VARIATIONS DOCUMENTALISTIQUES

Ah ! Si seulement Queneau, Boby Lapointe ou Raymond Devos avaient été documentalistes !...

JM 312

Jean MICHEL

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Texte pour la revue "Documentaliste - Science de l'Information" - Ecrit le 4 octobre 1998

© Jean MICHEL 4 octobre 1998

PLAN

Prélude

Variation 1 - La guerre de Deux (entre documentaliste et documentariste) n'aura pas lieu

Variation 2 - Des voyelles, des voyeurs et des voyous

Variation 3 - Ciel, ma (mon) documentaliste !...

Variation 4 - Si tu mens (document), tu iras en enfer !...

Variation 5 - Document, quand tu nous tiens !...

Finale

Coda

Prélude

Depuis des décennies et surtout dans les dernières années, les professionnels de l'information-documentation (ou professionnels de l'ID, ou de l'idée...) s'efforcent de trouver pour leur profession un intitulé générique qui les positionnerait de façon claire par rapport aux évolutions de leurs fonctions, de leur métier et de leur environnement. Au Maroc, le documentaliste est devenu informatiste ; dans l'audiovisuel, il se spécialise comme recherchiste, et ailleurs comme veilleur (ce qui pourrait laisser à penser que d'autres seraient plutôt des sommeilleurs !...) ; et à la télévision, on parle de documentariste.

Cette quête du Graal sémantique mérite bien une réflexion ouverte, publique, collective. Mais plutôt que de se prendre trop au sérieux et de chercher sa voie (ou sa voix) dans le rationnel, pourquoi ne pas jouer avec les mots (et avec nos maux) ?

L'animation récente de plusieurs séminaires sur la créativité en documentation, comme aussi l'écoute fréquente des disques de Boby Lapointe ou le plaisir pris devant les sketches de Raymond Devos, me conduisent à formuler quelques " variations " terminologiques (ou plutôt " terminillogiques ") autour de notre cher document et de tout ce qui tourne autour de lui : documentaliste, documentaire, documentation.

Recommandations préalables : professionnels (trop) sérieux s'abstenir ! Pour les autres : à consommer et prolonger sans modération.

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Variation 1 - La guerre de Deux (entre documentaliste et documentariste) n'aura pas lieu

 

Documentaliste, documentariste : à l'évidence pas le même métier (je vous renvoie au dictionnaire) mais, à partir du moment où la variation consonantique est possible, pourquoi ne pas explorer toutes les autres possibilités, principe classique en créativité ?

Documentabiste : bof, pourquoi pas, mais pas génial. (Ça commence mal ! Attention, ne pas être négatif. Toujours " positiver " !)

Documentaciste, sorte de héros antique, sans doute, ou colosse aux bras chargés de piles de documents, à l'opposé du...

Documentracite, qui ne paie pas de mine mais est un véritable puits d'informations.

Documentadiste : à défaut de DocumentaDIST, espèce aujourd'hui disparue en France, je préfère vite dériver sur le ou la...

Documenstadiste, une sorte de professionnel sportif qu'on pénalise parfois pour ses placages à retardements ou ses dopages (documentaires) trop fréquents (" vilain epodocumentaliste ! ").

Documentafiste, documenturfiste...

Documentagiste : ah oui ! celui là je le vois bien à la bibliothèque François Mitterrand (profil de poste : sait chercher dans les étages !).

Documentajiste : rien à en dire au premier abord.

Documentakiste, soit une adaptation grecque et/ou dansante du métier, soit une appellation à faire étudier par le groupe Médecine-Santé de l'ADBS.

Documentaliste : banal (" ta liste ment "... en verlan). A noter toutefois le risque regrettable de confusion avec certaine revue homonyme que certains n'hésitent pas alors à " architaguer " pour se donner des airs de post-néo-documentalistes.

Documentamiste (voir céra...), documentaniste (un peu comme le bota...).

Documentapiste : alors là, ça ouvre de nouveaux horizons : documentapiste des étoiles (voir plus loin documentaziste), ou documenTAPIEste, qui passe une partie de son temps en cellule, comme d'une certaine façon, le...

Documentrapiste, véritable moine bibliothécaire ou bibinothécaire, tous deux membres d'une profession juteuse.

Documentaquiste : je vous laisse imaginer... sauf à vous suggérer le documentaquistador, pour les amis espagnols de la Sedic.

Documentariste : voir dictionnaire, tout simplement.

Documentasiste, ou anesthésiste documentaire (celle ou celui qui vous endort par ses listings sans fin), et plutôt...

Documentassiste, qui aide les clients déboussolés par les équations booléennes (ou documentassistés, à qui le documentassiste finit toujours par proposer sa fameuse " formation de l'utilisateur ", potion magique pour se réconcilier avec la documentation).

Documentaviste (aussi appelé documencaviste), qui s'occupe des bonnes bouteilles documentaires (les trucs qu'on planque au fin fond des caves), et dont l'amour de la chose peut évoquer un certain...

Documentatavisme : alors là, pas de doute, on tombe vraiment dans les déviances les plus folles !

Documentawiste : peut-être à proposer à nos amis anglais de l'Aslib.

Documentaxiste, qui me fait hésiter entre documentaxi, celui qui s'occupe de la circulation (des) périodique(s), et documentaxidermiste, sorte d'empailleur documentaire.

Documentaziste, enfin, sans aucun doute un audacieux acrobate de la documentation, toujours tenté de faire le grand écart entre analyse de la valeur et catalogage des actes de congrès ; à moins que ce ne soit plus simplement une jeune professionnelle digne héritière de la Zazie de Queneau...

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Variation 2 - Des voyelles, des voyeurs et des voyous

 

Consonnes, oui, vous voyez, et voyelles, vous ne voyez pas ? Moi, si.

Documentaliste : classique, mais méfions nous du redoutable documentalistérique !

Documenteliste, simple comme bonjour : celui ou celle qui s'occupe plus spécifiquement de certains clients (en dédaignant les autres), ce qui donne du reste naissance au documentelisme, grave maladie professionnelle non encore complètement référencée comme telle par la commission ad hoc de l'ADBS.

Documentiliste, qui se perd dans les détails documentaires par manque de vision globale des choses (mais attention, cela ne relève pas du documentilisme, sorte d'approche plutôt simpliste du traitement documentaire). Documentiliste qualifie aussi une approche déviante, par trop égocentrique (plutôt zombilicale), de la pratique documentaire.

Documentoliste : je suis sec, sauf à passer à documentoriste (à explorer, cousinage possible mais inquiétant avec herboriste, frigoriste, rigoriste, etc.).

Documentuliste, peut-être une variante hollandaise du documentaliste et, de là, un possible documenTUCiste, bien connu dans nombre de centres de documentation.

Internet nous conduit aujourd'hui à introduire une nouvelle voyelle dans l'alphabet, le @, et dès lors à parler d'un nouveau professionnel, le ou la document@liste, que certains esprits provocants pourraient avoir tendance à qualifier abusivement d'internénette. En fait le document@liste, qui n'est pas encore retenu comme tel dans le référentiel de la commission Métiers et qualifications de l'ADBS mais qui représente une force montante dans la profession, a le mérite de résumer également, de façon canonique ou générique, tout l'art de la documentation qui, au fond, consiste à placer un document sur une liste (" document at liste "), quel que soit l'outil de traitement utilisé.

Déplaçons légèrement cette sacrée voyelle et voyons, petits voyous, ce que ça donne.

Documentalaste me fait penser à une sorte d'iconoclaste documentaire, celui ou celle qui a tendance à se débarrasser trop rapidement de certains documents qui pourraient peut-être servir un jour.

Documentaleste, pur produit des actuels IUT, licences et maîtrises ou DESS du domaine info-doc-comm qui cherchent à donner un souffle nouveau à la documentation.

Documentaliste, je passe... (mais j'ai quand même bien envie de mettre en valeur ici une catégorie particulière, le dozertaliste, qui vous décape en un temps record des tonnes de couches documentaires, à la grande satisfaction de sa hiérarchie).

Documentaloste, qui m'amène au documentalostéopathe, celui qui vous remet vite et brutalement en forme un usager se plaignant en permanence de ne pas être bien servi.

Documentaluste, sans doute plus fertile avec la dérive...

Documentalustre, qui, comme son nom le suggère, brille du feu de ses lumières documentaires, mais qui peut aussi renvoyer aux stratifications successives du thésaurus (attention aux thésaurustres !) ou du bulletin bibliographique.

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Variation 3 - Ciel, ma (mon) documentaliste !...

 

Trêve de plaisanterie, essayons d'être plus convaincants. Soyons efficaces, modernes, post-modernes. Tentons le ciel. Logiciel, collecticiel, didacticiel...

Informationnel... Tu triches, il n'y a pas de ciel dedans...

Informaticiel... A voir : un qualificatif utile pour se démarquer des pures productions informatiques ou informaticiennes.

Informenciel... Sans doute à réserver aux experts de l'intelligence économique.

Documenciel... Enfin quelque chose de sensé : on pourrait définir un documenciel comme une sorte d'hyper-document général et générique produisant, de façon programmée, des effets voulus lors de sa consultation (on n'est pas loin du document numérique hypertextuel) ; le présent texte pourrait être considéré comme un vrai documenciel prêtant à rire et à rêver.

Mais du documenciel, on peut vite tomber dans le...

Documentiel... " C'est documentiel, ce que vous me demandez de faire ! ", s'indigne la documentaliste, surchargée, devant les exigences de son chef de service pour plus de productivité dans le catalogage et l'indexation des documents !

Et l'autre de répondre, pour la motiver : " Mais c'est documental, ce que vous faites ! Bravo, continuez ! "

De là, le (les) documentalisme(s), variante noble, élitiste, de la documentation, peut-être aussi vision conquérante, planante (qui vise l'accès planétaire à la base de données) d'une certaine industrie de l'information, ou plus certainement dérive fondamentaliste des ayatollahs de l'indexation. Au choix.

Mais revenons quelques instants au documenciel dont la sortie à dates régulières (comme le périodique) pourrait amener à imaginer plusieurs catégories de produits comme le...

Documensuel, et plus fréquemment le...

Documadaire réalisé par une ou un documentaliste qui a la bosse des mots sans être pour autant chameau (cette fois-ci sans jeu de mots).

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Variation 4 - Si tu mens (document), tu iras en enfer !...

 

Vous allez me dire que, comme pour Internet, il va falloir se méfier des contrefaçons, des abus et des dérives. Les mots peuvent être trompeurs...

Ainsi, le documentaliste, dont le métier est finalement de documenter le monde, ne risque-t-il pas de se voir traiter de documenteur et la documentaliste de documenteuse ?... (La honte !) Une professionnelle dévoyée qui pourrait jouer de ses charmes et peut-être devenir une documente religieuse, véritable croqueuse de dévots usagers.

Avec de telles tromperies, ne risque-t-on pas, comme c'est déjà le cas avec les photomontages ou avec le photocopillage si fréquemment dénoncé par la profession, de passer son temps désormais à faire du documontage, plus ou moins douteux, le documentaliste devenant de plus en plus un documonteur, par exemple de sites web Internet ou Intranet ?

Pouvons-nous rester indifférents face à certaines évolutions perverses du métier ? Certains préconisent depuis longtemps un repositionnement par rapport au " sens " (attention toutefois à ne pas transformer le ou la documentaliste en sensualiste, ça ferait à nouveau jaser) et suggèrent d'éviter la focalisation de la profession sur la seule maîtrise des outils techniques (on pense ici aux traditionnelles approches manufacturières de la chaîne documentaire... qui exigent des professionnels qu'ils ou elles travaillent encore à la chaîne). D'autres militent pour des démarches plus dynamiques, proches de la culture des " décisionnaires " ou " décisionnels ", et proposent, comme formulation, la...

Documentaction (et la " documentraction avant "), ce qui n'est peut-être qu'une...

Documentactique pour se faire reconnaître dans son entreprise ou organisation.

Une autre perspective s'ouvre avec l'information dite documentaire. Un adjudant-chef d'une caserne versaillaise avait placardé dans son secrétariat le slogan suivant : " Dans secrétaire, il y a secret et se taire " (sic). Vous imaginez bien vite que, dans documentaire, un esprit simpliste pourrait trouver les mots do, cu, ment et taire... Toute une philosophie des postures et du positionnement professionnels. Ne prenant en compte que le dernier de ces mots cruciaux, irait-on alors jusqu'à dire que la documentation est l'art de se taire et de se terrer dans sa documensarde ?... Un comble !

Non, il vaut mieux évoquer de façon plus positive la riche information documenterre (à mettre en liaison hypertextuelle avec le documenciel) et même documenterranéenne, pour qualifier l'action azurée du groupe régional ADBS en PACA (région Provence-Alpes-Côte d'Azur, pour les lecteurs ne résidant pas en France) !

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Variation 5 - Document, quand tu nous tiens !...

 

En fait, nous osons rarement remettre en cause ce mâle document qui nous enchaîne au moment où nous voudrions nous échapper vers d'autres espaces sémantico-professionnels. Or beaucoup de professionnels ne supportent plus d'être (injustement) considérés comme des documentosaures, espèce dont l'évolution s'est définitivement arrêtée au Sélecto et au booléen primaire.

L'échappatoire pourrait consister à se caler sur l'autre face du document, sa moitié, sa composante féminine donc, à savoir l'information, d'où les possibles...

Informateur, celui qui fréquente les RG, le SDECE, etc., cafteur de première, et informatrice, pour tenir compte des débats récents sur la féminisation des fonctions en France.

Informatiste, une belle invention, qui n'est malheureusement pas passée à la postérité universelle (dommage pour l'équipe marocaine qui a adopté cette dénomination).

Informatoriste qui, comme le frigoriste, jette un regard froid sur les systèmes infodocumentaires (d'une certaine façon, un spécialiste non pas du gel, mais de la GED).

Informailer, quand on pratique abondamment et exclusivement la messagerie électronique fugace (et non plus les lourdes bases de données dinosauriennes).

Informielleux, celui qui pratique une forme de médiation professionnelle... mielleuse, et qui n'a sans doute pas suivi assez de séminaires d'analyse transactionnelle.

Quant au nouveau professionnel de l'information-documentation (ID) sur lequel on fonde beaucoup d'espoirs et dont on cherche à esquisser aujourd'hui le très complexe portrait-robot, ne serait-on pas tenté de l'appeler tout simplement un IDiste ?... A moins que ce ne soit finalement là qu'une proposition d'incurable Idéaliste...

Bon, tout cela ne semble pas génial. Alors, allons voir du côté des mots vedettes " in ", comme la veille.

Veilleur : Bach a déjà pensé à lui avec son " Choral du Veilleur ", hymne international à proposer à nos amis de SCIP pour les professionnels de la veille. Certains considèrent toutefois (et Bach met bien l'accent là-dessus), que le mot renvoie paradoxalement trop à l'idée du sommeil. Ils préfèrent parler de vigilance, d'où les possibles...

Vigier : pas terrible, mais qui ferait bien la différence avec le triste soutier documentaire.

Vigile : ce qui peut créer une association douteuse avec le Vigile Pascal, ou qui renvoie à la déplorable image d'un professionnel " porte de prison ".

Vigileur : pourquoi pas !

Vigilent : pas assez vif.

Vigitaliste, documentaliste mutant vers la veille et qui, pris dans une sorte de dérive des continents professionnels, tend à s'éloigner rapidement de Documentaliste, la très maternelle revue nourricière de sa profession originelle.

Vigirate, ou vigirafe, qui permettraient de bien illustrer le concept de veille, lors de top-conférences pour manageurs.

Reste encore l'approche par le knowledge management (KM), nouvelle perspective ouverte récemment pour moderniser la profession. Heureusement que nous avons les Anglais ! Eux ne s'embêtent pas de telles considérations terminologiques : information manager, records manager, knowledge manager... tout finit à la sauce manager. Mais allez donc essayer de traduire ça en français !...

Gestionnaire de connaissances ? Trop long sur une carte de visite !

Cogniticien ? C'est déjà pris et ça n'a rien à voir, tout au plus pourrions nous être simplement... cognitichien ou cognitichatte.

Connaisseur ? Non, ça ne peut pas marcher (sauf pour certains professionnels qui sortent du lot et qui figurent sur la liste des conseils de l'ADBS).

Connaissaliste ? Pas convaincu du tout.

Connaissathécaire ? Ah ! Voilà qui en impose et qui permettrait d'imaginer un grade supplémentaire à prendre en compte dans les statuts de la fonction publique, avec variation du niveau de salaire selon les volumes de gigabits gérés.

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Finale

 

En 1994, l'ADBS publiait un excellent recueil de textes intitulé Facettes : réflexions multiples sur l'information, textes réunis et présentés par Chantal Dentzer-Tatin qui me faisait par ailleurs l'honneur et le plaisir de me demander un court propos pour la quatrième de couverture. Et là, surprise : un merveilleux poème de Claude Nougaro, Les Mots. L'artiste y évoque " les mots pour rire, les mots dits pour te maudire, la faim des mots, les mots qui muent, les mots bouclés, clés de l'espace... et la fin des maux ".

Et bien moi, je n'ai pas encore trouvé mon mot, celui qui aurait pu remplacer documentaliste et qui aurait été ce fameux mot de la fin, pour autant que la documentation soit une faim en soi. Tant pis, à d'autres de rebondir à présent, je me contente volontiers de n'être qu'un vil cogitateur irresponsable.

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Coda

 

Non, ce n'est pas encore fini ! A peine ébauché, ce petit dictionnaire de la documentation vivante bénéficie de nouveaux apports (ceux de mon fils, de quelques collègues documentartistes, et du documentracteur en chef de la revue lui-même...). " Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage " (principe sisyphien bien connu)... Oui, bien sûr ! Mais je pense qu'il serait désormais préférable de considérer cette construction terminologique, ce mini-lexique, comme la première pierre d'une œuvre collective à construire et développer (work in progress).

Dans cet esprit, je suggère que toutes les formations universitaires du secteur information-documentation obligent leurs étudiants à produire et insérer une page de telles définitions dans leurs mémoires de fin d'études, juste avant la rubrique " références bibliographiques ". J'imagine aussi la mise sur Internet (sur Sitebib notamment) d'un tel vocabulaire commenté relatif aux sciences de l'information, de la documentation et des bibliothèques. Je rêve enfin de la création d'un prix ADBS (" le dochumoriste de l'année "), à décerner lors du congrès IDT à la meilleure contribution à cette encyclopédie collective de documenthilarisme.

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