Texte de la communication au Congrès AFAV, Paris, 18-19 novembre 1998 - Ecrit en août 1998 - 32 ko
PLAN
1 - L'information, un " bien " d'une nature très particulière
2 - Les échecs constatés en matière de management de l'information
3 &endash; L'apport de l'AV et du MV pour un autre management de l'information
4 &endash; De grandes fonctions de service autour de la gestion de l'information
5 &endash; Impact d'un nouveau management de l'information sur l'AV
Analyse de la valeur et management de l'information sont deux expressions fortes d'une nouvelle façon de penser la société, d'optimiser les modalités de conception et de production dans les entreprises, de développer la compétitivité de celles-ci de façon durable. A partir des résultats d'études AV menées depuis plus de 15 ans sur ce terrain, on montre comment l'AV a pu aider à définir et résoudre des problèmes de management de l'information et comment elle ouvre aujourd'hui de riches perspectives pour la conception de nouveaux dispositifs informationnels (sites Internet ou Intranet, plates-formes de groupware,...). On explique aussi en quoi l'AV, l'analyse fonctionnelle et le management par la valeur ont pu provoquer de réelles mutations dans le management de l'information. La communication débouche sur l'impact des nouvelles approches du management de l'information sur l'analyse de la valeur et conclut sur l'affirmation d'une nécessaire articulation à imaginer entre " Value Information " et " Value Management ".
Value analysis and information management are two strong expressions of a new vision on the development of the society, on the optimisation of the design and production processes and on the sustainable competitiveness of companies. Taking into account the results of 15 years of VA studies dedicated to information management, one tries to demonstrate how VA can help in defining and solving problems in that domain and how it opens new perspectives for the design of new information systems (Internet or Intranet sites or groupware platforms,...). One tries to explain also how value analysis as well as value management can have an impact on information management. Then, the paper introduces the consequences that new information technologies and procedures can have on VA and VM and concludes on the need for a new articulation between " Value Information " and " Value Management ".
L'analyse de la valeur et le management de l'information sont des démarches ou pratiques d'aide à la conception, à la gestion et à la décision qui ont de fortes similitudes et qui entretiennent entre elles d'intéressantes relations de fertilisation croisée.
Ainsi, le plan de travail de l'analyse de la valeur (AV) n'inclut-il pas formellement la recherche de l'information comme l'une de ses phases essentielles. Le groupe de travail AV n'est-il pas, au fond, ni plus ni moins qu'un forum efficace d'échange d'informations multidisciplinaires en vue de l'action? On pourrait aussi dire aujourd'hui que l'analyse de la valeur peut être une modalité originale et efficace d'un nouveau management de l'information pour la conception, l'action et la décision, démarche que l'on retrouve aujourd'hui dans certaines expériences de "groupware" et dans le développement des sites Intranet et autres "collecticiels" de travail ou de recherche.
En ce qui concerne le management moderne de l'information (le développement prodigieux d'Internet n'en constituant qu'une péripétie et une configuration originale parmi d'autres), ne se fonde-t-il pas sur des principes de base proches de ceux de l'AV comme par exemple le centrage sur le besoin de l'utilisateur, sur la recherche du moindre coût et sur l'échange efficace entre des acteurs aux points de vue variés? Ainsi, le succès d'Internet peut s'analyser de façon éclairante comme le résultat d'une démarche de communication qui respecte les critères ou fondamentaux de l'AV.
Si l'on pousse plus loin la réflexion, on peut raisonnablement affirmer qu'analyse de la valeur et management de l'information sont deux expressions fortes d'une nouvelle façon de penser la société, les organisations et les modalités de conception et de production (il serait juste de leur adjoindre l'approche qualité, le marketing et la gestion intelligente des ressources humaines dans cette vision d'un nouveau management de l'entreprise). Au fond, management de l'information et analyse de la valeur (ou management par la valeur, pour être plus générique), sont deux facettes complémentaires d'une nouvelle "économie de l'immatériel" qui permet à l'entreprise (ou à toute organisation humaine) de développer sa compétitivité (son efficacité) de façon durable, intelligente et cela dans un environnement de plus en plus ouvert, complexe et fortement évolutif (1).
En quoi l'analyse de la valeur a-t-elle pu provoquer des mutations dans le management de l'information? Comment l'AV et l'AF (analyse fonctionnelle) ont-elles pu s'appliquer aux produits et services de ce domaine? La présente communication vise à expliquer, à partir des résultats d'études AV menées depuis plus de 15 ans sur ce terrain (2), comment l'AV a conduit à résoudre des problèmes mal posés de management de l'information et comment elle ouvre aujourd'hui de nouvelles perspectives d'aide à la conception de nouveaux dispositifs informationnels. La communication débouchera alors sur l'impact qu'on peut attendre des nouvelles approches de l'information sur l'analyse de la valeur.
L'information est bien au coeur du management moderne de l'entreprise. La société industrielle traditionnelle axée sur la gestion optimisée de la matière et de l'énergie laisse la place désormais à une société de l'information ou encore société de l'immatériel, avec tout ce que cette transformation comporte de promesses mais aussi de risques certains (3). L'entreprise, plus que jamais, doit se préoccuper au quotidien de la gestion de son patrimoine et de ses flux informationnels, quant cela ne devient pas même un axe stratégique de développement et de management. Mais contrairement aux biens matériels classiques, l'information ne se laisse pas attraper, manipuler, exploiter facilement et faux-pas et chausse-trappes sont nombreux qui conduisent à des échecs cuisants en matière de management de l'information.
Disons d'entrée de jeu que les théories de (ou sur) l'information sont nombreuses et surtout contradictoires et reflètent souvent l'origine culturelle, académique, scientifique ou professionnelle de ceux qui les émettent : ainsi le sociologue, l'ingénieur, l'informaticien, le documentaliste, le juriste,... parleront en coeur de l'information sans être vraiment en phase sur ce que représente ce concept ou ce bien.
Une certitude toutefois, l'information, comme la connaissance, est quelque chose intrinsèquement lié à l'homme et à son développement personnel comme aussi à la société et à sa transformation permanente. Derrière une apparence de relative objectivité (" la température de fusion de ce métal est de ...", " le bénéfice de telle société est de ..."), l'information est fondamentalement le reflet de la subjectivité instantanée de l'homme et de la société. L'information est un regard contextuel et temporel sur le monde. L'information est encore plus un échange de regards, de perceptions (" je te dis que j'interprète ainsi le geste déplacé du Président des Etats Unis et tu me confirmes que tu as une opinion à peu près identique, à quelques nuances près "). Conséquence de cette approche humaine, subjective de l'information : tant qu'il y aura des hommes et des organisations, il y aura production et échange de perceptions et donc d'information, et celle-ci sera toujours aussi difficilement maîtrisable que peut l'être le développement de toute société humaine. L'information reste pour l'essentiel volatile, cachée, fluctuante, peu fiable, contradictoire, en permanente évolution et surtout très contextuelle et donc subjective. Les spécialistes de l'AV le reconnaissent implicitement en privilégiant le travail de groupe multi-ou pluri-disciplinaire et en facilitant ainsi le croisement fertile de regards différents sur le même objet.
Un des apports intéressants des réflexions théoriques sur l'information a consisté à mettre en évidence le fait que si l'information est fondamentalement subjective (même dans le domaine scientifique le plus avancé), elle ne prend de la valeur que si elle est échangée et pour qu'elle soit échangée, il faut qu'elle soit véhiculée, figée provisoirement, sur un support, sertie sur ou dans un document. Et alors qu'il est difficile d'évoquer l'économie de l'information-regard (coût d'un regard, prix d'une vision ?), il devient plus facile de maîtriser les paramètres de coût et de prix des supports ou documents que l'on mobilise, d'autant plus que ces " artefacts " seront produits par le biais de technologies (imprimerie, informatique, film,...) elles-mêmes appréciables du point de vue économique. Voilà donc les deux faces de la chose informationnelle : d'une part l'information-regard, subjective, profondément enrichissante par son échange (fonction de service très importante) mais terriblement difficile à cerner dans sa dimension économique, d'autre part l'information-document, objectivée (du moins provisoirement), sans doute moins riche que la source humaine première et engendrant surtout des coûts d'élaboration, exploitation, conservation, transfert (fonction technique documentaire).
Question plus subtile encore : l'information a-t-elle un sens en elle-même? Ou encore, peut-on gérer l'information comme on gère un stock de pièces détachées ? L'information (même dans sa composante documentée ou documentaire, c'est à dire figée sur un support) est-elle vraiment intéressante en tant qu'objet brut, isolé de son contexte ? On découvre vite qu'une information donnée n'a d'intérêt et de valeur que si elle peut être mise en relation avec une autre information, donnée ou connaissance. De l'information jaillit l'information, du croisement des informations naît la connaissance. De regards en regards, l'information se déforme, prend un nouveau sens, se " fractalise " à l'infini. D'où l'importance d'un management de l'information qui se démarque d'approches simplistes, technicistes, trop hyper-déterministes mais qui privilégie au contraire la critique et l'enrichissement permanent de l'information, qui valorise l'usage et l'échange de l'information plutôt que sa thésaurisation stérile (combien de bases de données sont de véritables cimetières informationnels ?). Dans cette perspective, on doit aujourd'hui mettre l'accent sur le fonctionnement en réseau au sein ou entre les entreprises ou organisations et penser le management de l'information comme une composante essentielle d'un management des réseaux d'intelligence et de compétence, ce qui conduit alors à la notion d'intelligence économique (4).
Les interventions AV multiples réalisées sur ces questions de management de l'information, et plus particulièrement les évaluations de produits, services et organisations d'information et de documentation font ressortir un certain nombre de constats d'échecs répétés (erreurs, problèmes, carences,...).
La situation la plus fréquente, et qui concerne surtout le milieu des petites et moyennes structures, est celle de l'absence totale de management des processus et dispositifs informationnels ou info-documentaires. Dans ces structures, on pratique l'information au quotidien comme on respire, sans véritablement s'interroger sur la façon d'améliorer les choses. Ici ou là, on demande à une secrétaire de classer des documentations encombrantes, on bricole un petit fichier documentaire sur son PC (logiciel mis à disposition par un ami) et on passe son temps à téléphoner à droite ou à gauche pour rechercher les bons tuyaux. Tel grand patron avoue du reste avoir toute l'information dont il a besoin dans ses dîners à la ville, déniant toute utilité à une quelconque structure info-documentaire dans son organisation (pauvres collaborateurs qui protestent, mais en vain !...). Il faut alors subir un audit sévère de la Cour des Comptes pour s'apercevoir que les archives de l'entreprise sont inexploitables, douteuses et décider de faire une étude AV de réorganisation de l'ensemble du dispositif d'information, documentation et archivage. L'arrivée brutale d'Internet fait aussi prendre conscience de l'absence de démarche de nature managériale face aux nouveaux processus informationnels et là encore, on demandera une action AV ou AF pour aider à bien poser les problèmes.
Une autre catégorie d'échecs consiste en la croyance aveugle en une solution technique miracle. De ce point de vue informatique et informaticiens ont souvent joué aux apprentis sorciers et conduit à élaboration de véritables usines à gaz souvent peu utiles et efficaces. Combien d'entreprises ont pensé pouvoir résoudre leurs problèmes de management de l'information en raisonnant d'abord solutions avant de véritablement analyser leurs besoins ? Combien d'entre elles ont investi dans des dispositifs lourds de GED ou GEIDE (gestion électronique de documents) pour s'apercevoir très vite qu'elles n'utilisaient que 10% des potentialités des systèmes mis en place, que ceux-ci engendrent d'incroyables surcoûts dûs à leur complexité intrinséque et qu'enfin ces dispositifs prenaient mal en compte les vrais besoins informationnels. Dans telle société du secteur de l'immobilier, le choix d'un logiciel de groupware (décidé unilatéralement, sans concertation, par le directeur informatique) et la mise en place systématique de cet outil collectif de communication conduisent à de véritables traumatismes parmi le personnel sans véritablement apporter de réponses aux sérieux problèmes d'archivage de documents délicats. Dans telle autre structure nationale du secteur tertiaire, la direction informatique multiplie les projets en matière de gestion informatisée des documents (groupware, intranet, bases de données,...), mais ces projets n'en finissent pas de se concrètiser, sont vite dépassés du fait des évolutions rapides des outils et surtout se font sans véritable information des personnes chargées d'exploiter les nouveaux outils.
Constats d'échec également du côté des structures fonctionnelles chargées d'organiser et gérer l'information et la documentation (centres de documentation notamment). Bien souvent ces structures répondent mal ou ne répondent plus aux besoins de leurs clients, ou plus exactement répondent de façon décalée, inappropriée. Ces structures végètent dans l'organisation jusqu'au jour où une opération générale de restructuration conduit à en faire l'évaluation et à redéfinir leurs missions, leurs activités et leurs produits. Bien souvent ce décalage entre services offerts et besoins réels se fait progressivement sans que personne ne s'en rende vraiment compte. Une des causes de ce décalage tient à la priorité qu'accorde de plus en plus la structure documentaire à la confection quotidienne de ses outils (la production quasi-usinière de " LA " base de données maison par exemple) au détriment des fonctions essentielles, principales, de médiation et de veille. Dans tel grand centre de recherche national, le divorce est total entre chercheurs et documentalistes, les premiers reprochant aux autres de ne s'intéresser qu'à la production d'une grande base de données généraliste qui, d'un avis unanime, ne présente que peu d'utilité pour la recherche. Dans telle autre structure documentaire du domaine de la gestion de l'eau, on arrive à la situation absurde d'un dispositif qui ne voit plus physiquement ses clients ou utilisateurs et qui consomme une énergie démesurée à la réalisation d'une base de données centralisée au moment précis où Internet conduit à remettre en cause le principe de centralisation de l'information sous forme de grandes bases de données.
Enfin (mais cela m'épuise pas la liste des échecs connus), on se rend vite compte que les approches du management de l'information restent souvent partielles, parcellaires, sans aucune réflexion d'ensemble sur les besoins et fonctions à prendre en compte (ou sur la typologie des différents groupes d'acteurs à considérer et satisfaire). Les thèmes à la mode fusent (intelligence économique, veille, site Intranet, gestion électronique de document, knowledge management,.. ), les projets se multiplient sans qu'aucune analyse sérieuse du problème soit avancée. Personne ne comprend ou maîtrise bien la globalité et la complexité du problème informationnel, personne ne mesure vraiment l'importance de l'investissement (notamment humain) à consentir pour assurer le succès et surtout la pérennité du dispositif à mettre en Ïuvre. A bien des égards, le management de l'information s'apparente à la gestion intelligente des compétences et au management des ressources humaines et de leur formation permanente.
Soulignons d'emblée le fait qu'un nombre croissant d'entreprises ou d'organisations diverses s'intéressent aux démarches d'analyse de la valeur et d'analyse fonctionnelle pour résoudre leurs problèmes de management de l'information et de la documentation (5), qu'elles visent la réorganisation de dispositifs info-documentaires existants ou qu'elles cherchent à prendre en compte les nouvelles potentialités offertes par les technologies de l'information. Il est intéressant d'observer des structures aussi particulières que celles qui se dédient à la conservation de la mémoire audiovisuelle collective (association MEMORIAV, en Suisse) s'intéresser à la démarche AV-AF pour trouver des solutions originales et efficaces à des problèmes assez complexes (6).
L'analyse fonctionnelle de besoins constitue à n'en point douter un des éléments méthodologiques clés des études AV sur le management de l'information. Compte tenu du caractère si particulier des processus informationnels et de leur complexité, il est clair qu'il vaut mieux éviter de " partir tête baissée " sur des solutions, aussi séduisantes soient-elles et qu'il est préférable de bien percevoir et comprendre préalablement la structure des besoins en information et documentation. D'un point de vue strictement méthodologique, cette analyse de besoins se fait à partir d'auditions individuelles et collectives de terrain, d'enregistrements assez systématique des " dits " des personnes entendues, de reformulations élémentaires sous formes de comptes rendus d'entretiens retransmis aux personnes concernées, de reformulations secondes, collectives, avec l'aide d'un groupe AV de consolidation et enfin à travers une synthèse collective des besoins fonctionnels exprimés ou décelés. A noter que ce travail d'analyse fonctionnelle de besoins va au delà du strict recueil d'informations utiles pour la suite de l'étude AV : c'est aussi une démarche d'aide à la prise de conscience (collective, managériale) de ces besoins en vue de décisions ultérieures sur les choix de principes de solutions (préparer le terrain pour un changement durable des approches de la gestion de l'information).
Il est évident que l'élaboration de cahiers des charges fonctionnels (CdCF) pour la réorganisation de dispositifs, produits, services ou structures existants comme pour la mise en place de nouveaux " trucs " (plate-formes de diffusion, sites Intranet,...) est bien un apport capital de l'AF et de l'AV au management de l'information. Pour passer de l'analyse fonctionnelle de besoins au CdCF utile et efficace pour l'action, il faut amener la direction de l'organisation à s'exprimer sur la hiérachisation des besoins. Il faut aussi inscrire le futur CdCF dans la perspective des potentialités offertes par les technologies du moment ou émergeantes (il en effet essentiel de noter qu'un sytème d'information doit être aussi évolutif que la société à qui il est destiné, il doit pouvoir vivre, évoluer, etc.). Il faut encore tenir compte de champs de contraintes spécifiques comme par exemple, l'existence ou non d'une culture informatique dans la maison, la plus ou moins grande flexibilité de la structure dans le management de ses ressources humaines, la nécessité de s'articuler avec d'autres dispositifs info-documentaires existant en aval, en amont, au dessus ou au dessous, comme encore de bien d'autres contraintes relatives à l'ergonomie des systèmes d'information et aux aspects juridiques de ces derniers. Dans la pratique, on est amené à différencier deux niveaux de CdCF, le premier s'attachant à définir les grandes fonctions de service externes du dispositif futur à mettre en place (quelles que soient les solutions humaines ou technologiques) suivi d'un second niveau plus directement lié à un choix de grand parti (un type de solution technique ou d'organisation humaine, avec à ce moment là, la possibilité d'affiner les critères et niveaux d'appréciation ou d'exigence). On notera encore que l'approche CdCF est particulièrement intéressante lors de la mise en place de plates-formes telles que les sites Internet ou Intranet ; c'est du reste devenu un exercice pédagogique quasi obligé dans les formations de professionnels de l'information-documentation aujourd'hui.
Un troisième apport de l'AV, sans doute le plus décapant ou déstabilisant, se situe dans la réduction drastique des coûts inutiles engendrés par les multiples fonctions techniques des dispositifs et services d'information. Les coûts de traitement et de manipulation de l'information deviennent vite excessifs ; le perfectionnisme professionnel aidant, on en arrive vite à mettre toute son énergie dans la production et la gestion des " artefacts " (au fond, une coûteuse fonction technique) au détriment de la satisfaction du vrai besoin informationnel. L'alimentation d'une base de données peut représenter 30 à 40% du coût de fonctionnement d'un service documentaire alors que cette même base n'est qu'un outil parmi d'autres (mais lourd et cher) pour informer les clients du service, et ce, à un moment crucial où les nouvelles technologies réseau de type Internet font chuter brutalement les coûts de manipulation et de transfert de l'information. La démarche AV basique de réduction de coût conduit aujourd'hui à des remises en cause substantielles des produits et services existants, non sans poser, du reste, de sérieux problèmes métaphysiques aux professionnels qui les réalisent (7).
On peut encore souligner l'intérêt de l'apport AV sur un plan spécifique, celui de la concertation et de la mobilisation de points de vue variés et complémentaires sur les questions de l'information. Le groupe de travail notamment et plus généralement l'esprit d'ouverture, fondamental dans l'approche AV, obligent à sortir la question du management de l'information du champ clos des experts de la chose. Les informaticiens n'ont qu'une des clés de la résolution du problème, les documentalistes de même et les responsables de la communication itou. Les exemples actuels de réalisation de sites Internet-Intranet fonctionnels démontrent bien la nécessité d'une telle approche concertée pour la création de dispositifs info-documentaires acceptés, utiles et efficaces. Et on ne peut que souligner l'intérêt de l'esprit AV-MV pour la résolution des problèmes liés à l'information dans l'entreprise : management de l'information, management par la valeur, même philosophie, même combat. Approche résolument stratégique et managériale des questions d'information, mobilisation des intelligences et compétences complémentaires pour aboutir à la mise en place d'efficaces dispositifs " transversaux " et/ou en réseau d'aide à la conception, à la décision et à la gestion, compréhension de la complexité des contextes ou situations, souci de réduire les coûts là où ils n'engendrent pas de réelle valeur,... beaucoup à gagner donc du recours au management par la valeur pour penser les dispositifs, produits et services d'information du futur.
Il n'est pas question de traiter ici dans le détail des multiples fonctions que peut avoir un système d'information pour une entreprise donnée, ni de donner l'impression que toutes les organisations pourraient concevoir leur management de l'information à partir d'un seul CdCF générique, universel (on serait alors aux antipodes de l'esprit AV qui met l'accent sur la contextualisation des besoins et des solutions). Il est toutefois intéressant de relever le fait, qu'au fil des études AV menées sur ce terrain, se dégagent de grandes constantes qui caractérisent différents grands besoins fonctionnels. Tels ou tels de ces besoins sont essentiels, fondamentaux, pour certaines organisations, d'autres seront alors plutôt secondaires, la direction de ces entités devant se prononcer sur la hiérarchie des besoins.
C'est d'abord un besoin fonctionnel d'information d'appui ou d'accompagnement pour le bon déroulement des activités au quotidien (notamment en conception ou en gestion). Pour l'ingénieur, le juriste, le financier, il faut pouvoir disposer (souvent à proximité immédiate) d'un ensemble d'outils informationnels et documentaires de première nécessité, aisément consultables. Peu nombreux, mais très fiables, apportant la bonne réponse à la question qui se pose, ces outils sont des " bibles ", des dictionnaires, des bases de textes utiles. Les sources et ressources concernées peuvent être internes ou externes à l'organisation. De plus en plus, ces ressources (du fait de leur coût ou de leur importance) sont gérées de façon collective, de même que leur mode d'accès est de plus en plus informatisé (cédéroms ou réseau). Le critère de fiabilité est bien sûr essentiel, comme aussi celui de fraîcheur de lÕinformation (exemple des bases de textes officiels). Ce besoin concerne toutes les fonctions de l'entreprise, du bureau d'études au service formation, des juristes au experts de la réglementation.
Un besoin qui prolonge le précédent est relatif à l'aide à la décision. Mais attention, ne nous faisons pas trop d'illusions, les systèmes automatiques qui permettraient de prendre à coup sûr la bonne décision restent encore une vue de l'esprit ou un fantasme de techno-décideurs. Par contre, il est intéressant d'éclairer la prise de décision par la mise en présence, au bon moment, d'informations diverses, complémentaires, multisectoriels ou multidisciplinaires. Les nouveaux outils telles que les plates-formes de diffusion (groupeware, Intranet) sont une voie de solution sous réserve de bien alimenter et tenir à jour les systèmes ainsi installés. On peut aussi penser à des solutions qui ne sont pas de nature technologique, mais plus fondamentalement organisationnelle ou humaine.
Un besoin fonctionnel, plutôt exprimé au niveau du " top management " de l'entreprise ou dans certaines structures (industries de pointe, recherche, business, finances,...), porte sur l'alerte et l'anticipation. On parle alors de veille, déclinée sous différents qualificatifs : veille stratégique, veille technologique, veille commerciale, veille juridique, veille concurrentielle, etc. (8). Cette fonction à prendre en compte dans la conception de dispositifs d'information n'implique pas nécessairement la mobilisation de solutions lourdes (comme ce serait plutôt le cas pour le besoin fonctionnel d'appui logistique aux actions du quotidien). Elle conduirait plutôt à rechercher des " solutions élégantes et efficaces " à haute valeur ajoutée, plus qualitative. A noter que ce besoin fonctionnel ne se limite pas au seul besoin du PDG de l'entreprise : il faut encore penser à la socialisation, au partage, à la diffusion, à l'implication d'autres acteurs de l'entreprise dans l'exploitation efficace des résultats d'une bonne veille. On pourrait encore ajouter que cette veille pourrait correspondre à deux sous-besoins fonctionnels différents, l'un ayant trait aux évolutions globales et majeures de l'environnement de l'organisation (veille périphérique externe), un autre se préoccupant du recueil et de l'interprétation des signaux faibles en provenance du terrain, de la clientèle, des partenaires (veille remontante).
De plus en plus est exprimé un besoin fonctionnel d'une nature très différente et qui reflète beaucoup plus l'évolution récente de l'entreprise et de son management : le besoin de partage, de mise en commun, de valorisation ou exploitation collective de l'information. Les cimetières à informations n'ayant manifestement aucun avenir, on se rend compte aujourd'hui que stocker l'information n'est pas suffisant ; il faut aussi faire vivre celle-ci, valoriser les apports des uns et des autres, provoquer des fertilisations croisées. D'où l'importance de la composante " communication " dans les processus informationnels, avec une plus grande utilisation des techniques de messagerie et de forums électroniques, comme de groupware. La réalisation d'un site Web de type Intranet ne peut pas écarter, à l'évidence, ce besoin fonctionnel de communication-partage-animation-valorisation. Dans le même esprit, on peut voir exprimer ici ou là un besoin fonctionnel d'animation et de stimulation de l'information générale de l'entreprise. On est aux limites de la communication interne comme aussi de la communication institutionnelle. Selon les contextes, ce besoin sera plus ou moins pris en compte dans le CdCF du futur dispositif d'information (question récurrente aujourd'hui dans l'élaboration des sites Internet ou Intranet).
Un besoin réel, souvent mal pris en compte, mais qui semble aujourd'hui émerger plus fortement : la nécessité de préserver la mémoire de l'entreprise et les traces de son activité. De l'archivage traditionnel au " record management " en passant par la gestion active de la mémoire collective, on découvre (ou redécouvre) l'importance de la dimension long terme de la gestion de l'information. Le problème se fait d'autant plus sentir aujourd'hui que la production info-documentaire est exponentielle et que les entreprises sont assez chahutées par les opérations de reengineering, fusion, fission, restructuration. Plusieurs composantes de besoin fonctionnel sont à prendre en compte ici comme par exemple la conservation de traces écrites à titre de témoignage ou de preuve (archives à caractère officiel, besoins du contentieux,.. ), mais aussi la nécessité de consolider une culture d'entreprise autour d'une gestion collective de mémoire autour des métiers et des réalisations ou encore le besoin d'une gestion efficace de l'épaisseur temporelle du moyen terme pour tirer le meilleur parti des actions antérieures (processus d'apprentissage collectifs).
Sans vouloir épuiser le sujet, on peut ajouter un besoin complémentaire émergeant que l'on peut intituler d'aide ou d'assistance méthodologique à la gestion personnalisée de l'information. Personne ne peut avoir de monopole sur l'information et les technologies modernes renforcent l'appropriation individuelle et décentralisée de l'information. Dès lors, il faut pouvoir aider chacun des atomes agissant de l'entreprise à mieux maîtriser son propre dispositif de gestion de l'information.
Il apparaît évident que l'analyse de la valeur ne sera pas épargnée par les évolutions actuelles vers la nouvelle société de l'information. Les NTIC qui s'imposent aujourd'hui amènent à avoir un nouveau regard sur la façon de traiter les problèmes de conception et de gestion. Elles privilégient la décentralisation et l'échange de l'information, elles stimulent la production individuelle et collective de cette information et surtout elles conduisent à des réductions de coûts drastiques des opérations de manipulation, transfert et gestion de l'information. L'analyse de la valeur, ses acteurs et ses promoteurs ne peuvent pas rester à l'écart de cette révolution. Il va donc falloir s'adapter, repenser les réponses méthodologiques aux principes fondamentaux de l'AV.
Un des aspects immédiats de cette nouvelle donne réside dans le fait que l'information devient aisément accessible, qu'elle est ouverte, globale et mondiale, de plus en plus multiforme et complexe. Cela signifie donc que la phase dite de recherche de l'information du plan de travail AV va prendre dans l'avenir plus d'importance encore et qu'il faudra sûrement imaginer de nouvelles pratiques ou dispositions pour être efficace à ce stade : intégration d'un professionnel du management de l'information dans le groupe AV, commande d'actions de veille pour alimenter la réflexion, mise en place d'outils de capitalisation des informations générées par les études AV, etc.
Une autre évolution à envisager pourrait être de repenser la solution " groupe de travail AV ", qui, au fond, n'est qu'une solution (parmi d'autres) pour répondre à un besoin plus général : mobiliser les regards et croiser les contributions de compétences variées autour d'un même problème pour la réalisation intelligente de celui-ci. Il va de soi que les technologies " réseau " et que la banalisation des outils d'information permettent d'envisager d'autres solutions pour satisfaire ce besoin. On peut penser à des groupes virtuels, des collecticiels ou collaboratoires comme on en met aujourd'hui en place dans les milieux de la recherche ou de l'enseignement (l'autoformation, l'enseignement à distance, les NTE ou nouvelles technologies d'enseignement deviennent un enjeu stratégique majeur). On peut imaginer une ou des structures à géométrie ou périmètre variable pour assurer la mobilisation d'un plus grand nombre de points de vue, à différents moments de l'étude AV, en s'appuyant sur une gestion collective efficace de l'information produite et échangée.
Il est clair aussi qu'il faudra désormais imaginer la mise en place de sites Web Intranet ou de plates-formes de groupware pour accompagner le déroulement des études AV, soit pour le suivi collectif au fur et à mesure des travaux, soit pour conserver et valoriser les travaux antérieurs (collections de cahiers des charges par exemple, schémas de principes de solutions génériques, etc.).
Enfin, la priorité accordée aujourd'hui au Value Management (management par la valeur ou MV) par les spécialistes de l'AV doit se concrétiser par le développement d'une réflexion nouvelle, originale, sur l'importance des processus informationnels dans ce MV. Le contexte qui a vu naître l'AV, c'est à dire celui de l'essor de la grande industrie manufacturière n'est plus celui qui amène à parler aujourd'hui de société de l'information et de l'immatériel. Le MV doit s'inscrire délibérément dans cette nouvelle perspective et mobiliser les efforts de conceptualisation, de création et de développement méthodologiques des chercheurs comme des praticiens de l'AV. Cinquante ans après la création de l'AV par Miles, la combinaison judicieuse de la " Value Information " et du " Value Management " doivent pouvoir donner naissance à des hybrides intéressants pour assurer la compétitivité durable de l'entreprise.
(1) Jean MICHEL, Analyse de la Valeur et Management de l'Information - Vers la " Value Information ", texte à paraître dans la revue " La Valeur des Produits et Services " et la brochure pour le 20ème anniversaire de la création de l'AFAV (1998). - http://wwwparis.enpc.fr/~michel-j/publi/JM305.html
(2) Jean MICHEL, L'analyse de la valeur adaptée à la reconfiguration de petites et moyennes organisations, in "La Valeur des produits et services, revue de l'AFAV", n°.69, juillet 1996, pp. 17-20 - http://wwwparis.enpc.fr/~michel-j/publi/JM286.html
(3) Jacques ATTALI, Hypermonde et géopolitique, in " Documentaliste &endash; Sciences de l'information ", 1998, vol. 35, n°3 juin 1998, pp. 139-143.
(4) Michèle BATTISTI, L'entreprise et l'effet réseau, in " Documentaliste &endash; Sciences de l'information ", 1998, vol. 35, n°3 juin 1998, pp. 163-165.
(5) Jean MICHEL, en collaboration avec Eric SUTTER , Pratique du management de l'information: analyse de la valeur et résolution de problèmes, Paris, ADBS, 1992, 431 p.
(6) Jean MICHEL, L'apport de l'AV (analyse de la valeur) à une réflexion sur l'avenir de la tradition AV (audiovisuel), communication à la conférence MEMORIAV 97, Ascona (CH). - http://wwwparis.enpc.fr/~michel-j/publi/JM299.html
(7) Jean MICHEL, Les professionnels de l'information-documentation à l'heure du document numérique et des réseaux électroniques, in "Document numérique" Volume 1 - n°2/1997, pp. 217-231 - http://wwwparis.enpc.fr/~michel-j/publi/JM293.html
(8) Jean MICHEL, Veille informative, veille stratégique, intelligence économique - Un nouveau pouvoir dans les entreprises, communication à l'Ecole d'Eté (Pole Grand Est) organisée par l'IUFM de Franche-Comté (1er juillet 1998) sur le thème des "Nouveaux modes d'accès à l'information et la construction du savoir" - http://wwwparis.enpc.fr/~michel-j/publi/JM306.html