MANAGEMENT DE LA VALEUR POUR LE DEVELOPPEMENT DURABLE

VALUE MANAGEMENT FOR SUSTAINABILITY

JM 307

Jean MICHEL

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Texte proposé pour publication dans la revue "La Valeur des produits et services" - Ecrit : juillet 1998 - 32 ko

PLAN

1 &endash; L'analyse et le management de la valeur : cinq principes fondamentaux

2 &endash; La conception des produits et services : évolution historique

3 &endash; Les critères à prendre en compte pour le développement durable

4 &endash; L'adaptation de l'analyse de la valeur au développement durable

5 &endash; Une possibilité de renouveler la pensée et les pratiques AV

1 &endash; L'analyse et le management de la valeur : cinq principes fondamentaux

L'analyse de la valeur (AV) et plus globalement le management de (ou par) la valeur (MV) visent à accroître la compétitivité des produits, des services et des organisations par des démarches qui privilégient cinq régles essentielles (cinq principes fondamentaux) :

Pour des commodités d'usage dans la suite du texte, on peut retenir les vocables génériques et les acronymes suivants pour désigner ces cinq principes:


2 &endash; La conception des produits et services : évolution historique

L'entreprise vit des profits qu'elle réalise grâce à une conception, une réalisation et une distribution optimisées des produits et services qu'elle met à sa disposition de sa clientèle. Son objectif est évident : dégager des marges bénéficiaires. Pour certaines organisations non axées sur la recherche du profit (institutions publiques, associations,...), l'objectif sera plutôt la recherche de la satisfaction du groupe cible visé (la mission) tout en essayant de maîtriser les dépenses affectées.

Historiquement, comment l'entreprise a-t-elle procédé pour cette recherche de la nécessaire optimisation entre finalités et moyens disponibles ?

De la fin du XIXéme siècle au milieu du XXéme siècle, l'accent a surtout été mis sur l'augmentation des capacités de production avec la recherche de réduction des coûts par des économies d'échelle et des efforts de productivité intenses mais souvent faits au détriment de la satisfaction des besoins réels des clients, des équilibres d'environnement et de la mobilisation de la richesse réelle de l'entreprise que sont ses hommes. C'est le principe de réduction ou optimisation des coûts (ROC), poussé à ses limites, qui est le principe dominant.

Après la deuxième guerre mondiale, apparaissent de nouveaux concepts et une nouvelle philosophie de l'optimisation. C'est ainsi que naissent vers 1950-60 des méthodes telles que l'analyse de la valeur (Miles) et celles qui vont mettre la qualité, le marketing, l'intelligence humaine au coeur des processus de conception-production. Le développement de l'usage de ces nouvelles méthodes ne fut pas aisé, mais on peut considérer aujourd'hui que le courant est devenu irréversible à ceci près qu'il existe toujours, ici ou là, des organisations industrielles ou économiques qui continuent à inscrire leur action selon la perspective antérieure. Désormais, on conçoit différemment les produits et services. On place le client et le marché au coeur de la réflexion et l'on adopte une attitude plus critique vis-à-vis d'approches purement productivistes. Désormais le principe de la satisfaction des besoins du client (SBC) prend le pas sur le seul principe ROC (même si celui-ci reste essentiel). Dans le même temps, on s'efforce de développer des pratiques nouvelles qui se fondent sur les deux principes de mobilisation active de l'information et des compétences (MIC) et de mise en oeuvre de méthodes spécifiques de conduite de projet (MCP) : cela fera l'objet de travaux de normalisation ici ou là.

Au cours des dix dernières années, une mutation importante s'opère avec la concentration capitalistique des organisations, avec la mondialisation et l'ouverture des frontières et avec l'arrivée des nouvelles technologies de l'information. L'entreprise devient désormais un vaste réseau d'entités dispersées, les flux immatériels (financiers, informationnels, compétences humaines, etc.) prenant alors le pas sur les traditionnels flux de matière et de produits. Cette mutation de la structure, des marchés et de la stratégie des organisations économiques et industrielles n'a pas encore eu à ce jour un réel impact sur les processus de conception et de production de la majorité des entreprises, sauf à signaler l'importance des développements dans les domaines de la conception et de la fabrication assistées par l'ordinateur et à mentionner la part désormais prépondérante de la matière grise incorporée dans les produits et services. En fait, dans cette perspective, on accentue la tendance à la mobilisation intelligente de l'information et des compétences (MIC) et on commence à introduire de nouvelles approches globales avec des fonctionnements en réseaux ouverts nécessitant une meilleure compréhension du système d'ensemble dans lequel on agit (principe RCE).

Parallèlement à cette tendance se manifeste aujourd'hui un autre courant qui prend une ampleur insoupçonnée il y a encore peu de temps et qui n'est pas toujours bien compris par les responsables économiques et industriels notamment en France. D'abord initié par les défenseurs de la cause écologique et de protection de l'environnement, ce courant qui prend comme finalité le " développement durable " (sustainable development) est devenu un réel cadre de rénovation de la pensée et de l'action économiques. De grands groupes industriels s'engagent désormais carrément sur ce terrain avec des modifications substantielles des processus de conception et de production. Les organisations internationales mettent l'accent sur ce nouveau paradigme. La tendance a sûrement de fortes chances de devenir la ligne majeure de préoccupation future des gouvernements comme des responsables industriels, comme bien sûr de toute la société de plus en plus consciente des enjeux du développement durable. Désormais le principe de respect des contraintes d'environnement (RCE) devient aussi important sinon plus que le strict principe de satisfaction des besoins du client (SBC) et vient parfois contester les choix faits au nom du seul principe de réduction ou d'optimisation des coûts (ROC).


3 &endash; Les critères à prendre en compte pour le développement durable

Les résultats des travaux scientifiques menés à propos du développement durable (qui, aujourd'hui, sont fortement pris en considération dans les diverses formations d'ingénieurs et de cadres du monde entier) conduisent à une prise de conscience de la responsabilité extrême du concepteur-producteur face aux choix des solutions qu'il met en oeuvre. Pour le même cahier des charges fonctionnel, basé sur une claire définition des besoins du client, les solutions retenues pourront être ou non respectueuses du développement durable et des contraintes d'environnement (principe RCE). Ce positionnement peut devenir un élément de valorisation pour la clientèle et pour le marché, l'exemple d'IKEA étant le plus parlant en la matière.

Quels sont les critères qui caractérisent, schématiquement, le développement durable ?

C'est d'abord et avant tout la prise en considération des enjeux ou des conséquences à moyen et long terme, responsabilité " citoyenne " et sociétale qu'aucun individu, qu'aucune structure, ne peut ignorer et refuser. Les choix selon de strictes optimisations à court terme sont de plus en plus contestés par diverses communautés (mouvements consumeristes, écologiques, politiques, etc.) ; ils peuvent conduire à procès et condamnations devant des tribunaux ou peuvent engendrer de sévères polémiques dans les médias, avec des conséquences importantes en termes de dégradation d'image et de pertes de parts de marché.

C'est également l'acceptation peine et entière d'une complexité accrue des problèmes à régler, de l'interdépendance des phénomènes et des paramètres. D'une vision purement mécaniciste du monde et notamment de la production industrielle (taylorisme, ingénieurisme manufacturier), il faut passer à d'autres perspectives qui impliquent intelligence globale et systémique, approches " réseaux " (éléments en interaction formant un tout), mobilisation active de la pluri &endash; ou transdisciplinarité (les sciences et techniques du vivant coexistant désormais avec les pures disciplines traditionnelles d'ingénieurs), etc.

Parmi les critères concrets usuellement pris en compte pour l'évaluation des produits au regard du développement durable, on peut encore mentionner :


4 &endash; L'adaptation de l'analyse de la valeur au développement durable

Il paraît opportun et nécessaire de s'interroger aujourd'hui sur l'adaptation de l'analyse et du management de la valeur à cette nouvelle perspective que représente le développement durable. Certes, la méthodologie AV est tout à fait en mesure de prendre en compte de nouvelles exigences. Encore faut-il s'en assurer et sans doute montrer et démontrer qu'elle a désormais sa place dans la panoplie des outils et démarches qui peuvent contribuer au développement durable. Je suggère que cette adaptation de l'AV se concrétise par des travaux de recherche, par des publications, par des réalisations de terrain comme aussi par une prise en compte plus nette de la préoccupation du développement durable dans les actions de normalisation en cours (c'est le moment de le faire ; plus tard il sera reproché aux acteurs de l'AV de ne pas l'avoir fait à temps).

On pourrait dès lors retenir et promouvoir les vocables suivants :

Les versions anglaises pourraient être les suivantes (certainement plus parlantes que les expressions françaises) :

Au-delà des aspects purement terminologiques, comment pourrait être envisagée l'adaptation de l'analyse de la valeur à cette nouvelle exigence du développement durable ?

Une des approches les plus évidentes à mettre en Ïuvre consisterait à penser des cahiers des charges fonctionnels enrichis dans leur partie relative au besoin de respect de l'environnement et de promotion du développement durable, avec des critères spécifiques à déterminer et des niveaux d'appréciation acceptables. On pourrait imaginer que ces CdCF orientés " développement durable " soient labelisés ou promus comme tels et deviennent des référentiels de besoins " CCFDD ", Cahiers des Charges Fonctionnels pour le Développement Durable.

Une autre perspective serait de favoriser la constitution d'arbres fonctionnels d'alternatives technologiques qui exploreraient plus systématiquement les aspects spécifiques d'environnement et de développement durable.

On pourrait suggérer aussi que la composition du groupe de travail AV tienne compte de cette nouvelle dimension (comme cela a pu être fait pour la dimension qualité) et favorise la contribution de regards spécifiques " développement durable ".

Méthodologiquement parlant, il serait encore intéressant de repenser les outils d'analyse fonctionnelle en prenant en compte :


5 &endash; Une possibilité de renouveler la pensée et les pratiques AV

On semble diagnostiquer aujourd'hui une certain carence en matière de renouvellement des idées autour de l'AV. Inventée, il y a environ 50 ans, l'analyse de la valeur a su réaliser certains progrès méthodologiques réels au début des années 80 (CdCF par exemple) et cela grâce à la création et au développement d'associations professionnelles spécifiques telles que l'AFAV en France et grâce aux importants travaux de normalisation qui ont suivi. La méthode AV a également migré avec succès vers d'autres champs ou domaines d'application. Le sentiment général reste aujourd'hui celui d'un certain essouflement méthodologique et d'une trop faible interaction de l'AV avec d'autres perspectives ouvertes récemment dans la société (explosion des nouvelles technologies de l'information par exemple ou encore prise en compte de l'exigence économique et sociétale de développement durable).

L'analyse de la valeur pour le développement durable, le management de la valeur pour le développement durable, constituent une chance réelle de renouvellement et de ressourcement de la pensée, de la méthode et des pratiques AV-MV. L'exercice n'est pas difficile car les concepts et règles de l'analyse de la valeur se prêtent bien à une telle exploration méthodologique. En même temps le développement durable exige un léger décentrement des perspectives traditionnelles, décentrement qui peut jouer comme puissnat facteur de créativité.

On ne peut donc qu'encourager très vivement l'AFAV à mobiliser ses troupes (membres, commissions, groupes divers) sur cette problématique nouvelle et surtout à associer à la réflexion les instances ou communautés nationales ou internationales qui travaillent activement sur le développement durable.