Les enjeux des NTIC et du document numérique en réseau

pour les métiers de l’information et documentation - I&D.

Jean MICHEL, ENPC

JM 327

Publications Jean MICHEL
Page d'accueil Jean MICHEL
 

Article à paraître dans "Probleme de Informare si Documentare" (INID - Bucarest)

Jean MICHEL

Conseiller du Directeur de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, consultant en management de l'information et documentation et ancien Président de l’ADBS (L'Association des professionnels de l'information et de la documentation)

Mots clés

Information spécialisée, documentation, information & documentation, I&D, document numérique, document multimédia, réseau, médiation, profession, pratique professionnelle, documentaliste.

PLAN

Résumé

1 - D'UNE EVOLUTION EN CONTINU A UNE RUPTURE DE PENTE

1-1. La documentation dans les années 70-90 : une laborieuse construction

1-2. Internet, la déconstruction des modèles antérieurs et la re-construction

2 - DES METIERS POUR QUEL DOMAINE ET POUR QUELLES FONCTIONS?

2-1. Le domaine ou champ professionnel de l'information et documentation (I&D)

2-2. Les fonctions des professionnels de l'information et documentation (I&D)

3 - L'INFO-DOCUMENT NUMERIQUE MULTIMEDIA EN RESEAU

3-1. Une nouvelle combinatoire des pratiques info-documentaires

3-2. L'infinité et l'extrême diversité des sources info-documentaires numériques

3-3. Le document numérique du point de vue de son impact sur la documentation

3-4. Un nouveau regard sur le management de l’information-documentation

4 - LA NOUVELLE MEDIATION PROFESSIONNELLE DE L'I&D

4-1. Les nouveaux besoins de médiation professionnelle

4-2. De nouvelles fonctions ou responsabilités prenant une réelle importance

Résumé

Les professionnels de l'information et documentation (I&D) n'ont pas attendu l'explosion des usages d'Internet pour recourir aux technologies informatiques avancées comme pourrait le prouver l'abondant développement, depuis 20 ans, des bases et banques de données spécialisées accessibles en ligne ou via des cédéroms. Toutefois, un changement assez radical semble se manifester depuis cinq ans qui s'explique à l'évidence par l'émergence de la nouvelle société de l'information et surtout par l'explosion du phénomène Internet et la généralisation de la production et de la circulation au document numérique, multimédia accessible en réseau et le recours aux nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC)..

La médiation professionnelle dans le domaine de l'information spécialisée et de la documentation se caractérise principalement par un vaste continuum de pratiques allant d'un pôle I (comme information) à un pôle D (comme document), c'est à dire de l'intelligence d'un contenu à la gestion efficace d'un contenant.

Le document numérique multimédia en réseau, sous toutes se formes (base de données, message électronique, page html, forum,…), par ses caractéristiques spécifiques, pose le problème de la valeur ajoutée différentielle apportée par les médiateurs professionnels que sont notamment les documentalistes.

De nouvelles fonctions émergent aujourd'hui avec une réelle vigueur. Elles correspondent à des besoins cruciaux : simplifier le complexe, identifier et montrer les chemins de la pertinence, donner de la confiance, exploiter les pépites, veiller au grain, accompagner l'autonomie des acteurs dans l'information, etc. Jamais les professionnels de l'I&D n'ont autant eu d'occasions de se valoriser et de démontrer leur utilité économique et sociale.

Retour au plan

1 - D'UNE EVOLUTION EN CONTINU A UNE RUPTURE DE PENTE

1-1. La documentation dans les années 70-90 : une laborieuse construction

Avec la création des grands laboratoires de recherche, des centres d'études techniques et des grandes universités modernes se constituent vers le milieu du 20ème siècle, des structures originales d'accès à la documentation spécialisée et à l'information (les centres de documentation). Dès lors, la documentation se professionnalise et apparaissent (dans les années soixante) les premières formations sérieuses de documentation comme les premières organisations professionnelles (A.D.B.S., Association des documentalistes et bibliothécaires spécialisés, devenue aujourd'hui "L'Association des professionnels de l'information et de la documentation" ).

Dans le courant des années soixante-dix, l'informatique révolutionne le monde de la documentation spécialisée (encore appelée information scientifique et technique). On voit apparaître de grandes bases ou banques de données bibliographiques, NTIS, PASCAL, COMPENDEX ou INSPEC pour n'en citer que quelques unes. Il devient désormais possible pour le chercheur, l'ingénieur, le juriste, l'historien ou le médecin de retrouver facilement des documents qui l'intéressent dans ces nouveaux réservoirs d'information, et cela grâce à l'apparition de logiciels de recherche documentaire de plus en plus puissants.

La fin des années soixante-dix voit la multiplication des bases de données, avec comme avantage l'apparition d'une offre fabuleuse pour l'époque, mais aussi avec un grave inconvénient, celui de la juxtaposition de nombreux langages de commande. Parallèlement, des centres serveurs disposant de puissants ordinateurs, sont créés de toutes pièces pour faciliter l'interrogation des bases de données: QUESTEL, STN, DIALOG, ESA, etc.. Ces centres serveurs (dont certains sont fortement soutenus par les états) sont à la fois des hypermarchés de la distribution des informations et des guichets uniques pour l'accès à des dizaines de bases de données. Les logiciels d'interrogation ou langages de commande (recherche sur chaînes de caractères, interrogation en langage naturel, bases de données en texte intégral,...), développent des ergonomies d'interrogation plus conviviales, les producteurs améliorant alors la qualité de leurs produits et, en France, se mettent à utiliser le vidéotex (minitel). On commence à parler d'une "industrie de l'information" pour tous ces services nouveaux en ligne.

Dans ce contexte, les métiers de la documentation se développent alors selon deux axes majeurs :

- celui de la production régulière des nouveaux réservoirs documentaires (grandes bases de données nationales ou internationales ou fichiers documentaires locaux): par certains côtés, la documentation s'industrialise et les professionnels deviennent les manufacturiers de cette nouvelle production documentaire informatisée;

- celui de la recherche de l'information utile en exploitant judicieusement les réservoirs préalablement constitués; c'est ainsi que naîtra la profession de courtier en information (broker), mais la fonction sera également fortement développée dans de nombreux centres ou services de documentation.

Le modèle d'organisation professionnel semble se stabiliser autour de cette réalité duale : la production centralisée de réservoirs informationnels bien identifiés et l'exploitation de ces bassins de ressources par des milliers de documentalistes intervenant pour le compte de multiples clients ou usagers.

Retour au plan

1-2. Internet, la déconstruction des modèles antérieurs et la re-construction

Brusquement, avec l'arrivée d'Internet, le management de l'information spécialisée et de la documentation connaît une incontestable révolution. C'est la fin d'une époque, celle des années 70-90, celle de la structuration maîtrisée des marchés et de l'industrie de l'information.

L'émergence d'une société de l'information basée sur le développement exponentiel des usages d'Internet et des réseaux électroniques ainsi que sur la généralisation du document numérique, bouscule le monde de la documentation tel qu'il était parvenu à se stabiliser au cours des décennies précédentes. Internet s'impose à l'évidence au monde de la documentation comme une source d'information de première importance (en tout cas en masse) et comme un outil de travail incontournable (pensons à la messagerie électronique, aux forums et listes de discussion). En très peu de temps (deux à trois ans), les plates-formes Intranet ou Lotus Notes sont devenus de véritables centrales documentaires d'un nouveau type qui obligent les documentalistes à repenser autrement leurs interventions. Les technologies numériques en réseau transforment en profondeur les pratiques professionnelles du secteur de l'information et documentation (I&D) au point d'engendrer de réels problèmes de survie aux structures documentaires traditionnelles qui tardent à y venir.

Les NTIC, Internet, le groupware, le workflow et d'autres développements des systèmes d'information changent forcément, et en profondeur, l'approche du management de la documentation. De nouveaux bassins de ressources semblent désormais plus aisément accessibles. Ils peuvent donner l'impression d'être infiniment plus riches et plus ouverts que ce peut offrir le centre de documentation "maison". Les métiers mêmes de la documentation évoluent avec comme conséquence la remise en cause des frontières traditionnelles avec d'autres corps de métiers : communication, informatique, ressources humaines,... La documentation interne et le "records management" se développent de façon nouvelle et font ressortir le besoin d'une démarche plus globale, plus cohérente de la gestion des flux informationnels et patrimoines documentaires dans l'entreprise. La séparation entre documentation externe et documentation interne tend à s'estomper. Le développement des sites Internet et Intranet et des solutions de groupware fait ressortir très nettement la difficulté à raisonner le management de l'information et de la documentation selon les schémas traditionnels et rend plus nécessaire que jamais une nouvelle organisation pour l'ensemble des processus de gestion de l'information et de la documentation .

Internet et les NTIC obligent les professionnels de l'I&D à redéfinir leur mission, à repenser leur véritable fonction de médiation entre d'une part, des sources d'information de plus en plus ouvertes, mondiales et surtout surabondantes et d'autre part, des "demandeurs-utilisateurs " d'information de plus en plus autonomes dans leurs pratiques informationnelles. Internet et les NTIC sont l'occasion inespérée pour les documentalistes de se positionner de façon plus déterminée dans la chaîne de création de valeur ajoutée autour de l'information, de sa production, de sa diffusion et de son exploitation. Il leur faut désormais changer leurs référentiels traditionnels, changer l'échelle de leurs préoccupations, adopter de nouveaux modèles de management de l'information, raisonner désormais dans une perspective infiniment plus ouverte et selon des schémas d'interactivité nettement plus affirmés. Médiateurs de l'information-documentation (I&D), ces "nouveaux professionnels" vont se positionner autrement dans les organisations et vont tirer le meilleur parti des potentialités offertes par le numérique, le multimédia et les réseaux sans renier pour autant leurs missions traditionnelles.

A noter aussi que de nouveaux besoins émergent qui ne sont plus strictement d'ordre documentaire (au sens traditionnel du terme) et donnent lieu à l'apparition d'un vaste continuum de pratiques professionnelles : veille technologique, intelligence économique, gestion des connaissances, ingénierie documentaire, records management,…Dans le même ordre d'idées, les NTIC provoquent l'émergence de nouveaux besoins: ainsi évoque-t-on la nécessité d'utiliser au mieux les outils avancées de gestion de l'information pour mieux gérer la connaissance dans l'entreprise, capitaliser les acquis, assurer les retours d'expériences et la remontée de l'information des acteurs du terrain vers les structures de conception et les échelons de direction.

La société de l'information et les NTIC conduisent à une remise en cause de l'utilité des médiations professionnelles traditionnelles C'est vrai aujourd'hui pour le secteur de l'édition, ça commence à l'être pour le commerce et pour la formation et il y a de bonnes chances que le secteur de la documentation ne soit pas épargné. Remarquons toutefois que si les intermédiaires (en tant qu'instrument) sont remis en cause, le besoin fondamental d'accès à l'information demeure. Il est donc important d'envisager d'autres formes d'organisation de cette médiation professionnelle: il est intéressant de noter aujourd'hui l'apparition d'offres d'emploi visant à recruter des "infomédiaires", tout un programme….

Retour au plan

2 - DES METIERS POUR QUEL DOMAINE ET POUR QUELLES FONCTIONS?

2-1. Le domaine ou champ professionnel de l'information et documentation (I&D)

La question de la délimitation du périmètre professionnel concerné par l'impact des NTIC est importante. Certes, tout un chacun consomme de l'information, produit et échange de l'information, gère de l'information. Il est donc difficile de cerner le champ professionnel spécifique, sauf à recourir à des schémas caricaturaux dépassés (ce qui n'est pas le cas de professions bien typées, se développant autour de règles strictes - experts comptables, avocats,… ou de savoirs spécifiques encore inaccessibles au commun des mortel - chirurgien, chimiste, pilote d'avion,…).

L'information, au fond qu'est-ce que c'est?

Une chose est sûre, ce n'est pas un objet palpable, aisément saisissable. L'information n'est pas objectivable. L'information est une pure subjectivité en ce sens qu'elle n'est que le regard de quelqu'un (ou de quelques uns) sur quelque chose, à un moment donné, dans un contexte donné: regard d'un scientifique, d'un économiste, d'un journaliste, d'un professionnel quelconque. L'information en tant qu'objet tangible et objectif, bien manipulable, saisissable (physiquement et juridiquement parlant), n'existe pas. Il n'y a que des regards, des perceptions, des audaces d'affirmation (dont les scientifiques eux-mêmes en contestent entre eux souvent la pertinence, la plausibilité, la validité). Ces regards s'affinent au fur et à mesure des développements des instruments d'observation : ce qui était acquis à un moment donné, peut être remis en cause l'instant d'après. L'information est une péripétie du regard de l'humanité sur elle-même.

Par contre, l'information (subjective, fugace, volatile, immatérielle, insaisissable) va devoir se matérialiser à travers une médiation documentaire pour pouvoir être facilement échangée, monnayée. C'est le document (physique-réel et/ou électronique-virtuel) qui fixe ou fige l'information et permet son échange, que ce document soit un livre, un article de revue, un cédérom ou un bout de mémoire d'un serveur informatique. La mise en forme de l'information, travail très contingent, devient création. Le résultat de l'acte d'édition de l'information devient une matérialité protégeable, repérable, stockable, appropriable, saisissable (au sens premier et au sens juridique du terme). D'où la possibilité de fonder une économie de l'information (qu'il faudrait plutôt appeler une économie du document ou pour être plus exact encore, une économie de l'information documentée) et aussi un certain droit relatif aux usages de ce document (consultation, prêt, reproduction, représentation, etc.).

Prenons l'exemple du chercheur scientifique pour illustrer ce propos. Ses idées et les résultats de ses travaux de recherche sont purement immatériels, libres comme l'air, et en tant que tels, non protégeables par les outils classiques de la protection de la propriété intellectuelle et/ou industrielle (sauf à créer une véritable politique de secret absolu, mais alors on ne diffuse plus son savoir, ses idées). Pour que ce chercheur puisse en tirer un bénéfice quelconque (reconnaissance de paternité, royalties, retombées diverses,...), il faut qu'il "édite" ses idées, qu'il les figent (de façon originale) dans une forme appropriée, sur des supports matériels diffusables (article écrit dans une revue, brevet déposé, disquette ou message électronique, page Web,...). Et c'est là que commence à se poser le coût de l'information-documentation, de sa production et de sa diffusion.

D'un point de vue plus professionnel, on serait donc tenté aujourd'hui de parler d'information-documentation (ou d'information et documentation ou encore I&D) en faisant ressortir deux faces d'un même et unique objet, avec une face I comme information et une face D comme document (ou documentation). L'information et documentation (I&D), c'est donc à la fois :

- l'émission d'un contenu, d'un sens, d'une intelligence (I);

- qui se communique, se transfert, s'obtient , via un document, un support (D).

Il faut donc, pour un professionnel de l'I&D, qu'il soit documentaliste ou nouvel internaute "infomédiaire", être en mesure de s'intéresser à ce que dit le document (le sens, l'information subjective) et de savoir gérer les objets matérialisés, les artefacts, les contenants (documents, livres, bouts d'espace Web,…), de savoir aussi les localiser et les faire se concrétiser sous des formes multiples (enregistrement, impression, classement, rangement, destruction,…).

Le management de l'I&D consiste donc en cette double démarche de savoir identifier, gérer et exploiter des contenus informationnels d'une part et de savoir aussi gérer des documents et des accès à des documents d'autre part (documents étant pris ici dans son sens large : livre, article, bout de disquette, segment de site Web,…). Le domaine ou champ professionnel de l'I&D se définit alors comme un vaste continuum de pratiques de médiation allant d'un pôle purement informationnel (I) à un pôle opposé purement documentaire (D), du veilleur ou expert de l'intelligence économique d'une part au "records manager", bibliothécaire ou archiviste d'autre part avec toutes les situations professionnelles intermédiaires.

Cette définition conduit à dépasser les schémas traditionnels d'organisation des métiers de la documentation et à reposer la question du professionnalisme en matière de management de l'I&D. La réflexion doit désormais porter sur le "pourquoi" de la médiation professionnelle tout autant que sur ses "comment" avec le souci de dégager de façon claire les éléments de valeur ajoutée de cette médiation. Elle s'appuie désormais sur la détermination des compétences nécessaires à l'exercice de familles de métiers proches mais pouvant être assez indéterminés. On pourra notamment se référer à l'Euroréférentiel I&D des compétences des professionnels européens de l'information et documentation établis par un groupement de huit associations européennes concernées (ADB99).

Retour au plan

2-2. Les fonctions des professionnels de l'information et documentation (I&D)

Une examen systématique des champs actuels d'exercice professionnel des documentalistes et autres professionnels de l'I&D fait ressortir plusieurs axes fonctionnels de développement de la médiation documentaire. En schématisant, on pourrait identifier les fonctions suivantes (la liste n'est pas exhaustives, certaines fonctions pouvant se développer dans certains contextes et non dans d'autres) :

- assurer un appui logistique aux activités du quotidien (fonction d'accompagnement) : donner au chercheur, à l'ingénieur, au médecin, au chef d'entreprise ce dont il a besoin pour faire ce qu'il doit faire quotidiennement ;

- surveiller un vaste environnement, assurer une veille ou alerte relative à tout ce qui peut influer sur les décisions ou comportements de l'organisation à des termes variés fonction d'ouverture, de prospective et d'anticipation en quelque sorte ;

- contribuer à prendre des décisions de nature stratégique grâce à des approches d'intelligence économique et des démarches d'aide à la décision (fonction de soutien à la stratégie, impliquant une forte intégration du processus informationnel dans les chaînes décisionnelles) ;

- conforter, consolider ou développer la mémoire de l'organisation avec des préoccupations de préservation du patrimoine et de capitalisation de l'expérience (souci de la pérennité et de la stabilité à long terme) ;

- faciliter l'échange et le partage des savoirs et savoir-faire en interne dans l'organisation avec des composantes de communication interne, de transversalité, de développement d'une culture commune ;

- valoriser les savoirs et savoir-faire en jouant sur la diffusion interne ou externe des acquis de l'organisation ou en produisant des objets de synthèse ou de vulgarisation (fonction éditoriale classiquement dévolue à la documentation considérée dans sa pleine acception de médiation dans la chaîne de transmission des savoirs et savoir-faire) ;

- assurer des prestations de conseil et d'accompagnement méthodologique dans la perspective de l'autonomisation des acteurs de l'organisation face à l'information (la société de l'information tend à cette responsabilité accrue de tous les acteurs de la société dans la production et la diffusion de leur information).

La mission de base des professionnels de l'I&D étant d'assurer une médiation dans l'accès à l'information et au document, les ressources mises à disposition peuvent aller de la pure information très immatérielle (ce qui s'exprime en termes de veille ou d'intelligence économique) au très classique document (livre, article de journal, rapport technique, etc.). Cette transmission de ressources d'I&D peut viser des groupes homogènes variés dans les organisations comme aussi des cibles individuelles (sur profils pré-établis notamment ou en logique "one-to-one). La fourniture de telles ressources peut être faite en mode "push" - on envoie ces ressources aux clients ou utilisateurs selon des modalités appropriées - ou en mode "pull" - ce sont les clients qui viennent chercher les ressources pertinentes dans des viviers préalablement constitués- . Cette mission de médiation peut être exercée par un professionnel individuel, intégré ou non aux organisations "clientes" ou par une structure documentaire spécifique satisfaisant des besoins plus nettement collectifs.

Retour au plan

3 - L'INFO-DOCUMENT NUMERIQUE MULTIMEDIA EN RESEAU

3-1. Une nouvelle combinatoire des pratiques info-documentaires

Les NTIC induisent de façon certaine des changements importants dans les pratiques (productives, relationnelles, culturelles,…) des hommes et des organisations. Elles transforment à l'évidence les modalités de communication, de travail, de formation,…. Elles obligent à repenser les organisations en place, les procédures et les règles en usage et à retrouver ou redéfinir de nouvelles cohérences dans des environnements complètement modifiés dans l'espace comme dans le temps. Les NTIC et le document numérique multimédia en réseau obligent à revoir certains schémas et à trouver de nouveaux équilibres (ou de nouvelles combinaisons) entre :

- centre (ou centralité) et périphérie (ou proximité);

- ici (local) et ailleurs (distant);

- synchrone (en même temps) et asynchrone (en temps décalé);

- réel (physiquement palpable) et virtuel (leurre électronique seulement);

- unitaire, ponctuel, individualisé et complexe, global, "hyperisé";

- micro-trouvaille (recherche précise) et macro-vision (perception satellitaire)

- consommateur-utilisateur (passif) et producteur-diffuseur (actif);

- stabilité-structuration-permanence et fluidité-flexibilité-fugacité.

Dans le champ de l'I&D, une nouvelle combinatoire émerge permettant une infinité de croisements de pratiques info-documentaires les plus variés : le cadre stabilisé antérieur (celui des années 70-90) explose littéralement.

Les dispositifs documentaires se décentralisent; la documentation est directement gérée sur leurs postes de travail par des acteurs de plus en plus autonomes. Les services centraux de documentation interviennent alors de plus en plus en accompagnement des pratiques de leurs clients ou usagers, élaborent des produits "amont" génériques ou au contraire développent des services très personnalisés en mode "one-to-one".

Les approches "pull" traditionnelles (la base de données ou le site Internet ou Intranet dans lesquels on vient puiser en fonction de ses besoins) sont combinées, articulées, avec des démarches de type "push", grâce notamment à un emploi judicieux et économique de la messagerie électronique et des outils associés (listes de diffusion électroniques).

Aux réponses précises à des demandes ponctuelles données, viennent désormais s'ajouter des exploitations statistiques et/ou linguistiques de grands corpus ou gisements documentaires (bibliométrie, datamining, …). Les pratiques de veille se renouvellent combinant tout à la fois des investigations précises sur des segment étroit du champ documentaire à observer et des mises en perspective plus satellitaires.

Réponses à des questions à l'instant t, oui, mais aussi possibilité de capitaliser l'information utile (évoquons ici l'archivage des messages échangés sur des listes de diffusion électroniques professionnelles), de suivre dans le temps l'évolution des corpus et des préoccupations, donc d'aborder la documentation dans toute sa dimension diachronique.

Retour au plan

3-2. L'infinité et l'extrême diversité des sources info-documentaires numériques

Traditionnellement, les services de documentation et les professionnels de l'I&D traitaient de sources ou documents bien identifiés : livres ou monographies, périodiques ou revues, rapports et autres documents dits de littérature grise, produits dits de documentation secondaire (bulletins de références bibliographiques, bases de données,…), répertoires de données ou de sources (annuaires, index,…).

Une grande partie de ces documents traditionnels continuent et continueront à exister en mode non-numérique. Certains d'entre eux font déjà l'objet d'une post-numérisation (scannerisation) pour pouvoir être repris en mode numérique et être plus facilement mis à disposition des usagers (mais cette démarche reste lourde, coûteuse et ne vaut vraiment la peine que pour des documents rares ou difficiles d'accès. La véritable révolution réside dans la circulation de documents numériques existant sous cette forme dès leur conception (ce qui a l'avantage de supprimer de façon radicale certaines médiations inutiles et coûteuses telles que la scannerisation).

La documentation traditionnelle existant en mode numérique devient de plus en plus abondante:

- nombre de revues ou périodiques sont désormais offerts par les grandes maisons d'édition en version électronique, en plus ou à la place, des version papier;

- les rapports de littérature grise, les thèses ou mémoires, les études, sont disponibles via des sites Internet qui permettent de les obtenir instantanément (bien avant les versions papier);

- les actes de congrès sont de plus en plus produits sous forme de cédéroms quand ils ne sont pas directement accessibles en ligne avant même la tenue des congrès;

- les preprints de certains grands domaines scientifiques circulent en version électronique, ce qui permet une dynamisation des échanges avant la parution définitive des articles.

Mais à côté de cette documentation traditionnelle disponible aujourd'hui en mode numérique, se développe une gigantesque nébuleuse de nouvelles sources info-documentaires auxquelles les professionnels de l'I&D n'était pas habitués:

- textes produits sur les messageries électroniques (les anciens "collèges invisibles" prennent une toute autre dimension grâce à l'échange de messages via le mail); ces textes sont ce qu'ils sont, plus ou moins intéressants, souvent fugaces, mais néanmoins peuvent s'avérer utiles pour un travail documentaire;

- production incessante et collective des forums électroniques spécialisés (listes de diffusion électroniques, groupes de news, forums Intranet ou Lotus Notes,…); sur la liste ADBS-INFO, à laquelle participent 4000 professionnels de l'I&D, ce sont 15 à 20 messages qui sont diffusés chaque jour avec la possibilité de disposer régulièrement de synthèses info-documentaires inétressantes (et de consulter en outre les archives de la liste);

- nouvelles revues purement électroniques (lettres, ezines,…) à durée de vie parfois courte mais révélant des sources intéressantes d'information et des compétences à exploiter selon les domaines concernés;

- sites Web, par milliers, devenant de véritables centrales info-documentaires spécialisés et donnant accès aux ressources présentées publiquement par de très traditionnelles institutions qui, auparavant, restaient plutôt muettes (universités, sociétés savantes, instituts divers, associations, entreprises, établissements publics ou para-publics, ministéres,…);

- sites ou listes de sites (favoris), répertoires en ligne, guides d'orientation, portails, FAQ (foires aux questions), historiques d'échanges,…: en gros des sources et des outils pour simplifier le complexe;

- bases de données très spécialisées, ciblées, antérieurement mises à disposition (avec l'aide d'un documentaliste) aux seuls clients ou partenaires des institutions qui les produisaient et qui sont désormais accessibles plus largement en ligne sans intermédiaires inutiles; cette nouvelle offre, riche, originale, hautement pertinente, sur le marché global de l'information déstabilise l'ancienne industrie de l'information (les producteurs traditionnels des grandes bases de données généralistes ou multidisciplinaires);

- surtout, images et documents multimédias à foison, liés aux documents textuels, et donnant une nouvelle dimension à la documentation virtuelle du monde réel;

- aussi conférences en ligne, documentation interactive;

- et bientôt le livre électronique…

Retour au plan

3-3. Le document numérique du point de vue de son impact sur la documentation

En quoi, et pourquoi le document numérique (et les NTIC qui en rendent possible l'existence) a-t-il un impact sur la profession et les métiers de l'I&D? Essayons de caractériser, en grands traits, ce document numérique en essayant de cerner les conséquences sur les pratiques info-documentaires professionnelles.

3-3-1. Le document numérique en tant qu'objet (document D)

Le document numérique peut se caractériser, de façon purement formelle, à travers une combinatoire de traits spécifiques :

- le document numérique est aisément stockable (sauvegarde sur de multiples disques durs), empilable (dossiers de dossiers de fichiers), capitalisable (mémoire à court, moyen ou long terme). Le coût de cette conservation et de cette capitalisation est faible comparé à celles des documents traditionnels. La gestion maîtrisée (centralisée ou multi-coordonnée) de ces mémoires numériques peut devenir un aspect central de la fonction des professionnels de l'I&D dans le futur;

- il est aisément localisable, on peut facilement le situer quelque part, dans l'espace et dans le temps (cheminement sur des disques durs, adresse univoque, URL, …). Il est donc repérable et donc récupérable à coût marginal faible. Pour les professionnels de l'I&D, la conséquence est importante, ils deviendront de plus en plus des cartographes des gisements info-documentaires, des experts dans l'orientation vers les sources utiles;

- il est malléable, flexible, "caméléonesque", ré-exploitable à l'infini, re-diffusable (d'où l'inquiétude des "ayants-droit"); on peut aisément découper les parties ou pages d'un livre électronique; le document numérique s'intègre aux pratiques de bureautique en même temps qu'il devient lui-même ressource pour d'autres productions numériques (éditorialisation en cascade). L'impact sur les professionnels de l'I&D est important: il s'agit désormais pour eux de mettre à disposition de leurs usagers ou clients des ressources numériques sous des formes ou formats bien adaptés aux besoins ou contextes spécifiques, de créer en permanence de nouveaux produits issus du traitement intelligent des documents numériques disponibles;

- le document numérique est disponible instantanément (un clic de souris suffit… ou quasiment); le temps devient donc crucial dans le champ des pratiques documentaires. Cela oblige donc à repenser, raccourcir, supprimer les chaînes de médiation lourdes, inutiles, lentes et de mettre en place des dispositifs nettement plus réactifs;

- il est disponible à distance (effet réseau) et permet donc un accès décentralisé à l'information. Cette caractéristique conduit donc à poser la question de la légitimité de la centralisation des objets documentaires; est-il encore nécessaire de conserver dans des centres de documentation ou de grandes bases de données centralisées des documents qui peuvent aisément être rapatriés par le réseau et obtenus en consultant de multiples sources très directement concernées par ces documents (producteurs ou institutions intéressées)? Que faut-il donc conserver de façon sûre sur son disque dur (accumulation intelligente) et que faut-il au contraire supprimer, éliminer pour se concentrer sur les modalités d'accessibilité aux documents distants?

- il est multimédia, ce qui signifie qu'une réalité donnée peut désormais être facilement appréhendée documentairement sous différents angles, textuel, visuel, sonore. Pour les professionnels de l'I&D, habitués pour la plupart aux seuls documents textuels (mettons à part les iconographes qui eux ne travaillent que sur l'image), il faudra désormais traiter un document beaucoup plus complexe, beaucoup plus riche, multimédia, avec tous les problèmes d'indexation que cela peut poser;

- il permet assez souvent la mise en contact simple, immédiate, avec la source humaine ou institutionnelle qui l'a produit (adresses email et URL de pages Web associées). En d'autres termes, le document numérique n'est qu'une trace à un moment donnée de la pensée d'une personne ou d'un groupe; de personnes et finalement son intérêt d'un point de vue strictement documentaire est bien sûr ce qu'il expose mais réside surtout dans le fait qu'il permet d'amorcer le dialogue avec la source réelle (l'auteur) pour aller plus loin dans la réflexion ou le travail; le document n'est plus fin en soi, il devient clé pour aller vers la source émettrice;

- dans le même ordre d'idées, le document numérique renvoie à d'autres documents : il est un hyperdocument. Derrière cette banale évidence, il faut relever le fait important que ce sont désormais des grappes de documents qui font sens, ce sont ces cheminements entre documents qui deviennent de véritables enseignements (docere = enseigner). Pour les professionnels de l'I&D, la tâche devient donc plus complexe; il faut passer du traitement de documents unitaires, isolés, à une gestion plus systémique d'ensembles documentaires corrélés;

- enfin, le document numérique est peu encombrant et peu coûteux (en première analyse du moins, car il faut investir ailleurs en machines, en réseaux, et cela a la coût et l'encombrement est reporté ailleurs); toutefois cette dématérialisation des documents et la chute des coûts qui lui, est associée conduisent forcément à mettre en cause les lourdes machines documentaires traditionnelles.

3-3-2. Le document numérique en tant que vecteur de sens ( information I)

Au delà de la seule apparence formelle du document numérique, il est intéressant maintenant de souligner quelques traits qui font de cet objet autre chose qu'un banal document et qui impliquent de nouvelles approches professionnelles pour bien l'appréhender:

- le document numérique reflète, certainement plus intensément que le document traditionnel papier, le besoin de l'homme et des groupes humains de communiquer; il est le cri des hommes qui trouvent avec le numérique un vecteur d'expression plus puissant, plus ouvert, plus universel. En d'autres termes la source émettrice prend plus d'importance que le document lui-même, avec toute la subjectivité que cela peut comprendre. Dans ce contexte, les professionnels de l'I&D doivent apprendre à retrouver l'homme en amont des documents qu'ils gèrent alors que toute l'approche des années 70-90 les avaient transformés en manufacturiers de la description d'objets documentaires considérés comme des fins en eux-mêmes;

- il est nettement plus évolutif, accumulatif, interactif que son prédécesseur, reflétant par là même les cheminements et développements de la pensée humaine en continuelle mouvance. Un document numérique existe en versions successives multiples (c'est déjà le cas pour les textes scientifiques, c'est très vrai aussi pour les sites Web comme pour les productions des listes de diffusion électroniques). Il s'enrichit en permanence de l'échange de vues ou d'opinions qui se crée à partir de lui. Cette nouvelle évolutivité et progressivité du document numérique perturbe fortement le milieu professionnel de l'I&D plus habitué à gérer des documents figés, stabilisés, finis; ils doivent intégrer désormais cette nouvelle dimension temporelle du document numérique évolutif;

- il reflète aussi la pensée et l'action de groupes humains à géométries variables : du texte produit par un individu ou par un petit collectif d'auteurs au site ou hyperdocument associant de très nombreux auteurs (ou de larges communautés de personnes). Les productions documentaires en mode Intranet ou sur plates-formes Lotus Notes donnent aussi à voir cette complexité nouvelle de la production documentaire. Le document numérique s'installe donc sur un vaste continuum d'instances de production, de l'individu au collectif. A nouveau, l'impact sur les pratiques professionnelles de l'I&D est important dans la mesure où la notion même d'auteurs devient très mouvante;

- le document numérique peut encore couvrir un ensemble continue de pratiques allant d'un pôle très informel (la circulation des messages électroniques) à un pôle opposé très formel (textes considérés comme canoniques, bibles figées une fois pour toutes, documents de référence,…). Ainsi, le statut du document numérique peut être très variable (de l'informel au formel) avec surtout de nombreuses possibilités de continuité de pratiques dans la manipulation de documents de statuts différents. A nouveau cette caractéristique peut poser de sérieux problèmes aux professionnels de l'I&D plus à l'aise dans la gestion des documents formels;

- bien sûr le document numérique ne connaît pas de frontières et rend plus ouvert que jamais le marché mondial des idées et des expériences. Cela pose donc, plus que pour le traditionnel document papier, la question des langues utilisées pour exprimer ses idées. Les sites Web ne peuvent pas faire l'économie de traductions dans certaines langues cibles. Dans certains services info-documentaires avancés, on n'hésite pas aujourd'hui à recourir aux outils de traduction automatique (pour un premier niveau d'appréhension des documents).

Retour au plan

3-4. Un nouveau regard sur le management de l'information-documentation

La généralisation de l'usage du document numérique en réseau et les NTIC conduisent de façon certaine à un nouveau regard sur les processus informationnels et sur le management de l'information et de la documentation. Dans ce nouveau contexte, plusieurs traits d'un nouveau management de l'information se dégagent :

- l'information ne connaît plus de frontières, elle devient "globale" : ce que l'on ne peut pas obtenir quelque part est très facilement accessible ailleurs ; les sources d'information deviennent mondiales (ce qui pose comme dit plus haut la question des déterminations linguistiques) ;

- l'information se produit et circule dans des réseaux de plus en plus décentralisés : l'intelligence, la connaissance, l'information sont désormais localisées à la périphérie des systèmes, non dans les traditionnelles structures centralisées ;

- il faut désormais passer de l'accumulation stérile et coûteuse de stocks (réservoirs) d'informations et de documents à une gestion ou animation nettement plus fluide des flux informationnels : la circulation prime sur la thésaurisation ;

- le coût marginal de mise à disposition de l'information chute de façon drastique ce qui se traduit par l'émergence d'une nouvelle économie de la connaissance et du développement des compétences. Dès lors, est-il pertinent de faire payer ce qui peut et doit ne plus coûter cher  et ne vaut-il pas mieux mettre gratuitement à disposition des citoyens et des entreprises ce qui peut leur donner des atouts dans la bataille pour la compétitivité ou pour la défense des patrimoines culturels ?

- le management de l'information et de la documentation doit changer de perspective : il convient désormais de passer d'une gestion de la rareté à une maîtrise intelligente du trop-plein, de la surabondance ;

- l'individu, le citoyen, le professionnel ne sont plus de simples consommateurs, ils deviennent désormais des producteurs d'information, font valoir leurs points de vue, contestent les projets qui ne leurs plaisent pas ou contribuent activement à des projets motivants ;

- toute cette évolution conduit inéluctablement à se poser la question de l'utilité des médiations professionnelles de toutes natures . La révolution du numérique, du réseau, de l'hypermédia vise au fond à supprimer les médiations ou intermédiations inutiles, non fonctionnellement justifiées ou économiquement fondées ; c'est dans cette perspective que doit être abordée la question de l'avenir des professionnels et des métiers de l'I&D.

Retour au plan

4 - LA NOUVELLE MEDIATION PROFESSIONNELLE DE L'I&D

4-1. Les nouveaux besoins de médiation professionnelle

Avec Internet, avec le document numérique en réseau, avec les NTIC, on doit pouvoir, "en principe", se passer d'intermédiaires. Cette révolution (Internet) a été voulue par le monde scientifique pour accélérer et démultiplier ses échanges et donc faire progresser la science plus rapidement. L'individu, utilisateur final, a directement accès à l'information dont il a besoin, de même qu'il peut diffuser lui-même l'information qu'il produit. Dans ce contexte, la médiation professionnelle est désormais sérieusement questionnée : qu'apporte-t-elle réellement, à quoi sert-elle ? Si le professionnel de l'I&D ne sait pas faire mieux que ce que tout un chacun est désormais en mesure d'obtenir en surfant sur Internet ou en consultant l'Intranet de l'entreprise, comment pourra-t-il justifier sa place, son rôle, son utilité?

A cette interrogation fondamentale peut être opposée aujourd'hui une constatation rassurante : plus les usages d'Internet et des NTIC se multiplient, plus les acteurs se connectent au réseau mondial et aux ressources électroniques, plus deviennent évidentes la nécessité et l'urgence de la médiation professionnelle.

Plusieurs besoins en effet émergent de façon certaine depuis quelques temps:

- besoin de gain de temps d'abord et avant tout : même si nombre de personnes sont aujourd'hui capables de surfer sur Internet ou consulter les Intranet ou bases Notes internes, on imagine aisément que ce n'est pas dans la mission d'un PDG que de passer son temps à le faire: le besoin de médiation ou sous-traitance (professionnelle) est patent, surtout si cette médiation s'appuie sur des compétences avancées ;

- besoin de tri, de sélection, d'élimination, de digestion : face au trop-plein, à la surabondance des sources d'information, le besoin de synthèses intelligentes comme d'identification des perles rares ou informations pertinentes devient criant ; on peut indiquer à cet égard que la documentation est avant tout l'art de l'élimination (trouver le signal dans le bruit) et non celui, absurde, de l'accumulation ou de l'empilement stérile des objets documentaires (comme l'ont malheureusement laissé pensé les pratiques usinières de fabrication des bases de données des années 70-90) ;

- besoin de simplification du complexe : les nouveaux outils de bibliométrie et d'ingénierie linguistique peuvent y contribuer alors qu'émerge aussi un besoin très fort de documents ou produits de synthèse systémique et interdisciplinaire;

- besoin de confiance, d'autorité, d'assurance de la qualité des sources, de regard critique sur les ressources documentaires disponibles ;

- besoin de détermination de sens, besoin de conseil et d'aide à la résolution de problèmes : l'information ne sert à rien si l'on ne s'en sert pas, en d'autres termes, c'est plus l'usage de l'information qui compte que sa seule manipulation ;

- besoin surtout d'aide à l'orientation, de guidage ; le documentaliste devient un cartographe de l'espace informationnel, il cartographie les possibles, donne des étoiles, préconise des cheminements privilégiés, il aide à l'autonomisation des acteurs dans l'environnement informationnel ;

- besoin encore d'éditorialisation, de création de produits et services adaptés à divers cibles avec des démarches pouvant aller du "one-to-many" au "one-to-one" : lettres électroniques, animation de forums spécialisés, développement et gestion de sites Internet ou Intranet, réalisation de cédéroms intelligents;

- besoin enfin d'assistance méthodologique, d'accompagnement de l'autonomisation des acteurs dans leurs propres pratiques info-documentaires.

Retour au plan

4-2. De nouvelles fonctions ou responsabilités prenant une réelle importance

4-2-1. Le professionnel de l'I&D comme explorateur-cartographe

Un nouveau rôle pour les professionnels de l'I&D réside dans l'établissement de liens intelligents entre des documents et des grappes de documents (qui ne sont pas nécessairement sur les rayonnages de la bibliothèque ou du centre de documentation). Il convient d'établir des listes et catalogues sélectifs, critiques, plus ou moins commentés, de signets ou favoris. Il faut rendre possible le cheminement efficace des clients ou usagers vers des sites intéressants pour eux. Le documentaliste nouveau devient un véritable géographe de l'information et de la connaissance, il est l'indispensable cartographe de la nouvelle cyber-hyper-documentation. Cela implique pour lui d'aller à la découverte des nouveaux territoires (le professionnel de l'I&D comme explorateur des nouveaux cyber-continents), de pouvoir en identifier la consistance et en évaluer l'intérêt pour les autres, enfin de dresser les cartes (avec points de repère et cheminements privilégiés) pour faciliter la pénétration utile de ces territoires par des acteurs les plus divers (clients, partenaires,…).

Dans le prolongement naturel de cette fonction, il serait tout à fait légitime de mentionner ici le développement des démarches de veille et d'anticipation. Celles-ci, appelées selon les circonstances intelligence économique, veille technologique ou prospective, vont se fonder sur une maîtrise nouvelle des sources et ressources d'information disponibles un peu partout. En fonction de besoins précis, préalablement bien déterminés, le professionnel de l'I&D aura à identifier , suivre et exploiter les gisements pertinents et en assurer le transfert efficace auprès de ses mandants ou clients.

4-2-2. L'éditorialisation de l'information-documentation

De nouveaux acteurs apparaissent et de nouveaux rôles se développent de façon spectaculaire aujourd'hui dans les entreprises ou organisations: citons notamment le cas étonnant des webmasters ou webmestres (des formations professionnelles se multiplient sur ce terrain un peu partout).

Au delà de l'apparent effet de mode que présente ce concept de webmaster, on peut déceler l'émergence d'une médiation ou fonction professionnelle importante, à savoir l'éditorialisation de l'information et documentation en recourant aux outils aujourd'hui disponibles (Web, bases Notes et plates-formes diverses). Il s'agit principalement de donner de la cohérence à l'ensemble de l'infostructure concernée, de rendre possible l'accès simplifié ou avancé aux ressources collectés et mis à disposition, d'assurer la pérennisation des processus info-documentaires dans l'organisation. Il s'agit également de créer de nouvelles ressources numériques, de nouveaux produits documentaires bien adaptés aux besoins des cibles visées en privilégiant de façon déterminée la logique client ou usager et non la logique producteur. Cette fonction de facilitation du transfert de ressources implique de nouveaux savoir-faire techniques mais surtout une bonne complémentarité entre maîtrise des outils et intelligence des contenus informationnels.

4-2-3. L'animation du partage de l'information

Une autre mission importante réside dans l'accompagnement des nouvelles pratiques d'échange et de partage de l'information dans les entreprises ou organisations. Les développements du groupware, de l'Intranet, du travail coopératif autour de l'information visent à donner la possibilité à un certain nombre de personnes de réfléchir et d'agir ensemble, d'échanger des informations utiles dans le contexte d'un nouveau management par projet. Dans cette philosophie nouvelle de l'action, le partage de l'information devient essentiel. Dès lors, le projet stratégique d'un service de documentation pourrait consister à penser, mettre sur pied et faire vivre les dispositifs de partage, d'appropriation collective et d'animation de l'information. Cela signifie aussi être capable de capter des signaux de l'environnement de l'entreprise et de les redistribuer à l'intérieur en faisant en sorte qu'un maximum de personnes modifient leur comportement grâce à cette diffusion plus ou moins sélective de l'information.

On sait aussi aujourd'hui qu'il est essentiel pour une organisation de pouvoir s'appuyer sur un patrimoine informationnel riche et sur un réseau de partage de connaissances qu'on échange, développe et fait fructifier. Si la documentation reste dans son isolement en se cramponnant sur sa seule démarche de fabrication usinière d'artefacts documentaires de l'information, elle risque très vite d'être mise hors jeu et de passer à côté de l'opportunité que constitue le développement de l'entreprise ouverte et apprenante. Il faut s'intégrer aujourd'hui aux processus de création de valeur de l'entreprise. Le service de documentation isolé n'a pas de sens, il faut qu'il soit en phase avec le bouillonnement de l'information dans l'organisation. Dans le contexte de l'entreprise ouverte, fonctionnant en réseau et par projet, les interventions professionnelles en documentation peuvent connaître de profonds changements : télétravail, information à distance, externalisation,…

A noter encore que cette fonction qui joue sur la transversalité des échanges peut aussi prendre en compte la nécessaire pérennisation du patrimoine info-documentaire de l'organisation (échanges des savoirs et savoir-faire entre générations successives).

4-2-4. L'accompagnement méthodologique

On assiste partout à une remise en cause de la relation entre offreurs de services et clients et cela est encore plus vrai pour les métiers de l'information et de la documentation. Aucune profession ne peut prétendre avoir le monopole de l'information. La capacité à s'informer est très largement partagée et dans tous les métiers, quels qu'ils soient - ingénieurs, médecins, juristes,…- , une partie importante de l'action relève de la gestion intelligente de l'information. Dès lors, le médiateur en information-documentation qui se prétend être l'acteur privilégié du management de l'information risque de venir en conflit avec la légitime revendication de ces ingénieurs, médecins ou juristes à gérer eux-mêmes leur information. Internet (et NTIC) leur permet en outre de s'affranchir de toute médiation obligée. Il est donc clair que le plus grand concurrent du professionnel de l'I&D aujourd'hui, c'est son utilisateur ou client qui sait ce qu'il veut, qui sait gérer son disque dur et ses accès au réseau et qui est

La mission du professionnel médiateur sera de plus en plus celle d'un accompagnement, notamment méthodologique, de ses clients et partenaires devenus plus autonomes. Cette intervention de deuxième degré peut prendre la forme d'actions de formation, de conseil ou d'assistance technique. Elle peut très largement recouper le cœur même du métier en donnant plus d'importance à; l'écoute du client, de son besoin, de ses pratiques et de son environnement; elle peut contribuer fortement au développement de la relation de servuction qui lie de façon interactive le médiateur à son client ou partenaire.

Retour au plan

 

Internet est un phénomène étonnant, intéressant mais très perturbateur pour une profession qui s'est fortement développée dans le cadre de schémas de pensée et de procédures bien établis. Internet, le document numérique en réseau, les NTIC ont le grand avantage de produire cette nécessaire onde de choc déstabilisante sans laquelle la profession aurait pu finir par s'endormir, se satisfaire de formules éculées mais au fond de moins en moins pertinentes. Il ne servirait à rien de diaboliser Internet et de rejeter les NTIC, ce sont des réalités aujourd'hui incontournables. La profession doit au contraire faire l'effort de comprendre en quoi consiste fondamentalement cette révolution, de repenser dans ce contexte la mission et les fonctions de la médiation info-documentation et d'oser imaginer de nouveaux possibles professionnels.

Retour au plan

(ADB99) ADBS, Euroréférentiel I&D. Référentiel des compétences des professionnels européens de l'information et documentation. ADBS, Paris, 1999. 73 p.