LE MANAGEMENT DE L’INFORMATION

POUR LA COMPETITIVITÉ DURABLE

DANS LE CONTEXTE

DE LA NOUVELLE SOCIETE DE L’INFORMATION

JM323

Jean MICHEL

Publications Jean MICHEL
Page d'accueil Jean MICHEL

Die Ära der Technocraten geht ihrem Ende entgegen - Article paru dans VDI Nachrichten, 26 mars 2000, p. 2

L’information est au cœur du management moderne des organisations. Les entreprises, engagées dans la spirale de la mondialisation et de la globalisation, doivent plus que jamais, investir dans la préservation et le renforcement de leur capital de savoir et de savoir-faire, ainsi que dans la gestion rigoureuse mais inventive de leurs flux informationnels et de leurs patrimoines immatériels. Cet investissement pour un management moderne de l’information et de la connaissance devient même un axe stratégique majeur de la création de valeur et de la compétitivité durable. Mais contrairement aux biens matériels classiques, l’information ne se laisse pas saisir et exploiter facilement et nombreux sont les échecs en matière de management de l’information surtout dans le contexte actuel de l’explosion des usages d’Internet, des technologies numériques, du multimédia et des réseaux.

***

L’information, comme la connaissance, est intrinsèquement liée à l’homme, aux groupes humains et à la société et caractérise leur capacité à comprendre et interpréter le monde. L’information est fondamentalement une perception, un regard contextuel et temporel d’une personne ou d’un groupe de personnes sur son environnement. L’information reste donc essentiellement volatile, peu fiable, contradictoire, en permanente évolution. Elle ne prend toutefois de la valeur que si elle est échangée et si elle permet la confrontation des perceptions subjectives. Mais pour qu’elle soit échangée, il faut que l’information soit véhiculée, fixée sur un support, sertie sur ou dans un document (feuille de papier, film ou segment de disque dur d’un ordinateur). Alors qu’il est bien difficile d’évoquer l’économie de l’information en tant que regard (quel est le coût d’un regard, le prix d’une vision ?), il est plus aisé d’évaluer le coût des supports, documents ou dispositifs que l’on mobilise pour échanger l’information, d’autant plus que ces "artefacts" sont produits par le biais de technologies (imprimerie, informatique, film, réseaux de télécommunications) elles-mêmes appréciables, évaluables, d’un strict point de vue économique.

Ainsi met-on en évidence les deux faces, intrinsèquement liées, de la chose informationnelle :

- d’une part l’information-regard, subjective, profondément enrichissante par son échange ; elle est à la base même de la formation des hommes et du développement des compétences dans les entreprises et les organisations mais elle est très difficile à cerner dans sa dimension économique,

- d’autre part l’information-document, objectivée, exploitable par le biais d’outils et de procédures techniques ; cette information-document est bien sûr moins riche que la source humaine première (l’information-regard) et surtout elle engendre des coûts d’élaboration, d’exploitation, de conservation, de transfert.

***

Les échecs patents constatés en matière de management de l’information dans les entreprises sont nombreux. Des études d’analyse de la valeur dans le domaine du management de l’information font ressortir quelques causes principales de tels échecs répétés.

Le premier écueil réside dans l’incompréhension des dirigeants des entreprises, et malheureusement souvent des ingénieurs, de la complexité intrinsèque des processus informationnels. Ils ont tendance à vouloir assimiler la gestion de l’information à celle d’un quelconque bien matériel (des bits informatiques qu’on stocke ou diffuse) alors que l’information reste avant tout une immatérialité, une subjectivité dont on doit stimuler l’expression. Dans le contexte de la nouvelle société de l’information caractérisée par la sur-abondance des sources informationnelles et documentaires, le développement du regard critique des hommes est aujourd’hui plus important pour l’entreprise et sa compétitivité durable que la confiance aveugle placée dans les plus puissantes technologies.

L’absence totale de management des processus informationnels et documentaires est une autre situation d’échec reconnue. On pratique l’information au quotidien comme on respire l’air ambiant, sans véritablement investir dans des approches plus structurées. On demande à des secrétaires, mal formées, de classer des documentations importantes. On laisse proliférer, de façon anarchique, les fichiers et bases de données sans contrôler la qualité de ces outils et la cohérence de l’ensemble du dispositif. On constate que les archives de l’entreprise sont inexploitables au moment même où émerge le besoin d’y recourir. Des ingénieurs et cadres de l’entreprise partent à la retraite sans qu’on se soit préoccupé de capter et capitaliser leur expérience. Enfin, l’arrivée brutale d’Internet dans les entreprises révèle aujourd’hui de façon dramatique cet amateurisme dans le management des processus d’information.

Une autre catégorie d’échecs s’explique par la croyance aveugle des dirigeants d’entreprise en une solution technique miracle notamment celle des systèmes informatiques qui promettent de tout gérer, d’assurer la communication universelle absolue. De ce point de vue, les informaticiens jouent souvent aux apprentis sorciers et produisent de véritables "usines à gaz" globalement peu efficaces. Combien d’entreprises ont pensé pouvoir résoudre leurs problèmes de management de l’information en raisonnant d’abord en termes de solutions sans vraiment avoir analysé leurs besoins ? Combien d’entre elles ont investi dans des dispositifs lourds de gestion électronique de documents ou dans des solutions de groupware pour s’apercevoir qu’elles n’utilisaient que 10% des potentialités des systèmes mis en place, que ceux-ci engendraient d’incroyables surcoûts dus à leur complexité intrinsèque et qu’enfin ces dispositifs prenaient mal en compte les vrais besoins informationnels. Les personnels, peu impliqués dans les choix relatifs aux systèmes de gestion d’information et souvent mal formés, ont du mal à localiser et exploiter les informations stockées dans ces systèmes, se plaignent de "l’over-dose informationnelle" et rejettent les outils mis à leur disposition.

Les structures fonctionnelles chargées de gérer l’information (centres de documentation, services de communication, directions des systèmes informatiques,…) répondent mal aux besoins réels de leurs clients, ou plus exactement répondent de façon décalée, inappropriée. Ces structures s’insèrent difficilement dans l’organigramme des entreprises et sont de plus en plus mises en cause pour leurs échecs patents. Bien souvent ce décalage entre services offerts et besoins réels se fait progressivement sans que personne (notamment la direction générale) ne s’en rende vraiment compte. Ainsi, un service documentaire de niveau national ne voit pratiquement plus ses clients et dépense une énergie démesurée pour réaliser une base de données centralisée au moment même où Internet remet en cause le principe de centralisation de l’information sous forme de grandes bases de données.

***

Sur quoi fonder un bon management de l’information aujourd’hui ?

Il est intéressant de souligner le fait que nombre d’entreprises ou d’organisations s’intéressent de plus en plus aux démarches d’analyse fonctionnelle et de management par la valeur pour résoudre leurs problèmes de management de l’information. Compte tenu du caractère particulier des processus informationnels et de leur complexité, il est clair qu’il vaut mieux éviter de s’orienter trop vite sur des solutions, aussi séduisantes soient-elles et qu’il est préférable de bien comprendre préalablement la complexité des besoins en information et documentation. Ainsi la création, le développement et la maintenance de sites Internet ou Intranet ou de plate-formes de diffusion de l’information nécessitent un important travail préalable de clarification des besoins informationnels de l’ensemble des cibles ou clientèles visées et une définition stratégique du produit ou service en question. L’expression fonctionnelle de besoins est donc un point de passage obligé rendant possible un management intelligent et efficace de l’information.

Il est important également d’amener les directions des entreprises à s’exprimer sur la hiérachisation des divers besoins. Faut-il privilégier le soutien logistique aux activités du quotidien (bases de données d’appui, outils de gestion électronqiue de documents,…) ou au contraire mettre l’accent sur la veille informationnelle et sur l’écoute de l’environnement (en surfant sur Internet ou renforçant les dispositifs d’intelligence économique) ? Faut-il se préoccuper de la préservation de la mémoire (archives) et de la capitalisation des expériences ou faut-il plutôt stimuler la communication fluide, connexe, transversale (messageries, forums électroniques,…) ?,

Il est essentiel aussi de confronter l’expression fonctionnelle des besoins avec les potentialités offertes par les technologies émergeantes : les technologies numériques, les réseaux, l’hypertexte, le multimédia sont autant de données nouvelles qui modifient en profondeur le rapport des hommes à l’information. Il faut de même tenir compte de contraintes spécifiques comme l’existence ou non d’une culture informatique dans les entreprises concernées ou la plus ou moins grande flexibilité de management des ressources humaines (la circulation accrue de l’information dans les entreprises a un effet immédiat sur le développement des compétences).

Les approches basées sur le management par la valeur aboutissent à des réductions drastiques des coûts inutiles des dispositifs et services d’information. Les coûts de traitement et de manipulation de l’information deviennent vite excessifs du fait des choix techniques retenus. Par souci de perfectionnisme professionnel, informaticiens, documentalistes, Webmasters,… mettent toute leur énergie dans la production et la gestion de solutions souvent bien coûteuses, au détriment de la satisfaction du vrai besoin informationnel. Ainsi l’alimentation d’une base de données peut représenter 30 à 40% du coût de fonctionnement d’un service de documentation alors que cette même base n’est qu’un outil parmi d’autres pour informer les clients du service, et cela au moment où les nouvelles technologies réseau et Internet font véritablement chuter les coûts de manipulation et de transfert de l’information.

Du fait de la nature profondément subjective de l’information, il est indispensable enfin de sortir le management de celle-ci du strict monopole des experts professionnels, de mobiliser au contraire des points de vue variés et complémentaires et d’associer toutes les parties prenantes dans la conception, la mise en place et la gestion des dispositifs informationnels. La réalisation de sites Internet-Intranet fonctionnels réussis (et tenus à jour de façon efficace) atteste de la nécessité et de l’intérêt d’une telle approche concertée et ouverte pour la création de dispositifs informationnels et documentaires acceptés, utiles et efficaces.

*** 

La nouvelle société de l’information dont Internet préfigure les tendances futures ne se réduit pas au seul choix d’outils techniques aussi perfectionnés soient-ils. Le management de l’information dans l’entreprise ne se limite pas à la décision de construire un site Intranet, de mettre en place des base de données sous Lotus Notes, de recourir à la gestion électronique de documents. Le management de l’information, c’est d’abord et avant tout une façon intelligente de mobiliser efficacement les connaissances et les compétences des multiples acteurs et groupes d’acteurs. C’est une certaine vision de la compétitivité et du développement durables de nos sociétés fondée sur l’homme et sa capacité à échanger des regards avec d’autres hommes pour se faire plaisir, se développer et progresser avec eux. Alors que les années 70 à 90, ont pu laisser croire que les machines résoudraient pour toujours la question de l’information, on re-découvre aujourd’hui que l’individu, citoyen actif de la société de l’information, est bien le cœur du management moderne de l’information et de la connaissance.

Retour