LA FORMATION DES PROFESSIONNELS DE LA DOCUMENTATION

"DES PISTES POUR UN AVENIR RADIEUX" (!...)

JM 309

Jean MICHEL

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Texte de la communicationpour les Rencontres de "Biblio.fr" (Caen, 4 avril 1998) - Séance plénière sur la formation des professionnels des bibliothèques et de la documentation - Ecrit : mars1998 - 32 ko

En accord avec les organisateurs, j'ai pensé qu'il était important d'évoquer l'évolution des systèmes de formation telle que je la perçois aujourd"hui en tant qu'acteur du secteur de l'information-documentation mais aussi en tant que spécialiste des questions de formation. En effet, dans ma carrière professionnelle, je me suis très tôt préoccupé de la question de la formation des ingénieurs. Ainsi, je suis depuis 20 ans éditeur d'une revue européenne sur les formations d'ingénieurs et je travaille activement aujourd'hui, dans un contexte mondial, sur les problèmes qui se posent actuellement dans ce domaine. Il me semble intéressant de voir ce qui se passe dans d'autres professions, de faire des comparaisons et de voir si, dans le secteur information-documentation, où nous en sommes dans cette réflexion sur la formation des professionnels, et bien sûr de dégager les spécificités du secteur information-documentation. Le problème de la formation des professionnels, cadres notamment est un problème ancien et permanent. Dans les archives de l'Ecole des Ponts et Chaussées, on trouve notamment des écrits fabuleux de 1818, émanant de certains grands ingénieurs et scientifiques, spécialistes de la mécanique faisant les mêmes constats qu'aujourd'hui, ouvrant les mêmes débats sur les difficultés de la formation des futurs professionnels. Les enseignants ne sont pas ceci ou cela, les étudiants n'assistent pas aux cours, la diffusion des connaissances n'est pas idéale, etc. On peut clairement dire qu'existe une réelle et profonde inertie des systèmes de formation. Il faut en tenir compte, et ce ne sont pas des décisions technocratiques et administratives qui règlent miraculeusement les problèmes. Un corps social (une profession) définit, collectivement et sur le long terme, ses évolutions et ses modes de pensée ; il y a beaucoup d'acteurs impliqués qui ont tous droit à la parole sur le problème de la formation. D'où les difficultés évidentes de résolution des problèmes, d'où l'impression que l'on a parfois, devant l'impuissance des responsables administratifs ou politiques à réellement transformer, réformer les systèmes de formation.

Quand on observe les évolutions de ces systèmes de formation aujourd'hui avec un regard plutôt exterieur et « globaliste », plusieurs points importants semblent se dégager.

Le premier point est un tendance très forte à l'ouverture internationale, à la recherche de compatibilité, de comparabilité. La globalisation ou mondialisation est bien là! Le marché des compétences et qualifications devient global, au point que nos diplômes français d'ingénieurs spécifiques et bien appréciés semblent brusquement « ne plus tenir la route » quand on prend en compte la nécessité de se caler sur des modèles plus globaux (anglosaxons notamment). Chaque système national ayant développé ses propres logiques, comment par exemple faire valoir un diplôme de DUT par rapport à d'autres logiques qui sont plutôt basées sur une sortie de diplômés à bac+3, comme les BSc (bachelor of science)? Va-t-on pénaliser une partie de nos troupes de diplômés et professionnels parce que le système de formation ne sera pas compatible avec dÕautres modèles globaux et cela pour des raisons « locales » de statut, d'enfermement dans des frontières aujourd'hui dépassées? Il y a là un problème crucial pour les formations françaises de non-compatibilité par rapport à d'autres modèles qui sont actuellement dominants, qui sont malheureusement les modèles anglo-saxons. Il est intéressant de noter la volonté de la commission Attali, proposant un nouveau modèle dit « 3-5-8 », avec des niveaux de débouchés à bac plus trois, plus cinq et plus huit, de s'attaquer à ce problème et de trouver des compatibilités. L'Allemagne, qui est pourtant un pays à forte tradition en matière de formation, est en train de travailler à une réforme complète des systèmes universitaires de formation avec la perspective dÕaller à terme vers un modèle de type BSc-MSc (bachelor of science, master of science).

Un autre point manifeste d'évolution : le passage de la logique des diplômes à celle des compétences réelles reconnues avec une tendance à la diversification des « routes » pour la qualification. Le modèle selon lequel on entre en formation à un certain moment de sa vie et on en sort à un autre moment avec un diplôme commence à être remis en cause. L'idée aussi de la diversification des cheminements et des routes comme celle de la flexibilité dans les systèmes de formation fait son chemin. On sent très fortement, surtout dans le domaine de la formation des ingénieurs, le passage de la logique des diplômes à la logique des compétences. Le véritable référentiel reconnu, ce sont les compétences réelles, constatées. Il va falloir de plus en plus étalonner les compétences réelles. C'est le seul modèle sur lequel on puisse baser les comparaisons internationales et favoriser la mobilité (Cf le Livre vert de la Commission Européenne - Mme Cresson). Je peux donner un exemple récent assez déstabilisant : des sociétés comme Sony, au Japon, effacent les diplômes des dossiers des gens que la société recrute. On ne veut plus baser le recrutement sur le fait que la personne dispose d'un diplôme académique obtenu à tel ou tel âge mais privilgégier au contraire les compétences réellement acquises et évaluées.

La nouvelle articulation « formation initiale/formation continue » (formation tout au long de la vie, life long learning) est un point fort dÕévolution. On perçoit bien les limites des approches traditionnelles qui séparent fortement les deux déamrches de formation. Les métiers bougent très vite, les compétences et le marché des professionnels évoluent. On ne peut plus imaginer que quelqu'un puisse se contenter d'avoir suivi une formation à vingt ans et pendant une durée de deux à quatre ans dans un établissement d'enseignement et se considèrer être blindé professionnellement pour toute sa vie. La formation doit être en permanence réadaptée, redéveloppée ; les compétences doivent évoluer, les connaissances de base doivent changer, être profondément actualisées. On perçoit de nombreuses difficultés sur ce terarin en rasion du fait, qu'actuellement, les modèles sont organisés selon des registres différents. La formation initiale est gérée selon certaines modalités avec certaines responsabilités bien identifiées ; la formation continue est gérée ailleurs, par d'autres responsables et les deux mondes ne communiquent pas, ne s'articulent pas pour trouver des solutions « en continuum ». De même perçoit-on très fortement aujourd'hui les limites d'une loi (celle de 1971 qui instaure le financement de la formation continue) qui a été bénéfique en France pendant une bonne vingtaine d'années mais qui empêche désormais d'aborder de façon résolument nouvelle la question de la formation continue (à l'instar de ce que font dÕautres pays, nordiques notamment). La loi de 1971 qui obligeait les entreprises à payer 1 %, puis 1,1 %, puis 1,4 % de la masse salariale pour cette formation, a créé un marché pour la formation continue, a rendu possible une offre de formation continue. Mais les Français se sont enfermés dans cette logique-là au point de ne considèrer que cette unique modalité de financement et d'organisation de la formation continue. Des pays qui de disposent pas d'une telle loi, sont désormais beaucoup plus en avance actuellement sur la formation continue et sur l'intégration formation initiale/formation continue. Les Français aiment bien travailler à l'intérieur de lois qui les protègent.Les Finlandais, les Nordiques, les gens d'Asie du Sud-Est semblent beaucoup plus agressifs et considèrent le problème de la formation continue comme essentiel, déterminant pour l'avenir. Ils essayent d'innover en la matière et de conquérir de nouveaux marchés de formation.

Un débat très fort émerge depuis quatre ou cinq ans au niveau mondial sur le problème de l'évaluation et de l'accréditation des formations et sur celui de la certification des compétences professionnelles. Ainsi dans le domaine de la formation des ingénieurs, des structures de formation se font habilitées ISO 9000, se mettent en conformité avec ces normes de qualité. Qu'est-ce qui peut garantir aujourd'hui qu'un système de formation donné peut être considèré comme bon, pertinent, efficace? Dans les dispositifs de formation d'ingénieurs, à nouveau, il existe des systèmes d'accréditation nationaux et désormais des systèmes mondiaux (disons au moins « semi-mondiaux ») et c'est désormais une véritable guerre entre l'Europe et les Etats-Unis pour déterminer quel modèle, quelle puissance finira par l'emporter. Il existe aux Etats-Unis une instance, l'ABET - Accreditation Board of Engineering and Technology-, qui cherche à imposer son modèle au niveau de la planète. ABET a su récemment (« Washington Agreement ») mettre de son côté toute les partenaires de la sphère anglosaxonne (Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Grande Bretagne,...) comme aussi le Japon. Au même moment, les modèles nationaux européens ne parviennent pas à communiquer entre eux, n'arrivent pas à faire contrepoids au modèle ABET qui va finir aussi par s'imposer en Amérique du Sud et en Asie. Pour les responsables français (et européens) de formations d'ingénieurs, il devient urgent de se préparer àfaire face et répondre à ce modèle. Ce problème de l'accréditation va très loin : il ne s'agit pas simplement de l'accréditation d'une Ecole, de l'accréditation d'un programme ou d'un cours, mais désormais ce qui est aussi en cause c'est l'accréditation des dispositifs de formation à distance, l'accréditation des produits de formation (cédéroms par exemple), etc.. Il y a le problème spécifique des diplômes à sortie « bac +3 » : une directive générale européenne permet à un diplômé de niveau bac +3 de pouvoir poursuivre des études au cycle supérieur dans un autre pays de l'Union. Mais cela signifie que les gens diplômés de DUT ou qui ont des formations bac+2 (nombre de professionnels de l'information-documentation sont dans ce cas) n'ont pas droit à cette possibilité et doivent recommencer complètement leur formation s'ils veulent acquérir de nouvelles qualifications dans un autre pays européen. Un autre problème sérieux relié à la question de l'accréditation est celui de la reconnaissance de qualifications précises pour l'exercice de certaines professions permettre (disposer d'un diplôme reconnu pour pouvoir exercer dans un lieu précis pour une profession donnée). Des mesures restrictives sont effectivement imposées par certains pays. Dans le domaine de l'ingénierie, certains pays ont des ordres d'ingénieurs qui verrouillent l'accès à la profession en raison de problèmes de responsabilité professionnelle individuelle. DÕoù la nécessité de travailler sérieusement la question des équivalences et des reconnaissances réciproques de qualifications et de diplômes. Ainsi pour les ingénieurs a-t-on défini au niveau européen un titre d'euro-ingénieur (eur-ing), sur la base d'un modèle qui se veut être un compromis entre les modèles fermés (formations et diplômes traditionnels) et les modèles plus ouverts, avec un référentiel européen accepté par plus dÕune vingtaine d'associations nationales d'ingénieurs. Ce modèle tient compte à la fois de la formation académique et de la première expérience professionnelle (deux premières années du début de carrière). On considére en effet l'individu comme opérationnel professionnellement, non pas à la sortie de la formation académique, diplôme en poche, mais seulement deux ou trois années après le diplôme. La régle de compatibilité est la suivante : dans un pays donné où on aura un temps plus long de formation académique, on demandera moins d'expérience professionnelle, et inversement.

A n'en point douter, l'explosion des nouvelles technologies de l'information modifie complètement les dispositifs de formation. Les cours électroniques et les formules d'enseignement multimedia, ouverts et à distance se multiplient de façon extrêmement rapide. Si l'on fait aujourdÕhui une recherche sur Altavista sur le thème « virtual university », on obtient plus de 200.000 pages ou références traitant de près ou de loin du sujet. L'enseignement assité par les NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication) explose avec des approches tout à fait originales. Certains pays, comme les pays d'Europe du Nord ou de l'Est, comme aussi les USA, le Canada et les asiatiques, sont très en avance aujourd'hui parce que c'est une façon originale et efficace pour eux de résoudre leurs problèmes de formation. A titre d'exemple, citons, pas loin de chez nous, en Suisse, le programme européen ARIADNE qui vise à la création d'un « knowledge pool » (bassin ou vivier de connaissances), un dispositif structuré de modules de formation avec des systèmes de cheminement personnalisé dans ces modules, avec une non-différenciation de ce qui relève de la formation initiale et ce qui a trait à la formation continue ; ARIADNE est réalisé par un consortium de partenaires traditionnels de lÕenseignement supérieur et de nouveaux apporteurs de connaissances, de nouveaux formateurs. Autre exemple, au Canada, l'Université du Québec met en place des dispositifs de groupware pour transformer complètement les systèmes de gestion, d'enseignement et de recherche de l'Université ; des collectiels d'apprentissage sont désormais systématiquement mis en place. Ce sont des logiques complètement différentes qui sont en train d'émerger. Malheureusement, en France, nous sommes assez en retrait, plutôt en retard. Dans le cas des Ecoles d'ingénieurs françaises, le sentiment de bien faire son boulot depuis deux siècles, de délivrer un diplôme bien reconnu en France, enferme ces établissements de formation dans une logique « passéiste » et les empêche d'attaquer vraiment le problème du recours aux NTIC et de développer les nouvelle approches de la formation via les réseaux, de l'auto-formation, de l'enseignement à distance.

La faiblesse économique des systèmes de formation français est un autre problème préoccupant alors qu'une nouvelle économie de la formation s'impose au niveau mondial. On ne peut plus raisonner comme on a raisonné depuis trente ou cinquante ans. La formation devient un enjeu économique, elle devient une question d'investissement. Il faut aujourd'hui investir, créer et développer de véritables unités de production et de diffusion de la connaissance. Il faut aller vers des centres de ressources recourant abondamment aux NTIC, des approches capitalistiques du développement de la formation. Former avec des outils d'enseignement à distance, avec des corpus mis en ligne, suppose désormais de mobiliser beaucoup d'énergie. de compétences et de moyens. Cela implique de repenser l'économie de la formation, d'aller vers des regroupements de moyens et de résoudre certains problèmes nouveaux. Comment rémunérer par exemple un professeur en charge de l'enseignement à distance? Si les grilles de rémunération sont proportionnelles au temps de présence en face des étudiants, on ne résout pas le problème.

Quels changements majeurs constate-t-on pour les métiers de l'information-documentation?

Tout d'abord l'impact des nouvelles technologies del'information. Nos métiers, quels qu'ils soient, sont confrontés à l'émergence des nouvelles technologies de l'information avec une rupture de pente très forte dans les dix dernières années. Les logiques de la première vague d'informatisation des années 60 ou 70 sont dépassées. Aujourd'hui une autre logique apparaît, celle du document numérique, du multimédia, de l'hypertexte, de l'approche réseau avec en outre de nouvelles perspectives d'intégration (le documentaire traditionnel coexiste avec le groupware, l'EDI, l'intranet, etc.). Aujourd'hui, on perçoit une autre approche de la technologie qui chahute nos métiers, mais qui, au fond, nous obligent à repenser les fondements de nos métiers. Qu'est-ce que c'est que chercher de l'information? Qu'est-ce que c'est que capitaliser les informations et les connaissances? Peut-on aujourd'hui repenser les gestes fondamentaux et surtout les fonctions qui sont liées au métier, élargir aussi les perspectives en intégrant de nouvelles composantes liées à la communication, à l'animation, au développement socioculturel culturel? On est délivré aujourd'hui, d'une certaine façon, de certaines besognes spécifiques des technologies anciennes qui n'étaient pas très conviviales, ni vraiment productives (et qui ont sans doute amené les professionnels à oublier leurs réelles missions de médiation autour de l'information et de la connaissance). C'est désormais une nouvelle vision des métiers qui s'impose, celle de la bibliothèque virtuelle universelle. Dans la transformation, s'impose une extraordinaire différenciation et prolifération des gestes professionnels. Il faut à la fois gérer cette différenciation accentuée et la globalisation des métiers, et cela est bien au coeur de la réflexion sur les formations. Le problème en France est que métiers et formations, pour différents groupes professionnels (archivistes, bibliothécaires, archivistes,...), sont séparés de façon plutôt étanche pour des raisons qui sont liées surtout à des problèmes de statuts professionnels dans la fonction publique contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays. Ce problème pèse fortement sur la transformation globale de nos dispositifs de formation et étonne nos collègues étarngers, pas seulement américains mais aussi africains (qui trouvent surprenant que nous ayons des Ecoles qui forment à une activité particulière mais pas aux autres dimensions de l'information-documentation). Un travail sur les frontières, les territoires professionnels semble important à réaliser aujourd'hui, mais il doit être basé sur une analyse lucide des besoins et des marchés.

Autre réflexion intéressante : qu'est-ce que l'information? A quoi et à qui sert-elle dans l'entreprise ou l'organisation? Qui intervient sur l'information? On aboutit assez unanimement aujourd'hui au constat que l'information est une fonction partagée dans l'entreprise. Elle n'est pas, elle ne peut pas être, le monopole d'une profession. Tous les acteurs de la vie économique interviennent dans l'information et la documentation. On ne peut pas empêcher un ingénieur, un médecin, un juriste de faire sa propre documentation. L'information et la documentation sont liées au développement des connaissances et des compétences de la personne, a fortiori de n'importe quel acteur professionnel. Documentation, « docere », enseigner, apprendre. A partir du moment où l'information est une fonction partagée et qu'il est nécessaire de travailler avec d'autres pour partager cette information, quelle est la fonction du professionnel de l'information, du médiateur professionnel? Quelle est la valeur ajoutée du professionnel par rapport à celui qui n'est pas professionnel de l'ID mais qui a droit à l'information et qui gère (souvent efficacement) son information? Si on est incapable d'écrire et expliciter le différentiel professionnel (notamment le plus, la valeur ajoutée), on se trouve en pleine concurrence avec celui qu'on est amené à servir. Il faut donc préparer aujourd'hui les professionnels à inscrire leurs gestes dans l'idée d'un accompagnement plus marqué des fonctions de l'entreprise. Les professionnnels doivent fournir un travail de médiation, un accompagnement méthodologique dans le cadre d'un partage de lÕinformation via les réseaux (technologiques ou humains). Une première priorité est donc d'apprendre aux professionnels de notre secteur à travailler avec d'autres qui ont tout à fait le droit de se prononcer et d'intervenir sur l'information et la documentation qui leur sont propres. Un autre point relatif à la complexité des interventions sur l'information. Dès qu'on se penche un peu sur le problème de la gestion de l'information dans une entreprise, on se trouve vite confronté à un problème d'organisation et de management d'entreprise. Il n'y a pas de dissociation possible entre gestion de l'information et fonctionnement de l'entreprise. Il va donc falloir intégrer cet aspect information dans une vision plus globale, plus systémique de lÕorganisation. Il va falloir travailler aussi bien sur le management que sur les outils technologiques liés à l'information. Cela nous amène à une autre vision de l'intervention du professionnel de l'information qui est peut-être plus généraliste, plus systémique, et qui ne considère pas les gestes opératoires comme une fin en soi (par exemple,faire des fiches bibliographiques ou écrire une page web). Ainsi, la création, le développement et la maintenance du site web sont l'occasion de remettre en cause le management et le fonctionnement de l'entreprise, de l'institution. Au delà de la stricte compétence technicienne, on perçoit la nécessité de redéfinir des rôles, des responsabilités et le site web est le prétexte et la cristallisation d'un changement profond dans l'entreprise.

Un autre point essentiel à prendre en considération: avec l'information partagée, c'est le problème de la relation à l'utilisateur qui se pose. On essaie souvent de faire croire que notre métier (celui de la documentation) est trop complexe pour un utilisateur moyen qui ne saura jamais comment faire avec ces outils modernes. Mais au fond, est-ce bien sérieux? Ce sont plutôt nos gestes professionnels qui ne sont pas suffisamment clairs pour être compris par nos utilisateurs. Ce problème de la relation à l'utilisateur, au client, au partenaire, à cet acteur « lambda » de l'entreprise est celui du développement d'une culture de l'information, une « infoculture », une sorte de responsabilité sur le dialogue avec d'autres autour de l'information,une certaine citoyenneté partagée dans la société de l'information. Et donc pour les responsables de formations de documentalistes ou bibliothécaires, il ne s'agit pas simplement de se contenter de former des techniciens capables de bien faire des pages web. Il faut tout autant développer de nouvelles visions de la relation à l'utilisateur, usager ou client. Il faut amener le professionnel à assumer pleinement la responsabilité de « formateur-accompagnateur » des autres dans leurs propres processus dÕinformation, la mission de favoriser la montée en citoyenneté des acteurs de l'entreprise dans la société de l'information.

Pour conclure, j'aimerais insister sur quelques points de réflexion autour des évolutions souhaitables pour la formation des professionnels de lÕinformation-documentation. Le besoin aujourd'hui n'est pas tellement de définir de façon hyperdéterministe (et centralisatrice) des programmes de formation. Il faut arrêter cela. Il convient plutôt d'amener plus de mobilité, de flexibilité, d'évolutivité dans la conception des choses et plus de responsabilisation des établissements dans leur façon de penser leurs offres de formation. Leur responsabilité consiste à apprendre aux jeunes professionnels l'évolution permanente des choses, et donc les préparer à apprendre à apprendre. Le point important n'est pas tellement d'apprendre un métier ; on raisonne du reste de moins en moins en termes de métier. Dans les démarches les plus avancées sur la formation aujourd'hui, on privilégie plutôt l'approche par les compétences ouvertes, flexibles, transférables de façon à amener les gens à penser et gérer leur propre mobilité professionnelle. Le problème de la formation initiale, notamment la formation de jeunes n'est pas tellement la formation au premier emploi, l'adaptationimmédiate, mais beaucoup plus la formation au deuxième emploi, la formation à l'évolutivité, le passage à t+5 (cinq années après le diplôme). Si on forme un jeune, ce n'est pas qu'il réponde seulement à l'instant t aux besoins de l'entreprise ou de l'organisation, mais pour qu'il soit capable de transformer à t+5 l'organisation dans laquelle il agit, qu'il soit un réel acteur du changement de demain. Il faut former l'individu dans la perspective de la maîtrise de son évolution personnelle et avec le souci de lui donner la capacité à modifier le cours des choses et à avoir une influence certaine sur le changement de son environnement. Enfin pour terminer, j'aimerais dire qu'il me semble absolument indispensable qu'il y ait un véritable débat public et transparent sur les formations des professionnels de l'information-documentation.