L'apport de l'AV (analyse de la valeur) à une réflexion

sur l'avenir de la tradition AV (audiovisuel)

JM299

Jean MICHEL

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Communication à la Conférence MEMORIAV 97, Ascona (Suisse), 19 mai 1997, 60 ko

PLAN

1 - L'ANALYSE DE LA VALEUR, UNE METHODE POUR CHANGER

1-1. Des définitions de l'analyse de la valeur

1-2. Les objectifs de l'analyse de la valeur

1-3. Les concepts-clés ou caractéristiques essentielles de l'analyse de la valeur

1-4. Les causes d'erreur ou d'échec dans la quête des solutions

2 - LA TRADITION AUDIOVISUELLE : LES RAISONS DE CHANGER

2-1. Des raisons assez générales de penser et vouloir le changement

2-2. Le changement imposé par l'émergence des technologies de l'information

2-3. La conjonction "économie ouverte" - "technologies de l'information"

2-4. Les obstacles au changement

3 - LE QUESTIONNEMENT AV SUR L'AV

3-1. La détermination du champ opératoire

3-2. Les limites du problème, les contraintes d'environnement

3-3. Un premier questionnement autour des médiagrammes

3-4. Penser une typologie fonctionnelle des médiagrammes

3-5. Un autre questionnement autour des processus de production

3-6. Des processus de conservation, oui, mais pour qui et pour quoi faire?

3-7. Vers des idées de solutions

Références bibliographiques


Les technologies numériques transforment en profondeur les pratiques informationnelles et surtout rendent possibles toutes sortes de manipulations de documents que ceux-ci soient textuels, graphiques, sonores et plus généralement multimédia. Elles conduisent inéluctablement à repenser les organisations de travail et les dispositifs traditionnels de production, de diffusion et de conservation des données et des documents.

Dans le contexte d'une telle révolution technologique, il est indispensable de prendre un peu de recul et de déterminer de nouveaux axes d'approche de la résolution des problèmes de conservation ou d'archivage des documents audiovisuels.

Utilisée dans les milieux industriels depuis bientôt cinquante ans et plus récemment dans les secteurs administratifs ou tertiaires, la méthode dite de l'analyse de la valeur peut aider à prendre ce recul nécessaire. Fondée sur la compréhension et le respect des besoins durables exprimés par des individus ou des collectivités et soucieuse de toujours trouver les meilleurs réponses, pertinentes, créatives et économiques, pour satisfaire ces besoins, l'analyse de la valeur (ou AV) s'inscrit dans une perspective de démarche vers la qualité. Son originalité tient en particulier au cadre méthodologique qui permet d'une part de ne pas se laisser enfermer dans les solutions technologiques conjoncturelles, d'autre part d'associer effectivement toutes les parties concernées par le problème posé, enfin de libèrer la créativité pour inventer les solutions futures adaptées.

On se propose, dans un premier temps, de décrire aussi simplement que possible la méthode, ses concepts et ses outils et d'évoquer à l'occasion quelques applications dans le secteur tertiaire.

Dans un deuxième temps, on cherche à analyser les raisons profondes qui conduisent à penser l'avenir de la tradition audiovisuelle en termes de changements à opérer et qui justifient le recours à la philosophie ou à l'état d'esprit de l'analyse de la valeur.

Enfin, dans une troisième partie, on montre comment, selon les perspectives de l'analyse de la valeur, on peut poser le problème de l'avenir de la tradition audiovisuelle à l'heure du multimédia, du document numérique et des réseaux électroniques. On essaye d'abord de mieux cerner ce qu'est le nouvel objet audiovisuel multimédia (le médiagramme). Puis on tente de définir les grands besoins et les grandes fonctions à prendre en compte, quelles que soient les technologies en usage et de préciser les contraintes à respecter dans le nouveau contexte du numérique. Enfin on prend le risque d'esquisser des voies de solution fonctionnelles qu'il faudrait approfondir lors d'une étude prospective en vraie grandeur.


1 - L'ANALYSE DE LA VALEUR, UNE METHODE POUR CHANGER

L'analyse de la valeur est une méthode qui n'est certainement pas connue des milieux professionnels et des institutions chargés de la conservation ou préservation du patrimoine audiovisuel. Cela n'a rien d'étonnant et même d'anormal. L'analyse de la valeur ou AV est née vers 1947 à la General Electric aux USA et s'est d'abord et surtout développée dans les milieux industriels (défense, aéronautique, télécommunications, automobile,...). Progressivement, son usage s'est généralisé, notamment dans le secteur tertiaire (processus administratifs). Les applications de l'AV aux produits et aux services d'information et de documentation se sont ainsi multipliées au cours des années 80 : reconception de bases de données et produits documentaires, réorganisation de systèmes d'informations, etc.(1, 2).

Il n'est bien sûr pas question d'appliquer telle quelle la méthode aux dispositifs de conservation et de valorisation des patrimoines audiovisuels. Par contre, il peut être intéressant d'examiner en quoi les concepts, les outils et plus généralement l'état d'esprit AV peuvent aider à bien poser et analyser les problèmes qui apparaissent aujourd'hui dans ce domaine du fait des évolutions technologiques et des changements socioculturels autour du multimédia.

1-1. Des définitions de l'analyse de la valeur

Plusieurs normes nationales ou européennes ont donné des définitions de l'analyse de la valeur. Ainsi, selon une norme française (3), l'analyse de la valeur ou AV est "une méthode de compétitivité, organisée et créative, visant à satisfaire le besoin de l'utilisateur par une démarche spécifique de conception, à la fois fonctionnelle, économique et pluridisciplinaire". On peut aussi plus simplement dire que l'AV est une méthode de conception ou de reconception de produits et services qui permet de satisfaire au coût juste nécessaire le besoin des utilisateurs ou commanditaires de ces produits ou services.

Pour beaucoup de ses défenseurs, l'analyse de la valeur est surtout une puissante méthode de questionnement, de remise en cause et surtout de conduite du changement dans les organisations, une méthode qui cherche à assurer des transformations profondes, des modifications substantielles des référentiels auxquels on est habitué. Il ne s'agit pas d'améliorer à la marge ce qui existe (gagner deux à trois pour cent sur le coût d'un produit, éliminer quelques défauts de fabrication, etc.), mais bien de viser des objectifs ambitieux de réduction de coût ou d'amélioration de la qualité souvent imposés par des contraintes fortes de l'environnement et cela grâce à une démarche de questionnement féconde.

L'analyse de la valeur s'applique à l'évidence à des produits manufacturés, mais est aussi et de plus en plus utilisée pour reconcevoir des processus de travail, des organisations ou des services. Ainsi a récemment été réalisée une étude AV intéressante et fructueuse à la Radio Suisse Romande en vue de faciliter la mutation du service "Documentation + Archives" (4).

1-2. Les objectifs de l'analyse de la valeur

A l'origine, et encore aujourd'hui, l'un des objectifs majeurs de l'application de l'AV à des produits et services est de chercher à en réduire les coûts (dans des proportions significatives). Cet objectif de réduction des coûts (à service rendu constant) est bien sûr celui que retiennent le plus souvent les industriels manufacturiers lorsqu'ils se décident à utiliser l'AV Dans le domaine de l'information et de la documentation, des études AV ont permis de réduire de 20 à 30% le coût de réalisation de certaines bases de données, de simplifier des processus ou chaînes de traitement documentaires, de faire chuter aussi de façon radicale le coût de certains produits d'information traditionnels (bulletins bibliographiques, revues de presse,...).

Un autre objectif, tout aussi important et de plus en plus invoqué, est celui de l'amélioration de la qualité des produits et services. Il s'agit de mieux satisfaire les besoins des utilisateurs, tout en maintenant les coûts constants. Cet objectif permet d'inscrire l'AV dans la panoplie des méthodes pour la maîtrise de la qualité. Grâce à l'un de ses outils, le CdCF (Cahier des Charges Fonctionnel), l'analyse de la valeur est une méthode qui permet d'assurer la qualité en amont de la conception des produits. De nombreuses applications AV allant dans ce sens ont été faites dans le domaine de l'information et de la documentation : conception de sites Web adaptés aux besoins, conception de systèmes d'information multi-besoins, etc.

L'analyse de la valeur est aussi une méthode pour l'innovation et pour la conquête de nouveaux marchés. Ce troisième objectif est bien sûr au coeur de certaines stratégies industrielles. Les exemples sont nombreux (télécommunications, automobile, bâtiment, chimie,...) qui mettent en relief l'apport de l'AV à la créativité et à l'innovation

Un quatrième objectif, moins spectaculaire mais tout aussi important peut être mentionné: l'adaptation intelligente des produits, des services ou des organisations à des évolutions ou mutations de l'environnement. C'est le cas notamment des sauts ou mutations technologiques qui obligent à repenser en profondeur la conception de ses produits (par exemple: comment repenser les bases de données traditionnelles à l'heure d'Internet et des réseaux électroniques). Les mutations ou transformations de l'environnement peuvent être de nature organisationnelles (fusion d'entreprises par exemple) ou socioculturelles.

1-3. Les concepts-clés ou caractéristiques essentielles de l'analyse de la valeur

L'analyse de la valeur se fonde sur la priorité accordée, en tout état de cause, à la satisfaction du besoin de l'utilisateur et cela constitue sa première et plus importante caractéristique. Le besoin de l'utilisateur est le référentiel auquel doit se plier le concepteur de tout produit ou service. Dès lors, à travers la méthode, on s'efforcera de cerner et valider ce besoin, de le traduire en "fonctions" à remplir par le produit (ce qui donnera naissance au CdCF ou Cahier des Charges Fonctionnel). L'AV aide à prendre de la distance par rapport aux solutions existantes (les solutions, le comment) et privilégie le "pourquoi" des choses (à quoi et à qui ça sert). L'analyse fonctionnelle (l'un des outil de l'AV ) est donc la phase amont d'un processus d'amélioration de la qualité basée sur le respect du besoin de l'utilisateur.

La seconde caractéristique méthodologique de l'AV réside dans la prise en compte des spécificités des contextes dans lesquels se meut le client ou utilisateur. Très proche de l'analyse de système, l'AV permet de mieux comprendre l'environnement dans lequel on doit agir. Cela se traduit par une définition claire des contraintes d'environnement à respecter et par une prise en compte raisonnée de diverses fonctions d'adaptation. En AV, on se méfie des solutions universelles, générales, "passe partout" tant que celles ci n'auront pas été validées au vu des diverses contraintes d'environnement et spécificités de contexte.

Le souci de trouver la meilleure réponse économique au problème posé constitue la troisième caractéristique méthodologique de l'AV. S'il s'agit bien de satisfaire le besoin de l'utilisateur (des fonctions de service à remplir) et de respecter les contraintes d'environnement (des fonctions d'adaptation), encore faut-il que le produit ou la solution le fasse au moindre coût ou plutôt au coût juste nécessaire. L'AV est une méthode qui va faire la chasse aux coûts inutiles (notamment ceux liés à des fonctions techniques n'apportant pas de valeur aux yeux de l'utilisateur). Les solutions seront simplifiées tout en faisant appel aux idées les plus innovantes.

On ne peut pas parler de l'AV sans évoquer les démarches de créativité qu'elle utilise ou qu'elle engendre. En visant la remise en cause profonde et en posant les problèmes d'une façon originales, l'analyse de la valeur va libérer la créativité, elle va permettre le nécessaire détour inventif, ce qui constitue une autre caractéristique intéressante.

Les créateurs de la méthode se sont vite rendus compte qu'une des raisons essentielles de la non-compétitivité dans les organisations tenait au cloisonnement des structures. Une cinquième caractéristique de l'AV sera justement de penser le changement dans un cadre ouvert, en faisant se rencontrer de multiples points de vue. Cela se traduit par la mise en place de groupes pluridisciplinaires ou "multi-points de vue" qui vont aider à absorber l'inévitable complexité des problèmes à résoudre.

On peut encore mentionner une dernière caractéristique de l'AV, à savoir celle d'être une puissante méthode de résolution de problèmes et de conduite de projet avec un plan de travail bien défini. Ainsi dans une démarche d'analyse de la valeur, on évite d'aller trop vite vers des solutions, en cherchant plutôt à privilégier une bonne compréhension des problèmes qui se posent.

1-4. Les causes d'erreur ou d'échec dans la quête des solutions

L'analyse de la valeur met en relief assez aisément différentes raisons ou causes d'échec ou d'erreur dans les pratiques professionnelles traditionnelles lorsqu'on veut ou doit innover ou lorsqu'on conçoit des produits, services ou organisations. Les pathologies sont assez classiques et il convient de bien en prendre conscience.

Une erreur fréquente consiste à vouloir intégrer trop de complexité dans les produits ou services que l'on conçoit. Cette complexité ne répond pas la plupart du temps aux attentes des utilisateurs et elle augmente fortement et inutilement les coûts. Des strates successives de complexité viennent figer les solutions au point d'interdire toutes possibilités d'évoluer. On peut aisément se rendre compte de cette tendance à la complexification dans nombre de grandes bases de données bibliographiques ou dans les grands dispositifs documentaires.

Une autre erreur consiste à privilégier exclusivement la recherche de la performance en soi. La quête obsessionnelle de la performance pour la performance est fréquente dans nombre de professions et conduit à promettre "tout, tout de suite" ou à s'afficher comme "le plus grand", "le plus gros", "le plus performant" au mépris de toute réalité des besoins et avec le risque d'engendrer d'inquiétants gouffres financiers. Cette tendance à l'exacerbation des performances est souvent le propre de secteurs économiques ou industriels monopolistiques ou des grands organismes centralisés d'Etat.

Une pathologie classique peut encore être identifiée dans la tendance à suivre systématiquement les effets de mode, à adopter, de façon mimétique, des solutions en vogue. On néglige l'analyse lucide de son propre problème et la compréhension de ses propres contraintes et de son propre contexte pour se précipiter sur les solutions du moment. Combien d'entreprises ont ainsi cru résoudre leur problèmes de management de l'information et de la documentation en se dotant de puissants outils de GED (gestion électronique de documents) pour se rendre compte très vite qu'elles n'utilisaient pas 10% des possibilités offertes et que l'essentiel du travail de rationalisation restait à faire.

Une autre erreur, malheureusement très fréquente, réside dans l'oubli du marché que l'on vise, de la clientèle qu'on est censé devoir satisfaire. On se réfugie dans les solutions que l'on sait produire et mettre en oeuvre, l'ego du professionnel concepteur-réalisateur occultant toute velléité d'analyse des besoins réels, toute analyse critique de la solvabilité de la clientèle ou de la réalité du marché. Cette tendance n'est pas que le fait des concepteurs intervenant sur le marché des biens et services ; on la trouve aussi dans les milieux ou institutions publics qui ne parviennent pas à trouver l'adéquation entre leurs fantasmes professionnels et les ressources mises à leur disposition grâce à l'impôt.

On peut encore mentionner l'erreur consistant à vouloir créer seul, à vouloir trouver des solutions, en s'isolant du reste du monde. Le cloisonnement des structures est fatal à la bonne résolution des problèmes. Les points de vue monopolistiques finissent par manquer terriblement d'esprit d'ouverture face à la complexité de la réalité.


2 - LA TRADITION AUDIOVISUELLE : LES RAISONS DE CHANGER

On aura pu se rendre compte en découvrant l'analyse de la valeur que la méthode n'est pas une fin en soi et qu'elle n'existe que parce que les problèmes sont là et qu'il faut les résoudre. On ne fait appel à l'AV que si "le jeu en vaut la chandelle" et que si on est confronté à la nécessité de devoir changer, de faire évoluer ses produits, services ou organisations.

Examinons donc maintenant ce qui peut conduire les acteurs de la "tradition audiovisuelle" à s'intéresser à l'analyse de la valeur et, très simplement, de cerner les causes ou raisons d'un nécessaire changement.

2-1. Des raisons assez générales de penser et vouloir le changement

Comme beaucoup d'activités humaines aujourd'hui, le secteur ou domaine de la "tradition audiovisuelle" est confronté à la réalité d'une économie globalement plus difficile. Les économies occidentales et plus particulièrement celle de l'Europe sont devenues fragiles ; les ressources manquent pour permettre les nécessaires développements alors que les coûts restent marqués par les habitudes de fonctionnement héritées des 20 ou 30 dernières années (et parfois plus). La plupart de nos structures et de nos traditions ont été fondées dans la logique de l'expansion économique alors que la crise actuelle nous impose de revoir à la baisse nos ambitions. Dans ce contexte, la plupart des organisations et des entreprises repensent leur façon de faire et multiplient les démarches de "reengineering" pour réduire leurs coûts et se reprofiler. On n'hésite pas à externaliser certaines activités qui peuvent être réalisées à moindre coût ailleurs ou à procéder à de drastiques cures de minceur ("downsizing").

La mondialisation et l'européanisation des échanges économiques comme des activités humaines les plus diverses conduisent à remettre en cause nos habitudes de pensée et de travail. Ainsi voit-on se développer une forte tendance à la désétatisation et à la dérégulation des activités et des marchés. Ce nouveau cadre ouvert entraîne la fin des grands monopoles d'Etat (pensons à ce qui se passe dans le domaine des télécommunications ou encore des transports). La question se pose de façon plus vive que par le passé de savoir s'il faut maintenir un service public pour telle ou telle nature d'activités ou s'il faut au contraire laisser le marché opérer les nécessaires régulations.

Une autre mutation "externe" réside dans la tendance à recentrer plus nettement les produits et les services sur les besoins ou attentes des clients ou utilisateurs. La démarche qualité est aujourd'hui largement répandue et on voit chaque jour davantage les progrès de l'application des normes ISO 9000 (y compris dans certains secteurs tertiaires comme la formation, l'information, la documentation ou les archives). Replacer le client, l'utilisateur au coeur des processus de conception, au coeur des organisations est vraiment un élément déterminant de changement. Certes, les grands acteurs concernés par la "tradition audiovisuelle" n'ont pas de leçons à recevoir en matière de prise en compte des besoins des utilisateurs ; on peut toutefois se demander si certaines des solutions techniques ou organisationnelles ne gagnerait pas à être validées dans cette perspective.

2-2. Le changement imposé par l'émergence des technologies de l'information

Indépendamment des raisons d'ordre général (ou de nature économique), le secteur de la "tradition audiovisuelle" est forcé de penser son avenir en termes de changement du fait de l'émergence et du développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication. L'accélération des "événements technologiques" est patente et personne n'est épargné. Internet, les réseaux, le multimédia, etc. : il n'est plus possible d'adopter la politique de l'autruche, de fermer les yeux et d'attendre que la vague passe. Il faut intégrer cette donnée dans une démarche volontariste vers autre chose.

Cette mutation technologique qui autorise aujourd'hui à parler de société de l'information, se caractérise par plusieurs grands traits majeurs :

- la généralisation de la microinformatique et la banalisation d'un outil qui devient la machine domestique la plus proche de l'homme ;

- la numérisation généralisée des données et des documents qui facilite les opérations de traitement et de diffusion de l'information concernée et permet de s'affranchir des barrières traditionnelles (formats, standards, natures des documents,...) ;

- les capacités accrues de stockage de ces données numérisées qui rendent possible un accès simple aux données multimédia ;

- des réseaux de télécommunications qui renforcent la connexité des diverses sociétés, avec en arrière-plan le phénoménal développement de l'interconnexion des ordinateurs (Internet);

- les nouveaux langages structurés (SGML, HTML,...), l'hypertexte et les outils d'ingénierie linguistique qui conduisent à des progrès substantiels dans la convivialité des dispositifs techniques et dans la consultation de volumes considérables de données, quelles qu'en soient leurs origines, leurs langues, leurs formats ou leurs localisations.

Ces nouvelles technologies touchent de plein fouet le secteur de la "tradition audiovisuelle" et cela, pour au moins trois raisons :

- les processus de travail en matière de traitement, diffusion, conservation et exploitation de l'information (données numérisées en fait) sont complètement remis en cause avec des effets réels de réduction des coûts et de simplification des procédures ;

- les objets eux-mêmes manipulés par le secteur de la "tradition audiovisuelle" sont en pleine explosion : comment, par exemple, va-t-on prendre en compte la production proliférante des pages Web si caractéristique d'une nouvelle tradition audiovisuelle et multimédia en émergence?

- les pratiques socioculturelles en matière de production et d'utilisation des biens immatériels (notamment audiovisuels ou multimédia) sont également en pleine transformation : le traditionnel consommateur devient lui-même producteur-diffuseur, les grands organismes centralisateurs laissent place à des réseaux d'acteurs plus décentralisés.

2-3. La conjonction "économie ouverte" - "technologies de l'information"

Les deux grandes séries de causes de changement précédemment mentionnées se conjuguent pour en engendrer de nouvelles qui ne peuvent qu'obliger les acteurs professionnels à repenser assez substantiellement leurs pratiques. Les nouvelles technologies de l'information se développant dans le contexte d'une économie difficile, rude et surtout ouverte amènent à s'interroger sur de nouveaux référentiels ou cadres juridiques et/ou réglementaires. Les traditionnelles règles du jeu doivent évoluer comme notamment celles relatives aux questions de droit d'auteur, de droit de reproduction ou de droit de l'information. On a pu se rendre compte de la complexité du problème lors de la récente Conférence Diplomatique convoquée par l'OMPI à Genève en décembre dernier. Les directives européennes essayent aussi de définir de nouveaux cadres de références, mais on est loin d'un équilibre satisfaisant.

Au delà des aspects purement juridiques (et forcément économiques), ce sont de nouvelles dimensions du phénomène informationnel et multimédia qui sont désormais âprement discutées, comme les questions de valeurs, d'éthique, de diversité culturelle et linguistique ainsi que montrait bien le Premier Colloque d'InfoEthique organisé par l'UNESCO en mars 1997. La fluidité extraordinaire d'un vecteur ou média comme Internet rend caduque la notion de frontière et oblige à repenser les fondements mêmes de nos régulations sociales.

2-4. Les obstacles au changement

Le secteur de la "tradition audiovisuelle" (comme du reste celui aussi de l'enseignement, de l'éducation et de la formation, pour des raisons assez semblables) est donc confronté à la nécessité du changement et de l'adaptation. Mais il ne lui est pas aisé de procéder à cette transformation en raison de freins, obstacles ou blocages face au risque du changement.

L'un des freins majeurs tient au fait que le territoire est très marqué et que des institutions ont été créées, il y a de nombreuses années pour gérer la conservation et la préservation de la mémoire audiovisuelle (le problème se pose en des termes tout-à-fait semblables pour le secteur des archives). Ces institutions ont été fondées selon des schémas déjà anciens dans une économie plutôt sereine. Identité forte, stabilité des démarches, organisations pérennes, territoires plutôt bien balisés : à l'heure du cafouillage multimédiatique et de banalisation du document numérique, sera-t-il possible à ces institutions de s'adapter, d'accepter une remise en cause de leurs pratiques?

Le problème est d'autant plus délicat que l'objet même de la conservation et de la préservation est en pleine transformation. Que doit-on préserver ou conserver demain : le support (film, vidéogramme, cassette,...) ou le document virtuel qui se joue de sa localisation précise sur un support? L'insaisissable objet numérique, fuyant, ubiquitaire et pourtant support de sens profond? Les pratiques professionnelles antérieures sauront-elles s'adapter à ce nouveau contexte, à ce nouvel objet qu'est le médiagramme numérique?


3 - LE QUESTIONNEMENT AV SUR L'AV

Il n'est pas question de considérer ce qui va suivre comme une stricte application de l'analyse de la valeur au problème de l'avenir de la "tradition audiovisuelle". On se propose seulement d'ouvrir quelques pistes de réflexion qu'une démarche plus rigoureuse (en termes de méthodologie à suivre) devrait pouvoir démultiplier.

3-1. La détermination du champ opératoire

Selon les précepts établis dans la démarche AV, il est indispensable de bien cerner l'objet dont on parle. Sur quoi doit porter la démarche de remise en cause?

A un premier niveau, on peut retenir comme champ opératoire (ce sur quoi on peut agir) le ou les dispositifs de conservation et/ou préservation de certains objets ou produits relatifs à une certaine création dans le domaine de la production audiovisuelle et multimédia.

Cette délimitation conduit alors à s'intéresser aux entités suivantes :

- des objets, produits ou productions du domaine de l'audiovisuel et du multimédia : des phonogrammes, des vidéogrammes, ou plus généralement des médiagrammes (multimédiagrammes?) ;

- des processus de création, de production et de diffusion de ces médiagrammes, avec des institutions, entités ou acteurs contribuant à cette production, avec des règles de fonctionnement et des règles du jeu plus ou moins bien établies ;

- des processus d'utilisation, exploitation, consommation de ces médiagrammes qui reflètent des usages socioculturels de ces biens matériels et immatériels que sont ces médiagrammes (là aussi des acteurs, des lieux, des règles du jeu, etc.) ;

- des processus d'intermédiation, d'information et de communication qui facilitent la rencontre entre l'offre et la demande, entre la production et l'utilisation : on peut mentionner ici tous les dispositifs classiques d'information et de documentation (catalogues nationaux, bases de données,...) et qui se multiplient aujourd'hui dans l'environnement Internet ;

- enfin des processus de conservation et de préservation qui assure une certaine forme de mémorisation de ce qui a été créé, produit et diffusé et cela pour satisfaire des besoins divers à des termes variés (à nouveau, on considérera ici des acteurs, des rôles, des lieux, des règles du jeu, des temps,...) ; c'est bien entendu ce processus de conservation-préservation qui est l'objet de la présente analyse ou réflexion.

Dès lors, on peut distinguer quatre grands démarches de diffusion-transfert-mise à disposition entre la création et l'usage :

- diffusion immédiate et exploitation directe des médiagrammes (temps court) ;

- diffusion différée et exploitation plus ou moins directe de médiagrammes conservés-préservés (temps long).

Ces deux types de "consommation" des médiagrammes peuvent en outre être combinés avec le recours ou non à des systèmes d'intermédiation 'information-documentation).

3-2. Les limites du problème, les contraintes d'environnement

Dans une démarche AV, on s'efforce debien préciser ce sur quoi on peut agir (l'objet et l'objectif de l'opération de changement ou d'innovation) et ce qui doit être considéré comme une donnée d'environnement, non modifiable et imposant des contraintes à respecter.

Sont à considérer ici comme des données externes d'environnement, auxquelles il faut s'adapter :

- les objets médiagrammes eux-mêmes, dans leur grande diversité, dans leur évolution très rapide vers des formes de moins en moins faciles à saisir ;

- les processus de création, conception, diffusion ; ils sont ce qu'ils sont et les dispositifs de conservation-préservation n'ont pas de légitimité à en modifier le développement ;

- les processus de consommation, exploitation, utilisation avec une variété de plus en plus grande des usages des médiagrammes.

Il est évident qu'il faut considérer aussi comme des données d'environnement incontournables les diverses évolutions technologiques, économiques et socioculturelles mentionnées plus haut.

Dans le cadre de la réflexion en cours sur l'avenir de la "tradition audiovisuelle", on aurait par contre intérêt à ne pas fixer de contraintes de rationalisation à court terme (changer des équipes, gérer des emplois entre diverses institutions,...) mais de garder au contraire un cadre très large et très ouvert de réflexion permettant de laisser venir de réelles innovations. .

3-3. Un premier questionnement autour des médiagrammes

Avant d'aller plus loin, il est indispensable de préciser ce que sont et ce que seront les objets dont on doit assurer la conservation ou préservation.

Il est traditionnellement assez facile, dans une optique de conservation, de considérer des objets tels des livres, dessins, cartes postales ou manuscrits. On en vient vite assez naturellement à s'intéresser à la conservation des disques, des cassettes, des enregistrements radio ou TV (avec de nouveaux problèmes à traiter bien sûr). Mais que devra-t-on faire face à l'explosion des documents mis en circulation sur les réseaux d'ordinateurs? Faudra-t-il s'intéresser aux cours multimédia fortement interactifs et diffusés à distance? Que fera-t-on des jeux électroniques mis en réseau et reflétant une certaine forte de civilisation en cette fin de millénaire?

Si l'on repart de la tradition audiovisuelle, on "voit bien" ce que sont les phonogrammes, les vidéogrammes. Le passage au multimédia (combinaison sur un même support d'éléments sonores ou visuels, de séquences animées, de textes et de commandes permettant l'interactivité) peut amener, par extension, à parler de médiagrammes.

Ces médiagrammes peuvent être définis comme des "produits" (productions?). Dès lors, il est intéressant de les analyser :

- bien sûr comme des objets ou documents de création, susceptibles d'être diffusés ;

- mais aussi comme des objets produits dans des contextes de production donnés et consommés dans des contextes d'usage donnés (et cela à des moments donnés).

En termes de conservation et de préservation, il peut donc être utile de s'intéresser à l'objet en tant que tel mais aussi aux contextes qui leur donnent vie.

Si on regarde de plus près l'objet ou le document que constitue le médiagramme, on peut lui trouver aujourd'hui plusieurs dimensions ou configurations :

- c'est dans certains cas, un support bien identifié, une matérialité, un artefact ; c'est cette composante très pratique qui oblige à s'intéresser à la conservation-préservation de l'objet en tant que matérialité ; on sait toutefois que posséder un cédérom ne donne pas un droit de propriété sur son contenu ;

- c'est surtout (c'est pour cela qu'on le crée, le produit et le diffuse) un contenu, un message, une intention créative, une oeuvre qui sera perçue d'une certaine façon par le destinataire, consommateur, utilisateur (en peinture, sur la toile matérielle, le tableau distille son sens, sa signification, son émotion) ; on peut noter ici que dans le cas d'une oeuvre musicale, on peut retrouver l'émotion à la lecture de la partition (l'intention programmatique) ou à l'écoute de l'interprétation de l'oeuvre ;

- et de plus en plus, le médiagramme, c'est aussi un document virtuel, numérique, suite de bits informatiques, "programme ultime" ou encore "programme minimaliste" transférable sur de nombreux types de supports mais totalement incompréhensible sans un minimum de quincaillerie technologique (contrairement à l'oeuve brute donnée immédiatement à écouter ou à voir) ; mais paradoxalement, l'oeuvre brute est désormais réinterprétable à tout moment grâce à sa trace programmatique qu'est le fichier numérique. En outre, alors que l'oeuvre originale traditionnelle était fixée, figée dans un espace-temps donnée, le passage au numérique rend le document fortement ubiquitaire et très flexible dans sa temporalité, quasiment insaisissable (au sens matériel et juridique du terme).

Outre le caractère très caméléonesque du document numérique virtuel, il faut ajouter un contexte de production nouveau caractérisé par :

- un réelle explosion de la production de tels documents (la croissance exponentielle des sites Web est révélatrice de cette tendance) ;

- une forte implication des individus et des groupes dans un processus de production fortement socialisé, avec démocratisation de l'accès aux documents numériques ;

- une interactivité plus importante directement incorporée dans les documents ou intervenant entre les acteurs par l'intermédiaire des documents eux-mêmes.

3-4. Penser une typologie fonctionnelle des médiagrammes

Tout cela conduit à penser une nouvelle typologie fonctionnelle des objets audiovisuels ou multimédias ou médiagrammes, du point de vue des questions de conservation. Cela peut se faire en considérant les axes ou dimensions suivants (à titre d'exemples) :

- le degré de novation : des objets traditionnels, bien identifiés (dont il faudra encore assurer la conservation) aux objets délibérément nouveaux, véritables "moutons à cinq pattes" dont la configuration programmatique-numérique est véritablement l'oeuvre originelle (pages Web, documents interactifs, jeux électroniques,...) ;

- le degré de liaison avec les supports matériels : des objets-oeuvres inéluctablement liés à leur support matériel (le cas extrême étant celui de la peinture ou de la sculpture) aux objets dont une trace numérique permet une réutilisation quasi infinie sans risque de détérioration des documents originaux (CD musicaux par exemple) et jusqu'aux oeuvres purement numériques, virtuels purs programmes à jouer sur des ordinateurs ou réseaux d'ordinateurs ;

- le degré de formalisation de l'acte de création-production-diffusion : des objets produits par des entités institutionnelles ou commerciales (dont il est facile de cerner la production) aux objets produits dans le cadre de processus plus informels, plus vernaculaires mais qui reflètent à l'évidence des traits de la société contemporaine.

3-5. Un autre questionnement autour des processus de production

De même que pour les médiagrammes, il est utile de s'interroger sur les processus ou dispositifs de création, production, diffusion.

Il est évident que les entités traditionnelles que sont les grands opérateurs institutionnels (radiotélévisions nationales par exemple) ou les grands acteurs du secteur commercial (grandes maisons de production, etc.) continueront à alimenter le fonds de médiagrammes dont il faudra assurer une certaine forme de conservation.

Mais à côté de ces acteurs traditionnels, émergent de nouveaux producteurs-diffuseurs auxquels il est indispensable de s'intéresser. On peut citer par exemple, le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche de plus en plus créateur de produits multimédia dont il faudra bien un jour chercher à assurer la conservation (productions scientifiques, productions didactiques,...). Le monde de l'entreprise, des organisations, des collectivités publiques de toutes sortes est lui-même de plus en plus porté à produire et diffuser des objets multimédia : l'explosion des sites Web dans ce domaine ne doit pas laisser indifférents les responsables de la "tradition audiovisuelle". Enfin, et c'est là la révolution la plus importante du numérique en réseau, les individus eux-mêmes, les citoyens, les groupes de base deviennent de réels acteurs de la future tradition audiovisuelle multimédia.

Le développement et l'éclatement (ou décentralisation) des lieux ou processus de production compliquent terriblement les choses du point de vue d'une démarche raisonnée de conservation-préservation, mais peut-on faire l'impasse sur cette réalité?

3-6. Des processus de conservation, oui, mais pour qui et pour quoi faire?

La question iconoclaste de l'analyse de la valeur consiste à toujours se demander à quoi sert ce que l'on fait. Qui sert-on, pourquoi et pour quels besoins? Les choses allant généralement d'elles-mêmes, on en vient souvent à reproduire des gestes, des solutions, sans véritablement se demander s'il cela a encore un sens de le faire. Certes, il n'est pas question ici de mettre en doute l'impérieuse nécessité de garder trace d'une certaine création humaine (on est généralement très content de pouvoir disposer de ces ressources patiemment conservées). On va toutefois s'efforcer d'esquisser une validation des grandes fonctions de la conservation-préservation de façon à permettre d'éventuelles adaptations aux contraintes nouvelles.

En première analyse, deux grands besoins fonctionnels semblent émerger :

- d'une part, un besoin principal de constitution d'une mémoire de la création audiovisuelle et multimédia (sauvegarde, trace,...) ;

- d'autre part, un besoin de création d'un bassin de ressources pour des usages ou exploitations diffèrées.

Une réflexion plus approfondie conduirait sûrement à distinguer deux sous-fonctions pour le besoin de mémorisation :

- il faut pouvoir préserver, de façon durable, certains objets ou documents produits dans une perspective de sauvegarde à long terme ; on pourrait aller jusqu'à parler de "vitrification" de certains documents convenablement choisis (le "sanctuaire") ou encore faire l'analogie avec les témoignages archéologiques que l'on réenfuit dans le sol après les fouilles ; la non-utilisation de telles ressources originales est le principe de base du dispositif, par contre, la mise à disposition d'un ersatz numérique est bien entendu tout-à-fait envisageable ;

- une autre sous-fonction consiste à mettre à disposition certains matériaux à des fins de recherche historique ou non ; pour cela le document doit être accessible comme doit être mis à disposition l'information sur le contexte de création-production ; ici, le principe d'exploitation est l'usage distancié, différé, qui nécessite sans doute des approches probabilistes dans la façon de choisir ce qui doit ou non être conservés à cette fin.

En ce qui concerne le besoin de réexploitation différée (pour des utilisations brutes, pour des illustrations, pour des témoignages,...), il s'agit de pouvoir donner accès à des documents qui n'existent plus dans les circuits traditionnels (institutionnels ou commerciaux). C'est, d'une certaine façon, le rôle souvent joué par les bibliothèques.

Il serait intéressant, même indispensable, d'approfondir ces divers besoins fonctionnels, d'en cerner les critères d'évaluation ou dimensions d'appréciation comme par exemple :

- les diverses durées de conservation (selon les besoins, selon les cibles,...) ;

- les natures ou types de documents à conserver ;

- le degré de documentation à assurer autour des objets à conserver ;

- etc.

La prise en compte de l'environnement numérique et réseau devrait amener également à préciser ces fonctions et ces critères et imaginer des principes de solution pour les diverses fonctions à assurer par les dispositifs de conservation.

3-7. Vers des idées de solutions

Le raisonnement fonctionnel et la prise en considération des données de contexte conduisent alors à suggérer des pistes ou voies de solution. On ne mentionnera ici que quelques idées, non validées dans le présent exercice.

Une première idée serait de repenser le ou les dispositifs de conservation en abandonnant la logique traditionnelle de spécialisation des institutions par natures ou types des supports diffusés pour aller vers une logique plus fonctionnelle, celle de la satisfaction de grandes catégories de besoins. L'environnement numérique-réseau ne peut que forcer à aller dans une telle direction.

Une autre idée à explorer consisterait à remettre en cause la notion de centralisation (solutions centralisées ou plutôt concentrées) pour la conservation des objets multimédia. Il faut désormais tenir compte de l'éclatement de plus en plus évident des dispositifs de production. Il faut sans doute jouer sur une responsabilisation accrue de certains acteurs dans cette démarche autour de la "tradition audiovisuelle" et aussi penser à la nouvelle connexité des réseaux électroniques. Des répartitions de responsabilités par pôles fonctionnels pourraient être étudiées.

Il serait en outre intéressant de réfléchir à la façon de traiter spécifiquement les trois dimensions de l'objet multimédia, d'une part le support, d'autre part le message produit, diffusé et reçu (avec les contextes de production et d'utilisation), enfin le programme ou fichier numérique correspondant (l'objet virtuel).

Des approches probabilistes devraient sûrement être développées et généralisées en matière de conservation du patrimoine audiovisuel multimédia. Il est évident qu'il sera de plus en plus difficile de raisonner en termes d'exhaustivité pour la conservation d'objets de plus en plus abondants. Il paraît indispensable d'échantillonner les objets à conserver en fonction des types de besoins fonctionnels retenus.

Dans le même ordre d'idées, si la production institutionnelle et commerciale peut être suivie sans trop de difficulté par les acteurs de la tradition audiovisuelle, il est plus difficile de faire face aujourd'hui à la production informelle, vernaculaire, qui pourtant présente un réel intérêt. Des procédures adaptées de collecte (échantillonnage, choix sélectif,...) doivent être envisagées sans tarder.


L'exercice de recours à l'analyse de la valeur à la tradition audiovisuelle n'a été qu'esquissé dans les lignes précédentes. Mais à ce stade de la réflexion (et en guise de conclusion), on ne peut que suggérer un travail collectif sur un sujet terriblement actuel.

Cela pourrait prendre la forme d'une réflexion prospective sur la question menée avec un certain état d'esprit analyse de la valeur et conduisant à un certain nombre de recommandations ou suggestions.

Cette réflexion ouverte pourrait être conduite par un groupe ou comité ad-hoc auquel devraient participer des représentants de différents secteurs ou domaines concernés , avec des auditions de divers responsables mais aussi de spécialistes des nouvelles technologies comme encore de représentants d'utilisateurs.

Le travail porterait sur une meilleure identification du nouvel objet audiovisuel multimédia (médiagramme), sur une clarification des évolutions de l'environnement et du contexte technologique et socioculturel, sur une détermination des fonctions de service à assurer (les grands besoins fonctionnels à satisfaire), enfin sur l'identification de principes de solution pour une nouvelle approche de la tradition audiovisuelle.

En tout cas, un travail de valeur pour s'attaquer au réel défi que constitue la constitution d'une mémoire collective, active et fiable face à l'explosion de la production audiovisuelle multimédia.

La société de l'information sera-t-elle une société sans mémoire?


Références bibliographiques

1 - MICHEL (Jean) et SUTTER (Eric). - Valeur et compétitivité de l'information documentaire. L'analyse de la valeur en documentation. - Paris, ADBS, 1991 (128 p.).

2 - MICHEL (Jean), en collaboration avec SUTTER (Eric). - Pratique du management de l'information.Analyse de la valeur et résolution de problèmes. - Paris, ADBS, 1992 (431 p.).

(3) AFNOR. - Le vocabulaire de l'analyse de la valeur. Norme NF X 50-150, août 1990.

(4) COSANDIER (Jean François) avec la participation de MICHEL (Jean). - Valorisation des ressources documentaires de la Radio Suisse Romande grâce à l'analyse de la valeur. - in Congrès IDT 1995, Paris.