ANALYSE DE LA VALEUR

ET MANAGEMENT DE L'INFORMATION

VERS LA "VALUE INFORMATION"

JM 305

Jean MICHEL

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in "La Valeur des Produits, Procédés et Services", n°79, Janvier 1999, pp 19-22 - Ecrit : mars 1998 - 32 ko

PLAN

Introduction

L'AV appliquée aux produits et services d'information : 20 ans déjà

L'information et le document, la fonction de service et la fonction technique

Les années 70-90 : l'industrialisation du processus documentaire

L'émergence d'une nouvelle socio-économie de l'information-documentation

Repenser l'information de l'entreprise : vers la "Value Information"

Références


Introduction

L'analyse de la valeur et le management de l'information sont des méthodes ou approches d'aide à la conception et à la décision qui ont de forts liens de similitude, voire même de parenté et qui ont d'importantes zones de recouvrement quand elles ne s'autofécondent pas.

Le plan de travail de l'analyse de la valeur n'inclut-il pas la recherche de l'information comme l'une de ses phases essentielles et le groupe de travail AV n'est-il pas ni plus ni moins qu'un forum efficace d'échange d'informations multidisciplinaires en vue de l'action? En ce qui concerne le management moderne de l'information (le développement prodigieux d'Internet n'en étant qu'une péripétie et configuration originale parmi d'autres), ne se fonde-t-il pas sur des principes de base proches de ceux de l'AV comme par exemple le centrage sur le besoin de l'utilisateur, sur la recherche du moindre coût et sur l'échange entre des acteurs aux points de vue variés?

Si l'on pousse plus loin la réflexion, on peut clairement affirmer qu'analyse de la valeur et management de l'information sont deux expressions fortes d'une nouvelle façon de penser la société, les organisations et les modalités de conception et de production (il serait juste de leur adjoindre l'approche qualité, le marketing et la gestion intelligente des ressources humaines dans cette vision d'un nouveau management de l'entreprise). On pourrait encore aisément démontrer que l'analyse de la valeur n'est qu'une modalité originale, efficace, d'un nouveau management de l'information pour la conception et la décision (que l'on retrouve aujourd'hui dans certaines expériences de "groupware" et dans le développement des Intranets et autres "collecticiels" de travail ou de recherche). Réciproquement, on pourrait facilement prouver que le management moderne de l'information est fortement empreint d'une philosophie AV, quasiment incontournable, inéluctable : le succès d'Internet s'analyse de façon limpide, pour les connaisseurs, le résultat d'une démarche de communication qui respect les critères de l'AV. Management de l'information et analyse de la valeur (ou management par la valeur, comme on a plutôt tendance à dire aujourd'hui), sont deux facettes assez complémentaires d'une nouvelle "économie de l'immatériel" qui permet à l'entreprise (ou à toute organisation humaine) de développer sa compétitivité (son efficacité) de façon durable, intelligente et cela dans un environnement de plus en plus ouvert, complexe et fortement évolutif.


L'AV appliquée aux produits et services d'information : 20 ans déjà

En quoi l'analyse de la valeur a-t-elle pu provoquer des mutations dans le domaine du management de l'information? Et comment l'AV a-t-elle pu s'appliquer aux produits et services de ce domaine? Voyons d'abord comment l'AV a diffusé dans le secteur concerné par l'information et la documentation.

Traditionnellement, l'analyse de la valeur est connue par ses succès dans les milieux industriels, et plus précisément dans ses applications aux produits matériels, biens tangibles s'il en est. Le passage à l'immatériel a été plus tardif ; on n'a commencé à parler d'analyse de la valeur administrative que dans les années 70. Le développement de l'AV dans les secteurs tertiaires n'a pas été aussi spectaculaire que dans les grandes sociétés industrielles qui appliquaient l'AV aux produits et processus techniques. Pourtant, très vite, on découvre que c'est bien dans ce secteur tertiaire qu'il y a encore beaucoup à gagner, le plus d'efforts à faire en matière de compétitivité. C'est du reste aujourd'hui confirmé par la tendance inéluctable de la société vers sa tertiarisation (et donc vers la société de l'information) qui implique d'importants efforts de compétitivité dans les processus tertiaires.

Les premières applications de l'AV aux processus informationnels (chez Siemens, en Allemagne par exemple) remontent à la fin des années 70. En France, un travail expérimental a été conduit, au milieu des années 80, avec l'aide des pouvoirs publics pour apprécier les possibilités d'application de l'AV aux systèmes d'information et de documentation. Cela conduira très vite à la conviction qu'il y a en effet grand intérêt à appliquer l'analyse de la valeur aux produits et services de ce domaine. Des publications rendront alors compte des premières expériences (*) et des campagnes de sensibilisation des professionnels du secteur seront régulièrement organisées. On peut facilement estimer que plusieurs milliers de professionnels en exercice ont été sensibilisés et formés à l'AV alors que la plupart des formations initiales du domaine incluent désormais AV et Value Management dans leur cursus. Dans le même temps, les chantiers d'application de l'AV à des structures, produits et services d'information se sont multipliés et ont donné des résultats intéressants (assez différents bien sûr de ceux relevant de l'application de l'AV à des produits matériels). Le concept AV est donc globalement bien passé ; il est même très bien passé par une sorte d'effet de capillarité tout à fait exemplaire.

Il convient de souligner ici le fait que grâce à sa diffusion dans les milieux professionnels de l'information et de la documentation, l'analyse de la valeur a pu toucher, indirectement, des entreprises ou organisations qui ne la connaissaient pas ou pouvaient en être assez éloignées.


L'information et le document, la fonction de service et la fonction technique

Venons en rapidement à la question de fond : de quoi parle-t-on quand on évoque l'application de l'AV aux produits et services d'information-documentation? Qu'est ce que l'information, qu'est-ce que la documentation? En quoi l'analyse de la valeur peut-elle être utile à l'amélioration du management de l'information-documentation (ou ID)? Les choses ne sont pas simples, et surtout ne sont pas comparables avec ce qui relève du domaine des objets industriels. Une tuyère de réacteur, un siège automobile, une agrafeuse sont des objets univoques, donc bien appréhendables par l'analyse de la valeur.

Préalablement, et pour répondre à la question très naturelle "à quoi sert l'information", disons que cette ressource assez particulière peut avoir plusieurs finalités ou fonctions, selon que l'on privilégie tel ou tel groupe de clients ou d'acteurs dans tel ou tel contexte. Ainsi l'information peut être un instrument d'aide à la consolidation de la mémoire de l'entreprise et ses traces (archives). Elle peut accompagner, en tant que support ou soutien logistique, les activités au quotidien dans l'entreprise. Elle contribue au développement (mise à niveau) des cultures générales professionnelles internes. Elle sert à la surveillance de l'environnement (information de veille et de prospective). Elle va permettre les diverses prises de décision (information stratégique de court et moyen terme). Elle rend possible le partage (ou appropriation collective) des savoirs pour des progrès collectifs et la consolidation de la culture d'entreprise. L'information laisse une empreinte forte sur ceux à qui elle est destinée, qui la produisent ou l'exploitent.

Mais cette information, qu'est-ce que c'est? Une chose est sûre, ce n'est pas un objet palpable, aisément saisissable. L'information n'est pas réellement objectivable. L'information est, en final, une pure subjectivité en ce sens qu'elle n'est que le regard de quelqu'un sur quelque chose, à un moment donné, dans un contexte donné (regard porté par un scientifique, un économiste, un journaliste, un professionnel quelqconque sur le monde, sur un environnement donné. L'information, considèrée comme objet tangible et objectif, bien manipulable, saisissable, n'existe pas. Il n'y a que des regards, des perceptions, des audaces d'affirmation (dont les scientifiques eux-mêmes en contestent entre eux souvent la pertinence, la plausibilité, la validité). Ces regards s'affinent au fur et à mesure des développements des instruments d'observation : ce qui était acquis à un moment donné, peut être remis en cause l'instant d'après. L'information est une péripétie du regard de l'humanité sur elle-même et son environnement. Dès lors, et c'est là un point important à prendre en considération, l'information (immatérialité absolue comme la connaissance, comme l'idée) n'est absolument pas aisément appréhendable par l'analyse de la valeur. L'information, dans cette perspective, n'est pas relevable de l'économie de l'analyse de la valeur, pas plus que les idées, la conaissance ou les croyances. L'information n'est du reste pas plus facilement appréhendable par le droit (malgré ce que certains s'efforcent de revendiquer) : les idées sont de libre circulation indique la déclaration des droits de l'homme (on ne peut pas breveter une idée ou une connaissance), elles sont le patrimoine de l'humanité.

Par contre, et cela est très important à comprendre, l'information (subjective, fugace, volatile, immatérielle, insaissable) va devoir se matérialiser dans une médiation que l'on qualifiera de « documentaire » pour pouvoir être facilement échangée, monnayée. L'information, pur regard, demande à être "précipitée" sur un support ("argentique") pour prendre palpable, tangible, donc monnayable. C'est le document qui fixe ou fige l'information et permet son échange, que ce document soit un livre, un article de revue, un cédérom ou un bout de mémoire d'un serveur informatique. La mise en forme de l'information, travail très contingent, devient création. Le résultat de l'acte d'édition de l'information devient une matérialité protégeable, appropriable, saisissable (au sens premier et au sens juridique du terme). D'où la possibilité de fonder une économie de l'information (qu'il faudrait plutôt appeler une économie du document ou pour être plus exact encore, une économie de l'information documentée) et aussi un certain droit relatif aux usages de ce document (consultation, prêt, reproduction, représentation, etc.).

Prenons l'exemple du chercheur scientifique pour illustrer ce propos. Ses idées et ses résultats suite à ses travaux de recherche sont purement immatériels, libres comme l'air, et en tant que telles, improtégeables par les moyens classiques de la protection de la propriété intellectuelle et/ou industrielle (sauf à créer une véritable politique de secret absolu, mais alors on ne diffuse plus son savoir, ses idées et alors on ne peut pas en vivre). Pour que ce chercheur puisse en tirer un bénéfice quelconque (reconnaissance de paternité, royalties, retombées diverses,...), il faut qu'il "édite" ses idées, qu'il les figent (de façon originale) dans une forme appropriée, sur des supports matériels diffusables (article écrit dans une revue, brevet déposé, disquette ou message électronique, page Web,...). Et c'est là que commence à se poser le coût de l'information-documentation, de sa production et de sa diffusion.

Essayons d'anayser cette situation selon les concepts de l'analyse de la valeur. Fondamentalement, les individus dans la société ont besoin d'information, de même qu'ils ont besoin d'idées et de connaissances pour progresser. En fait, ils ont besoin d'équilibrer leurs potentiels de connaissances (des sources savantes alimentant des puits d'ignorance pourrait-on dire). On voit là émerger une grande fonction de service, pérenne, durable dans le temps long de l'humanité, qui est liée au besoin de progresser dans la connaissance (et cela pour diverses raisons : décider, concevoir bien, fabriquer mieux, vivre mieux,...). Pour satisfaire ce besoin, l'individu doit mobiliser des ressources ou solutions de nature documentaire (compris dans le sens de l'accès à des documents qui figent, fixent, transmettent l'information dont on a besoin). Mais la conception, la fabrication et la mise à disposition de ces documents (objets matériels s'il en est) supposent énergie, fatigue, dépense, douleur, sueur, coût,.., maintes contingences technologiques, organisationnelles et humaines. La gestion et la transaction des documents relèvent à l'évidence de la catégorie de ce que l'on appelle en analyse de la valeur la fonction technique. Les turpitudes de la médiation dite documentaire (fonction technique) doivent impérativement être réduites à leur juste nécessaire, voire même éliminées, au bénéfice d'une satisfaction pleine et entière de la fonction de service inhérente au besoin fondamental d'information. En gros, jouir de l'information pertinente sans subir la pesanteur (et le coût) de la matérialité du document : toute l'équation de la valeur est là. Pour résumer, on pourrait dire que la fonction de service liée au développement de l'information et de la connaissance est quasiment incalculable, "inchiffrable", donc non-améliorable par l'analyse de la valeur en raison de son lien intrinsèque au développement de l'homme lui-même, de ses idées, de sa connaissance. Par contre, l'aspiration à une société toujours mieux informée (ou à une plus grande compétitivité de l'entreprise par l'information) implique une véritable obsession collective de la réduction du coût de la fonction technique de mise à disposition de l'information, c'est à dire de sa documentation (ou mise sous forme de document, objet manipulable, diffusable).

Entendons-nous bien, l'objectif est double (et dual) ; - assurer au mieux la fonction de service informationnelle en recherchant la meilleure adaptation aux besoins des acteurs de l'organisation, selon les intentions fonctionnelles choisies (aider à décider, assurer la mémoire, etc.) ; - maîtriser la fonction technique (et surtout le coût) que constitue l'incontournable médiation de nature documentaire (sous toutes ses formes).


Les années 70-90 : l'industrialisation du processus documentaire

Faisons un petit retour historique sur ce qui s'est passé depuis plusieurs décennies en matière d'information spécialisée (c'est à dire d'information à forte valeur ajoutée utile dans différents secteurs de la vie scientifique, technique, culturelle ou économique).

Dans les années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, on voit se créer de nouveaux et importants dispositifs documentaires en périphérie ou à proximité des centres d'étude et de recherche, dans les grandes sociétés industrielles et dans certains Ministères. On accumule alors d'importantes quantités de documents, venant du monde entier, de façon à innerver au mieux en documents (et donc en informations) utiles les équipes d'ingénieurs et de chercheurs et des décideurs divers. La tendance est alors à la centralisation (centres de documentation), à la création de grands bassins réservoirs documentaires (gestion de stocks), seule solution possible dans le contexte d'alors pour réduire le coût de la fonction technique : on met en commun, on mutualise, on évite de faire se déplacer les hommes en les amenant à venir puiser ce dont ils ont besoin au centre de documentation.

A la fin des années 70 et surtout dans les années 80, l'arrivée de l'informatique va modifier profondément la donne. On va "industrialiser la production et la gestion documentaires", faciliter la mise à disposition du document, créer des bases ou banques de données relatives aux documents détenus. Si, aujourd'hui, on analyse le phénomène, on peut dire que cette informatisation documentaire (une technologie nouvelle appliquée à des processus traditionnels de gestion centralisée des documents) a surtout été conçue dans l'esprit de démultiplier l'accès à l'information (accroissement substantiel de la satisfaction de la fonction de service à un niveau macro-économique) et indirectement d'en réduire le coût (baisse du coût juste nécessaire de mise à disposition de l'information documentée). Cela a conduit à de réels progrès des milieux spécialisés qui se sont équipés, matériellement et intellectuellement pour faire face à la nouvelle donne.

Mais, comme dans bien d'autres domaines, ce qui a été bon, utile, efficace, à un moment donné, s'est transformé progressivement en une lourdeur, en un handicap. La centralisation, dopée par l'informatisation du processus de production documentaire, devient vite une fin en soi, la gestion de la fonction technique en vient à oublier, occulter la fonction de service, à savoir la satisfaction du besoin d'information. Les démarches perfectionnistes, parfois jusqu'au-boutistes, d'amélioration de la production des bases de données ont pu créer, ici où là, le sentiment d'une coupure forte entre "producteurs" et "usagers" (c'est du reste à ce moment que l'on commence à parler de façon assez perverse de "formation des usagers", signe patent d'un aveu d'échec dans l'approche de la conception d'un produit, quel qu'il soit). Cette évolution est plus particulièrement manifeste en France où la finalité de l'information n'a pas été et n'est pas toujours bien perçue et où les organisations ont souvent tendance à se rigidifier au moment où elles devraient être au contraire plus flexibles, adaptatives.

C'est dans cette perspective qu'apparaissent et se développent, dès le milieu des années 80 et pendant une quinzaine d'années environ, de nouvelles préoccupations. Produire des bases de données, c'est bien, mais comment amène-t-on l'information à l'utilisateur, comment assure-t-on le lien entre le produit documentaire et le client? C'est à cette époque que se développe de façon importante la fonction de distribution ou mise à disposition de l'information, avec la création de grands centres serveurs dont la vocation est de distribuer des dizaines de bases de données, via un guichet unique, un langage documentaire unique. C'est aussi à cette époque qu'émerge la fonction de "courtage" de l'information (même si elle avait toujours existé mais sous une forme non institutionnalisée). Le souci de l'utilisateur, du client commence à devenir une préoccupation majeure ; on se recale sur la fonction de service, soit en améliorant certaines sous-fonctions de service utiles (permettre des recherches, faciliter le paiement des transactions, informer régulièrement et fidéliser le client,...), soit en replaçant le client au point de départ de la démarche documentaire (ce que fait le courtier en information qui écoute d'abord son client avant de construire une stratégie de recherche). On commence à parler de "valeur ajoutée", les logiciels deviennent plus conviviaux, les documents commerciaux deviennent plus clairs , etc.). C'est aussi dans cette époque qu'apparaît en France le phénomène Minitel qui permet d'améliorer notablement la mise à disposition de l'information spécialisée à un public de plus en plus vaste, avec pour le producteur de bases de données, la possibilité de faire de nouvelles rentrées d'argent par ce canal de ce "Minutel, désespèrément hexagonal ".

Par contre, rien n'est fait sérieusement pour réduire le coût de la fonction technique. La fabrication des principales bases de données et des grands produits de documentation reste profondément marquée par l'organisation adoptée dans les années 60 (centralisation, informatisation de processus, ...). Le coût moyen de fabrication et de mise à disposition d'une référence documentaire reste élevé (plusieurs centaines de francs), mais un contexte de production quasi monopolistique de fait permet d'occulter la réalité économique.


L'émergence d'une nouvelle socio-économie de l'information-documentation

C'est au début des années 90 que l'on va voir émerger les premiers signes d'une mutation profonde, mutation qui devient quasiment révolution en cette fin de décennie et de millénaire. Le changement va porter, de façon concommitante, sur trois plans, celui du redéploiement de la fonction de service ("à la recherche de la valeur ajoutée"), celui de la réduction drastique du coût de la fonction technique (généralisation de la numérisation des documents et surtout développement de l'architecture dite "client-serveur" en réseau), enfin celui d'une nouvelle reconfiguration de l'ensemble du processus informationnel et documentaire à travers les logiques de l'Internet et du group-ware.

Sur le premier plan, à savoir l'amélioration du service rendu, on note la tendance à la création de gammes de produits diversifiés. La base de données, bassin réservoir commode, n'est pas une fin en soi et ne peut plus l'être. Ce qui compte, c'est bien ce que l'on offre au client qui, lui, demande toujours plus de produits riches, de produits à valeur ajoutée. Si l'on tente de traduire cela dans le vocabulaire de l'analyse de la valeur, on peut dire que l'on va vers une élévation substantielle des niveaux d'appréciation ou d'exigence d'une fonction de service qui reste toujours la même (être informé) mais qui s'affine. Les critères se précisent : délais de mise à disposition, degré de confiance dans l'information, degré de valeur ajoutée ou incorporée, convivialité des interfaces, degré "d'employabilité" de l'information, etc.. La fixation des exigences dépend de plus en plus des contextes d'usage : on refuse la solution du plat unique fourni par la "cantine documentaire collective". Dans le même temps, on voit que fournir l'information (en fait, redisons le bien : l'information sur son document porteur) ne suffit plus ; il faut intégrer cette information dans le processus de réflexion, de travail, de décision. On commence à voir se généraliser les concepts de veille technologique et d'intelligence économique qui supposent un certain "portage" de l'information jusqu'au coeur du sytème de décision. On va également vers des produits nettement plus diversifiés, affinés (selon des cribles d'usage différents).

En matière de réduction des coûts de la fonction technique de production et de mise à disposition, c'est là que le choc sera frontal avec les nouvelles perspectives ouvertes par les réseaux électroniques (notamment les réseaux à haut débit) et par la numérisation généralisée des documents. Le coût de la "turpitude" de manipulation du document va chuter de façon radicale, jusqu'à justifier dans certains contextes qu'il vaut mieux diffuser désormais gratuitement l'information plutôt que de la faire payer (cas de l'information du domaine public, déjà payée, pour son élaboration, par l'impôt). Pour un chercheur, accèder à une vitesse de 155 Mbit/s à des informations les plus riches provenant des meilleurs laboratoires de la planète laisse à des années-lumière en arrière les consultations poussives de services Minitel à 1200 bit/s. Le même chercheur (ou un autre) produit désormais lui-même son document en version électronique, le met sans peine sur son serveur Web ou le diffuse dans des forums spécialisés ; des agents intelligents de recherche récupèrent cette documentation alors que des logiciels avancés d'édition permettent d'en extraire la valeur ajoutée et tout cela sans qu'à aucun moment on ait eu à subir la traditionnelle pesanteur des choses de l'écrit imprimé et les médiations documentaires parasites. L'économie de l'information change brutalement de dimension, puisque le coût marginal de "manipulation-transport" tombe quasiment vers zéro, sous réserve toutefois que l'on ait investi en amont pour se doter des infrastructures collectives de niveau adéquate (réseaux à hauts débits, serveurs informatiques robustes, logiciels avancés,..). La conséquence sur la fonction de service elle-même n'est pas neutre. En effet, à partir du moment où l'on peut diffuser l'information au coût le plus bas (et même gratuitement), on peut avoir intérêt à amplifier et repenser cette fonction de service pour accroître collectivement les progrès d'une société donnée. Une fonction de service au deuxième degré apparaît consistant à faire progresser, non seulement des individus (comme on le faisait traditionnellement dans les années 60-90), mais des groupes entiers, des entreprises voire même des nations entières. Le phénomène Internet est révélateur de cette nouvelle tendance, comme le sont tout autant les développements des Intranets, des solutions "groupware" et autres "collecticiels" dans les entreprises et les organisations. Même les états et les institutions internationales explorent cette voie et militent pour cette nouvelle fonction de service se développant autour de la diffusion large, collective, des informations et des connaissances.

Il est important de souligner enfin le fait que l'Internet est véritablement un développement sociotechnique et culturel qui place l'utilisateur (individus, groupes) au centre du progrès, avec en outre le souci de rendre possible l'accès à l'information au coût le plus bas. C'est l'environnement même du système de production-diffusion de l'information qui est mis en question. Les années 60--80 avaient vu se développer un modèle organisationnel reflétant certains choix en matière d'industrialisation de l'information documentée : des producteurs (s'intitulant eux-mêmes "industriels de l'information") faisaient tourner des usines (la production des bases de données) et distribuaient leurs produits via les dispositifs serveurs. Ce modèle (qui continue à exister dans la période actuelle, mais non sans quelques interrogations) laisse place aujourd'hui à un schéma où l'information se vit de façon nettement plus décentralisée, avec une forte implication de tous les acteurs de la société dans la diffusion de leur propre information. Le développement de ce nouveau modèle (le Web, la Toile, le réseau décentralisé) conduit à des remises en cause profondes dans les entreprises ou institutions (les systèmes hiérarchiques sont-ils encore compatibles avec les réseaux décentralisés de production et de partage de l'information?) et à des questions importantes sur le management des organisations. D'une certaine façon, c'est la fonction même de service (l'information dans l'entreprise) qui est replacée au coeur de la réflexion sur l'efficacité et la compétitivité.

On retrouve là, de façon étonnante, les bons vieux principes de l'analyse de la valeur, mis en application avec succès, mais selon des modalités pratiques assez profondément différentes de ce qui avait été défendu dans les années 60 à 90 par les défenseurs de la méthode. Le value management et la nouvelle société de l'information se rencontrent désormais de façon étonnante. Il ne serait dès lors pas illogique de parler de "Value Information" en accompagnement (ou comme conséquence) d'un "Value Management" se développant dans l'entreprise.


Repenser l'information de l'entreprise : vers la "Value Information"

Certes tout n'est pas idéal dans cette nouvelle société de l'information. Les médias se chargent bien, du reste, de mettre en relief les zones d'ombre de l'Internet et des dispositifs d'information en réseau : absence de contrôle (est-ce toutefois si évident que cela?), diffusion d'informations douteuses (mais les kiosques de gare, le Minitel et les cours d'écoles sont tout autant ouverts aux perversités les plus incroyables), risque de déstructuration des institutions (elles en ont connu bien d'autres!...). Il est intéressant de souligner toutefois que le mouvement est assez irréversibles et que les combats d'arrière-garde ne pourront que conduire à des retards dans l'adaptation des structures à la tendance vers un management moderne, fondé sur le value management, sur la gestion intelligente de l'information et de la connaissance (Value Information), sur des approches globales ou encore systémiques, indispensables aujourd'hui (pensons à la nécessité du développement durable ou encore au contexte économique et socioculturel de la mondialisation) et sur une démarche fondamentalement humaniste dans la résolution des problèmes posées aux entreprises.

La recherche de solutions purement technologiques, à la rationalité affirmée d'emblée comme imparable, mérite d'être accompagnée de plusieurs bémols. Dans le cas de la gestion de l'information, combien de sociétés se sont laissées embarquées dans la construction de véritables usines gaz totalement inadaptées aux besoins réels. La gestion électronique de documents (GEIDE ou GED) a notamment pu apparaître à un certain moment comme la solution technologique miracle, alors que son domaine d'application efficace reste assez restreint et qu'en tout état de cause, on est là en face d'une technologie de la transition (à l'avenir, le pourcentage de documents créés originellement en version numérique ne pourra qu'aller croissant). Dans le cas de la GED, on a souvent alourdi de façon substantielle la fonction technique en plaquant une couche technologique nouvelle sur des pratiques informationnelles et socio-organisationnelles non ré-évaluées. La même situation pourrait être décrite en ce qui concerne le développement de solutions basé sur des systèmes lourds, "tout-informatisés" et dont rêvent bien des ingénieurs qui confondent diffusion-animation-exploitation de l'information et organisation d'une chaîne de production de voitures.

Il est d'ailleurs symptomatique de voir aujourd'hui certaines sociétés recourir à des applications de l'analyse de la valeur pour la refonte de leur système d'information-documentation, de procéder au re-engineering des solutions en place en s'inspirant des approches de type value management. C'est alors que l'on démontre à l'évidence que le problème n'est assurément pas technologique, mais qu'il réside la plupart du temps dans un complexe mélange d'ingrédients qu'il faut tenter de rendre compatibles (à la façon d'une émulsion) : définition d'une stratégie spécifique, implication des divers niveaux décisionnels, compétences professionnelles à mobiliser, acteurs de terrain à sensibiliser, solutions technologiques à développer de façon cohérente et respectueuse des contextes, etc.

C'est dans ce contexte que l'analyse de la valeur et surtout le value management apparaissent aujourd'hui comme essentiels pour aider l'entreprise à se repenser dans le cadre de la nouvelle société de l'information et à aller vers la "Value Information" dont on commence à peine à percevoir les contours, les perspectives et les enjeux.


(*) Références

Michel (J.), Sutter (E.), "Valeur et compétitivité de l'information documentaire - L'analyse de la valeur en documentation", Paris, ADBS, 1991, 140 p.

Michel (J.), en collaboration avec Sutter (E.), "Pratique du management de l'information - Analyse de la valeur et résolution de problèmes", Paris, ADBS, 1992, 431 p.