INTERNET à l'Ecole nationale des ponts et chaussées : une révolution culturelle au sein d'une institution traditionnelle

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Communication à la journée d'étude ADBS, Rennes, 10 avril 1996

            INTERNET ne laisse aucune organisation indifférente. Le phénomène n'épargne personne, pas même les très anciennes et illustres grandes écoles d'ingénieurs comme l'Ecole nationale des ponts et chaussées qui, au cours de sa longue histoire (sa création remonte à 1747), a pourtant connu nombre de révolutions politiques, sociales, économiques, scientifiques ou techniques.

            INTERNET remet en question les fondements de l'action de formation. Il conduit à s'interroger sur les nouvelles formes de transfert de données, d'information et  de savoir dans la société actuelle. Mais les habitudes de pensée, les dispositifs en place, les référents traditionnels sont autant de freins qui empêchent d'imaginer des approches vraiment originales de la formation des ingénieurs, de la recherche et de la diffusion de l'information spécialisée.

            Au cours des trois dernières années, l'Ecole nationale des ponts et chaussées (ENPC) s'est d'abord efforcée de suivre le mouvement et de retenir, pragmatiquement, un certain nombre de solutions. Récemment, une réflexion plus approfondie a pu être développée, et cela de façon collective en même temps que des décisions majeures ont pu être prises pour aider à la généralisation de l'usage d'INTERNET dans l'institution.

            La présente communication vise à témoigner de cette évolution. Elle cherche à mettre en relief de nouvelles pratiques individuelles et collectives et à montrer comment a pu émerger un besoin de décision stratégique collective autour d'INTERNET.

 

1 - DE LA DECOUVERTE INDIVIDUELLE A LA DECISION COLLECTIVE

            Si très vite, à travers sa propre pratique individuelle d'INTERNET, il est possible de se faire une opinion sur les potentialités de l'outil et si l'on prend rapidement de plus en plus de plaisir à naviguer sur le réseau, il faut bien se rendre compte que cette passion personnelle n'est pas forcément partagée par l'ensemble des collègues de l'institution. Comment parvient-on donc à faire prendre conscience de la nécessité d'un changement en profondeur et comment décide-t-on d'un plan d'action autour d'INTERNET?

1-1. L'état initial des lieux: de rares connexions et des pratiques assez frustres

            Comme tout établissement d'enseignement supérieur, l'Ecole nationale des ponts et chaussées était forcément prédisposée à s'intéresser à INTERNET, ou du moins certains de ses enseignants ou de ses chercheurs étaient en mesure, dès la fin des années 80 de se connecter à des réseaux d'ordinateurs. Les pionniers, en la matière, ont été à l'évidence certains centres de recherche, soit orientés sur des thématiques informatiques, soit fortement ouverts sur des réseaux internationaux. La connexion de l'Ecole à INTERNET s'est faite via l'INRIA et RENATER et progressivement une à deux dizaines de chercheurs ont commencé à utiliser INTERNET (de façon malgré tout très rudimentaire, à l'exception de quelques rares personnes ayant de longue date un usage professionnel de l'outil). Il est intéressant de noter que ces connexions sont restées longtemps ignorées de la direction de l'Ecole et qu'aucune décision formelle n'avait été prise en la matière (la chose se pratiquait en catimini, sans grande publicité dans la maison). Très vite, malgré tout, a été perçu un nouveau besoin émanant des étudiants et de jeunes chercheurs, commençant à réclamer de légitimes et suffisantes connexions à INTERNET (mais le débit de ligne retenu alors par la direction informatique de l'Ecole n'autorisait pas un tel usage systématisé).

            Le rôle joué par l'auteur de ces lignes dans les années 92-93 a consisté à alerter systématiquement la direction de l'Ecole sur ce qui était en train de se passer un peu partout dans le monde (dans les autres universités techniques étrangères notamment). Il a fallu aussi faire un état des lieux au sein de la maison et surtout parvenir à convaincre la direction informatique que l'affaire devait être sérieusement étudiée (c'est à dire comme relevant d'une approche managériale et stratégique).

            Le fait d'avoir été retenu dans un projet européen de création d'un cours électronique (programme EDUCATE) a permis de forcer la main des experts informaticiens et d'obtenir que l'on s'intéresse désormais à INTERNET autrement que sous la traditionnelle approche informaticienne.

1-2. Une action-choc et l'émergence d'une prise de conscience

            Afin de connaître l'état des usages d'INTERNET et les besoins au sein de l'Ecole nationale des ponts et chaussées, et pour en finir avec les sempiternelles remarques en Comité de direction sur l'effet de mode d'INTERNET, il est apparu évident qu'il fallait écouter la base et donc de conduire une enquête auprès des personnels et enseignants d'ores et déjà connectés. Au milieu du mois d'avril 1994, près d'une centaine de personnes reçoivent en quelques secondes,  le texte d'une enquête électronique sur leurs ordinateurs. Comprenant une quinzaine de questions, simples à répondre, cette enquête est lancée depuis un ordinateur personnel MacIntosh (non sans créer quelques problèmes sur le réseau en interne). Quelques heures plus tard, les premières réponses arrivent; au bout de deux à trois jours, une trentaine de réponses détaillées permettent d'établir une première synthèse, d'en communiquer la teneur lors d'une réunion du Comité de direction (une semaine plus tard) et de diffuser, électroniquement, les premiers résultats aux personnes ayant répondu. Naturellement les personnes non connectées n'ont pas pu se prononcer (ce qui était le cas de quasiment l'ensemble des membres du Comité de direction): une version papier a toutefois été largement diffusée (et a semble-t-il largement circulé dans les services et départements).

            Cette action, sauvage (non décidée institutionnellement), a eu un certain effet au sein de l'Ecole. Elle a notamment permis l'expression d'un besoin d'une approche collective forte pour permettre à l'établissement de bien s'approprier INTERNET. Elle a fait surgir un ensemble de préoccupations notamment en matière d'équipement et de formation pour pouvoir utiliser efficacement l'outil. Elle a encore été perçue comme le premier signe d'une mutation à venir. L'enquête a fait ressortir l'extrême hétérogénéité des pratiques individuelles, avec surtout une faible connaissance (y compris de la part des plus avertis) de l'ensemble des fonctionnalités d'INTERNET (ainsi des spécialistes - informaticiens - ne connaissaient que le système des "news" et ignoraient tout des listes de diffusion, des revues électroniques ou d'autres services disponibles sur le réseau). Et globalement était mis en avant le paradoxe d'un établissement généralement considéré comme prestigieux, mais incapable de mettre en oeuvre une politique volontariste en matière d'accès aux réseaux électroniques.

 

2 - UNE DECISION INSTITUTIONNELLE, UN TRAVAIL COLLECTIF

            Ayant pris connaissance des résultats de l'enquête, le Comité de direction approuve en juin 1994, l'idée de constituer un groupe ad-hoc devant lui transmettre, sous trois mois, un ensemble de propositions pour tenir compte du développement d'INTERNET. Ce groupe de travail animé par l'auteur de la communication était constitué de représentants des différentes directions, des centres de recherche et départements d'enseignement; la direction de l'informatique y participe, mais n'en assure pas l'animation.

            Le groupe de travail, réuni avant et après l'été 94, présente ses propositions au Comité de direction au début d'octobre 1994.  Il s'est efforcé de proposer des mesures à court terme que l'Ecole pouvait facilement adopter, les décisions à long terme devant être examinées en relation avec le développement du projet de déménagement de l'établissement à Marne la Vallée (Cité Descartes) et en cernant mieux les conséquences budgétaires des choix.

2-1. Systématiser l'usage de la messagerie électronique

            Compte tenu du caractère reconnu inéluctable du développement de la messagerie électronique INTERNET, notamment dans les milieux académiques et scientifiques français et étrangers, il a été décidé d'institutionnaliser ce mode de communication, tant pour des usages internes que pour les relations d'échange et de travail avec les partenaires extérieurs. La messagerie INTERNET devient ainsi la messagerie officielle de l'ENPC: plus question de s'exciter sur un réseau informatique propriétaire fermé.

            Cette mesure doit prendre en considération la nécessité de prévoir les mesures de gestion et notamment de police de cette messagerie (attribution et répertoire des adresses, sécurité du dispositif, fiabilité de fonctionnement, codes de bonne conduite,...).

            Il est décidé d'installer assez vite les équipements et connexions nécessaires là où ils n'existent pas encore, ainsi qu'une éventuelle augmentation des capacités des lignes et des réseaux (à étudier en fonction de l'évolution des besoins). Ne laisser personne sans connexion.

            Aujourd'hui (avril 1996), tous les personnels (administratifs, enseignants, chercheurs) de l'Ecole ont une connexion INTERNET et une adresse électronique. Les étudiants sont de même connectés avec des conditions à respecter. Pour rendre plus efficace l'usage de la messagerie électronique, on s'est efforcé d'enrichir l'information des personnes,de les sensibiliser et de les former. Diverses actions de formation ont été inscrites dans le plan de formation de l'Ecole dès la fin de 1994 et en 1995 et continueront à l'être dans le futur.

            Par ailleurs, de façon à rendre quasiment obligatoire l'usage de la messagerie électronique, le Directeur de l'Ecole a retenu le principe de ne plus faire diffuser les comptes rendus des réunions du Comité de direction (comme les convocations et agendas) que par voie électronique et à limiter désormais au strict minimum les diffusions de notes sous forme papier. A noter que cette mesure a pu faire réagir certains chefs de départements récalcitrants (n'ayant jamais touché à un ordinateur ou ne voulant pas se substituer à leur secrétaire), mais la position de la direction a été ferme tout en pensant à organiser les nécessaires mesures d'accompagnement (formation, équipement,...).  

2-2. Stimuler les échanges d'information et les discussions en interne

            On a ensuite cherché à encourager, dans le cadre de cette messagerie, l'usage des groupes de "news" créés au sein de l'Ecole (groupes ENPC). Des actions d'information vont être faites pour faire connaître ces groupes internes de discussion.

            Des listes internes de diffusion électronique (gérées par des logiciels de type LISTSERV) ont été également lancées. L'une d'entre elle vise à aider les personnels dans leur approche de la messagerie électronique, alors qu'une autre a pour objectif de stimuler des échanges sur les conséquences d'INTERNET sur la formation à l'ENPC. Dans le même temps, des listes externes ont été proposées; l'une d'entre elles, FIDEL, cherche à diffuser de l'information sur les expériences originales d'utilisation d'INTERNET dans les Ecoles d'ingénieurs.

            Par ailleurs, les logiciels permettant la consultation à distance de fichiers d'information et de documentation (clients GOPHER, WWW, NETSCAPE, etc.) sont installés sur les postes de travail des personnes qui le souhaitent.

2-3. Donner accès aux informations et fichiers de l'Ecole

            Des serveurs GOPHER, WAIS et WWW ont vite été mis sur pied, mais de façon plutôt anarchique, par les diverses structures de l'Ecole. Ces serveurs ont en principe pour but de diffuser, à l'extérieur, mais aussi à l'intérieur,l'information produite par l'Ecole. Ainsi a-t-on vu la direction de l'informatique constituer progressivement un dispositif de diffusion des « soft » utiles, alors que la documentation mettait sur réseau ses fichiers et ses catalogues; de son côté, la direction de la formation continue, présentait, sur un serveur Web propre, son programme de séminaires et de stages; enfin les étudiants multipliaient leurs propres « home-pages ».

            Très vite a été perçue la nécessité d'une nouvelle approche du problème. Il fallait mettre de l'ordre, au sein de l'Ecole, dans ce développement des outils de diffusion d'information. Il a alors été décidé de constituer un groupe de travail ad-hoc, rendant compte à la direction de l'Ecole et formulant diffèrentes préconisations pour le futur serveur Web général de l'ENPC. Ce groupe, interdépartemental, est animé par la responsable de la communication et est constitué de représentants des diverses directions verticales (formation initiale, formation continue, recherche) et des divers services horizontaux (documentation, informatique). Un cahier des charges a pu être établi pour l'architecture générale du futur serveur Web. Celui-ci sera progressivement réalisé, soit en interne, soit en faisant appel à une sous-traitance externe, l'objectif étant l'ouverture publique du serveur dans le courant de 1996. A court terme, la direction de l'Ecole a souhaité de ne pas ouvrir à l'extérieur la consultation des serveurs pré-existants (seules des consultations internes sont possibles).

            L'idée de base retenue pour l'architecture du serveur Web futur est celle d'un produit d'information délibèrément orienté « utilisateur »: pas question de reproduire électroniquement le traditionnel et narcissique rapport d'activité ou la classique et banale brochure de présentation de l'établissement. Le slogan pourrait être le suivant : « tout ce que vous aimeriez savoir sur l'Ecole des ponts et que vous pouvez trouver facilement par vous-même en jouant avec le serveur Web ». En outre, une partie du Web sera axée sur la satisfaction des besoins des acteurs internes; en d'autres termes, une composante « outil », réservée à ces acteurs internes, permettra de donner accès à de nombreuses sources d'information utiles (c'est le côté « Intranet » du produit).

            La décision de créer et développer ce serveur Web implique la détermination des diverses responsabilités, quant au contenu des informations rendues accessibles et à la présentation et à l'ergonomie des écrans de visualisation comme en ce qui concerne le cadrage général et la maintenance du système. Il a donc été décidé de constituer une cellule fonctionnelle spécialement chargée de ce service, la mission communication et la documentation étant les services les plus particulièrement concernés par cette action.

2-4. Faciliter le travail à distance et le transfert de fichiers

            Les procédures TELNET et FTP sont essentielles pour les travaux scientifiques (comme pour l'accès aux ressources documentaires en plein texte ou aux ressources images). Il s'agit de pouvoir soit travailler sur des machines distantes (ou accéder à leurs ressources), soit d'obtenir le transfert sur sa propre machine de fichiers disponibles ailleurs (fichiers logiciels ou fichiers de textes ou d'images). Ces procédures existent actuellement mais sont freinées dans leur utilisation par la capacité de ligne et de connexion au réseau.

            Pour tenir compte des débits de connexion actuellement limités, a été décidée la création à l'Ecole d'un serveur FTP permettant d'héberger les différents logiciels disponibles sur le réseau et acquis une fois pour toutes.

2-5. Développer de nouveaux services

            Il apparait, à l'évidence, que le débit actuel de la connexion n'est pas adapté au développement des besoins de l'Ecole. Il est donc décidé de revoir assez rapidement la capacité de la connexion INTERNET, d'estimer le sur-coûtcorrespondant (en tenant compte aussi des effets possibles sur la diminution d'autres prestations de communication).

            L'usage nouveau d'INTERNET implique aussi la création de nouveaux services. Ce peut être le cas de la création d'une lettre ou bulletin électronique, interne ou externe.

            De même sont d'ores et déjà explorées les possibilités d'enseignement à distance comme de tutorat électronique. Diffèrents cours du domaine de l'informatique sont désormais consultables sur le réseau en interne, les étudiants étant invités à consulter par eux-mêmes les sources préconisées par les enseignants. Par ailleurs, les étudiants en stage long à l'étranger sont consultés en permanence par le biais de la messagerie électronique, ce dispsoitif évoluant vers une sorte de tutorat électronique à distance.

            En matière de documentation, l'usage d'INTERNET commence à devenir une régle tant pour les besoins des chercheurs que pour ceux des étudiants. Les documentalistes ont donc mis sur pied les outils ad-hoc (avec des pointeurs sur de nombreuses sources pertinentes) consultables par les divers acteurs de l'Ecole. A noter encore que le cours électronique EDUCATE (formation à l'information scientifique et technique) est également accessible sur l'ensemble du site.

2-6. Mener des actions de veille autour des usages d'INTERNET

            L'Ecole souhaite mieux connaître ce que font d'autres établissements d'enseignement supérieur en matière d'utilisation d'INTERNET dans les formations d'ingénieurs. Une journée d'étude et d'échange co-organisée par le Groupement des Ecoles d'Ingénieurs de Paris (GEI Paris) a d'ores et déjà organisée en février 1995. Une enquête dans d'autres Ecoles sur les usages d'INTERNET a été conduite à cette occasion. Par ailleurs, l'Ecole a décidé d'assurer l'animation d'une liste de diffusion électronique francophone (FIDEL) consacrée à l'impact d'INTERNET dans et sur les formations d'ingénieurs.

 

3 - QUELQUES CONSIDERATIONS D'ORDRE GENERAL

            L'exemple, finalement assez banal, de l'Ecole nationale des ponts et chaussées confrontée au phénomène INTERNET permet de mettre en relief plusieurs points essentiels qui renvoient au problème de la conduite du changement dans une organisation traditionnelle.

3-1. Sentir les mutations en cours, faire de la veille, être à l'écoute

            A l'évidence, l'action autour d'INTERNET n'aurait pas pu être menée à l'ENPC comme elle l'a été si l'établissement n'avait pas été ouvert sur un vaste environnement, notamment international, qui l'a obligé à se poser des questions. En d'autres termes, vivre en autarcie et dans le confort de ses certitudes n'incite pas à se lancer dans l'aventure INTERNET. Inversement, la nécessité d'échanger internationalement comme la pression de groupes de jeunes chercheurs et d'étudiants sont de bons catalyseurs de l'action. Il faut aussi souligner l'importance de la revue de presse interne comme le rôle de certaines personnes pouvant, par nature ou par fonction, assurer une certaine forme de veille sur le sujet et pouvant également aider à traduire en termes pratiques et décisionnels les impressions plutôt vagues reçues de l'extérieur. Un petit réseau de quelques personnes bien branchées, appartenant à diffèrents services (alliance objective transinstitutionnelle), peut également aider à faire prendre conscience de certains phénomènes en cours.

3-2. L'implication forte de la direction et du management

            Il faut très vite que la direction de l'établissement s'implique dans l'action autour d'INTERNET. Il y a beaucoup de raisons d'empêcher tout développement d'un tel projet (frilosité naturelles, pertes de pouvoir prévisibles, incompétences brusquement mises à jour, retraites si proches...) qu'il faut absolument obtenir de la direction, du management, un soutien sans faille. Cela peut aller jusqu'à mettre sur pied un dispositif ad-hoc de décision (conduite de projet) bousculant les lignes hiérarchiques traditionnelles. La direction doit elle-même donner l'exemple: ainsi, en imposant la circulation des comptes rendus des réunions de comité de direction sous la seule forme électronique, le Directeur de l'ENPC oblige ses chefs de services ou de département à faire l'effort nécessaire et à acquérir une nouvelle culture de l'échange.

3-3. Une approche collective, intégrée

            Il est clair qu'INTERNET n'est pas la chose des seuls informaticiens, ni des seuls documentalistes, ou encore du seul responsable de la communication. INTERNET oblige à la transversalité, à la concertation, au travail collectif. INTERNET oblige à « casser » les catégories traditionnelles (peut-on imaginer un serveur Web calqué sur l'organigramme de l'établissement!...). Il faut donc mettre sur pied des structures nouvelles, pluridisciplinaires, collectives, qui aideront à penser la globalité du problème INTERNET dans l'institution (et notamment à penser à l'architecture du serveur Web comme au développement des outils d'information interne). Cela conduit aussi à définir de nouvelles responsabilités: qui doit faire quoi en matière de diffusion et de maintenance de l'information.

3-4. Des pilotes ou chefs de projet clairement identifiés

            Mais, pour autant, il convient de ne pas en rester à une approche strictement sentimentale, romantique, du problème. Même si INTERNET signifie travail collectif, encore faut-il que celui-ci soit correctement piloté. Il faut définir des responsabilités de conduite de projet, avec des objectifs clairement établis (ouvrir publiquement le Web à telle date, par exemple). Cette conduite de projet va naturellement se heurter aux traditionnelles réticences des lignes hiérarchiques en place, d'où la nécessité d'un fort soutien directionnel.

3-5. Une permanente animation de terrain

            Dans le même temps, un travail plus diffus d'animation de la réflexion et de l'action sur le terrain doit être réalisé, et cela de façon régulière. Cette stimulation (« agit-prop ») doit aider à faire bouger les têtes et à impliquer les personnes (et cela à tous les niveaux hiérachiques; on pense ici au rôle essentiel des secrétaires qui découvrent vite les bienfaits d'INTERNET, alors que leurs patrons restent souvent en retard de deux guerres). Il faut diffuser de l'information, faire des revues de presse, donner des exemples déterminants, faire circuler de bons textes. On peut mettre l'accent ici sur le rôle privilégié de la documentation, comme on peut voir l'importance des forums électroniques internes. A l'ENPC, un petit réseau d'une dizaine de personnes convaincues contribue à cette animation permanente du milieu.

3-6. Veiller à la qualité des équipements et des connexions

            Bien qu'INTERNET ne nécessite pas, en théorie, de lourds investissements, il faut s'assurer que tout un chacun dans l'institution sera bien connecté, que les postes de travail seront bien équipés et que les connexions seront de qualité suffisante. A partir du moment où l'usage d'INTERNET devient aussi banal que celui du téléphone, il faut impérativement assurer une qualité de service sans faille. En particulier, il faut penser à la maintenance du système et des outils, assister les acteurs lorsqu'ils sont confrontés à de nouveaux problèmes (non récumèration d'un fichier annexé, décodage impossible d'un texte, accents déformant les messages, etc.). Il faut encore penser à organiser la sécurité du système, définir les régles du jeu acceptables.

3-7. Sensibiliser et former les personnes

            Même s'il n'est pas vraiment difficile de se familiariser avec INTERNET et ses outils, il paraît indispensable de mettre sur pied, en interne, un véritable plan de formation. Celui-ci doit être articulé autour des besoins des diffèrents groupes cibles (on n'agira pas de la même façon pour les documentalistes, pour les thésards ou pour les secrétaires). Il faut notamment organiser des actions de sensibilisation générale (par exemple, comment bien utiliser la messagerie électronique?) et des actions plus spécifiques pour ceux qui sont amenés soit à faire de la recherche d'information sur INTERNET soit à créer, développer et maintenir les serveurs d'information Web.  

3-8. Stimuler la créativité des acteurs

            Le plus difficile reste malgré tout l'appropriation réelle d'INTERNET par les divers acteurs de l'institution. Cette appropriation passe par la création de nouveaux produits ou services qui vont modifier les pratiques antérieures et en cela réside vraiment l'intérêt d'INTERNET. Pour cela, il faut aider les acteurs à se dépasser, à oser imaginer de nouvelles solutions, à inventer ces nouveaux produits et services. Des exemples, pris à l'extérieur de l'institution, peuvent donner des idées, des rencontres d'échange d'expériences peuvent aider à aller au delà d'une utilisation banale d'INTERNET. Des encouragements doivent être prodigués à ceux qui apportent de réelles innovations. 

3-9. Privilégier le point de vue de l'utilisateur, décentrer les perspectives

            Il est indispensable d'avoir en tête ce principe essentiel: l'approche d'INTERNET est délibèrément une approche orientée « utilisateur ». L'outil a été pensé dans cette perspective, d'où sa force et son succès. Il est donc important, au sein de l'institution, de penser le développement des produits et services INTERNET selon cette logique. Pas question de refaire le coup des bases de données dinonaures des années 70-80, avec des langages de commande impossibles et des ergonomies déconcertantes. La présentation de l'information sur INTERNET doit être fondamentalement simple, conviviale, adaptée aux besoins des acteurs. Il faut abandonner la logique « producteur » et recentrer les persspectives autour de l'usage et de l'utilisateur. Cela sera d'autant plus facile à assurer que l'on aura mis en place des structures collectives de développement des produits et services INTERNET et que l'on aura défini de bons cahiers des charges fonctionnels.

3-10. Repenser l'économie de l'établissement autour d'INTERNET

            Au niveau d'une institution, il peut s'avèrer utile de conduire une réflexion de fond sur les conséquences économiques de l'usage d'INTERNET. Il va en effet falloir investir dans des équipements (machines, réseau, connexion,...). Mais, en même temps, on peut espèrer réduire fortement certains coûts traditionnels (photocopies, téléphone, fax,...). L'activité principale de l'institution peut voir aussi son économie se transformer: dans le cas d'établissements d'enseignement, l'accès électronique à certaines ressources didactiques peut conduire à de substantielles réductions de dépenses. Dans une organisation tertiaire, on a pu estimer récemment que la diffusion électronique de la revue de presse hebdomadaire traditionnelle (en six cents exemplaires sur l'ensemble du territoire français) conduisait à faire passer le coût d'acheminement de ce produit de 150.000 F à 50 F par an.  Une mise à plat des données économiques paraît donc indispensable.

 

            Avec le développement d'INTERNET, les établissements d'enseignement supérieur vont entrer dans une période passionnante de transformation des pratiques de formation, d'information et de recherche. Ils peuvent connaître de véritables bouleversements (éclatement des structures, délocalisation et déconcentration de l'accès au savoir, développement de la coopération trans-institutionnelle inter-individuelle, etc.) comme de nouvelles perspectives d'action (enseignement à distance et nouveaux marchés de la formation, groupes interactifs de recherche, pédagogie individualisée avec tutorat électronique, etc.). Il faut bien comprendre l'ampleur des mutations en cours, se préparer à y faire face. Il faut aussi ne pas manquer l'occasion de montrer sa capacité à innover et à sortir d'un schéma historique révolu, celui de la traditionnelle Ecole d'ingénieurs du XIXème siècle.

            C'est dans ce sens que l'Ecole nationale des ponts et chaussées a engagé une véritable réflexion prospective et stratégique autour des usages innovants d'INTERNET. C'est désormais l'affaire de tous au sein de la communauté scientifique et éducative. Enseignants, chercheurs, informaticiens, documentalistes, étudiants aussi bien que personnels administratifs ou directeurs, chacun doit s'interroger sur la façon de prendre en compte ce nouveau vecteur de communication, ce nouvel instrument de partage de la connaissance. La bataille n'est pas encore gagnée. Mais c'est maintenant à l'institution, en tant que telle de décider la mise en place des structures et les moyens appropriés, comme des actions de formation nécessaires, pour réussir ce changement majeur.