Archimag, mai 2000 n°134
La mutation des structures documentaires est d'actualité. Elle ouvre une réflexion sur les finalités des centres de documentation, sur la valeur ajoutée de la médiation qu'ils assurent et les organisations à adopter pour assurer efficacement la fonction information-documentation.
Le centre de documentation, un modèle d'organisation remis en cause
Pendant longtemps, le centre de documentation a été perçu comme une organisation pérenne au sein de l'entreprise. Au cours des dix à quinze dernières années, il a pourtant déjà beaucoup changé. On a dû recourir à de nouveaux outils, repenser la gamme des produits et services offerts. Récemment, il a fallu prendre en compte de nouvelles préoccupations: intelligence économique, veille technologique, "knowledge management", "records management", travail coopératif ("groupware"), gestion des flux informationnels ("workflow").
Les structures socio-économiques mêmes de la documentation sont aujourd'hui amenées à se transformer. Nombre de structures documentaires, notamment le centre de documentation, ont été créés et se sont développées dans les années 60 à 90 selon un modèle de centralisation des ressources et des compétences avec en arrière plan le développement important des bases de données bibliographiques. Ce modèle est désormais remis en cause du fait des nouvelles exigences de la société de l'information, de l'explosion des usages d'Internet et des nouvelles réalités d'une économie placée sous le signe de la mondialisation. Certaines entités disparaissent ne parvenant plus à justifier leur utilité. Des structures jusque-là centralisées et à vocation généraliste éclatent en de multiples unités plus spécialisées. Des dispositifs documentaires existants sont regroupés du fait même des restructurations ou fusions d'entreprises ou sont rattachés à d'autres pôles fonctionnels (systèmes d'information, archives, communication).
Les raisons du changement d'organisation
Une première série de causes de changement relèvent de strictes raisons conjoncturelles ou contextuelles: nomination d'un nouveau directeur supprimant les services non directement productifs, mise en place d'un nouvel organigramme, mesures d'économie planifiées (imposant des des rationalisations, des externalisations, ), départ à la retraite de responsables du service de documentation, déménagement de tout ou partie de l'entreprise avec le souci de réduire la charge que représente le centre de documentation, audits imposés par des tutelles mettant en évidence les carences ou lacunes des solutions documentaires adoptées.
La marche actuelle de l'économie mondiale explique la transformation plus en profondeur des dispositifs documentaires. La mondialisation et des marchés désormais plus ouverts, la concentration capitalistique des structures économiques, la dérégulation se traduisent de façon concrète par des fusions d'entreprises, par des modifications des périmètres d'activité, par une nouvelle géographie des interventions et par la recherche de nouvelles économies d'échelle. Faut-il maintenir deux unités documentaires là où une seule pourrait sembler suffire ? Comment développer de nouveaux dispositifs documentaires tenant mieux compte de la géographie nouvelle des interventions ? Doit-on continuer à raisonner en termes d'auto-suffisance pour l'acès à l'information ou faut-il s'appuyer plus systématiquement sur des ressources externes ?
Enfin, l'émergence de la société de l'information conduit des dirigeants d'entreprises et autres responsables à s'interroger sur l'avenir de leurs systèmes ou dispositifs d'information. Internet, l'information numérique multimédia en réseau, le groupware, le workflow changent en profondeur, l'approche du management de l'information et de la documentation. De nouveaux bassins de ressources sont désormais plus aisément accessibles. La documentation interne et le "records management" se développent faisant ressortir le besoin d'une démarche plus globale et cohérente de la gestion des flux informationnels dans l'entreprise (documentation externe et documentation interne se rapprochent). Le développement des sites Internet et Intranet et des solutions de groupware conduisent à rechercher de nouvelle organisations pour l'ensemble des processus de gestion de l'information et de la documentation .
Les objectifs visés par les restructurations
Généralement, l'objectif premier est souvent celui de la réduction des coûts : une fois réalisées les mesures d'amélioration de la productivité des chaînes de production, il faut bien en venir aux solutions drastiques consistant en la suppression du service ou centre de documentation, en la fusion de plusieurs unités documentaires ou encore en l'externalisation de tout ou partie des activités ou prestations documentaires. On peut également rechercher le raccourcissement des chaînes de création de valeur : pour la documentation, cela peut se traduire par la suppression du service centralisé de documentation, en répartissant les moyens dégagés dans les services clients (en visant aussi la qualité globale des dispositifs info-documentaires du fait d'une plus grande "proximité" entre entités documentaires et services clients). Plus généralement, on va chercher à rationaliser l'ensemble des dispositifs d'information existants : archives, documentation générale (ou externe), communication, développement du site Internet ou du site Intranet, gestion des flux (workflow), documentation technique interne (et records management, ), gestion des systèmes d'information.
La documentation doit-elle centralisée ou décentralisée ?
Le centre de documentation et la centralisation de la gestion de la documentation s'imposaient dasn les années 60 à 90, soit en raison de la rareté des ressources, de leur difficulté d'accès ou de leur coût, soit en raison du développement d'une chaîne unique de traitement des documents (la base de données bibliographiques "maison"), soit encore des risques de gaspillages dans la réalisation de certaines prestations coûteuses.
Aujourd'hui le modèle centralisé du centre de documentation mono-fonctionnel est remis en cause. Les technologies Internet conduisent à un développement rapide des réseaux informationnels décentralisés. Les acteurs de l'entreprise, de plus en plus autonomes, sont eux-mêmes à la fois consommateurs mais aussi producteurs d'information. La nécessité d'une plus grande proximité entre sources d'information et utilisateurs de ces sources se fait nettement sentir avec remise en cause des médiations traditionnelles.
La centralisation des moyens et des ressources reste néanmoins intéressante parcequ'elle peut offrir de réelles économies d'échelle (négociation globale avec des fournisseurs notamment). Elle présente également un intérêt du point de vue du développement des compétences professionnelles, individuelles et collectives . Elle peut aussi favoriser la pérennisation des pratiques et des ressources documentaires alors que les restructurations des entreprises conduisent à de réelles pertes de savoir et de savoir-faire. Elle peut encore aider au développement d'approches transversales de décloisonnement des structures.
A l'inverse, la décentralisation présente le grand avantage de favoriser le rapprochement du fournisseur de prestations documentaires de son client principal; cette proximité peut devenir connivence et peut contribuer au développement d'une réelle compétitivité collective. L'approche décentralisée permet encore de mieux responsabiliser les services bénéficiaires dans leurs propres politiques et pratiques info-documentaires.
De multiples possibilités de reconfiguration : le fin du modèle universel
Les reconfigurations ou ré-organisations observées au cours des dernières années varient selon les contextes et les objectifs visés. Il n'est plus possible de se fixer sur un modèle universel d'organisation de la documentation. Elles peuvent ainsi aboutir à des regroupements de moyens, à des fusions d'unités faisant doublons, à la re-centralisation d'unités dispersées, mais complémentaires. Elles peuvent tout aussi bien conduire à l'éclatement de centres de documentation, à la dispersion ou décentralisation des unités, à la recherche de proximité avec les services clients et à la constitution d'un réseau d'unités documentaires dites de proximité. Ces reconfigurations peuvent donner lieu à la création d'une direction fonctionnelle ad-hoc, à l'externalisation de tout ou partie des activités, à l'affectation de certaines activités à d'autres entités fonctionnelles (logistique, ), à l'attribution de missions de nature documentaire aux clients devenus plus autonomes et responsables. La documentation traditionnelle sera encore reliée à d'autres activités (communication, formation, qualité , ) , la documentation générale et documentation interne seront regroupées comme seront regroupées documentation et archives ; la documentation pourra être intégrée aux "systèmes d'information" alors que l'on verra aussi la création de fonctions nouvelles induites par les systèmes d'information (assistants en gestion de l'information, webmasters, ).
Quelques recommandations pour réussir le changement
Savoir anticiper les évolutions, développer une vision prospective et penser de façon "systémique", ouverte: il faut éviter de se laisser pièger par la quotidienneté des chaînes de production, et faire de la veille sur les évolutions de la fonction information-documentation.
Savoir bien évaluer ses forces et ses faiblesses, identifier et évaluer les opportunités qui peuvent apparaître : dans cet esprit, il convient de réaliser régulièrement des évaluations stratégiques et des bilans de santé des structures documentaires.
On cultivera encore l'intelligence d'un certain opportunisme créatif, visant à réagir de façon positive face aux évènements et à trouver les fentes dans lesquelles faire passer les germes des évolutions futures.
On recourera autant que possible à des démarches fonctionnelles qui se référent aux besoins à satisfaire, stables dans le temps, et on évitera au contraire l'enlisement dans la défense des solutions passées ou dans la fuite en avant vers les technologies considérées comme des fins en soi.
On jouera enfin à fond la carte des compétences et des qualifications en faisant confiance à la capacité des hommes et des équipes à rebondir et en privilégiant des approches "constructivistes" visant le changement concerté et l'organisation ouverte et apprenante