Jean MICHEL
JM293
in "Document numérique" Volume 1 - n°2/1997, pp. 217-231 - 52ko
PLAN
1 - DE LA DOCUMENTATION A LA SOCIETE DE L'INFORMATION
1-1. La documentation spécialisée et l'industrie de l'information
1-2. Un nouveau management de l'information
1-3. Les innovations des années quatre-vingt-dix
1-4. L'émergence de la société de l'information
2 - UNE DIVERSITE DE PRATIQUES D'INFORMATION-DOCUMENTATION
2-1. Un étonnant brouillage de pistes
2-2. Gestion de stocks ou gestion de flux
2-3. Ouverture sur le monde extérieur ou gestion des patrimoines propres
2-4. Microdocumentation ou macroinformation
2-5. Information de retrouvage ou information de découverte
2-6. Information brute ou information à valeur ajoutée
2-7. Information structurée, fermée ou information ouverte, vivante
3 - LE NUMERIQUE ENGENDRE UN BESOIN DE PROFESSIONNALISME
3-1. Le nouveau paradigme de l'information dynamique et ouverte
3-2. Les risques d'une information électronique plus ouverte
3-3. Les besoins de l'entreprise
3-4. La responsabilité du professionnel de l'information-documentation
4 - LES NOUVELLES PRATIQUES PROFESSIONNELLES DE MEDIATION
4-1. Une profession de l'information-documentation en forte évolution
4-2. La diversité croissante des interventions professionnelles
4-3. La quête de la valeur ajoutée
4-4. Les exigences d'un management global et intégré de l'information
4-5. Un nouveau positionnement professionnel
Le management de l'information et de la documentation connaît aujourd'hui une incontestable révolution. On perçoit nettement la fin d'une époque, celle des années 70-80, qui a vu la mise en place des centres de documentation dans les entreprises, puis le développement remarquable des grandes bases de données spécialisées et la multiplication des services d'information en ligne et une première forme - stabilisée - de structuration des marchés et de l'industrie de l'information. On assiste aussi aujourd'hui à l'émergence d'une société de l'information basé sur le développement exponentiel des usages d'Internet et des réseaux électroniques et sur la généralisation du document numérique.
Les documentalistes sont directement concernés par cette révolution technologique et par cette mutation des pratiques informationnelles. Il leur faut désormais changer leurs référentiels traditionnels, changer l'échelle de leurs préoccupations, adopter de nouveaux modèles de management de l'information, raisonner désormais dans une perspective infiniment plus ouverte et selon des schémas d'interactivité nettement plus affirmés. Devenant des médiateurs de l'information-documentation, ces "nouveaux professionnels" vont se positionner autrement dans les organisations et vont tirer le meilleur parti des potentialités offertes par le numérique, le multimédia et les réseaux sans renier pour autant leurs missions traditionnelles.
1-1. La documentation spécialisée et l'industrie de l'information
Avec la création des grands laboratoires de recherche, des centres d'études techniques et des grandes universités modernes se constituent vers le milieu du XXème siècle, des structures originales d'accès à la documentation spécialisée (les centres de documentation). Dès lors, la documentation se professionnalise et apparaissent (dans les années soixante) les premières formations sérieuses de documentation comme les premières organisations professionnelles (l'A.D.B.S., Association des documentalistes et bibliothécaires spécialisés, devenue aujourd'hui "L'Association des professionnels de l'information et de la documentation" est ainsi créée en 1963).
Dans le courant des années soixante-dix, l'informatique révolutionne le petit monde de la documentation spécialisée (encore appelée information scientifique et technique). On commence donc à voir apparaître de grandes bases ou banques de données bibliographiques comme par exemple les bases PASCAL, COMPENDEX ou INSPEC pour n'en citer que quelques unes. Il devient désormais possible pour le chercheur, l'ingénieur, le juriste, l'historien ou le médecin de retrouver facilement des documents qui l'intéressent dans ces nouveaux réservoirs d'information, et cela grâce à l'apparition de logiciels de recherche documentaire de plus en plus puissants.
La fin des années soixante-dix voit la multiplication des bases de données, avec comme avantage l'apparition d'une offre fabuleuse pour l'époque, mais aussi avec un grave inconvénient, celui de la juxtaposition de nombreux langages de commande. Parallèlement, les services des postes et télécommunications proposent une fonction de transporteur des données et mettent en place des équipements très structurants comme les réseaux de transport des données à grands débits (réseau TRANSPAC en France). Des centres serveurs disposant de puissants ordinateurs, sont créés de toutes pièces pour faciliter l'interrogation des bases de données: QUESTEL, STN, DIALOG, ESA, etc.. Ces centres serveurs (dont certains sont fortement soutenus par les Etats) sont à la fois des hypermarchés de la distribution des informations et des guichets uniques pour l'accès à des dizaines de bases de données. Les logiciels d'interrogation ou langages de commande (recherche sur chaînes de caractères, interrogation en langage naturel, bases de données en texte intégral,...), développent des ergonomies d'interrogation plus conviviales, les producteurs améliorant alors la qualité de leurs produits et, en France, se mettent à utiliser le vidéotex (minitel). On commence sérieusement à parler d'une "industrie de l'information" pour tous ces services nouveaux en ligne.
1-2. Un nouveau management de l'information
L'offre devenant plus complexe et déjà surabonadante, on fait alors de plus en plus appel à des sous-traitants spécialisés pour sélectionner ce qui est pertinent de ce qui ne l'est pas. Le courtier en information, ou encore "broker", apparait effectivement comme un nouveau médiateur de l'information. Il écoute la demande de l'entrepreneur, de l'ingénieur ou du chercheur et se débrouille dans la jungle informationnelle pour déceler l'information intéressante et la remettre au client. Les entreprises "externalisent" alors de plus en plus les recherches d'information spécialisée faites, traditionnellement, par les centres de documentation,
Le management de l'information, c'est à dire la gestion et l'organisation de l'ensemble des pratiques relatives à l'information dans une organisation donnée, se complexifie et se diversifie dans les années soixante-dix et quatre-vingt. On assiste alors au développement des pratiques dites de veille stratégique, technologique, concurrentielle ou commerciale, le concept-clé à la mode étant désormais celui de l'intelligence économique. La profession de "veilleur" voit même le jour. La veille technologique et l'intelligence économique peuvent enfin s'appuyer sur des outils nouveaux de bibliométrie ou de scientométrie, basés sur des analyses statistiques des grands flux et stocks d'information électronique.
Au même moment, la gestion de la documentation produite en interne dans une organisation donnée devient également une priorité. Cela conduit notamment les organisations à chercher à valoriser leur "littérature grise" et leurs productions documentaires internes. Elles investissent en équipements de gestion électronique de documents pour améliorer l'accès à leurs documentations techniques internes, les techniques de "groupe-ware" et de "work-flow" et celles de l'Intranet ouvrant de nouvelles perspectives pour un management intégré de l'information-documentation de l'entreprise.
1-3. Les innovations des années quatre-vingt-dix
La téléinformatique, l'interconnexion des ordinateurs, le courrier électronique et le multimédia conduisent aujourd'hui à de nouveaux développements des pratiques d'information et de documentation.
S'ils savent le faire, chercheurs, ingénieurs, enseignants et autres spécialistes du monde entier peuvent communiquer directement entre eux à travers des réseaux d'ordinateurs (RENATER, Internet,...), transférer des textes sans avoir recours au papier. Ils peuvent participer à de vastes conférences ou forums "en ligne" (plusieurs milliers de spécialistes de toute la planète font des contributions en direct sur des thèmes donnés). Ils peuvent échanger à distance des logiciels informatiques, consulter des banques d'images, obtenir sur leur ordinateur les discours de personnalités politiques, écouter un enregistrement sonore rarissime ou plus simplement consulter tous les catalogues informatisés des bibliothèques du monde entier. Cette nouvelle forme de télé-information court-circuite les traditionnels acteurs de l'édition et de la documentation, accélère les échanges d'idées et d'expériences, renforce la dimension collective de la créativité et de l'invention. Elle debouche sur un changement radical des mentalités, privilégiant désormais le libre parcours dans l'information et la mobilisation des ressources au sein de réseaux ouverts.
Il faut encore évoquer le développement des nouvelles technologies numériques de stockage des documents (disque optique numérique, cédérom,...) et celui de la GED (gestion électronique de documents). Les techniques de numérisation des textes et des images, associées aux mémoires électroniques ou optiques de grande capacité, offrent aux entreprises la possibilité de se constituer de grands réservoirs électroniques de documents et de gérer leurs propres patrimoines internes de données et de documents. L'apparition de nouveaux logiciels de reconnaissance optique des caractères (OCR), de traitement linguistique des textes et d'indexation automatique apporte aujourd'hui à l'archivage électronique de nouvelles possibilités. On s'achemine vers la création de grands systèmes documentaires très performants permettant à la fois le stockage des documents, la réponse à des questions complexes sur plusieurs critères, la navigation dans les ensembles de documents (grâce à des logiciels d'hypertexte), la visualisation et restitution des documents eux-mêmes, ainsi que le développement de pratiques de bibliométrie et de veille.
De même doit-on noter l'apparition et le développement prodigieux d'une offre nouvelle d'information sur support cédérom (autre forme du multimédia, mais qui peut aussi exister sur les réseaux électroniques). S'affranchissant de la contrainte du transporteur (le droit de péage des télécommunications), le cédérom apparaît comme un outil privilégié d'accès (multiple, répété) à de vastes gisements d'information, avec la possibilité de naviguer, à coût quasiment nul, dans ces nouveaux conteneurs de savoir. Le cédérom, le CD-I, la DVD demain, les logiciels d'hypertexte et le "multimédia" aident à mettre en relation des textes, des images et des sons et à offrir des possibilités de navigation entre différents "documents" de natures très variées. On peut ainsi constituer de véritables encyclopédies multimedia, nouvelles formes interactives de documentation, mais plus encore nouvelles approches d'une imbrication intelligente et moderne de l'information et de la formation. Associé à l'usage des réseaux de type Internet, le multimedia devient un instrument de démocratisation des accès à la connaissance et un outil de stimulation de la soif d'apprendre.
1-4. L'émergence de la société de l'information
L'avènement du multimédia et surtout le développement prodigieux des réesaux électroniques (croissance de 10 à 20% par mois du trafic sur Internet) conduisent à parler d'une véritable société de l'information. Jamais, dans toute l'histoire de l'humanité, l'information n'a été aussi présente dans toutes les activités des individus et des groupes, jamais elle n'a été aussi abondante et aussi aisément accessible. Et jamais l'information n'a été à ce point facteur de transformation en profondeur de nos mentalités et de nos pratiques.
Mais cette surabondance de l'information et cette immédiateté et cette universalité d'accès aux sources les plus diverses posent de nouveaux problèmes auxquels nous ne savons pas encore apporter de solutions. La propriété intellectuelle de ce qui circule sur les réseaux électroniques est fortement questionnée. La sécurité des accès, la fiabilité des informations, la sélection des sources pertinentes,... autant d'interrogations nouvelles (ou plutôt renouvelées) au sein des entreprises, alors que s'ouvrent des débats de fond relatifs aux effets de cette société de l'information: développement de nouvelles formes d'exercice de la démocratie, risques d'inégalités sociales et économiques, menaces pour les cultures et les langues non dominantes, accèlération du développement des connaissances, etc.
Plus que jamais, la question du "sens" est posée, sens de l'information et sens de la société de l'information. Cette question du sens renvoie directement à celle de la préparation des jeunes, des professionnels et des citoyens à savoir agir en toute responsabilité dans cette nouvelle société de l'information. Elle renvoie également au rôle nouveau que devront jouer les médiateurs professionnels dans la quête et la construction du sens de l'information devenue banalement numérisée et terriblement surabondante.
2-1. Un étonnant brouillage de pistes
Les schémas conceptuels hérités des années soixante et soixante-dix sont aujourd'hui largement dépassés, en raison notamment du fait qu'ils privilégiaient une seule approche, celle du développement linéaire, univoque d'une offre de produits et services d'information et de documentation. Les évolutions du monde de l'information au cours des dix dernières années donnent l'impression d'un extraordinaire brouillage de pistes. D'un côté, on observe une concentration capitalistique de l'industrie de l'information (production, distribution des bases de données notamment). D'un autre côté, se multiplient les formes les plus variées de courtage de l'information (publiques ou privées, internes ou externes aux entreprises) comme bien sûr s'intensifient les pratiques les plus incroyables de mobilisation des ressources de l'Internet. Ailleurs, on voit poindre de nouvelles tendances qui cherchent à installer des dispositifs d'alerte ou de veille dans les enreprises ou organisations. Dans d'autres lieux encore, on voit un lien plus étroit s'établir entre documentation technique et gestion électronique de documents, dans une perspective d'une nouvelle ingénierie documentaire. Les échanges à travers des réseaux de téléinformatique, les EDI, les systèmes d'aide informatisés d'aide à la décision, les systèmes d'information géographiques, sont autant de nouvelles pratiques de gestion de l'information ignorées il y a encore dix ans. Et finalement se manifeste une tendance vers une intégration de ces diverses approches particulières à travers le recours au dénominateur commun que constitue l'info-document numérique.
2-2. Gestion de stocks ou gestion de flux
Traditionnellement, la tendance à l'accumulation est prédominante en documentation, dans les bibliothèques mais également dans les centres de documentation scientifique et technique des années 60 et 70, comme dans la conception des grandes bases de données bibliographiques ou encore dans l'archivage électronique (GED).
Une tendance opposée qui recherche le "zéro stock" et qui privilégie la gestion des flux d'information s'affirme plus nettement au cours des dernières décennies. C'est le cas du courtage en information, mais c'est aussi la situation des réseaux de chercheurs dialoguant sur Internet, comme celle des ingénieurs et techniciens d'entreprises échangeant des données plus ou moins formalisées (EDI, groupware, workflow). Cette forme d'usage de l'information privilégie l'écoute du besoin, la sélection des données pertinentes, ainsi que la rapidité dans la transmission des données . Elle impose aussi un usage de langages communs qui rendent possible l'échange.
2-3. Ouverture sur le monde extérieur ou gestion des patrimoines propres
Une composante traditionnelle d'usage de l'information réside dans la tentative de découvrir et de maîtriser le monde extérieur inconnu. Il s'agit de trouver des réponses à ses questions, de combler ses lacunes de savoir, en allant chercher ailleurs ce qui a déjà été inventé ou trouvé. Cette démarche d'ouverture sur des environnements extérieurs est à la base de la création des centres de documentation, comme à celle des courtiers ou brokers. Mais c'est aussi ce qui se passe quand des chercheurs ne se connaissant pas s'échangent des informations à travers des réseaux de téléinformatique ou encore lorsqu'on pratique la veille technologique ou l'intelligence économique.
A côté de cette pratique d'information de curiosité, se manifeste une autre tendance consistant en la mise en mémoire de ce dont on dispose, de ce que l'on connaît, dans le but de pouvoir y faire appel à nouveau et de valoriser des patrimoines de connaissances ou de données. C'est aujourd'hui sur ce thème que se mobilisent les énergies de ceux qui veulent valoriser la littérature grise des centres d'étude ou de recherche. Cette valorisation patrimoniale se retrouve également dans la décision de créer des nouveaux supports de type cédérom accumulant des trésors d'informations, de textes ou d'images, comme dans les velléités des entreprises de se doter d'outils d'archivage électronique, de group-ware pour gérer leur documentation technique interne.
2-4. Microdocumentation ou macroinformation
La microdocumentation peut être définie, au fond, comme la recherche d'une information précise ou d'un document particulier en réponse à une préoccupation donnée. Parmi les centaines de milliers de références bibliographiques aisément accessibles, il est possible d'en sélectionner 10 ou 20 qui répondent parfaitement à la requête. Il faut encore, par exemple, pouvoir également retrouver des notes de service précises produites par la maison-mère. Cet usage de l'information est à la base même des traditionnels services de documentation comme des bases de données en mode ASCII ou en mode vidéotex. Il est de plus en plus aisé de faire de la microdocumentation, c'est à dire de la recherche fine d'informations ou de documents, avec les nouveaux outils que sont les cédéroms, la GED ou les agents intelligents de recherche sur Internet.
La macroinformation peut se caractériser comme une vision satellitaire des stocks et flux d'information, et cela à l'échelle de la planète ou sur de longues périodes. On ne cherche plus l'aiguille dans une meule de foin, mais on s'intéresse désormais à la structure et l'évolution de la meule. Cette macroinformation renvoie à des concepts de veille (stratégique, technologique, concurrentielle, ...). Elle s'appuie sur des outils d'analyse statistique et probabiliste des flux d'information et plus particulièrement de bibliométrie, de scientométrie, d'infométrie. Cette macroinformation se focalise sur les évolutions en grandes masses mais aussi sur les localisations de nouveaux germes de développement de connaissances.
2-5. Information de retrouvage ou information de découverte
Les outils d'accès aux informations et aux documents sont construits selon un schéma simple : on acquiert des documents, on les traite et on les range, puis on s'efforce de les retrouver quand le besoin s'en fait sentir. Cette documentation que l'on peut qualifier de "retrouvage" est celle des bibliothèques traditionnelles, mais aussi celle des bases de données produites en interne (et notamment les bases personnelles) ou encore celle des systèmes d'archivage électronique.
Une autre approche, plus naïve, plus spontanée, consiste à constater l'existence de gisements d'information et de documentation et à chercher à en faire sortir quelque chose sans connaître pour autant le mode de constitution de ces gisements. A la démarche de retrouvage s'oppose une démarche de découverte ("découvrir l'Amérique") par des heuristiques les plus variées; émergent alors des concepts étranges comme ceux de feuilletage, de navigation, de brassage. Dans certains cas, on puise au hasard dans la base de données, dans d'autres situations on feuillette l'encyclopédie sur cédérom. On navigue, d'un point à un autre, de noeud à noeud, dans des systèmes hypertextuels d'information (Internet et sa "toile"). Cette démarche de découverte, naturelle chez l'homme, aide à la prolifération des connaissances; elle permet de construire des environnements informationnels multidimensionnels riches.
2-6. Information brute ou information à valeur ajoutée
Les entreprises, les professionnels réclament de l'information brute, de la donnée (que l'on qualifiera - non sans quelques hésitations - d'objective). Bases de données factuelles, banques de données sur les matériaux, les cours de la bourse, etc...: ces outils sont désormais bien présents sur le marché de l'information, accessibles en ligne ou sur cédérom, en mode ASCII ou en mode vidéotex.
A côté de ces données factuelles objectives, brutes, les entreprises peuvent avoir besoin d'informations plus élaborées, recoupant de multiples analyses de données: synthèses, analyses statistiques, rapports divers, etc... Cette élaboration de l'information, cette incorporation de valeur ajoutée peuvent porter sur le contenu même de l'information, sur les commentaires autour de l'information ou encore sur le conditionnement de cette information.
2-7. Information structurée, fermée ou information ouverte, vivante
Traditionnellement, les systèmes documentaires se sont organisés de façon à structurer l'information, à la classer et à permettre son retrouvage. Les systèmes plus avancés de documentation technique, ou encore des EDI, s'appuient sur une structuration forte de l'information et de la documentation. Rien ne doit être laissé au hasard. Il faut découper l'information en atomes de sens bien identifiés (champs). Le monde est mis en boîte (cédérom), il est bien fermé.
La tendance qui apparaît aujourd'hui avec la téléinformatique, l'interconnexion des ordinateurs et surtout les messageries électroniques reprend, au fond, un schéma bien connu, celui des collèges invisibles de spécialistes, mais à une autre échelle. L'échange d'information et de documentation devient ouvert, planétaire, immédiat. Des milliers de personnes peuvent contribuer à une même investigation sur une préoccupation donnée. On parle alors d'information circulante, vivante, voire même fugace.
3-1. Le nouveau paradigme de l'information dynamique et ouverte
Internet, les réseaux électroniques et les autoroutes de l''information transforment radicalement la perspective et rendent nécessaire l'émergence de nouvelles attitudes (celles des acteurs économiques comme celles des professionnels de l'information). L'information (les "bits" pour être plus rigoureux) qui circule désormais sur les réseaux électroniques ouverts se caractérise par plusieurs éléments:
- la sur-abondance: multiplication, en très peu de temps, de ce qui est accessible depuis son ordinateur personnel ;
- l'effet de connexion dans un système ouvert: un grand nombre d'acteurs émetteurs d'informations les diffusent à un nombre au moins égal sinon nettement plus grand d'acteurs économiques les plus divers;
- la mondialisation des économies et de l'information: le marché s'élargit brusquement; il devient plus intéressant de passer par la Librairie du Congrès pour identifier une ressource que de "galérer" dans un fichier local mal structuré et difficilement accessible;
- l'émergence de l'information circulante, vivante ou à courte durée de vie: à côté de l'information stabilisée (celle qui est stockée dans les grandes bases de données de référence) se développe une information plus fugace, plus interactive, véhiculée par la messagerie électronique et les forums électroniques);
- la juxtaposition de natures et de formes d'information les plus variées: données numériques, textuelles, iconographiques ou sonores mais aussi informations commerciales, institutionnelles et même personnelles;
- un réel raccourcissement des chaînes de production-diffusion de l'information; l'accès devient nettement plus direct, le coût de la production et du transport chute fortement, l'intermédiation des éditeurs, producteurs et serveurs traditionnels perd de son importance ; il est désormais possible de mettre ses propres ressources sur le réseau sans passer par un dispositif serveur ;
- une nouvelle perspective bi- ou multi-directionnelle: chacun peut être à la fois émetteur et consommateur d'information ;
- la possibilité de mélanger informations internes et informations externes dans la logique d'un nouveau management plus global et intégré de l'information ;
- enfin la possibilité de gérer cette information sur le poste de travail électronique ou de bureautique, avec toutes les fonctionnalités de la manipulation volontaire et de l'exploitation des fichiers de données et de textes.
3-2. Les risques d'une information électronique plus ouverte
De nombreux risques apparaissent dans ce développement d'une information électronique très ouverte:
- perte de qualité dans les produits et services diffusés sur le réseau ;
- incertitude sur la fiabilité et la véracité des sources et de l'information ;
- possibilité de manipulation de l'information et de désinformation ;
- incertitudes sur le cadre juridique accompagnant la diffusion électronique de l'information; tout semble permis et tout semble interdit selon le point de vue duquel on se place ;
- difficulté de mise en place de démarches sûres de commercialisation de l'information diffusée ;
- risque de passer son temps à naviguer sur le réseau, à survoler les gisements accessibles sans véritablement entrer dedans pour les exploiter vraiment.
3-3. Les besoins de l'entreprise
Face à cette explosion des sources d'information età l'accès généralisé et universel à l'information, l'entreprise exprime plusieurs exigences :
- pouvoir disposer d'un ensemble juste nécessaire d'informations permettant le développement de l'action quotidienne de l'entreprise ;
- pouvoir surtout disposer d'informations pertinentes, fiables, délivrées au bon moment et bien adaptées aux besoins des acteurs de l'entreprise ;
- pouvoir exploiter et gérer collectivement et au moindre coût ces informations collectées ; pouvoir capitaliser cette ressource qui coûte de moins en moins cher à l'achat mais qui consomme de plus en plus de temps et de compétences pour en vérifier la pertinence et la qualité et en assurer l'exploitation efficace ;
- savoir aussi diffuser ses propres informations sur le réseau, être présente au monde, participer à un vaste mouvement de diffusion et d'échange des informations et des connaissances ;
- enfin se protéger et protéger son patrimoine contre toutes les intrusions, manipulations et autres mauvaises intentions.
3-4. La responsabilité du professionnel de l'information-documentation
Le professionnel de l'information-documentation intervenant dans une entreprise ou pour le compte d'une organisation doit assumer désormais une nouvelle responsabilité et répondre à de nouvelles exigences :
- avoir une conscience aigüe des nouveaux enjeux, des potentialités et des risques de l'information mise à disposition sur les réseaux électroniques ;
- développer de nouvelles qualifications (aller au delà des traditionnels savoir-faire comme le catalogage des documents ou l'interrogation des bases de données) et faire émerger de nouvelles compétences qui sauront prendre en compte les différentes composantes du management de l'information : maîtriser à la fois les contenus de l'information, les modalités d'accès, les technologies utiles, les implications économiques et juridiques, les méthodologies du transfert et de la diffusion de l'information, etc. ;
- savoir et pouvoir bien identifier les bonnes sources, savoir et pouvoir les évaluer en permanence ; cette exigence requiert, plus que par le passé une implication très forte des professionnels de l'information dans l'appréciation des contenus et des sources de l'information ;
- être en mesure de conseiller les acteurs de l'entreprise sur les meilleurs usages possibles de l'information électronique disponible ; il est clair qu'au delà de l'effet de curiosité que suscitent les réseaux électroniques (comme par exemple la consultation des différents sites Web), on recherchera dans l'entreprise une certaine efficacité collective dans la manipulation de ces outils ;
- pouvoir contribuer à la présentation des ressources informationnelles de l'entreprise et à de nouvelles formes de circulation de l'information utile ; cette nouvelle responsabilité aménera forcément le professionnel de l'information à se préoccuper sérieusement des questions de sécurité et de validité.
Toutes ces exigences conduisent à l'émergence d'un nouveau type de professionnel de l'information, que des auteurs anglosaxons désignent à travers le vocable de "modern information professional". Cela implique un nouveau regard sur les formations (initiale et continue) de ces professionnels, une redéfinition des critères déterminant les qualifications professionnelles et sûrement un nouveau positionnement de ces professionnels au sein de l'entreprise.
4-1. Une profession de l'information-documentation en forte évolution
Les métiers de la documentation s'organisent traditionnellement soit autour du livre, soit autour de l'information, soit enfin, et de plus en plus, autour d'une combinaison des deux dimensions précédentes. La documentation et les métiers correspondants vont aujourd'hui se développer sur tout l'espace entre ces deux pôles, sur un nouveau domaine que l'on peut appeler l'information-documentation ou ID. Un véritable continuum de pratiques professionnelles existe, avec des missions simples ou complexes, générales ou spécialisées, ponctuelles ou globales. Face à la complexification des opérations de la documentation, la profession répond par une diversification des métiers de l'ID. On observe dans le même temps un éclatement des lieux de pratique professionnelle (décentralisation, externalisation,...). Enfin se manifeste une définition plus stricte des niveaux de responsabilité (ce qui a conduit l'ADBS, comme d'autres associations européennes à mettre sur pied un dispositif de certification des compétences des professionnels de l'information-documentation).
4-2. La diversité croissante des interventions professionnelles
L'informatique et les nouvelles technologies de l'information ont commencé à modifier assez profondément l'environnement des métiers. Une nouvelle génération de concepteurs et de producteurs de bases de données a vu le jour comme se sont développés les métiers spécifiques des organismes "serveurs" et ceux du courtage en information. L'arrivée en force sur le marché des technologies de numérisation des documents (GED) ajoute encore une nouvelle complexité puisque désormais archives et documentation vont se trouver plus aisément rapprochées. Ainsi apparaissent de nouveaux métiers toujours plus spécialisés qui ne font plus référence à la classique et linéaire chaîne documentaire, mais qui mettent l'accent sur la dimension systémique de la documentation d'aujourd'hui. On continue à parler bien sûr de documentalistes mais on évoque de plus en plus des métiers tels qu'experts en veille technologique, spécialistes en bibliométrie ou scientométrie, concepteurs de systèmes d'information ou de produits multimedias ou hypermédias, gestionnaires de documentation structurée, rédacteurs techniques, spécialistes de l'archivage électronique, voir encore "recherchistes" ou "infomètres". On peut voir désormais des documentalistes devenir des modérateurs de forums électroniques Internet alors que des entreprises recrutent désormais des "netsurfeurs" et des concepteurs-développeurs de serveurs Web. Par ailleurs, les documentalistes trouvent de plus en plus à utiliser leurs compétences du côté de la communication (interne ou même externe) ou du côté de certains savoir-faire méthodologiques (PAO, conception de produits de vulgarisation, muséographie,...) ou encore du côté de la pédagogie et de la formation (spécialistes des transferts informatifs et cognitifs). En matière d'intelligence économique enfin, les documentalistes apportent une contribution déterminante en tant que point de passage obligé d'informations les plus variés.
4-3. La quête de la valeur ajoutée
La documentation ne peut plus se réduire à la somme ou succession de ses seuls gestes constitutifs (la catalogage ou l'indexation, par exemple). La technique documentaire ne peut pas et ne peut plus être une fin en soi, pas plus que l'info-document numérique n'est une fin en soi. Il faut raisonner en termes de finalités, de services et de produits, c'est-à-dire en termes de management. Il faut se situer autrement par rapport à l'usager, à ses besoins et ses pratiques d'information. Il faut cerner les conséquences économiques des propositions techniques ou professionnelles. On passe progressivement d'une logique de la production à une nouvelle logique de l'usage et de la valorisation. La tendance est désormais à l'incorporation de valeur ajoutée dans les produits et services d'information. Il faut maintenant exploiter l'information, faire des recoupements, alerter, concevoir des produits adaptés aux différentes cibles. Cette recherche d'une plus grande valeur ajoutée s'exprime à la fois dans les contenus mêmes de l'information (expertise, conseil, veille, alerte,...), dans les procédures de recoupement ou croisement des informations et de la documentation (gestion de systèmes d'information, conception de systèmes d'aide informatisée à la décision, animation de groupes d'experts, travaux de synthèse multidimensionnelle,...) ou encore dans les modalités de la diffusion (conception de produits spécifiques, fabrication de lettres d'information, réalisation de posters ou d'expositions, mise en oeuvre de systèmes électroniques de diffusion ou implication dans des réseaux de courrier électronique,...). Il faut savoir scruter l'horizon, découvrir les ressources pertinentes, évaluer ce que l'on trouve dans les bases de données ou sur les réseaux, conseiller sa clientèle, favoriser l'orientation des usagers vers ce qui a de l'intérêt ou de la valeur, en fait donner un sens à l'information.
Médiateurs de l'information dans l'entreprise ou l'organisation, ces professionnels n'hésitent plus à se positionner comme des partenaires à part entière, tant les dispositifs de développement et de diffusion de la connaissance que dans les démarches de conception et de décision.
4-4. Les exigences d'un management global et intégré de l'information
Un nouveau management global et intégré de l'information est recherché aujourd'hui par l'entreprise impliquant de nouvelles exigences pour les professionnels de l'information-documentation. Ceux-ci doivent savoir et pouvoir maîtriser l'information de veille, de découverte, d'invention et d'ouverture sur le monde, naviguer efficacement mais aussi de façon créative et sélective dans le "cyber-espace". Ils doivent encore savoir et pouvoir développer et exploiter l'information utile, l'information de référence, celle qui accompagne et rend possible l'activité quotidienne des individus et des entreprises. Ils sont également amenés à valoriser l'information auto-produite par les organisations, l'information à caractère patrimonial et les vastes gisements documentaires longtemps restés en jachère ou en hibernation. Ils doivent tenir compte désormais de l'information vivante, de l'information de communication, de l'information à courte durée de vie dont les réseaux et les messageries électroniques largement ouverts amplifient brutalement la croissance .
4-5. Un nouveau positionnement professionnel
Le professionnel de l'information-documentation ne sera-il dans l'avenir qu'un simple technicien, spécialiste de la mise en oeuvre d'arides ou besogneuses techniques documentaires (qu'elles soient ou non numérisées)? Ne sera-t-il pas amené au contraire à contribuer tout autant à des missions ou finalités plus stratégiques, à savoir celles de l'entreprise ou de l'institution dans lequel il travaille? On observe depuis quelque temps une nette évolution de la fonction information-documentation dans l'entreprise et dans les organisations. C'est autour de la notion de management que se cristallise le plus cette évolution, même si les mutations technologiques jouent aussi un rôle moteur important. Le documentaliste devient un acteur à part entière du management de l'entreprise, en même temps qu'il devient plus conscient de son rôle nouveau de manager de sa propre "boutique" documentaire. La documentation est fondamentalement une ouverture sur le monde, elle est la clé du système de veille informative ou d'écoute de l'environnement. Elle est la base même de la prospective et la ressource par excellence de l'anticipation des évolutions à venir. Mais elle est en même temps ouverture sur le monde interne de l'entreprise, assurant par là-même une fluidité des échanges d'information ("transversalité"). La documentation est aussi le support logistique des activités quotidiennes de l'entreprise et devient alors une "document-action". Par ailleurs, elle contribue largement à la stimulation de la culture de l'entreprise et peut constituer un ferment de développement d'une culture générale professionnelle, en relation avec les politiques de formation ou de ressources humaines. Elle contribue largement à consolider la mémoire de l'entreprise, souvent mise en péril par les transformations de l'institution.
C'est ce constat d'évidence qui conduit la profession à investir sans hésitation dans la connaissance, la maîtrise et le développement des technologies du numérique et des outils disponibles sur les réseaux électroniques. En 1997, on note que 15 à 20% des membres de l'ADBS sont d'ores et déjà connectés à Internet, échangent des données sur des listes de diffusion électronique spécialisées, exploitent professionnellement la "toile" alors que nombre d'entre eux sont d'ores et déjà fortement mobilisés pour la construction de sites Web, Internet, Intranet ou Extranet. Signe évident d'une évolution nécessaire, voulue et maîtrisée.
Documentaliste - Science de l'information, bimestriel publié par l'ADBS
Managing Information, mensuel publié par l'ASLIB
Documentaliste - Sciences de l'information , 1995, vol 32 Ndeg.6, novembre-décembre 1995 : numéro consacré aux évolutions professionnelles dans le domaine de l'information-documentation
Nouvelles technologies et communication de l'information - Des besoins des utilisateurs à l'ingénierie documentaire / Sibertin-Blanc (Martine). - Paris, ADBS, 1994, 277 p.
Pratique du management de l'information / Michel (Jean) en collaboration avec Sutter (Eric). - Paris, ADBS, 1992. 430 p.
Transfert d'information et projet d'entreprise, actes du colloque TRANSINFO, Paris, ADBS, 1994.