Une politique et des partenariats pour le développement de l'infoculture:

l'information au coeur d'une nouvelle solidarité

 Version anglaise publiée

Policy and partnerships for the Development of the Infoculture: Information at the Centre of a New Form of Solidarity

JM 290

Publications Jean MICHEL
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Colloque INFOethics, Monte-Carlo, Monaco, 10-12 March 1997, In " The International Information and Library Review ", Volume 29, Number 3-4, Sept-Dec 1997, pp 465-478

            Le développement des technologies numériques de production, de traitement,  de diffusion et d'utilisation de l'information conduit à l'émergence d'une nouvelle société basée sur une transformation en profondeur des relations entre les hommes et les institutions et sur une modification assez radicale de nombre de leurs pratiques professionnelles, économiques, éducatives ou culturelles.

            La question cruciale que l'on doit se poser aujourd'hui est celle de savoir si nos sociétés traditionnelles sont préparées à une telle mutation de leurs modes de pensée, de communication et d'action. Les hommes sont-ils sensibilisés et formés à devenir des citoyens de cette nouvelle société de l'information? Sont-ils préparés à être des acteurs efficaces et responsables de nouvelles communautés vivant de l'échange d'information? Au fond, est-on prêt à participer à une nouvelle culture fondée sur une circulation accélérée et élargie des informations, des idées et des connaissances?

            Le développement de cette culture particulière ou infoculture passe en priorité par l'éducation comme par la formation générale ou professionnelle, initiale ou continue ou encore par la sensibilisation du grand-public. Parvenir à une réelle infoculture nécessite une véritable mobilisation de tous les acteurs qui, à des titres divers, contribuent à la société de l'information. Des partenariats sont à stimuler ; des projets nationaux, régionaux ou mondiaux doivent être soutenus ; une nouvelle solidarité en matière de développement de l'infoculture apparaît plus essentielle que jamais.

 

1 - DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION A L'INFOCULTURE  

1-1. Les grands traits d'une révolution technologique et sociétale

            Le développement prodigieux des nouvelles technologies de l'information au cours des dernières décennies aboutit aujourd'hui à une sorte de rupture de pente dans l'évolution de nos sociétés. Plusieurs tendances et caractéristiques fortes se dégagent:

            - la généralisation de la microinformatique ; elle conduit à une banalisation d'un outil qui devient et deviendra plus encore la machine domestique la plus proche de l'homme, son indispensable prolongement dans la pensée et l'action ;  

            - la numérisation généralisée des données et des documents : elle facilite les opérations de traitement, de diffusion, d'exploitation de l'information concernée et en réduit considérablement leur coût ; surtout elle permet de s'affranchir de certaines barrières traditionnelles (formats, standards, natures des documents,...) ;

            - les capacités accrues de stockage de ces données numérisées ; elles engendrent de nouvelles perspectives pour l'archivage de nos pensées et de nos faits et gestes ; elles rendent possible l'accès simple, personnalisé, à de vastes gisements d'informations et de connaissances;

            - les réseaux de télécommunications et leurs performances de plus en plus exceptionnelles ; qu'ils soient matériels (réseaux de téléphone, fibre optique,...) ou plus immatériels (transmissions par satellites, téléphones cellulaires,...), ils renforcent la connectivité des diverses sociétés et contribuent largement à de nouvelles structures d'association ou de coopération ;

            - le couplage des diverses technologies précédentes et notamment les réseaux d'interconnexion des ordinateurs et l'interopérabilité de ces réseaux ; le phénomène Internet est sûrement l'événement le plus marquant de cette fin de millénaire ; paradoxalement son succès est moins dû à l'invention d'une nouvelle technique qu'à la force d'une formidable innovation socio-économique et sociétale qui permet le développement d'une véritable socio-intelligence à l'échelle planétaire ;

            - les nouveaux langages structurés (SGML, HTML, hypertext,...) et les outils d'ingénierie linguistique (agents intelligents de recherche, interfaces utilisateurs-machines,...) ; ils conduisent à des progrès substantiels dans la convivialité des dispositifs techniques et dans la consultation de volumes considérables de données, quelles qu'en soient leurs origines, leurs langues,leurs  formats.     

1-1. Des technologies et des hommes

            L'intégration de ces diverses technologies de l'information dans des systèmes de plus en plus cohérents peut alors donner naissance à des produits et services originaux et engendrer de nouvelles pratiques sociales basées sur un nouvel usage de l'information. Les caractéristiques principales de ces nouveaux usages de l'information peuvent être résumées de la façon suivante:

            - un accès considérablement élargi à l'information, tant en volume de données mis à disposition, qu'en spectre ou diversité de cette information comme encore en origines des sources émettrices ; toutefois cette surabondance subite peut s'accompagner de nuisances qu'il faudra apprendre à maîtriser ;

            - la capacité pour l'individu d'être réellement à la fois utilisateur et producteur d'information ; l'interactivité des nouveaux systèmes d'information est bien ce qui les distingue le plus des dispositifs développés dans les années 60 et 70 (bases de données en mode ASCII ou vidéotex notamment) ; mais la libre expression peut vite se transformer aussi en cauchemar suite à des usages illicites des réseaux ou à des démarches non contrôlées de prosélytisme ;

            - l'ouverture des frontières, l'internationalisation et la mondialisation des échanges d'information ; le nouveau village global mondial devient peu à peu notre référentiel et l'information numérique circulant sur les réseaux crée les conditions de nouvelles formes de créativité ;  en négatif, le risque est grand de voir s'instaurer de véritables monopoles de fait sur la diffusion de certaines informations et donc d'engendrer des situations de dépendance intolérables ;

            - l'intégration de ces nouvelles ressources informationnelles dans les différentes pratiques humaines, professionnelles ou non : nouvelles conditions de travail (télétravail), enseignement et formation à distance, bureautique, téléassociation, clubs virtuels,...

1-3. L'information numérique, entre idée et document : vers le libre accès

            Traditionnellement, nous avons coutume de distinguer les idées des supports qui les présentent ; les idées sont généralement admises comme étant de libre circulation (il n'y a pas de propriété formelle sur les idées) ; la mise en forme des idées par un texte ou un schéma sur un document peut, au contraire être protégée dans la mesure où il y a là oeuvre originale de création. Le nouveau contexte numérique nous pose de ce point de vue de nouveaux problèmes : faudra-t-il désormais considérer toute suite de caractères dans un message électronique comme une oeuvre d'auteur à protéger, même s'il s'agit d'idées fugaces? Inversement comment pourra-t-on valablement protéger une oeuvre réelle dès lors que sa duplication et diffusion par voie numérique est si aisée?

            L'avantage majeur des nouvelles technologies de l'information est de favoriser un transfert le plus large  possible des idées et des connaissances et de renforcer considérablement le potentiel de créativité et de compétitivité de nos sociétés. Il est donc essentiel de penser et construire la société de l'information comme une société délibérément ouverte, une société responsable de son développement par le libre échange de l'information ; les situations ou mesures de protection et de fermeture ne doivent être que l'exception par rapport à cette règle du libre accès et du libre échange. Cela conduit notamment à affirmer le principe que l'information numérique, vecteur majeur de l'échange des idées dans le futur, est en règle générale de libre circulation, sauf lorsque des restrictions précisément et valablement définies s'y opposent.

1-4. Les risques inhérents à la nouvelle société de l'information

            Il existe des risques qu'il ne faut pas sous-estimer et qui rendent nécessaire le développement d'une véritable culture de l'information.

            On peut ainsi voir se créer, dans les prochaines décennies, des  sociétés à plusieurs vitesses avec des phénomènes de marginalisation rapide de tout ou partie de certains groupes de population. On peut craindre aussi l'apparition de nouveaux monopoles d'influence économique comme la mise en cause de la diversité culturelle ou linguistique. Les problèmes de sécurité, de confidentialité, de fiabilité ne sont pas à sous-estimer, même si des mesures d'ordre technique ou réglementaire peuvent apporter des réponses satisfaisantes.

            D'autres inquiétudes commencent à percer face au développement d'une nouvelle culture électronique souvent considérer comme trop fugace et bigarrée ; inquiétudes aussi face à un risque de banalisation de l'information et d'uniformisation des idées et des projets. On peut encore mentionner les craintes face à des excès de contre-réaction (dispositifs de censure) ou face à la possibilité d'un contrôle (numérique) excessif des usages  des informations sur les réseaux.

            Il faut insister enfin sur le risque, non nul, d'une extension généralisée des mécanismes de marchandisation de l'information sur les réseaux ; depuis l'origine de l'humanité, les hommes et les institutions ont accordé une importance extrême à l'échange et au développement coopératif des idées ; il serait regrettable que la traçabilité parfaite de l'information numérique (donc son contrôle facile) et l'enfermement de celle-ci dans des "paquets" de bits conduisent à renforcer de façon abusive les intérêts privatifs particuliers et à considérer désormais toute suite de caractères numérisés comme marchandise monnayable.

1-5. Les freins au développement de la société de l'information

            Les freins les plus évidents sont de nature économique ; ils ont trait aux conditions économiques et techniques d'accès à l'information numérique et s'expriment en termes de carences en matière d'équipements ou d'infrastructures (réseaux spécialisés, lignes téléphoniques, grands serveurs ou routeurs,...), en difficultés d'acquisition de postes de travail (à domicile comme dans certaines entreprises ou institutions) ou encore en coût trop élevé d'utilisation de ces technologies (problème du monopole des opérateurs de télécommunications).

            D'autres blocages également évidents existent : barrières linguistiques, manque de compétences informatiques ou en matière de télécommunications, dispositions juridiques contraignantes dans certaines situations, excès de mesures de sécurité dans certaines institutions. L'absence de maîtrise des gisements d'information peut être encore évoquée, comme aussi la non préparation des détenteurs de fonds de données et de documents à passer à l'ère du numérique.

            Plus subtilement, mais certainement plus fondamentales, interviennent aussi certaines limitations telles que l'absence de culture technologique de base dans certains milieux susceptible d'utiliser ces nouveaux outils ou encore l'absence de culture de "réseau" ou au contraire l'influence trop forte (dans les têtes et dans les moeurs) de certains modèles organisationnels hérités du XIXème siècle (comment passer des schémas pyramidaux hiérarchiques au concept de réseau avec forte connectivité entre toutes les parties du réseau?). On peut enfin citer les blocages d'ordre psychologique liés au rythme de changement trop rapide, au trop plein d'information et à l'incapacité à maîtriser cette surabondance, à la confrontation brutale à d'autres cultures et à d'autres modes de pensée.

1-6. Vers une culture de l'information ou infoculture

            Ce nouveau contexte associé au développement des technologies numériques et à l'émergence de l'information et l'omniprésence de celle-ci dans toutes les activités humaines conduit à s'interroger sur la capacité des individus et des institutions à absorber ce choc culturel et à développer un réelle culture de l'information.

            Certes les pratiques sociales autour de l'information numériques ne vont pas créer, ex-nihilo, une nouvelle culture qui serait celle de l'information et qui s'imposerait comme référentiel d'une nouvelle modernité au détriment d'autres composantes culturelles plus traditionnelles. Il s'agit plutôt de prendre en compte et comprendre le phénomène culturel induit par l'accès généralisé à l'information numérique, d'en maîtriser autant que faire se peut les tenants et les aboutissants, d'intégrer cette nouvelle donne dans les pratiques culturelles, économiques ou sociales existantes, en un mot, de développer une véritable culture de l'information permettant l'évolution équilibrée de nos sociétés .

            On définira donc par infoculture (culture de l'information), cette nouvelle composante culturelle fondée sur un élargissement considérable des conditions d'accès à l'information engendré par les nouvelles technologies numériques mais nécessitant un investissement important en matière de sensibilisation et d'éducation pour en maîtriser toutes les dimensions et toutes les conséquences.  L'infoculture doit aider les individus à devenir des citoyens à part entière de la société de l'information.

 

2 - DES ACTIONS ET DES PARTENARIATS POUR L'INFOCULTURE  

2-1. Sensibiliser et former à l'information : développer l'infoculture

            De nombreux rapports récents mettent l'accent sur l'importance et la nécessité d'une bonne sensibilisation des enfants, des étudiants et des professionnels et plus généralement des citoyens aux enjeux de l'information aujourd'hui (1). Ils insistent sur le besoin de préparation méthodologique aux démarches modernes d'accès à l'information, qu'elles s'appuient sur des dispositifs censés être bien connus comme les bibliothèques ou sur des usages plus avancés et nouveaux des technologies numériques. Ces rapports ne manquent pas aussi de mentionner la nécessité de développer une prise de conscience des conséquences sociales, économiques, juridiques et culturelles de la nouvelle société de l'information.

            De telles actions de sensibilisation ou de formation peuvent viser différents objectifs. Il faut d'abord connaître ou savoir ce qui est en train de se passer, identifier les éléments constitutifs de ce nouveau monde de l'information. Il faut ensuite comprendre vraiment ce qui se passe, être capable d'appréhender ce monde sans le craindre, sans le fuir. Il est évident aussi qu'il faut très vite maîtriser un minimum de choses, notamment les techniques de base de l'information numérique et plus encore les méthodologies qui président à la production, au traitement ou à la recherche de l'information. Il devient alors rapidement nécessaire d'acquérir des aptitudes nouvelles et des compétences plus spécialisées, être capable de jongler avec les nouveaux outils, savoir donner du sens à l'information qu'on manipule, comprendre les contextes où cette information s'exprime. Il faut enfin devenir acteur à part entière du système d'information, être capable d'intervenir pour le modifier ou pour créer et diffuser de nouveaux objets informationnels

            Les contenus de telles actions de sensibilisation ou de formation sont bien entendu variables selon les terrains d'application. On peut de façon schématique, identifier les grands domaines suivants :

            - système et société de l'information : infrastructure et infostructure, grands dispositifs de diffusion des idées et des informations, rôles des acteurs ;

            - technologies et méthodologies de l'information : maîtrise des outils d'accès, méthodes de production, de traitement et de recherche de l'information ;

            - sources, gisements et contenus : l'information sous ses différents angles :

            - aspects juridiques, éthiques et socioculturels : vers l'infoculture.

            Il n'est pas dans l'objectif de la présente communication d'inventorier toutes les démarches mises en place ces dernières années pour stimuler cette infoculture. Il est clair qu'un tel inventaire montrerait une grande variété d'approches, avec des expériences allant de l'enseignement dans les écoles, les collèges ou lycées aux initiatives développées en milieu universitaire ; il montrerait aussi des réalisations faites en formation continue, dans des grandes entreprises comme pour des réseaux de petites et moyennes entreprises ; il conduirait aussi à découvrir des actions menées à l'initiative d'acteurs les plus divers : bibliothèques, établissements de formation, associations professionnelles, administrations, etc..

            On donnera ci-après quelques exemples de projets, opérations ou programmes d'actions (très contrastés) en insistant sur certains points qui conduiront à esquisser ce que pourrait être un plan pour le développement de l'infoculture, avec des démarches partenariales à stimuler. Les exemples sont pris, dans un environnement plutôt proche des domaines d'intervention de l'auteur.

2-2. Des actions pour le développement de l'infoculture en milieu éducatif

            Au niveau de l'enseignement secondaire français, il est important de citer l'effort entrepris depuis plusieurs années pour mettre à disposition des enfants les indispensables outils  d'accès à l'information à travers les CDI, Centres d'Information et de Documentation. Ces petites structures documentaires sont développées dans les divers collèges et lycées. Des professionnels de l'information-documentation en sont responsables ; leur statut de formateur en font des acteurs privilégiés du développement d'une culture de l'information. La plupart des CDI sont aujourd'hui bien équipés en matière de nouvelles technologies numériques. Leur prochaine connexion au réseau national français  RENATER leur permettra d'amener vraiment les enfants au coeur de la nouvelle société de l'information. Il est intéressant de souligner ici, dans le succès de la démarche, l'importance d'une politique nationale volontariste comme aussi le rôle déterminant de grandes associations professionnelles permettant les échanges d'expérience entre les divers acteurs de terrain.

            A niveau des études universitaires, existe également en France, un réseau d'entités spécialisées dans la formation à l'information scientifique et technique, les URFIST (Unités Régionales pour la Formation à l'Information Scientifique et Technique). De telles structures conduisent des programmes de sensibilisation et de formation, notamment au niveau des premiers cycles universitaires. Orientées dès leur origine sur l'accès aux bases de données, les URFIST se tournent assez naturellement aujourd'hui vers les ressources disponibles via Internet et élaborent en outre des outils facilitant la recherche pertinente sur la "toile" mondiale. A nouveau, on soulignera l'importance d'une démarche politique forte (la création des URFIST et l'intégration des formations dispensées dans les cursus), comme aussi le rôle moteur des spécialistes intervenant dans ces structures en articulation étroite avec les responsables des bibliothèques universitaires.

            Dans un secteur particulier de l'enseignement supérieur (les études d'ingénieurs), de nombreuses expériences ont été réalisées depuis une vingtaine d'années (2, 3). En France, des financements publics ont été dégagés pour développer des formations à l'interrogation des bases de données avec le souci d'intégrer ces formations à l'enseignement classiquement dispensé. De telles démarches de formation des étudiants futurs ingénieurs se sont aussi multipliées dans de nombreux pays, avec des approches très diversifiées. On peut en prendre connaissance à travers le guide méthodologique publié par l'UNESCO (4) . Aujourd'hui, dans beaucoup d'Ecoles d'ingénieurs françaises l'accès des étudiants à Internet est une composante essentielle de l'accompagnement pédagogique. On peut retenir dans cet exemple le rôle déterminant joué par certains groupements d'institutions (cas de la Conférence des Grandes Ecoles en France) et par des partenariats entre responsables de bibliothèques d'une part et enseignants de disciplines diverses d'autre part.

            Une expérience originale développée à Montpellier ces dernières années consiste à créer un "passeport documentaire". Cette action cherche à établir une cohérence entre toutes les actions de formation à la culture de l'information, du CDI à la bibliothèque universitaire. Il s'agit aussi de définir les objectifs, les contenus et les modalités des interventions pédagogiques aux différents niveaux du cycle long de formation. On retiendra de cette expérience en cours de développement l'idée de construire un dispositif progressif et cohérent de formation à l'information et surtout l'importance d'un travail en partenariat associant des acteurs d'origine les plus diverses.

            Une autre réalisation symptomatique de cette volonté de développer une culture de l'information : le cours électronique EDUCATE de sensibilisation et de formation à l'information scientifique te technique (5). Ce cours élaboré dans le cadre d'un programme de la Commission Européenne est l'oeuvre d'un consortium de six grandes universités européennes. Basé sur un usage systématique d'Internet, ce cours présente la caractéristique d'être à la fois un outil et une ressource pédagogiques (des contenus précisément définis, des cheminements bien étudiés) et aussi un instrument d'orientation vers les sources utiles. EDUCATE peut être utilisé à la fois par des étudiants, des chercheurs des professionnels de l'information et des ingénieurs ou scientifiques en activité. On notera dans la cas d'EDUCATE le rôle déterminant joué par une programme communautaire assurant le financement d'un produit assez lourd (investissement pédagogique majeur)  ainsi que l'excellente collaboration entre six partenaires européens ayant chacun un domaine de compétence à faire valoir (ainsi, par exemple, EDUCATE a été testé pour une diffusion du cours par satellite grâce à l'un des membres du consortium).  Des négociations sont désormais en cours pour permettre un accès aussi large que possible à EDUCATE.

2-3. Le rôle des structures professionnelles 

            Dans un autre contexte international, la FMOI (Fédération Mondiale des Organisations d'Ingénieurs) s'efforce de sensibiliser les responsables des différentes associations nationales d'ingénieurs à l'usage des réseaux électroniques d'information. Des séminaires régionaux sont organisés pour expliquer l'intérêt de ces réseaux et pour inciter les associations membres à agir de même vis à vis de leurs membres. Des guides vont être produits pour aider ces associations à développer leurs propres sites Web et à utiliser au mieux la communication électronique. En arrière plan de cette action considérée comme stratégique se profile une double exigence : d'une part favoriser l'échange et la valorisation des idées et des connaissances dans les diverses communautés d'ingénieurs, en particulier pour contribuer au développement durable, d'autre part transformer les modalités de fonctionnement des associations professionnelles par une communication plus interactive entre les divers membres de ces associations. Cette expérience montre que des communautés spécialisées peuvent se donner un objectif de sensibilisation et de formation à la culture de l'information et développer des approches originales. Le contexte mondial oblige aussi à analyser très attentivement les conditions d'échec ou de blocage pour une telle infoculture ; le partenariat international, avec sa dimension Nord-Sud, aide à poser les bonnes questions et à rechercher solidairement les solutions appropriées.

            On peut terminer cette rapide présentation d'expériences et de projets par l'action menée en France depuis 1994 par l'ABCD, l'interassociation des archivistes, bibliothécaires, documentalistes et autres professionnels de l'information, pour le développement d'une culture de l'information. Plusieurs manifestations nationales ont permis d'attirer l'attention des pouvoirs publics et des professionnels sur le nécessité de prendre en compte cette exigence de développement de l'infoculture. Un manifeste a été rédigé et diffusé (6). Il propose un certain nombre de mesures concrètes. On notera à nouveau la forte implication des milieux professionnels sur ce thème et la volonté collective de faire avancer les choses, en particulier de mettre sur pied une véritable action politique pour le développement de la culture de l'information.

 

3 - DES PROPOSITIONS POUR LE DEVELOPPEMENT DE L'INFOCULTURE

            Il faut agir sans tarder mais il faut aussi tenir compte de ce qui existe et de ce qui a été développé depuis deux à trois décennies. Des réorientations de certains programmes ou dispositifs existants s'imposent ; des innovations doivent aussi être stimulées. La prise en compte des spécificités de la nouvelle société de l'information exige un nouveau regard sur les pratiques de sensibilisation et de formation antérieurement développées.

3-1. Le rôle de l'UNESCO en faveur de l'infoculture

            a) L'UNESCO doit plus que jamais se définir comme l'institution garante d'un développement équilibré de la nouvelle société de l'information. L'UNESCO doit être l'instance intergouvernementale capable d'exprimer et de gérer un projet acceptable et moteur en matière de culture de l'information ou infoculture. Elle doit exprimer et défendre les intérêts des individus, des institutions et des collectivités pour un usage aussi libre que possible de l'information dans le respect des droits légitimes des diverses parties concernées.

            b) L'infoculture doit désormais être considérée comme une composante essentielle du Programme Général d'Information (PGI) de l'UNESCO.

            c) L'UNESCO doit interpeller les autres organisations des Nations-Unies et les grandes organisations non-gouvernementales intervenant dans le champ de l'information sur les conséquences de l'usage des technologies numériques et sur les nécessaires actions d'accompagnement pour favoriser l'émergence d'une réelle culture de l'information ;  des programmes prioritaires d'actions concertées entre ces différentes organisations sur le thème du développement de l'infoculture doivent être rapidement mis sur pied. 

3-2. Les mesures structurelles à entreprendre au niveau des Etats

            a) Le développement de la culture de l'information doit être considéré comme une priorité par les Etats et les divers gouvernements nationaux. Des politiques nationales doivent être définies et mises en oeuvre, avec des budgets et des programmes d'action relatifs à la sensibilisation et la formation des citoyens (enfants, étudiants, adultes,...) comme de divers groupes professionnels ; ces programmes d'actions pour le développement de l'infoculture doivent être réalisés sur la base de partenariats les plus larges possibles.

            b) Des comités nationaux pour le développement de l'infoculture doivent aussi être établis. Composés de personnalités reconnues pour leur engagement dans le développement de la société de l'information et représentant différents segments de la société civile, de tels comités nationaux doivent aider à évaluer les efforts faits pour le développement de l'infoculture et à définir de grandes orientations en la matière ; ils contribueront aussi au décloisonnement de la réflexion et de l'action dans ce domaine.

            c) Des groupements, pôles ou centres régionaux pour le développement de l'infoculture doivent être créés et aidés financièrement pour la mise en oeuvre des programmes de sensibilisation et de formation ; de tels groupements ou centres doivent s'appuyer sur des partenariats de compétences (milieux éducatifs, mouvements associatifs, monde économique, collectivités territoriales) ; le maillage au plan national ou international de ces groupements, pôles ou centres doit être recherché.

            d) Des chartes pour le développement de l'infoculture doivent être établies et largement diffusées, énonçant les valeurs défendues et précisant les obligations ou exigences pour les pays qui les approuvent ; de telles chartes nécessitent une consultation la plus large possible de différents groupes d'acteurs.

3-3. Des mesures d'accompagnement

            a) Il est nécessaire de réaliser au plus vite des inventaires ou états de l'existant, pays par pays. L'UNESCO doit jouer un rôle de coordinateur de ce travail d'inventaire et peut également contribuer à l'élaboration d'une méthodologie commune pour la réalisation de ces inventaires. Il serait souhaitable de pouvoir disposer, d'ici deux à trois ans, d'un bilan global (sorte d'audit mondial sur le développement de l'infoculture) faisant ressortir les efforts réalisés mais aussi les difficultés rencontrées ou les échecs.

            b) Dans le même ordre d'idées, on doit constituer des bases de données et des observatoires sur les expériences en cours. Ces outils permettront un meilleur suivi des actions, favoriseront les échanges et la capitalisation des expériences.

            c) Des rencontres spécifiques (ateliers, séminaires, colloques,...) doivent être développées assez systématiquement dans les trois à cinq prochaines années. Ces rencontres (à différents niveaux, pour différents groupes de publics) permettront de bien poser les problèmes de l'infoculture et de son développement, de faire prendre conscience de la nécessité d'actions spécifiques, d'informer et d'échanger sur les expériences et de permettre une large confrontation de points de vue entre différentes partenaires, acteurs de la société de l'information ou encore entre différents pays. On peut notamment encourager les pays à tenir assez rapidement de véritables assises nationales pour le développement de l'infoculture.

            d) Des aides financières doivent être dégagées pour le soutien de la recherche en matière d'infoculture (en particulier la recherche interdisciplinaire).

            e) Il est hautement souhaitable d'intégrer systématiquement une composante infoculture dans les différents programmes d'aides financières existants en matière de développement de l'industrie et des services de l'information. Affecter 2 à 3% des moyens consacrés au développement des nouvelles infrastructures de télécommunications, des plates-formes numériques nationales ou régionales ou des nouveaux bouquets de services électroniques permettra sûrement de réaliser d'utiles programmes de sensibilisation et de formation dans le domaine de la culture de l'information.

3-4. Des actions concrètes pour la sensibilisation et la formation

            a) Il convient d'encourager la réalisation de programmes de télévision visant la sensibilisation du grand public pour un usage efficace et raisonné des nouvelles technologies de l'information ; de tels programmes de télévision permettront d'aborder de façon appropriée les aspects éthiques et juridiques d'une telle circulation ouverte et mondiale de l'information, comme aussi ses conséquences économiques, sociales, culturelles et sociétales.

            b) Il est de même important de soutenir la réalisation de programmes de télévision visant la formation minimale d'un large public en matière d'usage de certaines technologies de l'information (par exemple : qu'est-ce qu'Internet, comment ça fonctionne, comment se connecter?) ; la coopération internationale peut être mobilisée pour la réalisation de tels programmes.

            c) Des programmes didactiques multimédia doivent de même être réalisés avec le soutien financier des pouvoirs publics des différents pays ou avec l'aide des organisations des Nations Unies (UNESCO notamment) ; de tels produits didactiques qui toucheront des publics différenciés à des niveaux très diversifiés, doivent être accessibles en ligne ou hors ligne et être disponibles sur différents types de supports ; ces programmes peuvent être réalisés dans le cadre de larges partenariats, en s'appuyant notamment sur les réalisations d'ores et déjà existantes (ou en assurant la diffusion de ceux-ci s'ils sont reconnus comme appropriés pour les cibles visées).

            d) Il faut encourager la création et le développement de sites Web Internet spécialement dédiés à l'infoculture ; ces sites sont à concevoir prioritairement au niveau national, mais des réalisations plus locales ou au contraire plus larges (grandes régions) peuvent aussi aider au développement de l'infoculture ; de tels sites Web mettront à disposition du public les programmes de formation évoqués plus haut ainsi que les diverses informations utiles (textes réglementaires, chartes,...) ou faciliteront encore les libres discussions sur l'infoculture.

            e) Des actions pédagogiques doivent être conduites systématiquement dans les établissements d'enseignement secondaire. Il est nécessaire, à ce niveau, de favoriser une bonne maîtrise des technologies numériques de l'information mais surtout de faire acquérir des méthodologies pour l'accès efficace à l'information pertinente, pour l'usage raisonné de celle-ci et pour la diffusion des idées ; l'accent doit être mis également sur une meilleure connaissance des implications et de la signification réelle de cette nouvelle société de l'information. De telles actions pédagogiques doivent être pleinement intégrées dans les programmes de base dispensés dans ces établissements.

            f) Des actions pédagogiques de nature similaire doivent être systématisées dans les divers établissements d'enseignement supérieur (au niveau des premiers cycles universitaires, avec modules didactiques considèrés comme obligatoires). De telles formations sont à développer sur la base de partenariats associant des spécialistes de l'information, des responsables de bibliothèques universitaires, des spécialistes des divers contenus de spécialité. Le recours à des outils électroniques multimédia doit être encouragé dans le cadre de ces actions de formation.

            g) Les enseignants intervenant à différents niveaux du système éducatif doivent obligatoirement recevoir une formation dans ce domaine et être capables d'apporter une contribution spécifique sur l'infoculture dans le cadre de leur propre enseignement. Les établissements formant ces enseignements doivent inclure une telle formation dans leurs programmes.

            h) Les professionnels de l'information et de la documentation (responsables de centres de documentation ou de bibliothèques notamment) doivent être sensibilisés à leur rôle de médiateur pédagogique dans ce domaine de l'information multimédia. Les établissements qui les forment doivent désormais inclure systématiquement un module consacré au développement de l'infoculture dans la société. Des actions de formation continue doivent de même être organisées pour les professionnels en exercice pour les aider à devenir des acteurs efficaces du développement de la culture de l'information.

            i) Les différents groupements de spécialistes, les associations professionnelles (quels que soient leurs domaines de compétences) doivent être incités à considérer le développement des technologies numériques comme un facteur essentiel de transformation de leur propre activité ou de celle de leurs membres. A cet égard ces groupements professionnels peuvent être soutenus dans des actions de sensibilisation et de formation de leurs membres dans le domaine de l'infoculture. A noter que de telles actions peuvent être envisagées à différents niveaux : local, national, régional ou international. La mobilisation sur ce thème des grandes associations internationales ou fédérations mondiales d'associations peut s'avérer très utile. 

3-5. Des partenariats, une nouvelle solidarité

            a) L'action en faveur de la culture de l'information est par nature transdisciplinaire. Elle concerne des acteurs les plus divers qui jusqu'à présent ne se rencontraient que rarement : informaticiens, spécialistes des télécommunications, juristes, éducateurs, bibliothécaires, personnels administratifs, responsables d'associations professionnelles, journalistes, etc.. L'approche à retenir pour le développement de l'infoculture doit s'appuyer de façon prioritaire sur des partenariats entre ces diverses composantes. Toutes les mesures mentionnées plus haut se fondent sur une telle exigence d'approches globales, partenariales. Ce critère doit être systématiquement pris en compte dans le choix des actions à entreprendre : c'est un facteur essentiel de décloisonnement de nos sociétés et surtout d'innovation pour la nouvelle société de l'information.

            b) Une priorité doit être accordée aux actions de sensibilisation et de formation touchant des parties de la population qui risquent d'être écartées de la nouvelle société de l'information. Des réalisations concrètes menées dans des quartiers difficiles ou pour des populations défavorisées, peuvent aussi jouer un rôle déterminant pour une meilleure insertion sociale de ces groupes. A cet égard, il paraît judicieux d'impliquer fortement les acteurs professionnels de terrain intervenant dans ces contextes difficiles, de les préparer eux-mêmes à cette nouvelle culture de l'information et de les doter des instruments leur permettant d'agir auprès des populations en question.

            c) Au plan international, des efforts doivent être faits pour éviter que ne s'accentue le fossé entre les pays qui accèdent aisément à l'information numérique (et la produisent) et les pays qui n'ont pas les moyens d'une participation à la nouvelle société de l'information. Cela passe bien sûr par un effort de solidarité en matière d'équipement de ces pays comme par des démarches (déjà mises en oeuvre dans le passé par l'UNESCO) favorisant l'accès au moindre coût aux ressources disponibles. En matière d'infoculture, cette solidarité doit jouer. Il convient de mettre à disposition des pays concernés un maximum d'outils pédagogiques existants et d'assurer un certain nombre d'actions de sensibilisation et de formation sur place (pour des cibles bien définies). L'implication des réseaux de spécialistes et des grandes associations professionnelles est ici fondamentale et peut conduire à l'expression d'un programme prioritaire pour l'UNESCO comme pour les diverses institutions intergouvernementales ou non-gouvernementales.

 

 (1) - MESR et UNESCO - Former et apprendre à s'informer. Pour une culture de l'information - Paris, ADBS, 1993, 128 p.

 (2) - Conférence des Grandes Ecoles - S'informer pour se former et agir. - Paris, La Documentation Française, 1987, 173 p.

 (3) - SEFI - From engineering information to engineering education - European Journal of Engineering Education, numéro spécial, vol. 12 (2), 1987.

 (4) - UNESCO - PGI - Principes directeurs pour la formation des ingénieurs à la maîtrise de l'information spécialisée. - Paris, UNESCO - PGI 92/WS/4, 1992, 131 p.

 (5) - http://educate.lib.chalmers.se

 (6) ABCD - Manifeste ABCD pour la culture de l'information - Documentaliste Sciences de l'Information, 1996, vol. 33, n°4-5, pp. 222-223.

(voir aussi http://www.adbs.fr)