Des technologies et des hommes.

Plaidoyer pour le développement d'une infoculture

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Jean MICHEL

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Communication pour le séminaire de l'Académie de Paris - 9 juin1997 - 36 ko

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PLAN

1 - Les technologies de l'information et le progrès des connaissances

2 - Les nouvelles technologies numériques de l'information

3 - Comprendre l'information derrière les technologies

4 - Les professionnels de l'information dans ce nouveau contexte

5 - La nécessité de développer une réelle infoculture

Autre intervention


Si je partage assez bien les propos tenus par les autres collègues orateurs sur la nécessité d'une formation appuyée dans le domaine de la maîtrise de l'information, je suis par contre assez frappé aujourd'hui par l'accélération de la problématique "formation à l'information" en l'espace de quelques d'années. Il y a 5 ans ou 10 ans, lorsqu'on organisait ce type de réunion sur ce qui ne s'appelait pas encore la culture de l'information, on avait un certain nombre de perceptions de ce qu'il fallait faire, mais on en restait souvent au niveau des voeux pieux. Aujourd'hui, le changement de positionnement est net et on ressent bien une implication de tout un ensemble de forces, de tout un corps social autour de ce thËme. C'est ce qui me frappe le plus aujourd'hui, par rapport à tout ce qu'on a écrit et publié depuis une vingtaine d'années sur le sujet.

J'ai, ici, un article paru dans " Informatique Magazine " intitulé : "Cyberdocumentaliste un nouveau métier ; l'entreprise confiera ses recherches sur Internet ou Intranet àdu personnel spécialisé. Objectif gagner du temps". Une discussion très chaude s'est également développée récemment sur la liste de diffusion ADBS-INFO, forum électronique qui permet à plus d'un millier de personnes d'échanger réguliËrement des messages. Cette discussion faisait suite à un article paru dans la revue de l'Atelier de la Compagnie Bancaire intitulé "Les agents intelligents de recherche vont-ils supprimer les documentaliste?". Pour la profession, la question était de savoir au fond qui ou quoi était intelligent et qui ou quoi était stupide, le robot de recherche ou le documentaliste?

Tout le problème dont nous voulons débattre est bien là. Y-a-t-il intelligence quelque part dans cette nouvelle société de l'information, intelligence en amont ou en aval de l'information? Et comment préparer les hommes à cette nouvelle intelligence rendue possible par des modalités technologiques nouvelles d'accès à l'information et à la connaissance.

1 - Les technologies de l'information et le progrès des connaissances

Je crois qu'aujourd'hui le facteur technologique est déterminant mÍme s'il faut prendre de la distance par rapport àla technologie. Je suis tout de même frappé par son caractère "accélérateur des changements".

Je vais juste donner un exemple historique. Il se trouve qu'à l'Ecole des Ponts et Chaussées (créée en 1747) nous avons connu un processus similaire d'accèlération du progrès en 1818 avec l'arrivée et l'utilisation de la lithographie, instrument de communication technique tout àfait intéressant pour l'époque et qu'un corps social comme celui des ingénieurs a su s'approprier? Grâce à la lithographie, nous avons pu voir émerger les premiers cours polycopiés à bon marché (en coût de fabrication), ce qui permettait de diffuser très largement la connaissance technique des ingénieurs alors qu'avant il fallait utiliser la gravure sur cuivre pour reproduire des documents : Áa coûtait cher et donc peu de gens avait accès au savoir technique.

Plus intéressant encore : une idée de collecticiel avant la lettre. Les ingénieurs sur le terrain, à Bordeaux, à Angers à Montpellier, envoyaient à Paris leurs travaux, dessins, notes de calcul relatifs aux ouvrages construits par eux (ponts, routes, canaux,..). L'ensemble de ces matériaux était centralisé à Paris, à l'Ecole des Ponts, puis reproduit en une collection de planches lithographiques contenant tout le savoir et le savoir-faire des ingénieurs français de l'époque. Cette collection de planches était ensuite diffusée à la totalité des ingénieurs. Ainsi, ce "web-forum lithographique" a permis de faire avancer très rapidement le savoir et l'expertise des ingénieurs à un moment où émergeaient certaines sciences nouvelles du calcul des structures et de la résistance des matériaux. C'était du reste extrÍmement important pour les ingénieurs français qui devaient rattraper leur retard par rapport aux concurrents et amis britanniques. L'utilisation de cette nouvelle technologie d'information, à coût bas, a sans le moindre doute contribuer à un véritable progrès collectif dans les années 1820-1840.

2 - Les nouvelles technologies numériques de l'information

Comment décrire et caractériser les nouvelles technologies de l'information aujourd'hui? On peut retenir 5 ou 6 aspects essentiels.

La généralisation de l'usage de la micro-informatique est une donnée incontournable. L'ordinateur est l'outil qui va accompagner l'homme dans son développement. Il lui permet de figer sa pensée, de conserver trace d'un certain nombre de ses travaux, de travailler avec d'autres, etc. L'ordinateur est désormais le stylo Bic de tout un chacun.

La numérisation des documents, des textes et des données est un facteur clé de l'évolution récente. Elle permet de s'affranchir des contraintes de format, de standard, de localisation sur tel ou tel type de machine. Elle permet de traiter de la même façon aussi bien du texte, du son, de l'image. Tout se résume en la manipulation d'une suite de bits informatiques, chaîne minimale de données, plus petits communs dénominateur. Cette chaîne de données numériques, on peut la manipuler dans tous les sens, sous toutes les formes, et surtout à un coût très faible. Cela conduit à une grande fluidité, une grande flexibilité dans la façon de penser et travailler, dans la manipulation de l'information, avec des effets positifs évidents, mais aussi des effets pervers (pillage du droit d'auteur, détournement de textes, etc.).

Autre évolution intéressante : l'augmentation incroyable des capacités de stockage. Une encyclopédie tient désormais sur un tout petit cédérom (contre un mètre cube et 80 Kg pour l'exemplaire de l'Encyclopédie de Diderot conservée par l'Ecole des Ponts dasn ses réserves). Les mémoires de nos ordinateurs ne cessent d'enfler. Acheté, il y a deux ans, mon ordinateur avec sa RAM de 350 Mo, est déjà dépassé, les mémoires offertes sont désormais multipliées par 5 ou 6 pour le même niveau de prix. La question que je pose, bien sûr, c'est de savoir ce que je vais faire de cette mémoire et comment je vais l'organiser ?

Autre phénomène étonnant : les réseaux de communications sont de plus en plus performants et rendent possible une véritable communication à coût bas entre les divers ordinateurs. Les outils de communication sont véritablement au coeur du déevlopement de la société de l'information (d'où d'ailleurs les défis, les enjeux, les conflits autour de "qui va maÓtriser quoi?". On comprend bien les enjeux en question en voyant France Télécom chercher à interdire aux cablo-opérateurs la possibilité d'offrir des accès sur Internet ou Bill Gates essayant de mettre la main sur tel ou tel type de réseaux.

Plus intéressant encore, le couplage ou l'intégration de toutes ces technologies. Les réseaux l'ordinateur, le numérique se combinent et conduisent au multimédia. On débouche sur nouvelles formes d'information et de communication. Tout d'un coup, il y a précipitation au temporel comme au sens chimique du terme. Il y a un "précipité". Quelque chose de vraiment nouveau surgit que l'on ne connaissait pas auparavant. Internet, le Web et d'autres outils tels que le group-ware ou le work-flow sont une synthËse de tout un ensemble de technologies, une salade mixte technologique. Mais attention, Internet n'est pas une révolution technologique : Internet utilise le téléphone et l'ordinateur, deux technologies qui existent depuis longtemps. Internet, c'est simplement la combinaison de ces différents éléments. En général la combinaison d'éléments diféfrents conduit à la créativité : on est beaucoup plus riche quand on assemble des éléments différents, quand on marie des approches contrastées (alors que la monoculture, la monovision, le repli sur ses seules compétences ne peut qu'engendrer dépérissement). Ainsi, avec Internet et le multimédia, franchit-on une nouvelle étape, aboutit-on à une réelle précipitation socio-économique autour d'un objet qui se présente sous différents aspects.

Ajoutons encore l'émergence de nouvelles pratiques de l'ingénierie linguistique qui permet de développer des interfaces homme/machine intelligents. Pensons au rôle désormais essentiel du langage structuré (de type SGML ou HTML). Notons enfin la révolution de 1992, avec l'arrivée de la logique hypertexte, du WEB, de l'exploitation opérationnelle du langage HTML. Ce n'est plus la peine aujourd'hui de disposer par devers soi du document, il suffit que sache le repèrer dans un espace ouvert (le Web, la "toile") et que je le rapatrie sur mon disque dur quand j'en ai besoin. A tout moment, je peux naviguer entre ces documents numériques et virtuels, faire des liens entre eux. Je crois que beaucoup de gens n'ont pas encore compris le sens profond de cette révolution (plus conceptuelle et sociale que technologique). Toute la problématique de la culture de l'information est à revoir. On est désormais dans un monde ouvert où il n'est plus nécessaire de posséder pour savoir, de détenir pour consulter. Il faut changer sa faÁon d'appréhender le monde, de s'informer, de travailler avec d'autres. Ma propre pratique professionnelle a radicalement changée en l'espace de 4 à 5 ans : je suis devenu, de fait, un télétravailleur ; je peux travailler ici ou là, accéder àdes sources les plus variées ; je gagne en disponibilité, en flexibilité, en fluidité ; je travaille en toute intelligence avec des gens de l'autre bout de la planète ; j'ai l'impression d'aller beaucoup plus vite, plus loin et plus profond dans ma réflexion, dans ma connaissance des problËmes comme dans mes démarches professionnelles.

3 - Comprendre l'information derrière les technologies

Essayons maintenant de prendre un peu de recul par rapport à la notion d'information. Que signifie la nouvelle accessibilité à l'information dans le contexte des réseaux, du numérique et du multimédia?

L'information, c'est d'abord et avant tout le regard des hommes sur le monde. Il y a donc forcément autant de regards informationnels qu'il y a de paires d'yeux. En d'autre terme il ne faut pas s'étonner qu'il y ait beaucoup d'informations qui circulent sur les réseaux. Ce qui serait anormal, ce serait que les hommes soient muets. Le problËme réside dans le fait que les systèmes d'information et de communication antérieurs ne permettaient aux yeux de se rencontrer, aux regards de se croiser. On se trouve aujourd'hui devant la situation paradoxale d'une apparente surabondance d'informations alors que cette surabondance ne fait que reflèter de façon nouvelle la connexité de nos sociétés. On découvre subitement la grande multitude des tÍtes de personnes avec lesquelles on est amené àtravailler de faÁon différente, distante et virtuelle. Au fond le livre ou les turpitudes technologiques d'avant (certaines bases de données) ne reflétaient qu'une limitation dans les capacités qu'on avait alors de mettre en interrelation les tÍtes des gens, les savoirs des uns et des autres. La matrice des interactions entre les hommmes change brusquement de dimensions. C'est vraiment cela qu'il nous faut comprendre et appréhender. Puisqu'il y a ouverture, il faut en tirer toutes les conséquences et notamment Ítre plus directement en contact avec des partenaires diféfrents, dans des environnements les plus variés.

Autre changement induits par les nouvelles technologies, l'implication plus directe des personnes et des groupes dans le management global de leur information. Il faut bien comprendre que désormaisl'individu (ou le groupe) est àla fois utilisateur de l'information largement circulante mais surtout redevient producteur de cette information. Il reprend une responsabilité pleine et entière dans l'acte de production et d'émission. Il faut renoncer aujourd'hui à l'image assez fausse selon laquelle il y aurait d'un coté des sources institutionnalisées d'information (avec des livres écrits par des gens qui ont toujours des choses àdire) et d'un autre coté des gens qui n'auraient rien àdire et qui auraient tout àentendre, consommateurs obligés des flux institutionnalisés d'information. C'est un modèle social profondément érroné ne reflétant pas la vraie nature de la société et de l'humanité. Je crois que les nouvelles technologies rendent possible un réel partage de l'information et de la connaissance. Cette interactivité nouvelle dans le processus informationnel est un point important. Elle explique d'ailleurs les angoisses et les réactions de ceux qui veulent impérativement contrôler ce qui se passe dans leur organisation, dans leur entreprise, dans leur structure. Je connais personnellement des situations réelles d'entreprises dont les patrons interdisent les accès Internet (notamment àleurs documentalistes) par peur de la contagion d'idées déstabilisantes. A l'inverse, on voit les anglo-saxons, les américains, s'engager à fond dans cette stratégie de la diffusion la plus large possible de l'information. L'objectif est de doper en quelque sorte la société américaine en facilitant l'accès du plus grand nombre aux informations et aux outils disponibles sur les réseaux, en faisant en sorte que chacun redevienne acteur responsable d'un management global de l'information.

4 - Les professionnels de l'information dans ce nouveau contexte

Pour cerner les nouvelles activités des professionnels, l'ADBS (L'Association des professionnels de l'information et de la documentation) a cherché à définir certains concepts centraux? C'est ainsi qu'est apparu essentiel le terme d'Information-Documentation ou ID. L'information-documentation est au fond quelque chose que l'on peut comparer à une pièce de monnaie, c'est à dire un objet à deux faces, avec une face information et une face document mais constituant en tout état de cause un seul et même objet. Il nous faut gérer de facon articulée le contenu ce qui est véhiculé par le contenant, à savoir l'information ; mais il nous faut aussi gérer le contenant qu'il s'agisse des rayonnages de nos bibliothèques, de nos fichiers ou bases de donné es ou nos disques durs. Il nous faut apprendre àgérer cette double dimension qui n'est pas simple. Au fond il n'y a pas de document qui ne soit pas support d'information pas plus qu'il n'y a pas d'information qui ne soit pas quelque part supportée par un vecteur documentaire. Cela conduit à des métiers qui vont se positionner sur tout un continum allant de la stricte gestion documentaire à la seule intelligence informationnelle. On aura ainsi des métiers beaucoup plus tournés vers le seul élément informationel comme par exemple ceux relatifs à l'intelligence économique ou à la veille (les métiers du renseignement), métiers qui sont àla limite plus préoccupés par la structuration des contenus de l'intelligence et de la connaissance (ingénierie de la connaissance). A l'autre bout (et ça se développe beaucoup dans les entreprises aujourd'hui), on aura des métiers plutÙt orientés vers la gestion ou ingénierie documentaire : quand on construit et livre un avion, il faut l'accompagner d'une masse de documents qui permettent d'assurer la bonne utilisation et la maintenance de l'engin, à tout moment ; il faut dans ce contexte que je retrouve avec une très grande certitude le document spécifique dont j'ai besoin.

D'un point de vue professionnel à travers ces nouveaux environnements technologiques (Internet et multimédia), c'est tout le problème de la relation du local au distant qui est cause. Que dois-je vraiment garder par devers moi? Que puis-je avoir à distance? Dans ce problËme de l'accès aisé au document distant, qui n'est pas chez moi, c'est le monde entier qui est maintenant disponible et auquel je peux accèder quand je "surfe" sur Internet. Très vite, je vais trouver des masses considérables de choses. La première question qui va se poser est de savoir ce que je vais faire de ce trop plein. Comment vais-je parvenir à maîtriser cette abondance? Il devient donc nécessaire de savoir cartographier ce qui est disponible sur le réseau. Le travail de la documentation sera donc de plus en plus un travail de géographe, de géomètre, de cartographe, les documentalistes devenant donc les nouveaux géomètres ou géographes de ce systËme trËs ouvert qu'est Internet.

Il va falloir mettre des balises pour repèrer les coins et les recoins du terrain. Il va falloir aussi évaluer ce que l'on trouve. Dernièrement dans un colloque en Suisse sur la mémoire de l'audiovisuel, une personne a mis en opposition la notion de document et celle de monument, l'une et l'autre renvoyant aux mÍmes racines et aux mÍmes préoccupations, au fond instruire. Parmi tous les nombreux documents disponibles, certains sont les "monuments" qui ont une réelle valeur et que l'on considère comme essentiels. Ils sont digne de mémoire. Ainsi donc le travail du documentaliste conduit-il inéluctablement aujourd'hui à procéder à l'évaluation des sources. Je crois qu'un des rôles majeurs du documentaliste consistera désormais à "monumentaliser la toile", c'est àdire à trouver les "landmarks", les "monuments" documentaires essentiels autour desquels se multiplient et se structurent les poches ou bassins documentaires.

Une autre donnée à prendre en compte pour le métier de documentaliste, c'est la nouvelle relation au temps. Les nouvelles technologies chahutent la structuration du temps. Il y a bien sûr, en tout premier lieu, ce raccoucissement prodigieux des délais, la communication électronique a un effet certain d'accélèration des échanges. Derrière ce raccourcissement des délais, c'est tout le problème de l'économie de l'intermédiation qui est en cause. Les intermédiations assurées par le biais d'éditeurs classiques, donc du papier, sont très lentes et très coûteuses alors que l'intermédiation électronique induit aujourd'hui un effet certain sur les coûs. Le coût marginal de diffusion de l'information électronique tend inéluctablement vers zéro. C'est donc tout le problème de la mise hors course aujourd'hui du monde de l'édition traditionnelle, comme peut être mise en question une certaine forme traditionenlle d'intermédiation documentaire aujourd'hui inutile dès lors que les personnes peuvent accèder directement aux ressources disponibles. C'est donc toute la chaîne de l'intermédiation qui est chahutée par l'arrivée des nouvelles technologies, par la réduction inéluctable des temps et des coûts.

Autre aspect intéressant des nouvelles technologies : la desynchronisation des activités, la détente des contraintes de l'espace-temps. Les technologies permettent d'envisager, par exemple, des pratiques pédagogiques complètement différentes. Je suis frappé par les nouveaux usages émergeants tels que le tutorat électronique, Ce week-end j'ai pu travaillé avec des étudiants àdistance, sur des documents qu'ils m'ont envoyés, que je leur renvoie, que je mts sur un site Web qu'ils consulteront à leur guise. C'est une toute autre façon de travailler qui est en train d'apparaître et qui touche tout le secteur du transfert des informations et des connaissances.

5 - La nécessité de développer une réelle infoculture

Ceci amène donc au problème central, à savoir la culture de l'information. Comment prépare-t-on aujourd'hui les personnes ànouveau contexte? Ce point a été largement évoqué lors du colloque de l'UNESCO sur l'infoéthique, en mars dernier, avec notamment l'insistance de nombreux experts pour le développement d'une réelle "infoculture" (ou "mediacy"). Ce thème est assez abondamment discuté aujourd'hui dans un certain nombre de lieux. On sent bien qu'il faut essayer de préparer le terrain pour que les personnes puissent se comporter en véritables citoyens de cette société de l'information et pas simplement être soumis à un choc créant ensuite des difficulté d'adaptation.

Il nous faut, premier objectif, essayer de bien faire percevoir et comprendre ce qui se passe. Il nous faut faire découvrir aux enfants, aux étudiants, aux professionnels les mécanismes en arrière-plan de cette tourmente. Il m'arrive d'organiser et d'animer des séminèËre): pour des dirigeants d'entreprise, pour des directeurs de chambres de commerce et d'industrie, pour des ingénieurs, il n'est pas aisé de comprendre ce qui se passe, d'intrepréter les mutations en cours, de cerner le sens de cette révolution informationnelle. Les habitudes de pensée et de travail viennent s'opposer àcette nouvelle réalité et ces acteurs risquent d'être pénalisés s'ils n'arrivent pas à se situer dans ce nouvel environnement.

Un deuxième objectif consiste à fournir un minimum de savoir faire de survie. Si on a pas mis les doigts sur un ordinateur, si on ne sait pas ce que sait qu'une souris, si on n'a jamais "surfé sur le net", il est évident qu'on aura du mal àassurer soi-même sa propre quête d'information. Un minimum de savoir-faire pratique est indispensable. Or on découvre vite des choses étonnantes. Ainsi constate-t-on aisément que les personnes ont appris des techniques de manipulation d'outils (par exemple Word ou Excel ou la messagerie), mais n'ont pas compris qu'au fond c'était la même information qu'ils manipulaient. Cela nous conduit, par exemple àl'Ecole des Ponts et Chaussées, à concevoir et mettre en oeuvre des formations pour l'ensemble du personnel pour réapprendre le B-A-BA de l'informatique, de la bureautique et de la gestion de l'information. Attention donc aux formations trop instrumentales (comme celles développées dans les années 70-80 par les centres serveurs et consistant à faire de remarquables équations documentaires booléennes sans véritablement mettre en relation cela avec le sens réel à donner à l'information).

Dans un troisième temps, il est possible d'aller beaucoup plus loin et d'envisager de réelles spécialisations comme par exemple dans le cas des formations d'ingénieurs où il faut sûrement sensibiliser ces jeunes ou futurs cadres à la propriété industrielle, à l'intelligence économique ou à la veille technologique.

Mais je voudrais surtout insister sur un dernier point essentiel relatif à cette démarche de développement d'une infoculture. Au delà des techniques et des savoir-faire, il y a les problèmes de valeurs et d'éthique, dimensions qui ne sont toujours bien vues ou prises en compte. Il est aisé de mettre l'accent sur les aspects technologiques mais les vrais problèmes aujourd'hui sont bien ceux de valeur et d'éthique. On en parle à propos des sites néonazis ou racistes mais il faudrait sans doute attirer aussi l'attention des personnes sur le problème du droit d'auteur et de la propriété intellectuelle comme sur celui de l'intégrité des sources documentaires. Comment se comporter dans une société informationnelle mondialement ouverte? Comment devenir un véritable citoyen de cette société? Quelles responsabilités, quels droits et quels devoirs? C'est sur ce point important relatif aux aspects éthique et aux questions de valeur que j'aimerais conclure cet exposé en renvoyant la balle aux collègues enseignants et documentalistes pour qu'ils s'emploient à sensibiliser les jeunes à cette dimension plus ingrate de la diffusion de l'information.


Autre intervention

Eric Jouan :

Monsieur Jean Michel, peut-Ítre quelques mots complémenatires sur ces aspects de la formation.

Jean Michel :

D'abord sur les aspects technologiques, il ne faut pas rester au niveau des apparences, c'est à dire à la connaissance des seules fonctionnalités des outils ("le bouton rouge"). Les technologies se banalisent certes, mais le problËme majeur reste celui l'intelligence de la technologie et c'est la dessus que doit porter la formation.

Pour comprendre la technologie, ce qu'elle est vraiment, il faut aller au delà des apparences. Ainsi Internet peut être vu comme une "quincaillerie" parmi d'autres (des ordinateurs, des modems, des réseaux, des fonctionnalités,...). Mais Internet, c'est aussi un réseau virtuel, un réseau d'échange entre les hommes. Internet, comme le dit Huitema, c'est mettre l'intelligence àla périphérie des systËmes, c'est la logique de la décentralisation responsable. Il nous faut apprendre à Ítre et à agir dans ce contexte. C'est cela que j'aimerais faire passer comme message dans une action de formation sur Internet.

Mais la formation dans ce domaine doit utiliser elle mÍme les outils qui sont aujourd'hui disponibles. Dans de nombreuses expériences pédagogiques en cours, on utilise efficacement les forums électroniques et des dispositifs où on apprend ensemble, de façon interactive. Il ne s'agit plus seulement d'être en face d'un professeur et d'apprendre passivement de lui certaines choses. On apprend aujourd'hui à travers des démarches collectives, interactives, d'enseignement mutuel ou réciproque. La direction de l'Ecole des Ponts et Chaussées a décidé depuis un an de former tout le monde (et pas simplement les étudiants car eux maîtrisent mieux que tout le monde les outils Internet) c'est-à-dire les personnels administratifs, les documentalistes, les enseignants àcette nouvelle donne des technologies électroniques. Une formation très légère de sensibilisation est dispensée par quelques cadres plus experts dans le maniement des outils. On met en outre en place des outils d'accompagnement permettant l'autoapprentissage et l'enseignement mutuel avec un dispositif de communication et d'échange d'expérience. On parvient ainsi à mettre en place ces fameux collecticiels d'apprentissage dont on parle bien dans certains pays aujourd'hui.

Dernier point sur lequel j'aimerais insister : le fossé risque de se creuser entre l'utilisateur ou citoyen lambda et le professionnel médiateur si celui-ci ne se met pas assez vite au meilleur niveau en matière d'usage des nouvelles technologies. On commence à percevoir aujourd'hui une situation assez étrange dans laquelle certaines personnes, des enfants, des étudiants, des ingénieurs sont beaucoup plus performants dans l'usage de ces outils que les professionnels médiateurs chargés de les aider. Cela pose des problèmes de déstabilisation de ces professionnels. Comment résout-on le problème d'apprentissage des uns et des autres dans ce contexte? Je vous laisse réfléchir vous-même à la réponse.