associatif moderne, fondé sur une exigence de compétence sans compromis, est une clé de succès d'une société juste et soucieuse de progrès. C'est pour cela, qu'en tant que Président de l'ADBS, association professionnelle qui atteint aujourd'hui sa 33ème année d'existence, je veux vous assurer de notre soutien le plus déterminé.

 De même, en tant qu'administrateur de la FID - Fédération Internationale d'Information et de Documentation -, représentant au Conseil de la FID les membres institutionnels, je peux vous témoigner de l'intérêt porté par la communauté internationale aux progrès de votre Société Roumaine de l'Information et de la Documentation. Les travaux que vous réaliserez trouveront un juste écho dans les publications de la Fédération et plus largement auprès des instances internationales préoccupées par le développement d'un nouveau management de l'information et dela documentation. 

 Au plan européen, l'ADBS soutiendra, dès que cela sera possible, la candidature de votre Société à l'entrée dans l'ECIA, l'European Council of Information Asssociations, qui regroupe aujourd'hui sept grandes associations nationales de professionnels de l'information et de la documentation, représentants quelques 12.000 spécialistes européens du domaine.

 Dans le cadre des programmes d'action que nous pourrions développer ensemble dans un proche avenir, je voudrais insister dès à présent sur la nécessité et l'urgence d'assurer le développement des compétences professionnelles, par le biais de stages ou séminaires de formation continue, et de mettre sur pied des dispositions permettant de valider et de certifier ces compétences professionnelles. Madame Edith Cresson, Commissaire européen en charge des affaires de formation, a récemment insisté sur cette priorité et a renvoyé très explicitement aux organisations professionnelles représentatives la responsabilité de mettre sur pied de tels dispositifs de validation des compétences. L'ADBS s'est engagée depuis deux à trois ans sur cette voie en créant sa propre procédure de certification et étudie, avec les autres associations membres de l'ECIA, la possibilité d'élargir celle-ci au plan européen. Il est évident qu'il y a là un terrain privilégié de coopération entre l'ADBS et la Société Roumaine de l'Information et de la Documentation.

 Mais venons en maintenant à la problématique et aux thèmes de ce séminaire INFODOCROM 95. Ayant proposé en février 1995 à Madame Doina BANCIU, Présidente de votre Société, l'idée d'un tel séminaire et ayant travaillé, avec elle, à la conception de la thématique à retenir, j'aimerais donné quelques clés de cadrage ou d'interprétation de ce qui sera discuté au cours des deux journées.

 On parle aujourd'hui et de plus en plus, dans les grands médias comme dans les cercles spécialisés, d'émergence d'une société de l'information. Les rapports se multiplient sur le nécessaire développement des infrastructures ou autoroutes de l'information. Le multimédia, Internet, les CD-ROM,... les changements s'accèlèrent dans le domaine de l'information sans qu'on sache vraiment où vraiment ils vont nous entraîner. Pour bien comprendre ce qui est en cause aujourd'hui et pour éviter les pièges d'une réduction de la problématique à sa seule dimension technologique, il peut être nécessaire de faire un petit travail d'analyse sémantique historique et comparative.

 Dans les années 1980, en France et dans de nombreux autres pays, on parlait couramment d'informatisation de la société. Cela voulait dire que l'ordinateur devait entrer partout, dans les lieux de travail, dans les écoles comme dans les foyers. Les responsables politiques mettaient sur pied des programmes nationaux pour assurer au plus vite cette informatisation de la société, tout en pensant aux mécanismes de régulation à mettre sur pied pour éviter certains risques de dérapage (loi Informatique et Liberté, en France).

 A quelques années de la fin du deuxième millénaire, on parle intensément de société de l'information, mais non plus d'informatisation de la société. Le changement de sens est fondamental et il est crucial aujourd'hui de bien comprendre la différence entre informatisation de la société et société de l'information. Sans nier l'importance et le rôle déterminant des nouvelles technologies (les réseaux électroniques, les outils multimédias), c'est de toute autre chose dont il est maintenant question et on le voit bien avec le phénomène Internet dont le succès n'est pas lié à une technologie "hard", mais surtout à un protocole de communication qui rend possibles l'interconnexion électronique des personnes et des institutions et l'échange élargi des idées, des savoirs et des savoir-faire.

 C'est véritablement la création d'un nouvel espace social, socio-économique, socio-culturel, socio-politique qui est sous-jacent à l'émergence de la nouvelle société de l'information . Ce nouvel espace social, planétaire, se caractérise par une interconnexion très forte entre les différentes parties de la société, entre les différents acteurs qui la constituent. Et le vecteur essentiel qui donne du sens à cette interconnexion, c'est l'information. C'est l'information dont l'accès devient universel et dont l'usage se généralise. C'est aussi l'information, valeur de progrès culturel, scientifique, économique et ferment de développement social. Mais ce peut être aussi l'information qui risque de créer de nouvelles inégalités entre ceux qui la détiennent ou y accèdent facilement et ceux qui en sont démunis. La société de l'information que l'on souhaite voir se développer doit être une société de mobilisation de l'intelligence tant individuelle que collective. C'est fondamentalement une société ouverte, qui fait perdre beaucoup de son importance aux cloisonnements mesquins. C'est une société de l'interdépendance fertile permettant de résoudre les problèmes que l'isolement des acteurs et les replis frileux sur soi-même ne permettent pas de résoudre.

 Dans cette perspective, les associations professionnelles telles que l'ADBS ou la Société Roumaine d'Information et de Documentation sont fortement interpelées par les transformations en cours. Elles doivent jouer un rôle moteur dans le développement d'une telle société ouverte de l'information. Nos associations doivent contribuer à cette interconnexion des connaissances, des compétences et des valeurs. En outre, par la nature même de leur préoccupation, le management efficace de l'information et la documentation, elles seront au coeur de la réflexion sur les nouvelles médiations professionnelles à inventer et à assurer face à une circulation généralisée et "immédiate" de l'information.   

 D'où l'importance et l'actualité du thème général de ce séminaire INFODOCROM 95: "l'information et la documentation - un impératif pour une société en transition". Société en transition: bien sûr on pense immédiatement à la situation spécifique de la Roumanie qui vit aujourd'hui une période de transition, certes difficile mais réelle. A la question "en transition vers quoi?", on serait tenté de répondre "en transition vers plus d'ouverture, vers plus d'interconnexion, vers plus de synergie entre les différentes ressources de la société". Plus que dans d'autres pays, l'importance de l'information et de la documentation comme valeur de progrès et comme facteur de développement social et économique doit être affirmée comme une priorité. Le pari à faire aujourd'hui quand on tente de scruter l'avenir, c'est bien celui de l'investissement résolu dans le domaine de l'information et de la documentation.

 Cette vision de l'importance de l'information pour la société d'aujourd'hui et surtout de demain conduit à mettre en relief quatre grandes préoccupations qui vont servir de trame au déroulement des travaux du séminaire INFODOCROM 95.

 C'est d'abord la nécessité de définir une politique claire et pertinente pour le développement de la société de l'information en Roumanie. Il est essentiel que s'exprime une volonté nationale forte, que soient faits des choix rigoureux, tant en ce qui concerne les infrastructures à créer, les produits et services à promouvoir, les compétences à développer que les mentalités à faire évoluer. C'est le sens des préconisations et des actions faites par la Commission Européenne et c'est de même dans cette perspective politique et stratégique que ce sont exprimés fortement différents gouvernements au cours des derniers mois.

 La deuxième préoccupation concerne le développement des nouvelles technologies de l'information. C'est fondamental. Il faut  pouvoir installer, à différents niveaux, des réseaux électroniques de qualité, de même qu'il convient d'assurer le meilleur équipement possible en ordinateurs dans les entreprises et les administrations, dans les universités et les écoles et dans les familles. Mais les "tuyaux" ne sont pas tout et il faut se préoccuper tout autant de l'offre en produits et services (les contenus d'information) qui devra exister sur les réseaux. Il faut rendre électroniquement accessible, aussi rapidement que possible, nombre de bases de données développées en Roumanie. Et il faut encore se préoccuper des conditions qui permettront un développement juste, équilibré de cette société de l'information et donc traiter des questions d'ordre économique, juridique et éthique.

 En troisième lieu, on doit s'interroger sur le sens même de ce que représente aujourd'hui le management de l'information et de la documentation pour l'entreprise. Il faut favoriser l'intégration de l'information dans les processus décisionnels, assurer un usage aussi performant que possible de l'information dans les diverses activités scientifiques, techniques, économiques, sociales  ou culturelles. L'information n'a pas de valeur en soi, elle n'existe pas en dehors de l'usage qui en est fait par chacun à un moment donné. L'information n'a de sens que si l'on s'en sert. C'est donc bien une réflexion autour des usages modernes de l'information qu'il convient de développer. Cela conduit du reste à évoquer la nécessité de développer de véritables campagnes de sensibilisations au management de l'information et à développer une véritable culture de l'information dans nos diverses sociétés.

 Enfin, cette nouvelle société de l'information rendra plus indispensable que jamais l'existence de professionnels qualifiés, assurant les nécessaires missions d'intermédiation entre les acteurs produisant et utilisant de l'information. Les problèmes de qualification et de compétence professionnelles des nouveaux médiateurs de l'information deviennent cruciaux et concernent tant la formation initiale des futurs spécialistes que la formation continue des professionnels en exercice. A cet égard, les associations professionnelles ont et auront un rôle déterminant à jouer dans le futur dans le développement des nouvelles qualifications requises comme dans la validation des compétences réelles. La coopération internationale entre associations professionnelles devrait stimuler les échanges de savoir-faire et contribuer à accélérer les mises à niveau qu'exige la nouvelle société de l'information.

 En conclusion, je voudrais vous dire ma conviction que nous avons tous aujourd'hui le devoir de contribuer à la transformation de nos diverses sociétés et plus encore, nous, les professionnels de l'information et de la documentation placés, aujourd'hui, dans l'oeil d'un véritable cyclone. Nous devons désormais être des acteurs à part entière des mutations de nos sociétés qui, toutes, sont à considérer comme des sociétés en transition. C'est un défi important qui nous est lancé et auquel nous devrons répondre par une coopération internationale confiante et soutenue.

 Je vous souhaite de fructueux échanges lors de ce séminaire INFODOCROM 95 et vous remercie de votre attention.