Société de l’information

et nouvelles solidarités professionnelles.

L’impérative exigence de dépassement des frontières.

Jean MICHEL, ENPC

JM 331

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 Introduction d'un ouvrage à paraître en Roumanie (édité par Nicoleta Marinescu)

 

Il est devenu banal de dire aujourd’hui que nous sommes entrés de plein pied dans la société de l’information. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication dont Internet constitue le référent identitaire, sont présentes dans tous les domaines d’activité des hommes, enseignement, documentation, édition, commerce, finance, médecine, loisirs, recherche scientifique, etc.. La généralisation des échanges électroniques d’informations et de documents, le caractère universel de cette nouvelle communication globale, planétaire, la rapidité et le caractère spectaculaire des mutations induites font de cette "révolution" un moment clé de l’histoire de l’humanité.

Ce nouvel environnement, global, mondial, concerne tous les groupes humains mais plus encore les communautés professionnelles intervenant dans le secteur des bibliothèques et de la documentation. De nouveaux impératifs de développement des connaissances et des compétences apparaissent qui rendent indispensables de nouvelles pratiques de solidarité professionnelle, et cela à l’échelle mondiale. Le phénomène prend une dimension toute particulière dès lors qu’il touche les acteurs de pays tels que la Roumanie faisant alors ressortir l’impérative nécessité de dépasser les frontières de toutes natures empêchant l’expression innovante des potentialités.

 

La société de l’information : des promesses et des risques

On peut assez précisément dater l’émergence de cette société de l’information du début des années 90 avec le développement des usages d’Internet, d’abord à travers la généralisation du recours à une messagerie électronique universelle, puis par le biais du Web dont la croissance organique, rapide et exponentielle, est réellement un phénomène de société irréversible. Il serait toutefois erroné de considérer la société de l’information sous son seul aspect technologique et de l’assimiler au seul développement des technologies de l’information et de la communication et du document numérique en réseau. Derrière ces technologies d’une grande souplesse et simplicité d’utilisation et dont le caractère universel, global est évident, se manifestent de nouveaux comportements des hommes et des groupes humains, modifiant leurs façons de penser, d’apprendre, de travailler, de coopérer. Cette société de l’information dont on dit aussi qu’elle est société de la connaissance et de l’intelligence, se développe sur la base d’une nouvelle culture de l’information. Les échanges de données et la communication électronique généralisée entre les hommes et les groupes, tant à l’échelle planétaire qu’au niveau local, constituent désormais un facteur incontournable de développement individuel et collectif.

Cette société de l’information porte en elle-même, du fait même se son principe fondateur (la circulation ouverte et facile des informations et des idées) des germes de progrès considérables. Elle débouche sur des perspectives renouvelées en matière d’éducation et de formation et plus généralement d’accès à l’information, à la documentation, à la connaissance (enseignement à distance, auto-formation, bibliothèques et universités virtuelles,…). Elle autorise de nouvelles modalités d’organisation du travail, de coopération ou de développement et de mobilisation des compétences (télétravail, entreprises virtuelles, collecticiels ou communautés de travail,…). Elle transforme encore de nombreux domaines de l’activité humaine avec des avancées spectaculaires en matière de télé-médecine, d’accès aux loisirs, de commerce électronique, etc.). Elle donne enfin de nouvelles possibilités de développement à la démocratie, à la coopération citoyenne, à la vie associative, à l’expression des points de vue divers et variés sur les sujets de préoccupation actuels et cruciaux de la société.

Mais ces promesses de développement ont leur revers de médaille et la société de l’information peut inquiéter par certaines conséquences graves qu’elle pourrait avoir si les acteurs responsables de cette nouvelle société ne font rien pour les éviter. Les comportements criminels, la piraterie, le développement des usages pervers, l’insécurité,… deviennent autant de préoccupations qui nécessiteront rapidement des défenses organisées au niveau des Etats ou même au niveau planétaire, avec la collaboration de tous les acteurs concernés. De même, la société de l’information peut avoir des effets désastreux en matière d’accentuation des inégalités entre riches et pauvres, entre "branchés" et "non-branchés", et cela tant entre les pays qu’au sein même de communautés nationales ou locales. La société de l’information ne pourra pas non plus se développer plus avant sans que soient règlée de façon satisfaisante la question épineuse de l’équilibre acceptable entre divers droits : droit des auteurs, droit des éditeurs, producteurs et autres diffuseurs, droit des médiateurs de l’information et de la connaissance, droit des citoyens dans l’accès à l’information, droit de minorités mises à l’écart de la société de l’information, droit des individus et groupes fragiles, menacés,….

 

Un monde ouvert qui met à mal les frontières de toutes natures

Le point central du développement de cette nouvelle société de l’information réside dans la volonté, largement partagée, de rendre la circulation de l’information plus fluide, d’en accroître l’accès universel et également d’en réduire le coût au niveau le plus bas possible. Ce nouvel éther informationnel (qui peut se transformer aussi, si on n’y prend pas garde en un véritable cauchemar) se fonde sur la mise en cause des frontières de toutes natures qui empêchent ou freinent la diffusion et le partage des informations, des idées et de la connaissance. Internet s’est développé dans les communautés scientifiques dans le but d’accélérer le progrès des idées par le partage large, universel des connaissances, quelles que soient les plates-formes informatiques utilisées, quelles que soient les langues utilisées et les origines ou appartenances des acteurs. La société de l’information met à mal la notion de frontière, elle n’est pas compatible avec les pratiques de cloisonnement et de refus de communiquer, avec les tentatives d’appropriation abusive des idées. Internet, les technologies de l’information et de la communication sont désormais des vecteurs de l’échange universel et ne connaissent pas les frontières traditionnelles qui veulent enfermer les échanges dans des mondes clos sur eux-mêmes. Il en va des frontières entre pays ou entre communautés, comme des frontières entre chapelles, entre disciplines, entre organisations. Le monde ouvert de la nouvelle culture informationnelle engendre de nouveaux modes de pensée et de travail libérés des pesanteurs traditionnelles des sociétés repliées sur elles-mêmes. Dès lors ce monde ouvert devient aussi ferment d’innovations véritables et profondes tant individuelles que collectives ou même sociétales.

Un aspect déterminant à souligner ici a trait à l’émergence rapide de la société de l’information dans les pays d’Europe centrale et orientale qui , il y a encore à peine dix ans, vivaient le drame de la non-communication érigée en principe de défense d’un système politique pervers. Il est intéressant de souligner la concomitance de la libéralisation et de la transformation des sociétés de ces pays et de l’explosion des usages des nouvelles technologies de l’information. Certes cette concomitance ne conduit pas nécessairement aux meilleurs résultats macro-économiques ou structurels dans les pays concernés, mais on peut désormais reconnaître un peu partout la transformation progressive des pratiques professionnelles, éducationnelles et culturelles intégrant de façon pleine et entière l’option des nouvelles technologies de l’information. Il est même aujourd’hui possible d’affirmer que les élites scientifiques ou académiques des pays de l’Europe de l’Est ont tout à fait les mêmes possibilités de développement que celles de leurs partenaires occidentaux du fait de leur appartenance aux nouvelles cyber-communautés spécialisées, mondiales. On peut en dire de même des milieux des bibliothèques et de la documentation qui sont tout à fait en mesure d’exploiter avec profit les nouvelles ressources du Web et de participer aux réflexions collectives internationales sur l’évolution des professions, des compétences, des prestations et des structures de travail.

 

Le contexte Roumain : des potentialités et des limitations

En ce qui concerne la Roumanie, pays de grande culture, fort de riches traditions et surtout solide îlot de latinité dans cette partie de l’Europe, un spécialiste français du management de l’information et de la documentation est forcément amené, un jour ou l’autre, à s’interroger sur les liens à tisser et les coopérations à développer avec des amis, collègues et professionnels de tous bords. Il est vrai que la découverte de ces possibilités d’amitié et de solidarité a été tardive (en raison notamment des barrières antérieures empêchant les échanges), mais elle s’est vite concrétisée sous la forme de différentes opérations en coopération et s’est transformée en une action délibérément militante.

C’est désormais un regard averti et fraternel qui peut se poser sur la situation roumaine, et notamment sur ce qui se fait dans le secteur des bibliothèques et de la documentation. Il est clair que les professionnels roumains méritent vraiment d’être mis en valeur et leurs compétences n’ont rien à envier à celles de leurs collègues français, par exemple, sauf bien sûr à actualiser les savoirs et les savoir-faire les plus récents tenant compte de l’accélération des usages des nouvelles technologies de l’information. Certes les moyens techniques et surtout financiers ne sont pas toujours là et l’accès aux ressources les plus avancées est fortement handicapé par l’absence d’infrastructures technologiques de haut niveau (cela est vrai des réseaux à hauts débits comme aussi de la pénétration fine d’Internet dans les moindres structures de la société). Les conditions de rémunération ne sont guère propices non plus à une évolution facile de l’ensemble de la profession vers les niveaux de responsabilité et de salaire auxquels accèdent désormais les collègues occidentaux (cela est encore plus vrai pour la couche des jeunes professionnels directement en prise avec les exigences de la nouvelle société de l’information). Par contre, il est intéressant de souligner les efforts faits par la communauté roumaine des professionnels de l’information et de la communication pour développer les contacts avec leurs homologues étrangers. Il faut souligner à cet égard le rôle joué par la jeune association InfoDocRom qui a participé activement aux travaux collectifs européens de mise au point d’un "Euroréférentiel des compétences des professionnels de l’information et documentation".

Si un regret peut être formulé ici, il peut renvoyer à la difficulté de mettre en place de façon durable et efficace en Roumanie de réelles communautés de professionnels acceptant de partager leurs savoir et savoir-faire. En d’autres termes, les cloisonnements, les appartenances à des mouvances diverses, les querelles de chapelles et sans doute les jeux individuels et institutionnels de territoires l’emportent trop souvent au détriment de démarches plus solidaires, forcément plus créatives et dynamiques. Les incertitudes de nature politique accentuent cette faiblesse d’un milieu professionnel qui ne reçoit pas toujours les valorisations et reconnaissances auxquelles il pourrait légitiment prétendre. Si les technologies de l’information et de la communication sont désormais bien présentes en Roumanie et si les professionnels des bibliothèques et de la communication savent aujourd’hui en tirer le meilleur parti, c’est en encore dans les têtes et les mentalités que l’essentiel des transformations doit être opéré, ce qui implique un effort considérable et original de formation dont aucune profession aujourd’hui ne peut se passer.

 

L’exigence de formation : tout le monde est concerné

La société de l’information débouche inéluctablement sur de nouvelles perspectives en matière de formation. Elle crée une véritable exigence de mise à niveau permanente des connaissances et des compétences, et cela tout au long de la vie. Dans le même temps, elle rend possible l’auto-formation, facilite l’accès aux diverses ressources documentaires et éducatives, modifie en profondeur le rapport des individus et des groupes au savoir. La multiplication rapide, explosive, des projets de formation recourant aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (enseignement à distance, auto-formation, universités virtuelles , formations en ligne, …) prouve s’il en était besoin que l’on est bien entré dans une nouvelle ère qui force à mettre la formation au cœur du développement des sociétés contemporaines avec un recours quasiment inéluctable aux technologies nouvelles (non pas comme gadget mais surtout comme outil facilitateur des apprentissages).

Cette exigence de formation renouvelée touche au premier chef les milieux des bibliothèques et de la documentation.

L’origine étymologique même du mot documentation renvoie immédiatement à la notion d’enseignement, "Docere", en latin, signifiant textuellement "Enseigner". En d’autres termes, les structures documentaires, et notamment les bibliothèques, vont devoir jouer un rôle beaucoup plus actif que par le passé dans la diffusion des savoirs. Ainsi des centres de documentation et des bibliothèques se transforment, ici ou là, en centres de ressources éducatives ou pédagogiques. Les bibliothèques virtuelles deviennent tout autre chose que de simples bases de données (la plupart du temps, véritables cimetières de notices bibliographiques) et se présentent désormais comme de vrais instruments d’appui au développement des connaissances.

A un autre niveau, il est important de souligner le fait que les professionnels de la documentation et des bibliothèques doivent impérativement faire progresser leurs propres connaissances et compétences. Certes les formations initiales, à l’Université, doivent être repensées assez fondamentalement pour tenir compte des nouvelles exigences de la société de l’information. De nouvelles formations doivent être mises sur pied avec le souci de former les nouveaux acteurs ou managers de la société de l’information et en donnant à ces formations la plus large ouverture internationale possible. Dans le même temps, des programmes de formation continue, accessibles en ligne (universités virtuelles) doivent être développés., permettant à tous les bibliothécaires et documentalistes de mettre à niveau leurs connaissances et compétences.

En Roumanie, cette exigence d’une formation professionnelle repensée, renouvelée, peut constituer un projet national ambitieux. Les compétences existent. Il est donc impératif de proposer un ou des cadres de référence pour permettre le développement de nouveaux processus de formation pleinement cohérents avec la montée en puissance de la société de l’information.. Une obligation imposée à tous les professionnels de l’information et documentation de devoir mettre à niveau leurs connaissances et compétences, en suivant des formations aisément accessibles par les réseaux électroniques, pourrait être une avancée majeure qui ferait de la Roumanie un pays pilote en ma matière. En adoptant les principes de l’auto-formation, de la formation à distance, de la formation tout au long de la vie, en se calant aussi sur les définitions de compétences retenues dans l’Euroréférentiel des compétences de l’information et documentation, les professionnels roumains pourraient rapidement jouer un rôle de premier plan dans le cadre d’une Europe plus solidaire.

 

Un nouveau cadre de référence pour la coopération professionnelle Est-Ouest

C’est du reste en s’appuyant résolument sur une solidarité Est-Ouest repensée, renouvelée, que cette nouvelle démarche ouverte de formation pourrait prendre son essor. En rendant possible l’échange des expériences, notamment entre la France et la Roumanie, en facilitant l’accès, par voie électronique, aux développements les plus récents de la réflexion et des pratiques du management de l’information et de la documentation, en intensifiant les débats via les forums électroniques sur les questions ou préoccupations des professionnels des bibliothèques et de la documentation, on peut parvenir rapidement à une élévation du niveau de prise de conscience des besoins en matière de formation et à une première réponse opérationnelle, simple, pour satisfaire ces besoins.

Cela peut passer par une intensification des échanges de textes à caractère professionnel. Tel ouvrage produit par un spécialiste roumain doit pouvoir être diffusé dans le monde francophone par le biais des vecteurs de communication des associations professionnelles françaises. Les textes publiés dans les revues spécialisées françaises doivent pouvoir être repris en roumain pour une diffusion large dans la communauté roumaine des bibliothèques et de la communication. De nouveaux programmes de formation, ambitieux, doivent pouvoir être établis en partenariat, basé en grande partie sur des modalités d’enseignement à distance et d’auto-formation.

Il faut mentionner enfin le potentiel extraordinaire que représentent, pour la coopération professionnelle internationale, les sites Web personnels et institutionnels. Par le biais d’un outil simple à mettre en oeuvre, les spécialistes qui le souhaitent peuvent mettre à disposition leurs savoir, leur savoir-faire, leurs réflexions. Cela suppose bien sûr l’acceptation a priori d’une philosophie du partage et de la solidarité, mais l’enjeu est tellement important que peu de professionnels devraient être réticents à s’engager dans cette direction. En tout cas, la formule devrait être poussée aussi loin qu’il est possible aujourd’hui. L’expérience personnelle montre que c’est faisable et que c’est par ce biais qu’ont pu s’engager, très facilement et très rapidement, de multiples coopérations franco-roumaines au cours des eux à trois dernières années pour le bénéfice de toute la communauté des professionnels des bibliothèques et de la documentation. Ainsi se manifestera, de façon évidente et opérationnelle, le principe fondateur de la société de l’information (celui de l’Internet aussi) du partage le plus large possible de la connaissance, de la solidarité aussi dans le progrès collectif.

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