L'INFORMATION AU COEUR

DE LA TRANSFORMATION DES SYSTEMES

DE FORMATION

JM288

Jean MICHEL

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Contribution au Colloque TRANSINFO (1996) - paru dans la collection Sciences de l'information (Série Recherches et documents) de l'ADBS - 40 ko

1- L'INFORMATION POUR LA CONNAISSANCE ET L'ACTION

2- LES NOUVELLES FRONTIERES DE L'APPRENDRE

3 - INNOVER DANS LES SYSTEMES DE FORMATION

4 - LES APPORTS OU BENEFICES DES NOUVELLES TECHNOLOGIES

5 - LES RISQUES, LES DIFFICULTES ET LES DEFIS

A quelques années de l'an 2000, les traditionnels dispositifs d'enseignement et de formation des ingénieurs, établis et développés au cours des deux derniers siècles, paraissent subir de profondes mutations et devoir faire face à de nouvelles exigences. On déplore assez régulièrement leur difficile adaptation aux besoins de l'industrie et du monde modernes comme aux évolutions sociologiques et technico-économiques. Cette critique est classique dans toute société qui considère que ses dysfonctionnements sont engendrés surtout par les carences de son système de formation. Plus original est aujourd'hui le constat selon lequel les formations d'ingénieurs comme toutes les formations supérieures sont inéluctablement confrontées au développement prodigieux des technologies de l'information et doivent faire face à l'émergence d'une nouvelle société de l'information qui oblige à innover en profondeur. Dans le même temps, et renforcée par cette nouvelle donne, s'affirme une hypothèse selon laquelle le marché le plus important de la formation est bien celui de la formation "tout au long de la vie" (life long learning). N'est-il pas temps de promouvoir de nouveaux processus de mise à disposition des informations et de transfert des savoirs s'affranchissant des murs des établissements et ambitionnant de former à la fois des professionnels citoyens d'un monde ouvert et de véritables équipes multiculturelles et pluridisciplinaires, à l'échelle des grandes régions et de la planète? N'est-il pas temps de mettre sur pied un continuum de réponses allant de la mise à disposition d'informations pour la résolution de problèmes à la construction progressive et collective de connaissances transférables, allant de la formation première aux perfectionnements gradués et répètés "tout au long de la vie"? N'est-il pas temps d'investir dans l'ingénierie pédagogique, dans la création de produits multimedia, dans l'usage, à des fins éducatives, des autoroutes de l'information et notamment du réseau de réseaux Internet? N'est-il pas urgent de se lancer sur les marchés internationaux de la formation initiale et continue des ingénieurs à travers un enseignement à distance rendu possible par les technologies de l'information? N'est-il pas temps de repenser nos systèmes de formation à l'heure de la nouvelle société de l'information?

1- L'INFORMATION POUR LA CONNAISSANCE ET L'ACTION

Comparée à celle qui prévalait au milieu du XIX siècle, la situation actuelle se caractérise surtout par une émergence de l'information et de la communication dans tous les aspects de la vie individuelle et professionnelle. Pour l'ingénieur, comme pour tout acteur de la vie scientifique, industrielle, économique, pour le médecin comme pour le juriste, cette réalité est de plus en plus au coeur même de sa pratique. Ce professionnel n'est au fond qu'une courroie de transmission, un médiateur, entre ceux qui lui posent des problèmes à résoudre (la société, l'industrie, le grand public, le politique...) et ceux qui réalisent concrètement les solutions définies par lui (les constructeurs techniques, les fabricants et diffuseurs de produits...). L'ingénieur ne fabrique pas lui même les produits qu'il fournit, mais par contre il gère des systèmes d'information à finalité décisionnelle qui permettent d'apporter une réponse aux besoins exprimés. L'ingénieur navigue en permanence dans l'information, il la transforme, il fait des plans et des projets qui ne sont que des concrétisations informationnelles à un instant donné. Il véhicule aussi l'information, vend son projet, cherche à convaincre d'autres partenaires ou décideurs. Il s'informe aussi pour améliorer ses connaissances et faire progresser ses savoir-faire. Face à ces besoins, les systèmes d'information spécialisée aujourd'hui mis à disposition deviennent de plus en plus puissants et incontournables. Américains, Européens ou Français rivalisent d'ardeur et de milliards de dollars, d'ECU ou de francs pour mettre en place les nouvelles autoroutes de l'information et pour développer une "industrie des contenus". Internet fait exploser, de façon inimaginable il y a quelques années, les pratiques socioprofessionnelles de toutes natures comme les frilosités administratives ou institutionnelles. Des bases et banques de données aux systèmes experts, en passant par les chaînes informatisées de CAO, CFAO, XAO,..., en passant par la mise en oeuvre des techniques et méthodes du groupware, de l'Intranet ou de l'EDI (échange de données informatisées) ou encore de la veille technologique à l'intelligence économique, toute l'activité des entreprises et des ingénieurs s'inscrit dans une perspective de développement des ressources informationnelles, véritable fer de lance de l'industrie et des services modernes. Il est important de souligner ici que cette information "professionnelle" (scientifique, technique, économique...) n'est pas la seule en jeu dans "l'entreprise du troisième type" et dans la société moderne. Il faut désormais prendre en compte la légitime capacité d'expression de l'ensemble des acteurs de l'entreprise, le dialogue indispensable avec des partenaires de cultures techniques ou géographiques différentes, la communication sociale avec le grand public. L'accès à l'information publique devient aussi un enjeu de société et un objet de débats très vifs. Cette information circulante, vivante, caractérise profondément notre fin de siècle. Il nÕest plus imaginable de prétendre exercer une responsabilité professionnelles substantielle sans recourir en permanence à des données, des informations ou des connaissances actuelles, fiables et ouvertes sur un vaste monde. Il nÕest plus pensable de vivre professionnellement en autarcie. De même une formation dÕingénieurs, aussi réputée soit-elle, ne peut aujourdÕhui se développer dans lÕisolement. Il nÕest plus concevable de regarder lÕinformation et la connaissance comme un stock, un trésor à préserver jalousement. LÕéchange prend le pas sur la possession. La valorisation de lÕintelligence par la communication ouverte, généreuse mais raisonnée, des données et des sources devient une valeur essentielle de société. Dans ces conditions, la question de la formation des ingénieurs prend un tout autre relief. Elle ne peut plus se limiter au seul transfert, vers l'âge de vingt ans, d'une boite de connaissances figées, susceptible de satisfaire les besoins d'une carrière entière. Elle ne peut plus se focaliser uniquement sur sa traditionnelle clientèle, l'étudiant, passager provisoire d'un système éducatif qui ne prend pas assez en compte d'autres besoins de la société et qui doit désormais changer l'échelle de son marché. Si, au milieu du XIXème siècle, il était évident que le rôle de l'établissement de formation était de permettre à des individus en nombre limité d'acquérir des données et connaissances techniques peu répandues dans la société, il n'en est plus de même aujourd'hui. Tout un chacun (dans la majorité des pays du Nord, en tous cas) est désormais en mesure d'accéder à n'importe quel élément de savoir, à n'importe quelle méthode largement mise à disposition de vastes communautés apprenantes, à n'importe quelle information, y compris à des données disponibles à l'autre bout de la planète, ainsi qu'à des renseignements parfois très confidentiels (malgré toutes les protections prises pour éviter cela).

2- LES NOUVELLES FRONTIERES DE L'APPRENDRE

De façon schématique et volontairement provocante, on pourrait affirmer qu'il n'y a plus nécessité aujourd'hui de s'appuyer sur des Ecoles ou des Universités pour former des ingénieurs. Ou, plus exactement, il n'est plus nécessaire de concentrer géographiquement des étudiants en un lieu donné, pour suivre des enseignements et accéder à des connaissances aisément transférables. On peut de même se demander si cela a encore un sens de limiter ce transfert formel de connaissances à un moment donné de la vie des individus, alors quÕen permanence il faudra actualiser ses connaissances et que les technologies de lÕinformation permettent de sÕaffranchir des cadres géographiques et temporels. Une récente étude faite aux USA présentée par le Président du M.I.T. à Boston, a pu montrer que plus de 50% des connaissances acquises par les étudiants à l'issue de leur formation dans les Universités proviennent de la consultation libre, informelle, des sources d'information disponibles à travers les réseaux électroniques de type Internet. Si l'Ecole d'ingénieur que nous connaissons a donc encore un sens ou un futur, pour quelle fonction et pour quel service l'a-t-elle? S'agit-il pour elle de se contenter de dispenser en local ce qui est aisément accessible à partir de n'importe quel point de la planète? Ne vaut-il pas mieux pour elle aujourd'hui de se recentrer sur quelques missions fondamentales et trouver des réponses à quelques questions clés. Comment aider les individus et les groupes à établir des liaisons entre des informations et connaissances éparpillées et parfois contradictoires? Comment créer une animation culturelle et un accompagnement d'apprentissage spécifiques permettant l'intégration des informations et connaissances dans l'action professionnelle? Comment contribuer à la stimulation de la production et du transfert des savoirs? Quel est donc, aujourd'hui, le rôle réellement indispensable d'une Ecole d'ingénieurs ou pour parler avec le langage du temps, quel est son domaine de subsidiarité? Au fond, n'est-il pas temps de mieux distinguer ce qui relève de la transmission des données ou informations constitutives des savoirs, de ce qui a trait à la consolidation des connaissances et à la préparation des futurs ingénieurs à la maîtrise des méthodologies de l'action efficace, à travers la mobilisation de l'information utile? Il est désormais impératif d'amener des étudiants, futurs ingénieurs, à savoir maîtriser et gérer leurs propres systèmes d'accès à l'information et à la connaissance. Il faut stimuler le développement d'une véritable culture de l'information. Dans ces conditions, la fréquentation des très classiques bibliothèques et des centres de documentation, la consultation des bases et banques de données, la navigation sur Internet, la participation à des forums d'échange et à des "collecticiels" (selon l'expression de Guy Massicotte), la connexion sur les nouveaux systèmes multimédias d'information et de formation (les nouvelles encyclopédies du savoir), la lecture critique de nombreux ouvrages et articles, français ou étrangers, doivent désormais constituer la première étape de toute formation d'ingénieurs. Ces modalités de consultation des ressources disponibles peuvent remplacer plus de 50% des cours de premier cycle et un grand nombre d'enseignements ultérieurs qui, en fait, ne sont que des compilations d'informations que les étudiants peuvent trouver par eux-mêmes. Elles peuvent aussi se substituer aux pratiques douteuses de renvoi à des cours polycopiés dont les finalités pédagogiques ne sont pas définies. De telles ressources informationnelles et éducatives peuvent provenir de diverses origines et la formation des ingénieurs doit inciter les étudiants à naviguer dans cet hyperespace de l'information et de la connaissance et à développer un certain esprit critique face à cette pléthore de sources les plus variées. Les moyens classiques que constituent les livres, les revues, la littérature grise, sont bien entendu à privilégier en priorité, mais il ne faut pas éliminer ou rejeter lÕinformation vivante (orale notamment) qui devient de plus en plus facile à accéder (pensons au rôle de la messagerie électronique en éducation). Mais désormais les CD-ROM et autres CD-I (CD interactifs), les bases et banques de données, les vidéodisques, les satellites, les réseaux d'ordinateurs et les formations dispensées à distance constituent autant d'alternatives efficaces pour l'accès au savoir. Les contacts en milieu industriel, les échanges avec des partenaires étrangers, le travail avec des techniciens ou avec des spécialistes d'autres disciplines, le développement d'activités culturelles extra-scolaires fournissent également autant d'occasions nouvelles aux étudiants d'enrichir leurs bases de données personnelles et d'améliorer leur compréhension du monde réel. Un cursus de formation d'ingénieurs devrait, pour l'essentiel, consister en un dispositif organisé et personnalisé d'accès aux informations ou connaissances pertinentes, accompagné d'un rigoureux tutorat pédagogique (pour passer de l'information au savoir) et d'un programme favorisant les expériences de vie professionnelle (stages, échanges internationaux, activités rémunérées ou non,...). A côté de la stricte fourniture des modalités d'accès aux ressources informationnelles, l'Ecole d'ingénieurs devrait donc mettre en place les procédures permettant de consolider les savoirs en élaboration (travaux pratiques, projets, échanges pédagogiques...) et de contrôler les résultats des étudiants eu égard aux objectifs assignés, dans le cadre d'une nouvelle démarche de la qualité appliquée aux processus éducatifs.

3 - INNOVER DANS LES SYSTEMES DE FORMATION

Les Ecoles d'ingénieurs situées dans une même région ou celles qui fonctionnent en réseau (la tendance au regroupement et au partenariat est patente depuis quelques années) sont, ou seront amenées à investir dans de nouveaux équipements éducatifs lourds, véritables machines à dispenser de l'information structurante, pouvant être consultés par des étudiants de diverses origines, sur place ou à distance, appartenant ou non à la même institution. Elles devront faire ces investissements en ingénierie éducative comme elles ont dû être conduites à renforcer leurs équipements pour la recherche. Déjà, les Universités IBM, Mac Donald ou Siemens (pour ne citer que quelques institutions nouvelles) montrent la voie à leurs consoeurs plus traditionnelles. De grandes universités américaines sÕassocient aujourdÕhui pour mettre sur pied de tels dispositifs lourds dÕindustrialisation de la formation des ingénieurs alors que des institutions australiennes sÕattaquent sérieusement à la conquête des marchés de la formation du Sud-Est asiatique par des produits et services électroniques de diffusion de la connaissance. De véritables campus virtuels sont en train de naître qui donnent naissance à une nouvelle économie de la formation, de l'information et de la connaissance. En France, cette orientation pourrait signifier la fin de l'habilitation par la Commission des titres d'ingénieurs de nouveaux établissements de formation dépourvus de moyens modernes et puissants d'accès à l'information et de structuration des connaissances nouvelles, comme elle est déjà amenée à sÕinterroger sur les capacités des établissements en matière de recherche. Au niveau des étudiants, des efforts sont désormais faits pour faciliter l'accès à l'information, son traitement et sa diffusion. Dans les meilleurs des cas, des travaux sont menés en partenariat avec des industriels pour concevoir des postes intelligents d'auto-apprentissage intégrant divers outils de gestion de l'information, postes connectables aux divers réseaux électroniques pour l'enseignement et la recherche. Ces postes de travail et dÕapprentissage personnalisés sont et seront utilisés par les étudiants tout au long de leur scolarité. Et même après l'obtention du Diplôme, les étudiants peuvent conserver l'essentiel du patrimoine des ressources accumulées et l'actualiser, dans leur vie professionnelle, grâce à la formation "tout au long de la vie" et aux diverses modalités d'entretien des savoirs. Il faut sûrement aujourd'hui inventer les mécanismes financiers qui puissent permettre le passage d'une formation de consommation (cours dispensés au quotidien à un moment très limité de la vie d'un individu) à une formation d'investissement, capitalisable sur la longue durée. Les enseignements et chercheurs des Ecoles et autres formations d'ingénieurs sont incités désormais à réaliser des produits d'information et de formation aisément transférables, échangeables (les différents appels d'offres et programmes de l'Union Européenne mettent fortement l'accent sur cette nouvelle approche du transfert des connaissances). Il faut pouvoir alimenter des banques de cas et des bases de données didactiques. Il faut pouvoir créer des cours diffusables par satellite ou à travers des réseaux d'ordinateurs (Internet, par exemple), le marché de la formation des ingénieurs se mondialisant. Les expériences se multiplient, les projets prolifèrent aujourd'hui dans ce domaine mettant bien en relief ce changement des perspectives de formation. Dans ce contexte, la rémunération d'un formateur doit de plus en plus privilégier l'investissement fait lors de la réalisation d'outils didactiques largement utilisables, intégrables, transférables plutôt que de se limiter à la seule rétribution des heures passées dans une salle de cours. La formation devient un investissement culturel et économique et l'enseignement, une prestation industrialisable. Par ailleurs, la composante principale d'une formation d'ingénieurs a toujours été, et restera, la formation méthodologique. Celle-ci est acquise pour l'essentiel, pendant les toutes premières années du cursus, mais est approfondie en fin de formation dans les domaines ou contextes précis d'ingénierie étudiés. Le développement de nouveaux processus d'information et de formation conduit les étudiants à recourir aux heuristiques dÕapprentissage les plus riches et les plus efficaces. Ainsi cherche-t-on à stimuler la découverte des milieux différents (l'entreprise, l'étranger, les autres disciplines), à faciliter la compréhension de la transversalité de toutes les activités humaines. La communication sous toutes ses formes (orale, écrite, audiovisuelle, électronique...), la dynamique des groupes mixtes, la maîtrise des langues, l'expérience internationale et interculturelle sont autant de composantes d'une formation aux méthodologies de l'information active et du travail efficace. La communication électronique ou numérique basée sur l'interconnexion des hommes et des réseaux au niveau de la planète, sur la logique "hypertextuelle" de navigation et sur l'intégration multimédia de diverses sources d'information variées constitue à cet égard un levier puissant pour le développement de nouvelles civilités académiques, scientifiques et professionnelles.

4 - LES APPORTS OU BENEFICES DES NOUVELLES TECHNOLOGIES

Pour l'enseignement et pour la formation des ingénieurs, quels peuvent être les apports ou les avantages des nouvelles technologies de l'information? C'est d'abord la possibilité d'ouvrir des accès à de vastes gisements de données, d'information et de connaissances largement disponibles au niveau de la planète. Le choix est désormais très ouvert et les étudiants (comme du reste les enseignants) peuvent disposer de nombreuses et riches ressources pédagogiques, y compris des modules de formation et des cours électroniques qui sont désormais utilisés par des dizaines de milliers de personnes et mis à jour en permanence. Cette amélioration progressive, continuelle, des ressources numériques disponibles sur les réseaux est un facteur déterminant de qualité qui peut conduire à créer une véritable émulation entre cours réalisés et dispensés localement et cours "industrialisés" et diffusés au niveau de la planète. Un autre avantage des nouvelles technologies réside dans la possibilité de développer l'autonomie d'apprentissage des étudiants. En facilitant l'accès aux nombreuses ressources électroniques, on peut impliquer plus directement et responsabiliser les étudiants dans la construction de leur propre savoir. Cette responsabilisation peut jouer au niveau de chaque individu, mais elle peut aussi s'exercer au niveau de groupes d'étudiants (développement de l'enseignement mutuel, collectif). De nouvelles formes de tutorat voient le jour grâce aux nouvelles technologies. On peut désormais parler d'un véritable tutorat électronique qui a l'avantage de personnaliser le suivi des étudiants dans leur progression vers le savoir et surtout qui permet de s'affranchir des contraintes spatiales et temporelles. Ce tutorat électronique, cette nouvelle guidance, s'avèrent plus flexibles que les traditionnelles formes de présence des enseignants aux étudiants. On peut en outre imaginer une certaine diversification des modalités de ce tutorat en faisant par exemple intervenir d'autres étudiants dans la fourniture de conseils ou d'observations à leurs collègues, alors que l'enseignant peut assurer, en final, une autre forme de consolidation de la connaissance à partir des échanges entre étudiants. Ce tutorat électronique permet aussi d'associer plus aisément des ingénieurs ou professionnels en exercice dans l'encadrement ou accompagnement de groupes d'étudiants, ce qui ne peut que contribuer à repousser très loin les frontières du territoire éducatif, à désenclaver les dispositifs de formation et à lutter contre certains corporatismes académiques stérilisants. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication rendent donc possible un véritable travail de groupe, travail qui peut du reste dépasser les limites de l'établissement physique (c'est ainsi que sont désormais réalisées certaines formations linguistiques en faisant interagir, via Internet, des étudiants de différents continents, de même que se constituent aujourd'hui des "collecticiels" mixtes avec des étudiants, des enseignants, des professionnels en exercice,...). Ce travail de groupe électronique (véritable prémisse, à l'université, d'un "groupware" pédagogique) facilite l'apprentissage collectif et l'enseignement mutuel, que de nombreux experts en pédagogie ont fortement recommandés depuis plus d'un siècle sans que l'on soit parvenu jusque là à les mettre en oeuvre à une échelle satisfaisante. Par ailleurs les nouvelles technologies (et surtout les mémoires électroniques) permettent d'assurer une capitalisation des connaissances et des acquis. On peut aider les étudiants (et les groupes d'étudiants) à constituer, à structurer et à développer leurs propres bases de données et de connaissances et cela de façon progressive. Les travaux faits une année par les étudiants peuvent être aisément conservés, capitalisés et peuvent être poursuivis, enrichis les années suivantes. C'est ainsi que dans une université italienne se constitue et se développe, au fil des années, un véritable cours électronique collectif en mécanique alimenté en permanence par les apports des étudiants. Enfin, on peut mentionner le fait que les nouvelles technologies de l'information permettent d'envisager une véritable continuité dans les processus d'apprentissage et de formation. Les étudiants peuvent en permanence enrichir leurs bases de données et de connaissance personnelles et cela même après la sortie de l'université. Ainsi peut on plus facilement imaginer une articulation judicieuse entre formation initiale et formation continuée "tout au long de la vie", à travers une certaine unicité de gestion des supports d'informations et de connaissances disponibles.

5 - LES RISQUES, LES DIFFICULTES ET LES DEFIS

Il est évident que l'enseignement et la formation connaissent actuellement de sérieuses remises en cause et que les technologies de l'information (les réseaux électroniques, le multimédia, les ordinateurs personnels,...) font désormais partie intégrante des données du problème. Dans certains établissements, la révolution pédagogique avance à grands pas, parfois avec des prises de risque importantes ou encore de sérieuses révoltes. Dans d'autres lieux, on reste plus hésitant, frileux, voire même hostiles à cette mutation. Plusieurs inquiétudes sont en effet souvent exprimées quand on évoque la question de l'impact des nouvelles technologies sur l'enseignement et la formation. Quels sont donc ces risques, ces difficultés, ces obstacles au développement d'autres modalités de délivrance du savoir? Au premier chef, il convient de mentionner le fait évident que pour bénéficier des effets des nouvelles technologies de l'information, il est indispensable de pouvoir avoir accès à celles-ci. Or cela coûte de l'argent. Le câblage correct des institutions de formation est un investissement important. L'équipement en micro-ordinateurs personnels pour chaque étudiant n'est pas encore possible partout, loin de là. Dans certains pays, les infrastructures en télécommunications sont dépassées ou inutilisables dans la perspective nouvelle de la société de l'information. On voit donc se profiler un risque certain d'accentuation du fossé entre riches et pauvres, entre ceux qui peuvent ou pourront avoir accès aux nouvelles technologies et sources d'information et ceux qui resteront à l'écart de ce mouvement. La question est de nature politique: elle conduit à mettre en avant la nécessité et la possibilité de faire des investissements lourds dans ce domaine (au niveau de chaque établissement, au niveau de groupes d'établissements comme aux niveaux régionaux ou nationaux) et à rendre possible une certaine forme de coopération, de solidarité ou de "mutualisation" en la matière. Un risque important est celui de voir, dans un proche avenir, le marché de la formation électronique être dominé par quelques grands groupes qui auront pu investir fortement et à temps dans ce domaine. Cette domination économique sur le marché peut se traduire par d'autres formes de domination, culturelle ou linguistique. Il est donc important de responsabiliser chaque acteur du système de l'enseignement supérieur face à ce risque et de favoriser par ailleurs le développement d'une "offre pédagogique, éducative" électronique et multimédia aussi large et aussi diversifiée que possible. Un problème maintes fois évoqué ces derniers temps à propos d'Internet et des réseaux électroniques est celui de la sélection des produits et ressources disponibles et plus généralement celui du contrôle de la qualité de ce qui circule sur les réseaux. La situation est nouvelle pour les enseignants et les pédagogues. Il ne s'agit plus en effet de se contenter de mettre à la disposition des étudiants un petit nombre de ressources tranquillement et régulièrement testées et mises à jour (en gros, les ouvrages recommandés et disponibles à la bibliothèque ou encore les bonnes pages de quelques manuels ou supports polycopiés). Il faut désormais faire face à une avalanche de produits, à un trop-plein de ressources que personne n'arrive plus vraiment à contrôler. Le risque, pour les étudiants, est d'être finalement mal orientés ou de se laisser abuser dans leur libre accès à la connaissance. La pédagogie traditionnelle, basée au fond sur un principe de gestion d'accès à la rareté, doit désormais laisser la place à une pédagogie d'orientation dans la surabondance. Quant au contrôle de la qualité, il n'est peut être pas plus difficile à assurer sur les réseaux électroniques (fréquentés par des milliers et des milliers d'utilisateurs et donnant naissance à des phénomènes d'autorégulation intéressants) que dans les structures traditionnelles où la très grande discrétion pouvait avoir tendance à l'emporter bien souvent sur la transparence et sur la remise en cause des pratiques pédagogiques On mentionne aussi souvent les problèmes de nature juridique et éthique qui ont trait au développement des usages de l'information électronique. Il est en effet de plus en plus difficile de résister aux manipulations de toutes natures qu'autorisent les réseaux électroniques. Il est également de plus en plus difficile de cerner les limites de la propriété intellectuelle. Un cours électronique collectif, mis à jour en permanence par les utilisateurs de ce cours, peut-il facilement être protégé au titre du droit d'auteur? Les travaux collectifs réalisés à distance et progressivement par des groupes d'étudiants ou d'apprentis chercheurs sont-ils un bien appropriable ou doivent-ils être considèrés comme un apport libre, volontaire, au développement de la communauté apprenante? Ces questions restent aujourd'hui largement ouvertes et il est important de ne pas fermer trop rapidement le débat par des législations prises hâtivement au nom d'intérêts trop particuliers, thème sur lequel des organismes comme l'UNESCO sont aujourd'hui très vigilants et même réactifs. Il en va de la diffusion large des sources d'information et de la démocratisation de l'accès à la connaissance. Mais en même temps, il faut impérativement lutter contre certaines formes de piratage et certains comportements anormaux. Les étudiants doivent être sensibilisés à ces problèmes, ce qui va dans le sens du développement, à l'école et à l'université, d'une véritable culture de l'information. Enfin, un problème crucial réside dans le manque de préparation de nombre d'enseignants en place au bon usage de ces moyens nouveaux. Certains vont même jusqu'à parler d'une véritable "analphabétisation" des corps enseignants face à l'informatique, à la révolution numérique et aux sources électroniques et multimédias d'information. Il y a urgence à former les formateurs comme il est important de pouvoir les équiper aussi rapidement et aussi largement que possible en moyens d'accès aux sources numériques et multimédias. Des politiques volontaristes doivent être définies et mises en oeuvre aux niveau des établissements de formation (au sein des établissements comme au sein de campus virtuels groupant ces établissements). Les rencontres entre formateurs doivent être multipliées de façon à aider ceux-ci à s'approprier les nouvelles technologies. Le risque est en effet évident: les jeunes générations d'élèves et d'étudiants sont désormais bien "branchées" alors que les enseignants peinent dans l'usage des nouvelles technologies. Ne risque-t-on de s'acheminer vers une autre fracture sociale ayant trait à l'accès à l'information et au savoir?

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Qui aurait pu imaginer en 1747, au moment où la France créait l'Ecole royale des ponts et chaussées, sa première Ecole d'ingénieurs, que deux siècles et demi plus tard les hommes communiqueraient entre eux à distance, voleraient par dessus les continents et les océans, traverseraient la Manche à pied sec? Qui aurait pu imaginer alors que l'essentiel des connaissances encyclopédiques pourrait tenir sur un minuscule disque CD-ROM? Qui aurait pu imaginer que les hommes transmettraient leurs notes de calcul ou leurs projets à l'autre bout de la planète dans les minutes suivant leur élaboration, grâce à la télécopie ou à Internet? Il faut se rendre à l'évidence, le monde a profondément changé. Mais nos systèmes de formation restent identiques pour l'essentiel à ce qu'ils étaient il y a deux siècles. Les enseignants et responsables d'Ecoles d'ingénieurs ou d'universités risquent donc de porter une lourde responsabilité au regard de l'histoire s'ils ne parviennent pas à imaginer et mettre en oeuvre d'autres approches de la formation privilégiant les démarches autonomes et généralisées d'accès à l'information et à la connaissance, d'autres méthodologies de l'apprentissage et de l'entretien des savoirs. Il faut impérativement inventer et promouvoir de nouvelles structures et pratiques de formation compatibles avec le développement de la société de l'information.