LES PROFESSIONNELS DE L'INFORMATION-DOCUMENTATION

NOUVEAUX ROLES, NOUVELLES PRATIQUES, NOUVELLES EXIGENCES

Jean MICHEL

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texte pour le journal La Tribune, mai 1996 (non publié) - 20 ko

Dans le domaine de l'information et de la documentation, les nouveaux acteurs qui arrivent sur le marché comme les professionnels en place dans les entreprises doivent impérativement maîtriser les nouvelles technologies de l’information. Mais ils doivent aussi être les concepteurs de produits et services performants et de qualité. Ils doivent encore savoir gérer efficacement des services d’intelligence économique et de veille technologique ou concurrentielle. Enfin, ils doivent replacer leur action dans un nouveau contexte de management global et intégré de l’information pour assurer la compétitivité des entreprises qui les emploient et qui interviennent dans un contexte économique de plus en plus international. Face à ces nouvelles exigences, il est devenu primordial de mettre à niveau les programmes de formation initiale de ces professionnels. Mais, il faut aussi faire progresser et reconnaître les niveaux de qualification et de compétence des professionnels en exercice. C'est, en France, la préoccupation majeure de l'ADBS, "L’Association des professionnels de l’information et de la documentation" qui regroupe plus de 5.500 professionnels spécialisés, documentalistes traditionnels, veilleurs, courtiers, spécialistes de l'ingénierie documentaire et autres experts de la collecte, du traitement et de la diffusion de l'information spécialisée.

Les raisons d'une mutation Plusieurs transformations profondes sont à l'oeuvre dans la société. Certaines ont un effet déterminant et incontestable sur l'évolution des professions de l'information et de la documentation. Ainsi la mondialisation des économies, l'internationalisation des échanges, la dérèglementation et la dérégulation des marchés obligent les documentalistes des entreprises à intervenir dans des contextes désormais très ouverts, européens, planétaires et toujours plus concurrentiels. Dans le même temps, les entreprises se préoccupent fortement de la qualité de leurs produits et de leurs services et appliquent les normes ISO 9.000; le secteur de l'information et de la documentation n'est pas à l'écart de cette tendance et les professionnels concernés doivent contribuer à assurer la qualité exigée. Les exigences des entreprises à l'égard de ces professionnels s'affermissent et l'on attend désormais de ces derniers qu'ils aient vraiment les compétences requises et qu'ils sachent s'adapter en permanence à ces nouveaux contextes économiques, techniques ou socioculturels. On perçoit clairement aujourd’hui la fin d’une époque, celle des années 70-90, qui a vu le développement remarquable des centres de documentation spécialisés, des grandes bases de données scientifiques et techniques, la multiplication des services d’information en ligne et une première forme - stabilisée - de structuration des marchés et de l’industrie de l’information. Mais les cartes semblent brusquement se brouiller. Une nouvelle vision de la société de l’information de demain commence à émerger. Le développement subite et exponentiel, des usages d’Internet, des réseaux électroniques et des outils multimédias comme aussi de la gestion électronique des documents ou du group-ware en est le signe le plus évident. Il faut désormais changer les référentiels professionnels, changer l’échelle des préoccupations, revoir les modèles de management de l’information, raisonner désormais dans une perspective infiniment plus ouverte et plus multidimensionnelle. Les cadres juridiques, économiques, éthiques de la production et de la circulation de l'information sont remis en cause en profondeur. De nouveaux acteurs professionnels apparaissent ("netssurfeurs", experts de l'intelligence économique, "infomètres",...). Les documentalistes traditionnels doivent modifier leurs pratiques professionnelles, adapter leurs produits et services et souvent repenser fondamentalement le cadre d'exercice de leur profession; ainsi est-on amené aujourd'hui à remettre en cause la structure traditionnelle de centre de documentation et aller vers des unités déconcentrées, plus flexibles et plus proches des acteurs de terrain ayant besoin au quotidien d'informations et de documents pertinents.

La diversification des pratiques professionnelles Les métiers de l’information et de la documentation (on pourrait parler de façon générique du champ de "l'information-documentation") se développent désormais selon un large éventail de démarches privilégiant soit des processus d’accumulation (de supports ou de contenus), soit des préoccupations de quête ou d'échange de contenus informationnels. Ils s'articulent autour de grandes préoccupations telles que la veille et l'intelligence économique, la gestion des patrimoines documentaires internes, la circulation de l'information décisionnelle.... L’émergence des nouvelles technologies de l’information conduit à une transformation profonde des pratiques de gestion des stocks de documents; les fichiers manuels se transforment en bases de données accessibles en ligne (ou disponibles sur CD-Rom); la numérisation et la gestion électronique des documents amènent à une véritable ingénierie documentaire qui permet de mieux traiter et d'exploiter les grandes masses de documents, de toutes natures, qui circulent dans l'entreprise ou qui constituent son patrimoine. Côté information (au delà du document), le besoin d’être tenu correctement informé a toujours été une nécessité vitale mais donne naissance aujourd’hui à de nouvelles pratiques professionnelles intitulées, selon les contextes, veille stratégique, veille technologique, veille concurrentielle ou encore intelligence économique. Le recours à des courtiers en information se développe pour assurer certaines quêtes d'information utile. Les réseaux électroniques et Internet facilitent les transferts et la recherche d'information au niveau de la planète et rendent possibles de fertiles interactions entre les divers acteurs de la société. De même se mettent en place de puissants dispositifs d'échanges de données informatisées (EDI) et se développent les pratiques du "group-ware" comme nouvelle méthode de travail basée sur le partage de l'information (on parle de plus en plus de "collecticiels" ou de "collaboratoires"). Un nouveau management global et intégré de l’information est recherché aujourd'hui par l'entreprise conduisant à de nouvelles exigences pour les professionnels de l'information-documentation. Ceux-ci doivent savoir et pouvoir maîtriser l’information de veille, de découverte, d’invention et d’ouverture sur le monde, naviguer efficacement mais aussi de façon créative et sélective dans le “cyber-espace”. Ils doivent encore savoir et pouvoir développer et exploiter l’information utile, l’information de référence, celle qui accompagne et rend possible l’activité quotidienne des individus et des entreprises. Ils sont également amenés à valoriser l’information auto-produite par les organisations, l’information à caractère patrimonial et les vastes gisements documentaires longtemps restés en jachère ou en hibernation. Ils doivent tenir compte désormais de l’information vivante, de l’information de communication, de l’information à courte durée de vie dont les réseaux et les messageries électroniques largement ouverts amplifient brutalement la croissance . En termes de champs de préoccupations couverts, cette problématique d’un nouveau management global et intégré de l’information se traduit par une riche diversité de produits, de services et de pratiques pratiques professionnelles allant des traditionnelles bases et banques de données accessibles en ligne aux produits sur CD-Rom et autres produits multimédias, en passant par la gestion électronique de documents, par la circulation de l'information vivante sur Internet ou autres réseaux électroniques, le développement de dispositifs Intranet et l’animation de collecticiels ou encore par l'intelligence économique et les différentes démarches de veille informative. Il faut désormais se préoccuper non seulement d'information bibliographique ou de documentation scientifique et technique traditionnelle, mais prendre aussi en considération de nouveaux champs de management de l'information, de l'information médicale à l'information géographique, de la donnée économique ou statistique à la donnée graphique ou sonore, de l'information structurée à l'information informelle, de l'information d'actualité à l'information patrimoniale.

Un nouveau positionnement professionnel Le professionnel de l’information ou de la documentation ne sera-il dans l'avenir qu’un simple technicien, spécialiste de la mise en oeuvre d’arides ou besogneuses techniques documentaires? Ne sera-t-il pas amené au contraire à contribuer tout autant à des missions ou finalités plus stratégiques, à savoir celles de l’entreprise ou de l’institution dans lequel il travaille, mobilisant des ressources multiples dont la plus grande part d’entre elles n’ont rien à voir avec telle ou telle technique documentaire? On observe depuis quelque temps une nette évolution de la fonction information-documentation dans l’entreprise et dans les organisations. C’est autour de la notion de management que se cristallise le plus cette évolution, même si les mutations technologiques jouent aussi un rôle moteur important. Le documentaliste devient un acteur à part entière du management de l’entreprise, en même temps qu’il devient plus conscient de son rôle nouveau de manager de sa propre “boutique” documentaire. La documentation est fondamentalement une ouverture sur le monde, elle est la clé du système de veille informative ou d’écoute de l’environnement. Elle est la base même de la prospective et la ressource par excellence de l’anticipation des évolutions à venir. Mais elle est en même temps ouverture sur le monde interne de l’entreprise, assurant par là-même une fluidité des échanges d’information ("transversalité"). La documentation est aussi le support logistique des activités quotidiennes de l’entreprise et devient alors une “document-action”. Par ailleurs, elle contribue largement à la stimulation de la culture de l’entreprise et peut constituer un ferment de développement d’une culture générale professionnelle, en relation avec les politiques de formation ou de ressources humaines. Elle contribue largement à consolider la mémoire de l'entreprise, souvent mise en péril par les transformations de l'institution. La documentation peut aussi devenir méthodologie et les documentalistes se transformer en experts ou conseillers au sein de l’entreprise pour orienter vers les meilleurs choix de données, d’informations ou d’outils de traitement de celles-ci.

Les conséquences pour les formations et de qualifications professionnelles On a pu constater, au cours des dernières années, en France comme à l’étranger, une impressionnante transformation des formations initiales et continues des professionnels de l’information et de la documentation. Ces formations tiennent nettement plus compte des nécessités du management et préparent désormais de façon plus efficace à l’exercice des nouvelles responsabilités de gestion et de direction. Il faut aujourd’hui, à l’évidence, des professionnels qui soient d’excellents généralistes sachant être à l’écoute des besoins et anticiper leurs évolutions et ayant en même temps la rigueur économique d’un ministre des finances. Il faut aussi préparer les futurs professionnels à de nouvelles aptitudes: analyse stratégique, création de produits, conduite de projet, évaluation des produits ou services, gestion des ressources. Et bien entendu, ces aptitudes ne doivent pas être acquises au détriment d’une parfaite maîtrise des techniques spécifiques de la documentation, mais il faut aussi savoir prendre de la distance par rapport au strict maniement des outils et des techniques. Tenant compte à la fois des facteurs externes de transformation de la société, mais aussi de l'évolution interne et spécifique de la profession, il revient assez naturellement à une grande association professionnelle comme l'ADBS de proposer des démarches d'accompagnement des changements en cours et surtout de contribuer au développement des qualifications et à la reconnaissance des compétences professionnelles. Au cours des dernières années, l’ADBS a cherché à mieux cerner les caractéristiques de la profession, des qualifications et des métiers. Elle a procèdé à diverses enquêtes sur les documentalistes et leurs conditions d’emploi. Elle a, dans le même temps, poursuivi un travail de reconnaissance des diverses formations existantes, tant en France qu’à l’étranger. L'association intervient dans la détermination des exigences à prendre en compte dans les programmes de formation initiale et propose par ailleurs un vaste éventail de stages de formation continue pour les professionnels en exercice. Elle s'efforce d'agir au niveau de l'amélioration des conditions d'exercice de la profession en préconisant des régles minimales relatives à la qualité des actes professionnels ou des services rendus comme à la qualification des acteurs professionnels (référentiels de métiers). En outre, une démarche d’évaluation et de certification des compétences des professionnels de la documentation a récemment été mise sur pied qui sera étendu prochainement au plan européen.

Internet, péril ou atout pour les professionnels de l'information? Quel avenir pour les professionnels de l'information et de la documentation dans le contexte du développement des autoroutes de l'information? Les agents intelligents de recherche scrutant la toile Internet remplaceront-ils les documentalistes traditionnels? L'informatique documentaire (celle des années 70-80) aussi devait tuer les documentalistes. Et le minitel devait les achever, l'intelligence artificielle les enterrer. En fait, on constate que plus les outils sont performants et plus les agents sont complexes, "intelligents" pour les utilisateurs "moyens", plus les documentalistes sont amenés à se concentrer sur des recherches à forte valeur ajoutée, précisément les recherches qui rapportent et qui contribuent à accroître la compétitivité des entreprises et dont le besoin sera de plus en plus fort à mesure que les recherches basiques deviendront faciles à effectuer, grâce notamment aux agents "simplement intelligents". C'est ce qui conduit la profession à investir sans hésitation dans la connaissance, la maîtrise et le développement des outils disponibles sur les réseaux électroniques. En 1996, on constate que 15 à 20% des membres de l'ADBS sont d'ores et déjà connectés à Internet, échangent des données sur des listes de diffusion électronique spécialisées, exploitent professionnellement la "toile". Mais c'est surtout sur une autre forme d'intelligence que la profession met l'accent aujourd'hui, à savoir l'intelligence économique. Un "Groupe de Projet sur l'Intelligence Economique" a été créé à l'initiative de l'ADBS et regroupe la plupart des sources de compétence et d'expertise du domaine. Une journée complète du Congrès IDT 96 est consacrée à ce thème. C'est bien la preuve qu'au delà de l'outil reste la question fondamentale du sens. L'information ne sert à rien si l'on n'est pas capable de lui donner un sens. Et là, la machine ne peut pas grand chose si elle n'est pas exploitée par des professionnels qui sauront interpréter les signaux décelés et apporter à l'information une vraie valeur ajoutée.