FORMATION, COOPERATION

ET DEVELOPPEMENT PROFESSIONNEL

LA DOCUMENTATION EN ROUMANIE

JM 313

Jean MICHEL

http://www.enpc.fr/~michel-j/INDEX.html

Interview pour la revue Bibliotéca (Roumanie), revue de bibliologie et de science de l'information, n°12, pp.381-384, écrit en octobre 1998

par Nicoleta MARINESCU, BCU Iasi (Roumanie)

 

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A Caen, aux Rencontres Biblio-Fr, j'ai eu la chance de participer à un atelier de travail sur la formation, débat modéré par Jean Michel (http://www.paris.enpc.fr/~michel-j/INDEX.html), un grand ami des spécialistes roumains. Là , j'ai eu le bonheur de lui remettre (sous les applaudissements de l'assistance,... plus de 200 personnes), le Prix d'Excellence de l'association des documentalistes roumains (Info-Doc-Rom), comme témoignage de sa collaboration intime avec nos spécialistes. L'interview realisée grâce a son amabilité et sa réceptivité exemplaires, et aussi avec l'aide précieuse de l'Internet qui rend le contact très facile, est une invitation a réfléchir sur les questions de FORMATION et de COOPERATION.


1.Malgré vos multiples activités (voir votre page personnelle : Président..., Vice-président...) votre collaboration avec les spécialistes roumains devient de plus en plus efficace. A quand en remonte le début?

Le début de ma collaboration avec les documentalistes roumains remonte à octobre 1994. C'était à l'occasion d'un séminaire sur la documentation organisé conjointement par les deux ministères de l'équipement ou de la construction de Roumanie et de France . Alors que je présentais une communication sur les évolutions de la profession (j'étais alors Président de l'ADBS, l'Association des professionnels de l'information et de la documentation en France), deux ou trois collègues roumaines sont venues me demander d'engager une collaboration plus intense (je crois me souvenir qu'il s'agissait de Doina Banciu, Rodica Mandeal et Sanda Popescu).

A dire vrai, j'avais déjà eu l'occasion de coopérer avec des amis roumains, à l'occasion de la préparation d'une conférence qui s'était tenue en 1993 à l'Institut Polytechnique de Bucarest sur le thème " Computer Aided Engineering Education " (on quitte ici la documentation pour d'autres pistes de recherche personnelle sur la formation des ingénieurs et sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication).

Après le séminaire d'octobre 1994, je suis repassé à Bucarest en février 1995 où j'ai pu donner une conférence et discuter avec mes amis roumains de la création d'une nouvelle association professionnelle (l'InfoDocRom) et préparer une opération plus importante en septembre 1995 sous la forme d'un séminaire national qui a connu un réel succès. A cette occasion, j'ai pu rencontrer de nombreux professionnels, à l'INID, à la Bibliothèque Nationale et dans d'autres institutions.

A partir de là, la coopération s'est poursuivie avec l'organisation de la venue à Paris d'une délégation roumaine au Congrès IDT, avec de nouvelles missions réciproques d'information, avec des échanges de publications, avec d'autres conférences données au cours des dernières années. Elle se prolonge aujourd'hui avec l'implication d'InfoDocRom dans le programme européen de certification DECID pour lequel j'ai tenu personnellement à ce que l'association roumaine soit étroitement associée.

A titre personnel, je tiens à dire que j'aime vraiment beaucoup cette relation avec les collègues et amis de Roumanie. J'y attache beaucoup d'importance, pour des raisons qu'il serait trop long d'évoquer ici, mais qui sont sincères et réelles. Je crois que nous nous comprenons bien réciproquement, même si nous n'abordons pas toujours les choses de la vie professionnelle de la même façon (et avec les mêmes moyens, je le regrette).


2. Cette collaboration vous a donné la possibilité de suivre les changements subis par les gestionnaires de l'information , mais aussi de comprendre la nouvelle perception de la jeunesse vis-à-vis de l'information. Que pouvez-vous dire de cette évolution?

Les professionnels roumains de la documentation et des bibliothèques me paraissent très sérieux dans leur façon de voir leur mission, conscients aussi de leurs responsabilités. Ils et elles sont avides d'apprendre, de montrer leur capacité à progresser. C'est la raison majeure pour laquelle j'aime coopérer avec les uns ou les autres.

Bien sûr, les outils, les moyens techniques font encore souvent défaut. Mais je ne pense pas que cela soit un handicap qui durera. Je perçois par contre une réelle difficulté, chez certains de ces spécialistes, à bien comprendre ce qui est en train de se passer, à maîtriser les changements de paradigmes relatifs à la documentation et aussi à se mettre dans une perspective économique, socioprofessionnelle et managériale qui n'est plus celle de la période antérieure. C'est sur le plan des idées que des évolutions doivent se produire en priorité maintenant, d'où l'importance de la coopération avec d'autres professionnels à l'étranger, ou encore celle de certains projets comme DECID sur les qualifications et sur la certification des compétences. Il faut penser désormais management ouvert, diversité et hybridation des solutions, maîtrise des coûts et de la qualité, innovation et créativité, mobilisation des intelligences et des compétences, .... En tant que spécialiste des méthodes d'analyse de la valeur et de créativité, je perçois là un champ de possibles à explorer sans tarder pour les professionnels roumains.

Lors d'une conférence à l'Université de Bucarest en mai 1998, j'ai eu le plaisir de constater combien les professionnels présents dans la salle étaient intéressés par des propos qui allaient bien au delà des considérations techniques. J'ai eu également le sentiment que la jeune génération, les étudiants présents, ne demandait qu'à avancer sur ces terrains. Tout cela est bon signe.

 


3. Nous vivons une époque passionnante, où tout va très vite. Une époque faite de grands changements et d'opportunités : tous les marchés sont ouverts à la concurrence mondiale, le rythme du développement technologique s'accélère. Dans cette société cognitive (informationnelle) quel est le rôle de l'autoformation?

La question est cruciale. Pour moi, la société de l'information ou société informationnelle est fondamentalement une société de la connaissance et de l'intelligence. Il n'y pas pour moi de frontière, de barrière, entre s'informer et apprendre, entre se documenter et se former. Documentation vient de docere qui veut dire enseigner. Arrêtons donc de considérer les services ou centres de documentation (ou les bibliothèques) comme des structures indépendantes des projets éducatifs, des projets de formation. Je suis pour l'Université Documentaire (ce qui est en soi une tautologie). Dans ce contexte et surtout si on tient compte des NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication), il sera de plus important d'assurer un service d'autoformation dans la société, basé sur le recours à des ressources didactiques et documentaires disponibles ici ou là. Les besoins d'autoformation sont gigantesques et très variés. Les centres de documentation et les bibliothèques doivent se repositionner par rapport à cet enjeu.

On ne fait pas de la documentation pour faire de la documentation, ça n'a pas de sens. On fait de la documentation pour aider la société à progresser, à se développer, à innover, pour aider les individus simples citoyens ou professionnels à faire évoluer leur savoir, leurs compétences. Si les structures et les professionnels de la documentation et des bibliothèques comprennent bien cela et relèvent le défi qui leur est proposé avec l'accès le plus large à la connaissance et avec l'autoformation, alors il y aura vraiment transformation profonde du métier et de la profession. J'attends cela avec impatience.


4. On parle de formation permanente, mais on a commencé à véhiculer le concept de formation tout au long de la vie, qui demande au jeune diplômé universitaire d'ajouter d'autres compétences : le sens de la communication, la capacité à travailler en équipe, la créativité, l'initiative, la flexibilité. Ce sont des compétences obligatoires tant pour le spécialiste que pour le manager.

C'est un thème récurrent, dans toutes les professions. Chez les ingénieurs, nous ne parlons que de cela : formation continue, formation permanente, formation tout au long de la vie ; des structures nouvelles se mettent en place pour accompagner cette tendance profonde qui consiste à dire qu'on n'en finit pas d'apprendre (comme l'indiquait la titre d'un ouvrage du Club de Rome des années 80, " No Limits to Learning ").

Les spécialistes de l'information-documentation sont confrontés plus que d'autres à la nécessité de la formation permanente. Les paradigmes changent brutalement, les méthodes et les outils changent rapidement. Il faut actualiser ses connaissances, acquérir en permanence de nouvelles compétences. Pourrait-on imaginer, à l'heure d'Internet, que des professionnels continuent à travailler avec des outils des années 60 comme le Sélecto ou restent " configurés " selon les schémas appris à l'Ecole, une fois pour toutes, à l'âge de 20-25 ans ?

Pour le professionnel technicien, ce sont bien sûr les outils et les méthodes qui sont au cÏur des stratégies de formation permanente. Pour le professionnel manager, c'est une autre perspective qu'il faut prendre en compte : se former aux méthodes de la compétitivité, de la qualité, du management des ressources, maîtriser l'interculturalité, l'approche systémique, les techniques de résolution de problème, la créativité.

Il me semble que c'est vraiment sur ce terrain de la formation continue ou permanente que l'effort doit être fait rapidement en Roumanie. Cela ne concerne pas seulement quelques personnes arrivées au top-niveau de la hiérarchie professionnelle et qui auraient la chance de pouvoir connaître ce qui se fait de meilleur un peu partout dans le monde. C'est vraiment un plan national de développement de l'ensemble des compétences professionnelles qu'il convient de mettre en Ïuvre à travers des programmes de formation permanente ou continue appropriés. Et cette formation continue doit être développée pour les différentes composantes de l'intervention professionnelle (traitement du document, recherche documentaire, nouvelles technologies, management, médiation professionnelle,...), en utilisant tous les outils et ressources aujourd'hui à disposition. C'est à mon sens sur ce terrain que doit intervenir prioritairement une association professionnelle en mettant en place les moyens les plus appropriés de cette formation permanente, en partenariat avec les pouvoirs publics, les grandes institutions spécialisées, les entreprises. La coopération avec d'autres associations professionnelles étrangères sur ce terrain paraît également devoir s'imposer.


5. L'Internet avec ses facilités, notamment les listes de diffusion et la messagerie électronique, (cette interview est la preuve que NTIC sont réellement très utiles), nous donne la possibilité d'être chaque jour au noeud des problèmes mondiaux. Je participe depuis 1996 à la liste Biblio-Fr. Et dès cette année, après les rencontres de Caen à celle de l'ADBS (Adbs-Info). Notre bibliothèque en a déjà deux : une pour le monde des bibliothèques et bibliothécaires (Biblos) et une autre Aleph , pour les utilisateurs de ce logiciel. Bientôt, peut-être nos associations professionnelles aussi! Pouvez-vous parlez de leur rôle , de leur importance ?

Je suis un très chaud partisan et un grand utilisateur des listes de discussion (ou de diffusion) électroniques. C'est un véritable outil de soutien au développement professionnel collectif et d'aide à la résolution de multiples problèmes. C'est le principe de solidarité à l'état pur, principe vieux comme le monde (qu'on retrouve dans la création et le développement des revues et des congrès scientifiques et techniques par exemple).

A titre d'illustration, je peux citer la liste ADBS-INFO que je connais bien pour l'avoir créée, en France, avec une collègue et amie (Marie-Anne Ollivier) et pour y animer quelques débats. En 3 ou 4 ans, la liste est devenue un véritable lieu d'échange incontournable : 1800 professionnels sont inscrits, 10 questions environ sont posées chaque jour, des synthèses sont rediffusées régulièrement pour le bénéfice de toute la communauté. J'aurais pu citer aussi le développement assez exceptionnel de Biblio.Fr en France (plutôt centrée sur les préoccupations des bibliothécaires). Je me demande au fond si les fourmis, si bien organisées, n'utilisent pas en fait, secrétement, des listes de diffusion électroniques.

On peut mettre sur pied différentes listes de diffusion, pour différents objectifs et selon différentes modalités (je gère actuellement une dizaine de telles listes, purement françaises ou très internationales, sur des thématiques allant de l'intelligence économique à l'analyse de la valeur, en passant par la formation des ingénieurs ou le développement des universités virtuelles). Quel plaisir, intellectuellement parlant, d'animer de telles listes et de suivre les échanges. On y apprend plein de choses, on progresse dans la connaissance à une vitesse incroyable et cela en bénéficiant du meilleur de ce que les individus et les groupes peuvent offrir. Enfin, ce sont des outils très simples à utiliser, pas chers, pleinement intégrés au système de bureautique personnel.

Il faut comprendre que derrière ce fonctionnement des listes de diffusion, c'est une toute autre approche du métier qui se développe. L'information n'est pas seulement dans les livres (même si ceux-ci restent essentiels), elle est d'abord et avant tout dans la tête, dans les savoirs et les savoir-faire des individus. C'est donc une gestion de l'information vivante, interactive, non plus seulement fossilisée. Ce que je crains vraiment, c'est que le fossé s'agrandisse rapidement entre ceux qui peuvent bénéficier des apports de ces outils et ceux qui restent en retrait. Pour être plus clair encore, je dirais qu'il devient urgent pour les professionnels roumains de la documentation de mettre sur pied et de faire vivre de tels listes de discussion ou diffusion électroniques que l'on peut appeler des collecticiels de résolution de problème et de développement professionnel.


6. Quatre bibliothèques universitaires roumaines (BCU-Iasi, BUT Iasi, BCU Cluj, BU Sibiu) ont bénéficié d'un projet TEMPUS PEC S JEP 9506-95 sur " La restructuration de la gestion des bibliothèques universitaires ". En ma qualité de coordinatrice pour les bibliothèques de Iasi, j'ai eu la possibilité , moi et mes collègues, de vérifier nos compétences et à la fois d'en acquérir d'autres et à penser à envisager d'autres projets coopératifs. Le partenariat reste le chemin à suivre par tous, dans une société informationnelle. Quel est votre opinion vis-a-vis de ce sujet?

Sur ce point, je dirai que les projets de développement deviennent de plus en plus complexes et nécessitent l'intervention de nombreux partenaires. On le constate à l'évidence dans les divers programmes européens. Il faut donc savoir travailler à plusieurs, mettre sur pied des partenariats, développer des synergies. Il faut jouer des complémentarités de compétences. C'est cela l'approche moderne de la conduite de projets.

Ces projets développés en commun, à plusieurs venant d'horizons différents, sont une occasion de progresser ensemble de façon originale. Ceux qui restent isolés, enfermés dans leurs certitudes ou leurs petites baronnies, seront marginalisés de façon irrémédiable dans la nouvelle société de l'information, ouverte, transparente, interactive, mondiale. La partenariat est la seule issue. Le travail coopératif est une stricte nécessité et en même temps une richesse.

Je crains fort toutefois que les professionnels roumains n'aient pas encore bien appréhendé cela. Je constate malheureusement (et vu de l'extérieur, je le reconnais) une faible motivation pour un tel travail coopératif (méfiance, doute, rivalités stériles,...) alors que ce serait pourtant la voie privilégiée pour avancer à la même vitesse qu'ailleurs !...


7. Les évènements politiques de 1989 ont permis aux spécialistes et aux lecteurs de la bibliothèque traditionnelle, aux spécialistes de la documentation de connaître sur place, à l'Ouest, les développements de l'informatisation, que jusqu'à cette période, on n'appréhendait que dans les pages des revues de spécialité (voir la revue Biblioteca). Les projets communautaires, les relations personnelles ont aidé nos établissements qui gèrent l'information à commencer une autre étape, de mettre dans la pratique quotidienne les compétences acquises par nos collègues dans des stages de formation. Le choc de l'informatisation fut le même à l'Ouest et à l'Est. Pouvez-vous développer ce sujet?

L'informatisation a été et est un traumatisme dans beaucoup d'institutions. Je m'intéresse tout particulièrement à ce sujet et je vois combien sont nombreux et graves les échecs, les problèmes liés à cette informatisation mal introduite.

En général, des informaticiens imposent des solutions que rejettent les acteurs censés utilisés les outils. Au bout d'un certain temps, on constate que ça ne fonctionne pas bien parce qu'on a oublié pas mal de choses. Les équipements ne sont pas adaptés, les logiciels ne sont pas au point, les formations des personnes n'ont pas été assurées, les managers n'ont pas compris les exigences de l'informatique, etc.

Il faut prendre le problème de l'informatisation comme un tout, dans sa globalité la plus large. Il faut faire cohabiter dans un projet d'informatisation des machines, des hommes, des espoirs et des peurs, des contenus informationnels, des logiciels, des clients, des techniciens, des investissements, de la maintenance, etc. En tant que consultant intervenant dans de nombreuses organisations françaises ou européennes, je ne peux que constater les échecs répétés de démarches d'informatisation mal pensées. Dans ma propre institution, l'Ecole nationale des ponts et chaussées à Paris, on s'est rendu compte récemment que les personnels (pourtant tous connectés Internet, disposant de logiciels de traitement de texte, etc.) ne maîtrisaient absolument pas les concepts fondamentaux en arrière plan de toute cette nouvelle technicité. Cela nous a amené à mettre en Ïuvre en urgence un plan de formation pour ré-expliquer le b-a-ba de l'informatique et de la bureautique aussi bien à des secrétaires qu'à des chercheurs ou des directeurs de département. Il a fallu leur faire comprendre que la messagerie électronique, la navigation sur Internet, le traitement de textes, la bureautique, la gestion de bases de données étaient autant de facettes d'une seule et même démarche de production, gestion et utilisation du document numérique, infiniment réexploitable.

Le problème est le même avec l'informatisation des bibliothèques. Le nouvel outil est utilisé avec la habitudes et les schémas mentaux de la génération précédente (placage d'une couche technologique nouvelle sur des pratiques antérieures parfois archaïques) alors qu'il faudrait penser désormais autrement les fonctions et les gestes de la profession. Il y a donc urgence à mettre sur pied de sérieux programmes de formation qui s'attaquent à ce problème et qui ne limitent pas aux seuls apprentissages instrumentaux ; il faut aller plus en profondeur, plus au niveau de ce que représente et de ce qu'implique l'informatisation dans la transformation des façons de penser, de travailler, de communiquer.


8. En vue de mondialiser le métier, la profession, en vue de donner les mêmes compétences pour les gestionnaires de l'information de l'Ouest et de l'Est, la Commission Européenne offre un bon nombre de programmes de mobilité, utiles à la formation des personnes. Mais la formation reste le problème-clé pour tout domaine d'activité. A mon avis, la source des conflits dans une communauté reste la manque de formation. Que pouvez-vous dire a ce sujet?

Beaucoup de projets sont développés actuellement qui mettent l'accent sur la coopération européenne. Dans le domaine de la formation des ingénieurs (que je connais bien), cela donne naissance à des programmes assez avancés touchant soit à des questions d'accréditation, de certification ou de reconnaissance réciproque de cursus ou de diplômes, soit à des développements de nouveaux dispositifs éducatifs basé sur l'usage des nouvelles technologies de l'information (universités virtuelles), soit sur des coopérations entre établissements de formation et milieux économiques et industriels. Dans le domaine des bibliothèques, ces projets communautaires sont aussi très importants et touchent toutes les facettes de nos activités. A titre d'exemple, je citerai le projet EDUCATE auquel j'ai contribué, en partenariat avec 6 institutions universitaires d'Europe ; il nous a permis de mettre sur pied un cours électronique très complet de formation à l'information (" user education "), disponible aujourd'hui sur Internet et se transformant désormais en une plate-forme internationale pour de nouveaux développements dans ce domaine de la formation à l'usage des ressources informationnelles et documentaires (INTO INFO).

Cette coopération intra-européenne est vraiment déterminante pour beaucoup de projets et il me paraît essentiel que les collègues roumains puissent y participer. Mais il y a aussi d'autres possibilités que celles offertes par la coopération intraeuropéenne ; je citerai par exemple les programmes d'action menés dans le cadre de la francophonie (AUPELF-UREF, Université Virtuelle Francophone) auxquels les institutions roumaines peuvent participer.

Il est important de savoir que dans ces différents programmes, on demande en général que soient associés aux projets présentés pour financement, des partenaires de certains groupes de pays. La Roumanie est directement concernée,... alors pourquoi ne pas forcer un peu le destin ?


9. Les projets communautaires, les bourses de mobilité, l'échange des spécialistes de l'Ouest vers l'Est et de l'Est vers l'Ouest ont établi les bases de la collaboration et des projets coopératifs. A mon avis, l'aide la plus importante donnée par l'Ouest a l'Est consiste dans une autre perception sur l'information, sur l'établissement qui gère l'information, sur le personnel qui la maîtrise, sans oublier l'utilisateur, qui par ses impôts contribue au développement d'un système (structure) informationnelle. Un régime politique peut-etre changé dans une nuit, mais quid des mentalités...

Question plus délicate, qui renvoie à une question difficile : qui peut aider qui et au nom de quoi ?

Je vais être clair et direct. L'Europe de l'Ouest (la France notamment) ne peut pas se désintéresser de ce qui se passe dans un pays comme la Roumanie. Nous sommes solidaires dans une société de plus en plus ouverte au plan mondial. Nous sommes des peuples latins ayant certaines affinités. Nous sommes une partie essentielle de l'Europe qui peut faire valoir une certaine spécificité culturelle. Dans le cadre de la mondialisation (globalization in English), il faut serrer les coudes et les rangs. Nous avons chacun un héritage culturel unique, exceptionnel. Notre diversité est une richesse. Il serait dommage qu'elle disparaisse sous la pression de MacDonald, Coca Cola ou Bill Gates.

La coopération Ouest-Est ne peut plus être basée exclusivement sur la seule question de la gestion du rattrapage des décalages engendrés par des systèmes politico-économiques différents. Je la perçois beaucoup plus aujourd'hui comme une démarche lucide de recherche de synergie entre des valeurs authentiques spécifiques. La société roumaine a ses propres valeurs, ses propres référentiels. Il lui revient de les promouvoir dans le cadre d'une Europe ouverte, multiculturelle, qui peut défendre certaines valeurs communes face à des appétits inadmissibles qui voudraient gommer ces spécificités culturelles.

Si je me limite à la coopération franco-roumaine, je suis persuadé que les deux nations ont tout à gagner à un développement de leurs collaborations, et les professionnels de la  documentation ne peuvent que profiter d'un échange confiant et solide d'expérience et de connaissance. Vraiment, je tiens à le dire ici publiquement, vous, amis roumains, pouvez nous apporter beaucoup à nous en France, si vous savez mettre en valeur vos propre originalité.

 


10. On parle de plus en plus de formation à distanceÉ Une université privée de Bucarest offre déjà un télé-enseignement, grâce a une chaîne locale privée de la TV de Iasi. Quel est l'avenir de cette formation à distance, universitaire et pas seulement?

Voilà une question qui pourrait nécessiter un livre de 500 pages pour y répondre. Je travaille quotidiennement sur ce sujet. Les réalisations d'enseignement à distance, d'autoformation, de télé-enseignement se multiplient par milliers ici ou là. Mais on n'a pas encore complètement perçu ce qui était en train de se passer . Aujourd'hui le concept d'université virtuelle devient un concept clé. Il suppose une nouvelle relation à la connaissance, il implique une nouvelle  relation au savoir (en construction). On n'a plus besoin de construire des universités avec des murs, on a besoin de réseaux, de matériaux pédagogiques et documentaires accessibles en ligne ou sur cedéroms. Cette formation à distance, ces universités virtuelles modifient profondément les rapports des individus à leur savoir et leurs rapports aux autres apprenants. Elles modifient également les rapports à l'espace et au temps, apportent plus de flexibilité, transforment encore l'économie de l'apprentissage.

La question devient plus angoissante encore dans le contexte de la formation des professionnels de l'information et de la documentation, qui devraient être normalement aux avant-postes de la révolution. Malheureusement, je dois constater que ce n'est pas dans ce domaine que se multiplient les initiatives, comme si les professionnels de la documentation étaient profondément conservateurs. Pourtant de la bibliothèque virtuelle à l'université virtuelle, il n'y a qu'un petit pas à franchir !...

Voilà, en tout cas, un terrain à privilégier pour la coopération et une priorité à prendre en considération pour la formation des professionnels roumains, tant en formation initiale qu'en formation continue.