TECHNOLOGIES, USAGES

ET MANAGEMENT DE L'INFORMATION

* REGARD HISTORIQUE ET PROSPECTIF

* IMPACT SUR LES HOMMES ET LA SOCIETE

Jean MICHEL

JM284

Publications Jean MICHEL
Page d'accueil Jean MICHEL

Communication au séminaire de Kotor (Yougoslavie), juin 1996, - 48 ko

PLAN

1 - L'EMERGENCE DE L'INDUSTRIE ET DE LA SOCIETE DE L'INFORMATION

1-1. La création et le développement des centres de documentation

1-2. L'informatisation des pratiques documentaires

1-3. Les producteurs, serveurs et transporteurs de données

1-4. Le courtage de l'information

1-5. L'explosion des technologies de l'information

1-6. Le nouveau management des systèmes d'information

1-7. L'émergence de la société de l'information

2 - UNE DIVERSITE D'USAGES ET DE PRATIQUES DE L'INFORMATION

2-1. Un étonnant brouillage de pistes

2-2. Gestion de stocks ou gestion de flux

2-3. Ouverture sur le monde extérieur ou gestion des patrimoines propres

2-4. Microdocumentation ou macroinformation

2-5. Information de retrouvage ou information de découverte

2-6. Information brute ou information à valeur ajoutée

2-7. Information structurée, fermée ou information ouverte, vivante

3 - LA REVOLUTION INTERNET ET L'IMPACT DES FUTURES INFOROUTES

3-1. Internet, véritable innovation sociale

3-2. Un protocole pour une communication ouverte planétaire

3-3. Des fonctionnalités pour informer et s'informer

CONCLUSION


De tous temps, l'homme, le savant, l'ingénieur, le professionnel, le citoyen ont cherché à accéder à l'information utile pour pouvoir créer, inventer, décider et agir en disposant des meilleurs atouts au bon moment. Mais, cet homme est aussi un formidable producteur de données et de connaissances. Il pense, conçoit et produit des textes, fait des conférences, communique par téléphone, fax ou réseau d'ordinateurs ou s'exprime à la télévision. Cette production, cette circulation et cette utilisation d'information générale ou spécialisée est à la base même de la création de dispositifs appropriés de diffusion des connaissances tels que les revues professionnelles, les bibliothèques, les centres de documentation, les bases de données ou les réseaux de télé-informatique comme Internet.

La question de la mise en relation interactive de l'offre et de la demande d'information est à la fois ancienne mais surtout très actuelle. Un véritable marché de l'information s'organise. Des acteurs nouveaux apparaissent qui jouent des roles de plus en plus spécifiques dans le management général des systèmes d'information. Enfin des technologies nouvelles rendent possibles des médiations de plus en plus riches, alors que des approches méthodologiques originales conduisent à la création et à la commercialisation de produits et services d'information à haute valeur ajoutée.

Nous analyserons, dans un premier temps, l'évolution des systèmes d'information et de documentation depuis une trentaine d'années. Nous examinerons ensuite une typologie des usages et pratiques de l'information tels qu'ils se développent aujourd'hui. Et nous donnerons enfin un aperçu de la révolution en cours autour d'Internet et des réseaux électroniques ouverts, canaux privilégiés de la nouvelle société de l'information.


1 - L'EMERGENCE DE L'INDUSTRIE ET DE LA SOCIETE DE L'INFORMATION

1-1. La création et le développement des centres de documentation

Avec le développement des organisations professionnelles et la création des grands laboratoires de recherche (notamment, en France, le CNRS) ou des centres d'études techniques vont se constituer après la deuxième guerre mondiale, des structures particulières de management de l'information, à savoir les centres de documentation. Devant l'explosion de la littérature spécialisée et avec l'ouverture plus large des frontières, il devient nécessaire de créer de nouveaux dispositifs d'accumulation de la documentation scientifique et technique, aptes à engranger de considérables quantités de documents et surtout contribuant à la mise en valeur de cette production spécialisée. Dans ce contexte, la documentation se professionnalise et apparaissent les premières formations sérieuses de documentation (en France, l'INTD, Institut national des techniques documentaires) comme les premières organisations professionnelles (l'ADBS, Association des documentalistes et bibliothécaires spécialisés, aujourd'hui "L'Association des professionnels de l'information et de la documentation").

1-2. L'informatisation des pratiques documentaires

Dans le courant des années soixante-dix, l'informatique révolutionne le monde de la documentation spécialisée (encore appelée de façon trop limitative aujourd'hui information scientifique et technique). Progressivement, les traditionnels fichiers manuels sont informatisés et on commence à parler de bases ou banques de données bibliographiques comme par exemple les bases PASCAL, COMPENDEX, INSPEC, etc.. Il devient désormais possible pour le chercheur, l'ingénieur, le juriste, l'historien ou le médecin de retrouver facilement des documents qui l'intéressent dans ces nouveaux réservoirs d'information, et cela grâce à l'apparition de logiciels de recherche documentaire de plus en plus puissants.

1-3. Les producteurs, serveurs et transporteurs de données

La fin des années soixante-dix voit la multiplication des bases de données, avec comme avantage l'apparition d'une offre fabuleuse pour l'époque, mais aussi avec un grave inconvénient, celui de la juxtaposition de nombreux langages de commande (ou procédures de communication entre l'homme et la machine. On voit alors émerger deux nouveaux acteurs qui vont jouer un rôle essentiel par la suite et qui vont essayer d'apporter des réponses pertinentes à cette question de l'accès à l'information.

Le premier de ces acteurs, l'opérateur (national) de télécommunications va être l'un de ces leviers du changement en développant une fonction de transporteur des données. Dans les années 80 sont mis en place des équipements très structurants comme TRANSPAC en France, réseau de transport des données par paquets, qui vont faciliter grandement le développement des flux d'information.

Le second des acteurs nouveaux, le centre serveur, est un organisme créé de toutes pièces pour faciliter l'interrogation des bases de données. Ces centres serveurs sont à la fois des hypermarchés de la distribution des informations et des guichets uniques pour l'accès à des dizaines de bases de données. Les serveurs achètent, d'une certaine façon, la production des producteurs et la mettent à disposition des utilisateurs, avec un seul langage de commande, un dispositif de facturation unique et des services après-vente et de formation. Les centres serveurs se multiplient aux USA, en Europe, en France. Sous la pression d'un consumérisme naissant, ils font évoluer les logiciels d'interrogation ou langages de commande (recherche sur chaînes de caractères, interrogation en langage naturel, bases de données en texte intégral,...), développent des ergonomies plus conviviales, poussent les producteurs à améliorer la qualité.

1-4. Le courtage de l'information

Le courtier en information, ou encore broker, est un nouveau professionnel de l'information qui apparaît alors que se comptent par centaines puis par milliers les bases de données accessibles et que s'affrontent sur un marché de plus en plus international des dizaines de grands serveurs. Alors que jusqu'à présent le processus de développement de l'industrie de l'information était piloté par l'offre, l'utilisateur n'étant qu'un consommateur finalement assez piégé, avec le courtier en information, c'est désormais la demande qui devient centrale dans le processus. Il faut écouter la demande de l'entrepreneur ou de l'ingénieur et se débrouiller dans la jungle informationnelle pour déceler l'information intéressante et la remettre au client. Les courtiers en information peuvent être internes ou externes, publics parapublics ou privés, généralistes ou spécialisés (secteur juridique, secteur santé-pharmacie, secteur économie-finances, etc...). De plus en plus, les entreprises "externalisent" leurs recherches d'information spécialisée faites, traditionnellement, par les centres de documentation,

1-5. L'explosion des technologies de l'information

La téléinformatique, l'interconnexion des ordinateurs, les courriers électroniques conduisent aussi aujourd'hui à de nouveaux développements des pratiques d'information et de documentation. S'ils savent le faire, chercheurs, ingénieurs et autres spécialistes peuvent communiquer directement entre eux à travers des réseaux d'ordinateurs interconnectés (Internet,...), transférer des textes ou bouts de texte sans avoir recours au papier, participer à de vastes conférences "en ligne" (plusieurs milliers de spécialistes de toute la planète font des contributions en direct sur des thèmes donnés). Cette nouvelle forme de télé-information court-circuite les traditionnels acteurs de la documentation, accélère les échanges d'idées et d'expérience, renforce la dimension collective de la créativité et de l'invention.

Il faut évoquer aussi le développement des nouvelles technologies de stockage des documents ( DON - disque optique numérique -, notamment) et celui de la GED - Gestion électronique de documents -. Les techniques de numérisation des textes et des images, associées aux mémoires électroniques ou optiques de grande capacité, offrent aux entreprises la possibilité de se constituer de grands réservoirs électroniques de documents et de gérer leurs propres patrimoines internes. L'archivage électronique peut être utilisé par des chercheurs et des ingénieurs pour la création de banques de données textuelles ou iconographiques, à partir des revues scientifiques et techniques. L'apparition de nouveaux logiciels de reconnaissance optique des caractères (OCR), de traitement linguistique des textes et d'indexation automatique apporte aujourd'hui à l'archivage électronique de nouvelles possibilités. On peut désormais vraiment parler d'ingénierie documentaire.

Il faut encore évoquer l'apparition et le développement prodigieux d'une offre nouvelle d'information sur support CD-ROM. Avec ce support, on peut vraiment parler aujourd'hui de "produit" d'information, avec une conception maîtrisée du disque, de son contenu, de son ergonomie, de ses utilitaires. La production des disques CD-ROM dans les domaines de la formation et de l'information spécialisée est en très forte croissance. S'affranchissant de la contrainte du transporteur (le droit de péage des télécommunications), le CD-ROM apparaît comme un outil privilégié d'accès (multiple, répété) à de vastes gisements d'information, avec la possibilité de naviguer, à coût quasiment nul, dans ces conteneurs de savoir.

Le CD-ROM, le CD-I et les logiciels d'hypertexte nous conduisent à introduire une nouvelle et importante composante du système, celle du "multimédia". Il est maintenant possible de mettre en relation des textes, des images et des sons et d'offrir des possibilités de navigation entre différents "documents" de natures très variées. On peut constituer de véritables encyclopédies multimedia, nouvelles formes interactives de documentation.

1-6. Le nouveau management des systèmes d'information

Le management de l'information, c'est à dire la gestion et l'organisation de l'ensemble des pratiques relatives à l'information dans une organisation donnée, se complexifie et se diversifie dans les années soixante-dix et surtout quatre-vingt. On assiste alors au développement des pratiques dites de veille stratégique, technologique, concurrentielle ou commerciale, le concept-clé à la mode étant désormais l'intelligence économique. L'entreprise, le centre de recherche prennent conscience des risques d'une non-maîtrise de l'information spécialisée et s'organisent pour développer des dispositifs de surveillance de l'environnement. La profession de "veilleur" voit même le jour et des formations supérieures se mettent en place dans cette perspective. La veille technologique et l'intelligence économique peuvent enfin s'appuyer sur des outils nouveaux de bibliométrie ou de scientométrie, basés sur des analyses statistiques des grands flux et stocks d'information électronique.

La gestion de la documentation produite en interne dans une organisation donnée devient également une priorité. Cela conduit notamment centres de recherche et grands établissements d'enseignement supérieur à chercher à valoriser leur "littérature grise". Quant aux entreprises, elles investissent en équipements de gestion électronique de documents pour améliorer l'accès à leurs documentations techniques internes.

1-7. L'émergence de la société de l'information

L'avènement du multimédia et surtout le développement prodigieux des réseaux électroniques (croissance de 10 à 20% par mois du trafic sur Internet) conduisent à parler d'une véritable société de l'information. Jamais, dans toute l'histoire de l'humanité, l'information n'a été aussi présente dans toutes les activités des individus et des groupes. Jamais cette information n'a été aussi abondante et aussi aisément accessible. Et jamais l'information n'a été à ce point facteur de transformation en profondeur de nos mentalités et de nos pratiques.

Plus que jamais, la question du "sens" est posée, sens de l'information et sens de la société de l'information. Cette question du sens renvoie directement à celle de la préparation des jeunes, des professionnels et des citoyens à savoir agir en toute responsabilité dans cette nouvelle société de l'information, ce qui conduit à militer pour le développement d'une véritable culture de l'information.


2 - UNE DIVERSITE D'USAGES ET DE PRATIQUES DE L'INFORMATION

2-1. Un étonnant brouillage de pistes

Les schémas conceptuels hérités des années soixante et soixante-dix sont aujourd'hui largement dépassés, en raison notamment du fait qu'ils privilégiaient une seule approche, celle du développement linéaire, univoque ou encore machinal d'une offre de produits et services d'information et de documentation. Les évolutions du monde de l'information au cours des dix dernières années donnent l'impression d'un extraordinaire brouillage de pistes. Ici, observe-t-on une concentration capitalistique des distributeurs de bases de données. Là, par contre, se multiplient les formes de courtage de l'information (publiques ou privées, internes ou externes aux entreprises). Ailleurs, sent-on poindre de nouvelles tendances qui cherchent à installer dans l'organisation des dispositifs d'alerte ou de veille. Ou encore, dans d'autres lieux, voit-on un lien plus étroit s'établir entre documentation technique et gestion électronique de documents, dans une perspective d'une nouvelle ingénierie documentaire. Les échanges à travers des réseaux de téléinformatique, l'EDI -Electronic Data Interchange-, les systèmes d'aide informatisés d'aide à la décision (ou encore Decision Support Systems), les systèmes d'information géographiques (ou encore geographic information systems) sont autant de nouvelles pratiques de l'information ignorées il y a encore dix ans.

2-2. Gestion de stocks ou gestion de flux

Si, traditionnellement, la tendance à l'accumulation en documentation est prédominante, se fait jour de plus en plus une tendance opposée qui recherche le "zéro stock" et qui privilégie la gestion de flux. La tendance à l'empilement, à l'accumulation, est forte dans le secteur traditionnel des bibliothèques. Mais elle est également très présente dans les centres de documentation scientifique et technique des années 60 et 70, comme dans la conception des grandes bases de données bibliographiques ou encore dans l'archivage électronique (GED).

La tendance à la gestion des flux d'information est également mais s'affirme plus nettement au cours des dernières décennies. C'est le cas du courtage en information, mais c'est aussi la situation des réseaux de chercheurs dialoguant sur Internet, comme celle des ingénieurs et techniciens d'entreprises échangeant des données formalisées à travers de l'EDI. Cette forme d'usage de l'information privilégie l'écoute du besoin, la sélection des données ou informations pertinentes, ainsi que la rapidité dans la transmission des données.

2-3. Ouverture sur le monde extérieur ou gestion des patrimoines propres

Une première perspective d'usage de l'information se définit comme la tentative de découvrir le monde inconnu. Il s'agit de trouver des réponses à ses questions, de combler ses lacunes de savoir, en allant chercher ailleurs ce qui a déjà été trouvé. Cette démarche d'ouverture sur des environnements extérieurs est à la base de la création des centres de documentation, comme à celle des courtiers ou brokers. Mais c'est aussi ce qui se passe quand des chercheurs ne se connaissant pas s'échangent des informations à travers des réseaux de téléinformatique.

En opposition avec cette première pratique d'information, existe la tendance à la mise en mémoire de ce dont on dispose, de ce que l'on connaît, dans le but de pouvoir y faire appel à nouveau et de valoriser des patrimoines de connaissances ou de données. C'est aujourd'hui sur ce thème que se mobilisent les énergies de ceux qui veulent valoriser la littérature grise des centres d'études ou de recherches. Cette valorisation patrimoniale se retrouve également dans les décisions de créer des nouveaux supports de type CD-ROM accumulant des trésors d'informations, de textes ou d'images, comme dans les velléités des entreprises de se doter d'outils d'archivage électronique pour gérer leur documentation technique.

2-4. Microdocumentation ou macroinformation

La microdocumentation est, au fond la recherche d'une information ou d'un document en réponse à une préoccupation donnée. Parmi les centaines de milliers de références bibliographiques aisément accessibles, il est possible d'en sélectionner 10 ou 20 qui répondent parfaitement à la requête. Cet usage de l'information est à la base même des traditionnels services de documentation comme des bases de données en mode ASCII ou en mode vidéotex. Il est de plus en plus aisé de faire de la microdocumentation, c'est à dire de la recherche fine d'informations ou de documents, avec les nouveaux outils que sont les CD-ROM, la GED ou les agents intelligents de recherche sur Internet.

La macrodocumentation pourrait se caractériser comme une vision satellitaire des stocks et flux d'information, et cela à l'échelle de la planète ou sur de longues périodes. On ne cherche plus l'aiguille dans une meule de foin, mais on s'intéresse désormais à la structure et l'évolution de la meule. Cette macrodocumentation renvoie à des concepts de veille (stratégique, technologique, concurrentielle, ...). Elle s'appuie sur des outils d'analyse statistique et probabiliste des flux d'information et plus particulièrement de bibliométrie, de scientométrie, d'infométrie. Cette macrodocumentation se focalise sur les évolutions en grandes masses mais aussi sur les localisations de nouveaux germes de développement de connaissances.

2-5. Information de retrouvage ou information de découverte

Traditionnellement (dans le milieu des professionnels de la documentation surtout), les outils d'accès aux informations et aux documents sont construits selon un schéma simple: on acquiert des documents, on les traite et on les range, puis on s'efforce de les retrouver quand le besoin s'en fait sentir. Cette documentation que l'on peut qualifier de "retrouvage" est celle des bibliothèques traditionnelles, mais aussi celle des bases de données produites en interne (et notamment les bases personnelles) ou encore celle des systèmes d'archivage électronique.

Une autre approche, plus naïve, plus spontanée, consiste à partir de l'existence de gisements d'information et de documentation et à chercher à en faire sortir quelque chose sans connaître pour autant le mode de constitution de ces gisements. A la démarche de retrouvage s'oppose une démarche de découverte ("découvrir l'Amérique") par des heuristiques les plus variées; apparaîssent des concepts étranges comme ceux de feuilletage, de navigation, de brassage. Dans certains cas, on puise au hasard dans la base de données, dans d'autres situations on feuillette l'encyclopédie sur CD-ROM. On navigue, d'un point à un autre, de noeud à noeud, dans des systèmes hypertextuels d'information. Cette démarche de découverte, naturelle chez l'homme, aide à la prolifération des connaissances; elle permet de construire des environnements informationnels multidimensionnels riches.

2-6. Information brute ou information à valeur ajoutée

Les entreprises, les professionnels réclament de l'information brute, de la donnée (que l'on qualifiera - non sans quelques hésitations - d'objective). Bases de données factuelles, banques de données sur les matériaux, les cours de la bourse, etc..., ces outils sont désormais bien présents sur le marché de l'information, accessibles en ligne ou sur CD-ROM, en mode ASCII ou en mode vidéotex.

A côté de ces données factuelles objectives, brutes, les entreprises peuvent avoir besoin d'informations plus élaborées, recoupant de multiples analyses de données: synthèses, analyses statistiques, rapports divers, etc... Cette élaboration de l'information, cette incorporation de valeur ajoutée peuvent porter sur le contenue même de l'information, sur les commentaires autour de l'information ou encore sur le conditionnement de cette information.

2-7. Information structurée, fermée ou information ouverte, vivante

Traditionnellement, les systèmes documentaires se sont organisés de façon à structurer l'information, à la classer et à permettre son retrouvage. Les systèmes plus avancés de documentation technique, ou encore de l'EDI, s'appuie sur une structuration forte de l'information et de la documentation. Rien ne doit être laissée au hasard. Il faut découper l'information en atomes de sens bien identifiés (champs). Le monde est mis en boîte (CD-ROM), il est bien fermé.

La tendance qui apparaît aujourd'hui avec la téléinformatique, l'interconnexion des ordinateurs et surtout les messageries électroniques reprend, au fond, un schéma bien connu, celui des collèges invisibles de spécialistes, mais à une autre échelle. L'échange d'information et de documentation devient ouvert, planétaire, immédiat. Plus de 10.000 personnes peuvent contribuer à une même investigation sur une préoccupation donnée. On parle alors d'information circulante, vivante, voire même fugace.


3 - LA REVOLUTION INTERNET ET L'IMPACT DES FUTURES INFOROUTES

3-1. Internet, véritable innovation sociale

Internet, on ne parle désormais que de cela. La presse "grand public" agite les esprits, excite la curiosité et promet les avenirs les plus radieux pour l'accès multimédias à la connaissance. La presse plus spécialisée commence à s'intéresser très sérieusement au phénomène et à noter les signes de mutations profondes dans l'organisation des échanges de toutes natures entre individus et organisations. Les autoroutes de l'information (inforoutes) dont Internet préfigure les usages futurs font l'objet d'apres discussions entre hommes publics, cablo-opérateurs, ingénieurs des télécommunications, industriels, économistes, philosophes, éducateurs et autres professionnels de l'information et des médias.

Mais que faut-il vraiment penser du phénomène Internet aujourd'hui? Les entreprises doivent-elles se préoccuper de cette question et si oui, dans quel but et pour quels enjeux? Il est important de souligner d'emblée le fait qu'Internet est surtout une puissante innovation sociale (faire communiquer entre eux un grand nombre d'ordinateurs et donc un très grand nombre de personnes et de groupes). De nouvelles et intéressantes perspectives s'ouvrent la diffusion et le partage de l'information et de la connaissance.

3-2. Un protocole pour une communication ouverte planétaire

Au fond, Internet n'est, ni plus ni moins, qu'un protocole de communication et d'échange de données entre ordinateurs, le protocole TCP/IP. Développé aux USA il y a une déjà plus d'une vingtaine d'années dans les milieux de la défense d'abord puis dans les milieux scientifiques, Internet permet de faire dialoguer, à distance, des ordinateurs de standards et de configurations les plus variés. C'est donc un système d'intercommunication ouvert qui s'oppose de façon nette aux approches plus classiques en système fermé ou "propriétaire". Les scientifiques universitaires américains puis européens ou australiens mettront alors au point et installeront gratuitement sur le réseau mondial ainsi constitué plusieurs grands logiciels permettant un usage efficace d'Internet. Ainsi fleuriront successivement les outils FTP ou Telnet, les outils Gopher, Wais et WWW, les "navigateurs" Mosaic, Netscape et bientôt Hot-Java et Hyper-G (ces outils fonctionnant selon le principe de l'architecture "client-serveur") et encore les fameux robots ou agents intelligents de recherche (Alta Vista, Lycos, etc.).

Très vite, les usages vont se multiplier et Internet verra son développement croître de façon quasi-exponentielle. On estime à plus de 2 millions le nombre de machines connectées et à plus de 30.000 le nombre de réseaux reliés par Internet (on dit qu'Internet est un réseau de réseaux). Plus de 30 millions de personnes dans plus de 140 pays échangent quotidiennement des données ou des fichiers logiciels via Internet. Un nouvel abonné est compté toutes les 10 minutes et le trafic sur Internet croît de 10 à 20% par mois. Plusieurs centaines de nouveaux serveurs Web sont créés chaque jour.

Il est surtout intéressant de noter le glissement d'usage du monde scientifique et universitaire (le berceau d'Internet) vers les milieux économiques et industriels et depuis peu, et sûrement de façon croissante, vers le grand public. Aux USA, les entreprises assurent plus de 60% du trafic (contre 40% en France et en Europe). Les milieux économiques suivent désormais de près le phénomène et commencent à prendre des positions sur les divers marchés de télécommunications, d'information, de culture ou d'éducation, de même que l'on voit s'engager les premières grandes batailles pour la maîtrise du télépaiement sur le réseau.

3-3. Des fonctionnalités pour informer et s'informer

Internet, c'est aussi un ensemble de fonctionnalités qui donnent naissance à de multiples usages et permettent de satisfaire ainsi les besoins d'information et de communication les plus divers. A l'opposé des approches traditionnelles de dissémination de l'information électronique (l'industrie de l'information des années 70-90) qui consistaient en une diffusion unidirectionnelle et quasi monopolistique de données textuelles centralisées ici ou là dans quelques grands organismes, Internet est surtout une grande boîte à outils qui permet à chacun de maîtriser comme il le veut la gestion de son information utile. Cette-ci est désormais infiniment plus vivante, interactive, ouverte, multidirectionnelle, multidimensionnelle, multimédia, mouvante, évolutive et surtout très personnalisée.

a) La messagerie électronique

On peut citer en tout premier lieu la messagerie électronique dont la puissance, l'universalité et la convivialité sont en train de surpasser les traditionnels modes de communication (lettre, téléphone, télécopie, réunion de travail). Rapide, simple, interactive mais laissant des degrés de liberté à l'interlocuteur, cette messagerie électronique planétaire permet des gains de temps considérables et des réductions importantes de coût (surtout dans un contexte d'échanges à moyennes et longues distances). Le caractère ouvert de la messagerie de type Internet rend possible une réactivation des messageries internes d'entreprises, bien souvent peu ou mal utilisées du fait même de leur caractère fermé. Pour des documentalistes, cet usage systématisé de la messagerie électronique est intéressant pour des opérations de diffusion de documents à des groupes dispersés d'utilisateurs (revues de documents, bulletins, signalements, DSI,...) et cela en réduisant considérablement les coûts de cette diffusion. La messagerie électronique est aussi une façon de travailler plus directement avec des sources actives, vivantes, et donc de remettre en cause les logiques passives d'accumulation qui conduisent inéluctablement aux "mouroirs documentaires".

b) Les forums électroniques

Dans la logique de la messagerie électronique, les forums électroniques, les listes dites de diffusion (listserv) et les groupes de "news" (Usenet) sont par ailleurs d'excellents modes d'échanges collectifs d'information et de remarquables outils d'aide à la recherche de l'information pertinente. Des communautés d'intérêt se constituent autour de certaines thématiques et des échanges de messages, de données, de savoir-faire s'y développent. Ces fonctionnalités permettent de trouver des réponses fraîches, vivantes, dynamiques à des questions d'actualité, comme d'approfondir collectivement certains sujets. De tels forums peuvent être "ouverts" (et même très largement ouverts pour les groupes de "news" sur des sujets de société). Mais ils peuvent aussi "fermés", délimiter des territoires précis et être réservés à des groupes de personnes bien identifiés (comme par exemple, des groupes de projets au sein d'entreprises); de ce point de vue, Internet peut être un instrument d'accompagnement du développement du "group-ware").

En documentation, l'usage de ces groupes de "news" ou de ces forums eléctroniques va sûrement constituer dans l'avenir un mode original et puissant de développement de la recherche d'information et de documentation.

c) Les outils de transfert de fichiers et de travail à distance

A côté de ces fonctionnalités de communication électronique interactive que l'on pourrait qualifier de "grand public", il convient d'en mentionner d'autres qui rendent possible un travail professionnel selon de nouvelles modalités. Ainsi la procédure FTP (File Transfer Protocol) permet-elle d'adresser à distance ou de recevoir sur sa machine des fichiers informatiques (parfois volumineux), qu'ils s'agissent de données, de textes ou de logiciels. De même la procédure Telnet permet-elle de faire travailler, pour soi, une machine distante, comme par exemple faire traiter ses propres données à partir d'un outil informatique disponible sur une machine lointaine. Ces dispositifs sont intéressants dans la perspective d'une réduction des coûts des procédures de traitement de l'information (en utilisant des ressources partagée), mais aussi parcequ'ils accroissent le volume des ressources dont l'entreprise peut disposer.

d) La présentation et l'exploration des sources d'information

Naturellement et pour terminer le panorama des grandes fonctionnalités offertes sur et par Internet, il faut mentionner l'ensemble des outils de présentation des ressources et de navigation dans ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui le cyber-espace.

Les gophers (fonctionnant en mode client-serveur) permettent à une organisation, une entreprise, un centre de documentation de se faire connaître sur le réseau et de rendre accessible ce qu'ils veulent mettre à disposition de la communauté (avec des menus construits selon des schémas arborescents). Inversement, en version client, ces outils gopher permettent de faire des recherches sur le réseau pour trouver des ressources répondant aux questions que l'on se pose. Selon la même logique, les outils Wais permettent la diffusion et la circulation de documents en texte intégral indexés ainsi que la recherche de textes pertinents par interrogation automatique de l'ensemble des corpus de mots qu'ils contiennent.

L'utilisation de l'hypertext et de l'hypermédia a permis plus récemment l'élaboration d'outils encore plus séduisants comme le WWW (World Wide Web) ou Web (la Toile, en français) et leurs habillages conviviaux de navigation de type Mosaic ou Netscape. C'est le service le plus spectaculaire de l'Internet et certainement celui qui conduit à de profondes transformations dans notre façon de voir le monde. A partir de sa machine personnelle, il est désormais possible de consulter, avec des outils de navigation très conviviaux, l'ensemble des ressources disponibles au niveau de la planète entière, comme il est possible de présenter ses propres informations ou ressources à l'ensemble des utilisateurs du réseau. On peut aisément dire que le Web (mis au point en 1992-93) révolutionne la pratique de l'Internet.

3-4. Internet pour la documentation, pour l'ingénieur, pour l'entreprise

On aura compris que ces diverses fonctionnalités de présentation et d'exploration des ressources d'information et de documentation peuvent intéresser l'entreprise, les bibliothèques et les services de documentation, à la fois pour rechercher les sources pertinentes et les outils dont ils peuvent avoir besoin mais aussi pour diffuser sur le réseau leur propre offres de services et leurs catalogues de documents ou de produits (tout en prenant garde à respecter une certaine déontologie dans l'usage du réseau). De ce point de vue, Internet devient un extraordinaire outil de veille informative sur les marchés, les produits, les technologies, les idées innovantes, les sources utiles et en même temps un puissant levier de démultiplication de l'offre commerciale ou non de l'entreprise comme de l'offre de services des centres de documentation et des bibliothèques. Ces outils sont désormais fondamentaux pour tous ceux qui ont à diffuser des ressources documentaires (que cela soit à titre gratuit ou au contraire à titre payant), qui ont encore à informer de larges communautés d'individus et de groupes (on pense ici à la diffusion de l'information publique ou à celle émise par les réseaux et organismes consulaires ou du secteur de l'éducation).

3-5. Une simplicité de fonctionnement, mais des efforts d'adaptation à faire

Pour l'entreprise, pour l'ingénieur, aujourd'hui, se connecter à Internet ne présente plus aucune difficulté, en France du moins. Les opérateurs ou intermédiaires offrant de telles services de connexion se sont multipliés et il est relativement simple de déterminer la procédure adaptée à son contexte et ses besoins (connexions au forfait, à la consommation, à la distance, etc...). Mais la connexion n'est pas tout. Il faut rapidement maîtriser l'outil, apprendre à opérer dans un monde ouvert, changer donc d'attitude, voire même de culture. La formation des personnes est en général la préoccupation primordiale de ceux qui se mettent à utiliser Internet. Il faut dans le même temps mettre en place, en interne, les procédures qui permettront de bien utiliser l'outil, de veiller en permanence à la sécurité, d'assurer une maintenance sans faille.

Il apparait vite nécessaire de faire un effort collectif de créativité pour déterminer les services ou usages correspondants le mieux aux besoins de l'entreprise. Va-t-on mettre l'accent sur la messagerie, sur l'amélioration de la circulation interne ou externe de l'information, sur la réduction des coûts de communication? Préfèrera-t-on utiliser Internet pour stimuler l'invention, pour accompagner le travail collectif de projet, pour assurer certaines logistiques (par exemple, mettre à jour et diffuser les textes utiles à l'ensemble des personnels de l'entreprise ou assurer le contact opérationnel entre des personnes ou des groupes dispersés sur de vastes territoires)? Choisira-t-on plutôt de jouer la carte de la veille informative, de l'observation des tendances du marché dans un environnement très ouvert, du "surfing" sur le réseau pour percevoir les faits marquants susceptibles de donner des idées de produits ou de services? Ou encore, privilégiera-t-on la démarche de démonstration de ses potentialités, d'information sur son offre commerciale, de mise en valeur - au plan international - de son image de marque? Et pourquoi ne pas se servir d'Internet pour maintenir le contact avec la clientèle, pour gérer les échanges avec les fournisseurs, pour assurer l'information des unités decentralisées?

Toutes les fonctions de l'entreprise sont aujourd'hui concernées par Internet. C'est la raison pour laquelle il importe d'aborder la question de la connexion à Internet au plus haut niveau de l'entreprise et de mettre en place rapidement des dispositifs et des démarches de conduite de projet qui faciliteront cette appropriation de l'outil par tous les secteurs concernés et rendront possible une vision collective des usages efficaces d'Internet.


CONCLUSION

Internet est aujourd'hui au coeur des préoccupations de tous les acteurs de la vie scientifique, économique ou culturelle. Internet est un phénomène social qui étonne et qui aussi dérange. Internet perturbe les professionnels de l'information et de la documentation et les oblige à repenser leurs façons d'exercer leur métier.

Les autoroutes de l'information ou inforoutes dont Internet préfigure les usages futurs font l'objet d'âpres discussions entre hommes publics, cablo-opérateurs, ingénieurs des télécommunications, industriels, économistes, philosophes, éducateurs et autres professionnels de l'information et des médias. Si l'on peut faire de l'Internet avec une simple ligne téléphonique, un modem et un ordinateur personnel de bas de gamme, il apparait vite que la multiplication exponentielle et la diversification à l'infini des usages de l'Internet et surtout le développement du multimédia rendent impérative la mise en place d'infrastructures de télécommunications ou de télématique autorisant des circulations de données à haut débit.

Les nouveaux réseaux d'accès à l'information électronique sont un enjeu de société important par les conséquences qu'ils peuvent avoir dans les domaines de la culture, de l'éducation, de la santé, du développement scientifique et technique ou des échanges commerciaux. Internet est plus modestement un brouillon de ce que nous avons ou aurons envie de faire de ces nouvelles inforoutes. Dans ces conditions le regard critique que l'on veut porter aujourd'hui sur cette situation, doit être moins focalisé sur Internet ou sur les inforoutes (peut-on imaginer avoir un regard critique sur le téléphone?) que sur la façon dont nous saurons nous approprier ce nouvel outil et nous adapter à un contexte complétement nouveau.

Sommes-nous réellement prêts et décidés à rouler sur les autoroutes de l'infomation et à devenir citoyen à part entière de la future société de l'information et de la connaissance en émergence?