Jean MICHEL
JM291
in "Arabesques" (revue de l'ABES), n°6, avril-mai-juin 1997 (Editorial) - 8 ko
La formation des professionnels des bibliothèques, comme beaucoup de formations supérieures, est aujourd'hui confrontée à des évolutions externes importantes au moment même où s'impose à elle de nouvelles exigences spécifiques dûes aux évolutions mêmes du domaine qu'elle est censée couvrir.
Le développement des échanges européens et surtout la mondialisation des économies imposent une "déshexagonalisation" de la plupart des dispositifs de formation. Ainsi faut-il désormais raisonner en termes de comparabilité et de compatibilité des cursus, mettre aussi l'accent sur le rôle des langues étrangères et sur les démarches interculturelles. Toutes les formations sont également soumises aux nécessités d'un enseignement de masse qui doit en même temps être en mesure de préparer des élites pour la conduite des projets importants de demain. La plupart des formations supérieures sont aussi amenées à se fonder sur des pratiques de recherche reconnues au plan international tout en ne négligeant pas l'objectif de juste adéquation aux besoins immédiats des organisations qui recrutent leurs diplômés. Elles sont encore fortement poussées à s'engager dans l'enseignement à distance, rendu plus aisé grâce aux nouvelles technologies de l'information et surtout au développement des réseaux électroniques. De même la formation "tout au long de la vie" est plus que jamais d'actualité, allant bien au delà des traditionnelles approches de la formation continue "à la française". Enfin, il est devenu indispensable de réajuster le cadre économique de développement de ces diverses formations. C'est dire combien le management des dispositifs de formation s'apparente bien souvent aujourd'hui à une véritable quadrature du cercle.
Si la formation des professionnels des bibliothèques ne peut pas ignorer ces mutations d'ordre général, elle ne peut surtout pas ignorer la transformation assez profonde des conditions de circulation des informations, des documents et des biens culturels en cette fin de siècle. Une nouvelle société de l'information émerge qui pose autant de problèmes qu'elle n'en résoud : droit d'accès à l'information et à la culture, propriété intellectuelle, réseaux électroniques, bibliothèque virtuelle, diffusion de l'information publique, agents intelligents de recherche, culture de l'information, etc.. Les professionnels des bibliothèques et de l'information-documentation doivent repenser leurs modalités d'intervention et sur certains points revoir les fondements mêmes de leur métier. Plus que d'autres, ils doivent anticiper les changements en cours, réactualiser rapidement leurs connaissances, prendre part à des projets innovants, ... surtout ne pas se contenter de regarder le train passer. Les formations des professionnels de ce vaste domaine en pleine expansion sont désormais au pied du mur ; elles doivent résolument s'adapter à ce nouveau contexte et oser inventer de nouveaux possibles pour ceux qu'elles veulent former. Former les professionnels des bibliothèques virtuelles ne peut pas rester une pure virtualité.
Ajoutons à cela que les formations traditionnelles ne sont plus seules sur la place. La concurrence commence à être vive (en France, mais aussi et surtout en Europe) avec la multiplication de cours et modules de formation plus ou moins spécialisés, allant de l'intelligence économique à la conception de produits multimédias en passant par l'ingénierie documentaire, la gestion des patrimoines culturels ou immatériels ou encore le management de l'information. Les cartes se brouillent, surtout au niveau international, lorsque ne joue plus la spécificité bien française qui consiste à lier une formation à un statut professionnel exclusif. En outre, des formations sont désormais systématiquement organisées aujourd'hui dans les Universités ou les Grandes Ecoles pour rendre plus autonomes les futurs cadres de la vie scientifique, technique ou économique dans leur accès à l'information-documentation, les professionnels étant en quelque sorte concurrencés sur leur propre terrain par leurs clients ou futurs clients. L'articulation entre toutes ces dispositifs de formation doit être envisagée, comme doit être posée la question de l'organisation de filières de formation cohérentes mais ouvertes dans le domaine de l'information-documentation et des bibliothèques.
Enfin, la formation des professionnels des bibliothèques, aux différents niveaux qu'ils se situent dans leurs organisations, doit non seulement viser l'adaptation au premier poste, mais doit plus encore que par le passé permettre les nécessaires évolutions professionnelles (y compris avec de possibles mobilités hors de la formation et de la profession initiales). Elle doit donner l'ouverture nécessaire aux étudiants futurs professionnels sans négliger l'apprentissage des fondements du métier. Elle doit préparer au maniement des concepts et outils pofessionnels sans enfermer pour autant les individus dans une approche trop instrumentale et à courte vue de la pratique du métier.
A l'évidence, les enjeux sont importants et les exigences redoutables ; les attentes des institutions recrutant les professionnels des bibliothèques comme celles des jeunes qui sont attirés par le domaine ne le sont pas moins. Encore faut-il percevoir les mutations en cours, avoir l'envie et la volonté de relever les défis aujourd'hui définis, enfin de mettre en oeuvre les politiques collectives, cohérentes et responsables, pour rendre possibles, en France, ces nouvelles perspectives de formation.