LE MANAGEMENT DE L'INFORMATION-DOCUMENTATION

UN ENJEU STRATEGIQUE POUR LA SOCIETE

LA NOUVELLE MEDIATION PROFESSIONNELLE

DE NOUVELLES PERSPECTIVES POUR LES SERVICES PUBLICS

JM322

Jean MICHEL

Publications Jean MICHEL
Page d'accueil Jean MICHEL

Communication faite au Colloque organisé par le Ministère de l'Equipement le 14 octobre 1999.

PLAN

1 - Document numérique, hypermedia et Internet

2 &endash; L'émergence de la société de l'information

3 &endash; Un nouveau regard sur l'information et de la documentation

4 &endash; L'information-documentation : quelques définitions

5 - Une approche fonctionnelle du management de l'ID

6 &endash; La valeur ajoutée des professionnels de l'ID

7 - L'information-documentation du domaine public

 

1 - Document numérique, hypermedia et Internet

Au cours des dix dernières années, de grandes évolutions se produisent en matière de technologies de l'information et de la communication qui conduisent à de profondes et irréversibles transformations dans tous les secteurs de la société (économie, formation, loisirs, documentation, administration,…) et donnent naissance à des usages, produits et services réellement innovants. Cet environnement constitué de technologies qui convergent, se complètent, fusionnent peut se caractériser par :

- la généralisation de l'ordinateur (et surtout du micro-ordinateur) ; l'outil informatique est le prolongement le plus puissant du bras et de la pensée de l'homme ("du bic au bit"), il assure l'appui logistique des activités, il contribue à la préservation de la mémoire, il donne accès au monde entier, il permet à la fois autonomie et solidarité ;

- le développement des hautes capacités de stockage et l'augmentation des hauts débits : cédéroms, DVD, technologies RNIS, ASDL, ATM, réseaux à haut débit (20 Mbits, 155 Mbits,…) : les coûts marginaux de stockage et de transport des objets informationnels de ou documentaires de plus en plus ambitieux (musique, cinéma, vidéo en ligne,…) ;

- le passage obligé par le document numérique : désormais tout se met, se manipule et s'exploite sous la forme de suites de bits O ou 1, quels que soient la nature, le format, l'origine, le standard du document ; le document numérique, devient le véritable dénominateur à toute communication d'information et de documentation, il apporte flexibilité, malléabilité (y compris de développer des usages interdit par la loi) ; il conduit aussi à faire chuter les coûts de stockage, de manipulation et de diffusion de l'information ;

- le développement des réseaux ouverts au protocole TCP/IP : comme le dit Huitema dans son livre ""Et Dieu créa l'Internet", la révolution en cours consiste à mettre l'intelligence à la périphérie des systèmes (pourquoi centraliser quand on peut mettre les ressources en réseau, partager, échanger, au niveau d'ensembles très vastes, d'entités très éloignées) ;

- l'hypertexte et le virtuel, sans doute la révolution "culturelle" la plus importante : les documents renvoient désormais à d'autres documents conduisant par là même au tissage d'une vaste toile mondiale ; on passe ainsi du pyramidal possessif au systémique permissif ;

- grâce aux progrès de l'ingénierie linguistique, on dispose désormais d'outils puissants qui facilitent le dialogue homme-machine, permettent de rechercher des informations précises sur le Web ("la toile") et d'absorber l'hyperabondance ;

- ajoutons enfin la convergence de toutes ces technologies : la bureautique rencontre le Web, l'ordinateur et la télévision s'interconnectent, l'appareil photographique numérique, le scanner, le téléphone portable deviennent autant d'instruments connectés au Net et même le four à micro-ondes et le distributeur de boissons sont à deux doigts d'avoir leur adresse IP.

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2 &endash; L'émergence de la société de l'information

Les mutations technologiques évoquées ci-dessus conduisent de façon certaine à des changements importants dans les pratiques (productives, culturelles,…) des hommes et des organisations. Elles transforment à l'évidence les modalités de communication, de travail, de formation, obligent à repenser les organisations en place, les procédures et les règles en usage et à retrouver ou redéfinir de nouvelles cohérences dans des environnements complètement modifiés dans l'espace comme dans le temps (un espace temps ubiquitaire - Pierre Levy -). Les TIC - Technologies de l'Information et de la Communication- obligent à revoir certains schémas et à trouver de nouveaux équilibres:

- entre centre et périphérie

- entre ici (local) et ailleurs (distant)

- entre synchrone (en même temps) et asynchrone (en temps décalé)

- entre réel et virtuel

- entre consommateur et producteur

- entre stabilité-structuration-permanence et fluidité-flexibilité-fugacité

Aucun domaine de l'activité humaine ne peut être à l'écart de cette révolution informationnelle. La société de l'information (ou encore société de la connaissance) se développe partout :

- dans les entreprises et organisations et plus particulièrement dans les processus de conception-production (groupware, workflow, edi,.. ) ;

- dans la distribution et le commerce avec le développement inéluctable du commerce électronique ;

- dans la formation avec l'émergence des nouvelles universités virtuelles et toutes les pédagogies innovantes s'appuyant sur les TIC ;

- dans le domaine de l'administration avec la question de l'accès désormais ouvert, libre, à l'information du domaine public et avec la perspective de l'administration virtuelle

- dans les domaines aussi de l'édition et de la documentation qui vont connaître de profondes transformations dans la prochaine décennie (revues scientifiques en ligne, bibliothèques virtuelles, livre numérique,…).

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3 &endash; Un nouveau regard sur l'information et de la documentation

Les mutations technologiques évoquées ci-dessus conduisent de façon certaine à un nouveau regard sur les processus informationnels et sur le management de l'information et de la documentation. Dans ce nouveau contexte, plusieurs traits d'un nouveau management de l'information se dégagent :

- l'information ne connaît plus de frontières, elle devient "globale" : ce que l'on ne peut pas obtenir quelque part est très facilement accessible ailleurs ; les sources d'information deviennent mondiales (ce qui pose du reste la question des déterminations linguistiques) ;

- l'information se produit et circule dans des réseaux de plus en plus décentralisés : l'intelligence, la connaissance, l'information sont désormais localisées à la périphérie des systèmes, non dans les traditionnelles structures centralisées ;

- il faut désormais passer de l'accumulation stérile et coûteuse de stocks (réservoirs) d'informations et de documents à une gestion ou animation nettement plus fluide des flux informationnels : la circulation prime sur la thésaurisation ;

- le coût marginal de mise à disposition de l'information chute de façon drastique ce qui se traduit par l'émergence d'une nouvelle économie de la connaissance et du développement des compétences ; dès lors, est-il pertinent de faire payer ce qui peut et doit ne plus coûter cher et ne vaut-il pas mieux mettre gratuitement à disposition des citoyens et des entreprises ce qui peut leur donner des atouts dans la bataille pour la compétitivité ou pour la défense des patrimoines culturels ?

- le management de l'information et de la documentation doit changer de perspective : il convient désormais d'une gestion de la rareté à une maîtrise intelligente du trop-plein, de la surabondance ;

- l'individu, le citoyen, le professionnel ne sont plus de simples consommateurs, ils deviennent désormais des producteurs d'information, font valoir leurs points de vue, contestent les projets qui ne leurs plaisent pas ou contribuent activement à des projets motivants (cette évolution est significative dans le domaine de l'enseignement et de la formation) ;

- toute cette évolution conduit inéluctablement à se poser la question de l'utilité des médiations professionnelles de toutes natures ; la révolution du numérique, du réseau, de l'hypermédia vise au fond à supprimer les médiations ou intermédiations inutiles, non fonctionnellement justifiées ou économiquement fondées ; c'est dans cette perspective qu'il convient de s'interroger sur l'avenir des professionnels de l'édition et de la documentation.

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4 &endash; L'information-documentation : quelques définitions

Mais au fond, qu'est-ce que l'information ?

On pourrait assez simplement dire que l'information c'est le regard original porté par quelqu'un sur le monde à un moment donné et surtout la transmission de ce point de vue à d'autres personnes ou communautés. Au fond, l'information n'est qu'une subjectivité, acceptée comme point de ralliement par un certain environnement dans un temps et un contexte donnés.

Il est important de rappeler ici le fait que l'information reste essentiellement le regard des hommes sur le monde qui les entoure. De ce fait, l'information est une entité subjective, sujette à critique ou contestation ; elle est abondante comme le sont les échanges au sein des peuplements humains. Internet dont on dit qu'il induit une explosion de l'information , n'est, à bien y regarder, que le reflet de ce qu'est le monde et les échanges d 'idées entre des millions et des millions d'hommes sur la planète.

D'un point de vue plus professionnel, on serait tenté aujourd'hui de parler d'information-documentation (ou d'information et de documentation ou encore ID) en faisant ressortir deux facettes d'un même et unique objet, la facette I comme information et la facette D comme document (ou documentation). L'information-documentation (ID), c'est une histoire classique de contenu et de contenant, de message et de medium, c'est à dire à la fois :

- l'émission d'un contenu, d'un sens, d'une intelligence

- qui se communique, se transfert, s'obtient , via un document, un support.

Il faut donc, pour un documentaliste comme pour un nouvel internaute non-professionnel, être en mesure de s'intéresser à ce que dit le document (le sens, l'information subjective) et de savoir gérer les objets matérialisés, les artefacts, les contenants (documents, livres, bouts d'espace Web,…), de savoir aussi les localiser et les faire se concrétiser sous des formes multiples (enregistrement, impression, classement, rangement, destruction,…).

Le management de l'ID consiste donc en cette double démarches de savoir gérer et exploiter des contenus informationnels d'une part et de savoir aussi gérer des documents et des accès à des documents d'autre part (documents étant pris ici dans son sens large : livre, article, bout de disquette, segment de site Web,…). L'ID en tant que ressource à gérer a ceci d'original qu'elle est une ressource particulière profondément différente d'un bien de consommation classique : à travers sa facette I, elle est information définie comme regard subjectif, temporaire, de quelqu'un sur le monde, inépuisable, insaisissable, en continuelle mutation alors qu'à travers sa facette D, elle devient matérialisable, saisissable (au sens premier comme au sens juridique du terme), gérable.

Cela conduit à dépasser les schémas traditionnels d'organisation de la documentation et à reposer la question du professionnalisme en matière de management de l'ID. La réflexion doit désormais porter sur le "pourquoi" de la médiation professionnelle en question tout autant que sur ses "comment" avec le souci de dégager de façon claire les éléments de valeur ajoutée de cette médiation.

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5 - Une approche fonctionnelle du management de l'ID

Une étude systématique des champs actuels d'exercice professionnel des documentalistes fait ressortir plusieurs axes fonctionnels de développement de la médiation documentaire. Pour schématiser, on pourrait dire que la documentation et les documentalistes, ça peut avoir les missions suivantes :

- assurer un appui logistique aux activités du quotidien (fonction d'accompagnement) : donner au chercheur, à l'ingénieur, au médecin, au chef d'entreprise ce dont il a besoin pour faire ce qu'il doit faire quotidiennement ;

- surveiller un vaste environnement, assurer une veille ou alerte relative à tout ce qui peut influer sur les décisions ou comportements de l'organisation à des termes variés fonction d'ouverture, de prospective et d'anticipation en quelque sorte ;

- contribuer à prendre décisions de nature stratégique grâce à des approches d'intelligence économique et des démarches d'aide à la décision (fonction de soutien à la stratégie et d'aide à la décision, impliquant une forte intégration du processus informationnel dans les chaînes décisionnelles) ;

- conforter, consolider ou développer la mémoire de l'organisation avec des préoccupations de préservation du patrimoine et de capitalisation de l'expérience (souci de la pérennité et de la stabilité à long terme) ;

- faciliter l'échange et le partage des savoirs et savoir-faire en interne dans l'organisation avec des composantes de communication interne, de transversalité, de développement d'une culture commune ;

- valoriser les savoirs et savoir-faire en jouant sur la diffusion interne ou externe des acquis de l'organisation ou en produisant des objets de synthèse ou de vulgarisation (fonction éditoriale classiquement dévolue à la documentation considérée dans sa pleine acception de médiation dans la chaîne de transmission des savoirs et savoir-faire) ;

- assurer des prestations de conseil et d'accompagnement méthodologique dans la perspective de l'autonomisation des acteurs de l'organisation face à l'information (la société de l'information tend à cette responsabilité accrue de tous les acteurs de la société dans la production et la diffusion de leur information).

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6 &endash; La valeur ajoutée des professionnels de l'ID

Avec Internet, on peut "en principe" se passer d'intermédiaires. Cette révolution a été voulue par le monde scientifique : l'utilisateur final a directement accès à l'information dont il a besoin, de même qu'il peut diffuser lui-même l'information qu'il produit. Dans ce contexte, la médiation professionnelle est désormais sérieusement questionnée : qu'apporte-t-elle réellement, à quoi sert-elle ? Si le professionnel de l'ID ne sait pas faire mieux que ce que tout un chacun est désormais en mesure d'obtenir en surfant sur Internet, comment pourra-t-il justifier sa place, son rôle, son utilité.

Par chance, plus les usages d'Internet se multiplient, plus les acteurs dans la société de l'information se connectent au réseau mondial, plus devient évidente la nécessité de la médiation professionnelle. On peut du reste commencer à voir émerger plusieurs axes de développement de valeurs ajoutées spécifiques correspondant à divers types de besoins :

- besoin de gain de temps d'abord et avant tout : même si nombre de personnes sont aujourd'hui capables de surfer sur Internet, on imagine aisément que ce n'est pas la fonction d'un PDG de passer son temps à faire cela : le besoin de médiation ou sous-traitance (professionnelle) est patent, surtout si cette médiation s'appuie sur des compétences avancées ;

- besoin de tri, de sélection, d'élimination, de digestion : face au trop-plein, à la surabondance des sources d'information, le besoin de synthèses intelligentes comme d'identification des perles rares ou informations pertinentes devient criant ; rappelons à cet égard que la documentation est avant tout l'art de l'élimination (trouver le signal dans le bruit) et non celui, absurde, de l'accumulation ou de l'empilement stérile des objets documentaires (comme l'ont malheureusement laissé pensé les pratiques usinières de fabrication des bases de données des années 70-90) ;

- besoin de confiance, d'autorité, d'assurance de la qualité des sources, de regard critique sur les ressources documentaires disponibles ;

- besoin de détermination de sens, besoin de conseil et d'aide à la résolution de problèmes : l'information ne sert à rien si l'on ne s'en sert pas, en d'autres termes, c'est plus l'usage de l'information qui compte que sa seule manipulation ;

- besoin surtout d'aide à l'orientation, de guidage ; le documentaliste devient un cartographe de l'espace informationnel, il cartographie les possibles, donne des étoiles, préconise des cheminements privilégiés, il aide à l'autonomisation des acteurs dans l'environnement informationnel ;

- besoin encore d'éditorialisation, de création de produits et services adaptés à divers cibles : lettres électroniques, animation de forums spécialisés, développement et gestion de sites Internet ou Intranet, réalisation de cédéroms intelligents, etc.

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7 - L'information-documentation du domaine public

L'exigence d'une nouvelle société de l'information rendue possible par des technologies à usage universel et par une nouvelle économie de l'information se manifeste de façon cruciale aujourd'hui par la nécessité de rendre accessible, le plus largement et simplement possible, l'information du domaine public.

L'information citoyenne est une exigence forte de la société de l'information et de la connaissance, elle est une nouvelle donne de la vie économique, elle est le garant d'un développement de la démocratie. L'information publique (et plus largement l'information du domaine public) contribue à la compétitivité des acteurs économiques et à la consolidation des patrimoines culturels.

Dans ce contexte, le rôle de l'Etat, des collectivités publiques et des administrations devient déterminant. Leur action doit désormais intégrer pleinement cette nouvelle exigence de la diffusion ouverte de l'information publique. C'est une mission de premier rang pour laquelle ces acteurs de la vie publique doivent se réorganiser, repenser leurs dispositifs d'information et de documentation, renforcer leurs compétences dans ce domaine, faire appel à des professionnels qualifiés, développer leurs sites Internet et Intranet, diffuser de façon efficace et moderne ce dont tout citoyen a aujourd'hui besoin dans un monde en évolution rapide.

Cette orientation vers la société de l'information, cette mission de production, de diffusion et d'animation de l'information publique, constituent la première étape d'un processus de changement plus important encore qui conduira à l'administration virtuelle, c'est à dire à une organisation très nettement différente de celle que l'on connaît aujourd'hui et dont on commence à voir se profiler certains modèles dans des pays du Nord de l'Europe, aux USA ou au Canada. Cette administration branchée, en ligne, hors les murs, devra viser un coût global de fonctionnement réduit de façon substantielle tout en assurant des services nettement améliorés, plus personnalisés, adaptés surtout à des besoins et des contextes les plus variés.

Dans ce contexte, les structures et les professionnels de l'information et de la documentation seront amenés à jouer un rôle nouveau et à mettre à disposition leurs savoirs et compétences dans un cadre qui n'aura plus rien à voir avec le classique centre de documentation.

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