La documentation : une profession à la croisée de ses chemins

 JM 340

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Hermès 35 (“Les journalistes ont-ils encore le pouvoir ?”), 2003, p. 185-193

 

PLAN

Les métiers et pratiques de la documentation transformés par la technologie numérique

La technologie numérique, facteur de transformation radicale de la documentation

La fin d'un modèle, celui des années 1970-1995 et le passage à la gestion de la connaissance

Des professionnels de l'information et de la documentation en quête d'un périmètre et d'une identité

Une forte hétérogénéité, une profession très éclatée mais en renouvellement

La reconnaissance et l'identité d'une profession en évolution

Où va, où peut aller la documentation?

Notes

 

Au cours des dix dernières années, le milieu professionnel de la documentation a connu de substantielles et irréversibles mutations, plus ou moins bien perçues et vécues par les acteurs de terrain eux-mêmes comme par ceux qui les emploient ou bénéficient de leurs services. Il n'est pas exagéré de parler de rupture de pente dans l'évolution d'une profession qui affirme aujourd'hui plus nettement son positionnement, sa valeur ajoutée, ses compétences et qualifications et sa contribution aux débats inhérents au développement de la société de l'information et de la connaissance (1). Pour autant, cette profession est moins que jamais identifiable à un modèle unique et des tendances contradictoires d'identification et d'évolution co-existent, contribuant à brouiller l'image d'un milieu professionnel déjà fortement chahuté.

On se propose de caractériser les évolutions les plus marquantes de cette profession depuis une dizaine d'années, de dégager certains questionnements essentiels que cette profession se pose aujourd'hui et d'esquisser quelques perspectives pour un nouveau positionnement et une nouvelle identité des documentalistes dans le contexte d'une société qui vit de et par l'information et dans laquelle tout acteur exerce désormais, de fait, des fonctions et activités de nature info-documentaire.

 

Les métiers et pratiques de la documentation transformés par la technologie numérique

La technologie numérique, facteur de transformation radicale de la documentation

L'arrivée d'Internet dans le milieu de la documentation au début des années 1990 et la généralisation progressive de ses usages et applications en documentation ont "boosté" la documentation avec la multiplication de nouveaux supports de stockage de l'information (Cédéroms, DVD.. ), avec le développement des réseaux et des plates-formes de diffusion (groupware, Intranet... ), avec la puissance combinatoire de l'hypertexte et par conséquent la prolifération des sources accessibles (Web notamment) et les progrès prodigieux des moteurs de recherche et autres outils de l'ingénierie linguistique et cognitive.

Qu'on le déplore ou non, cette nouvelle donne est bien une révolution et on commence à en observer très concrètement les effets dans les pratiques et qualifications professionnelles comme dans les modalités d'exercice des métiers de la documentation.

C'est d'abord l'accessibilité généralisée, infinie, infernale, à des millions de sources et ressources disponibles en ligne (ou sur supports digitaux variés). Traditionnellement orientée vers la collecte, la conservation et la mise à disposition de documents plutôt rares ou difficiles à obtenir, la documentation doit se focaliser aujourd'hui plus nettement sur sa capacité à trouver et préconiser des cheminements sûrs et efficaces dans la nouvelle jungle info-documentaire. Elle doit passer d'une logique de gestion de rareté à une approche de digestion de la surabondance. Accumuler pour accumuler (ce qui était la finalité de nombre de structures documentaires dans les années 1970-1990) perd brutalement de son intérêt et la priorité est désormais mise sur le qualitatif, sur la sélectivité, sur l'intelligence et la valorisation des contenus informationnels.

La technologie numérique ne connaît ni ne reconnaît de frontières, qu'elles soient géographiques, disciplinaires ou professionnelles. Tout un chacun peut "surfer" sur Internet, développer son site Web, entrer des données sur l'Intranet de l'entreprise. Les services d'informatique, de communication, de documentation, de veille, de formation, etc. sont tous amenés à s'impliquer d'une façon ou d'une autre dans le management de l'information. Dans ce contexte, les structures documentaires sont mises en situation de double concurrence. Elles doivent faire face à une autonomie accrue de leurs clients ou usagers qui peuvent se débrouiller sans eux (en première approche) pour accéder aux sources et ressources d'Interner et gérer leur propre information et elles doivent aussi défendre leurs "positions" face à d'autres services (informatique, communication ...) qui considèrent à juste titre qu'ils sont aussi en mesure de gérer de l'information.

Une des conséquences importantes de la technologie numérique est la chute drastique des coûts de manipulation, extraction et transfert de l'information. Pour les services de documentation, ce changement de référentiel économique les condamnent à revoir sérieusement leurs chaînes traditionnelles de travail (traitement documentaire, catalogage et indexation, conception et diffusion de produits... ) et à s'orienter vers de nouvelles pistes telles que l'exploitation du texte intégral ou l'utilisation systématique des outils Web et Intranet comme de la messagerie électronique.

Dans le même ordre d'idées, on se rend compte qu'une partie importante de l'information utile est celle que produit l'entreprise ou l'organisation elle-même. Grâce à la technologie numérique (gestion électronique de documents, archivage électronique, gestion des flux), le patrimoine info-documentaire interne devient plus facilement exploitable, valorisable. Traditionnellement fondée sur la nécessité d'accéder à des sources info-documentaires externes, la documentation doit désormais s'impliquer plus nettement dans cette démarche de capitalisation des informations et des savoirs propres à l'institution, ce que l'on baptise désormais du terme de "Knowledge management" (alors que cette finalité a toujours existé, sous des formes les plus variées).  

La fin d'un modèle, celui des années 1970-1995 et le passage à la gestion de la connaissance

Les éléments de transformation mentionnés ci-dessus ont pour conséquence la mise en cause d'un modèle dominant d'organisation de la documentation largement développé dans les années 1970-1995 dans le prolongement de la première informatisation des pratiques documentaires (3). Ce modèle privilégiait le concept de "centralisation", seule approche possible pour donner accès à des ressources coûteuses et assez difficiles à obtenir et pour gérer des outils informatiques lourds de traitement de la documentation. Le "centre de documentation" était à la fois service, lieu et instrument concentrant les pratiques documentaires, les gestes professionnels.

Le modèle documentaire des années 1970-1995 privilégiait aussi un concept qui a fait longtemps fureur, à savoir "la chaîne documentaire". Celle-ci codifiait les pratiques professionnelles selon un schéma qui permettait d'assurer une transition linéaire rationelle de la production des documents à leur distribution aux "utilisateurs consommateurs". En gros, la documentation se pensait comme maillon d'une chaîne de transfert et se positionnait comme point de passage obligé. Nombre de structures documentaires d'une certaine importance se sont progressivement transformées en producteurs de bases de données (acquérir des documents, les traiter, les mettre à disposition selon un format standard), privilégiant alors une logique manufacturière de production d'ersatz documentaires "marchandisables" oubliant sans doute la vraie finalité de l'intervention professionnelle du documentaliste, à savoir répondre efficacement et intelligemment à des questions que lui posent ses clients. En d'autres termes, l'outil hypermagnifié (la base de données) devient une fin en soi et peut faire obstacle à l'écoute des vrais besoins et des évolutions.

L'arrivée d'Internet a brutalement remis en cause ce modèle canonique de la documentation. Les sources d'information explosent, la circulation des données prend une nouvelle dimension, tout le monde produit du document électronique et tout le monde en consomme, ce qui, au fond, est une bonne chose pour une société qui se développe désormais sur la base des interactions entre ses membres. La nécessité de la médiation professionnelle n'apparaît plus évidente ; les "agents intelligents" de recherche sont de plus en plus performants et donnent globalement le sentiment qu'on peut maintenant se passer de documentalistes pour accéder à l'information utile.

Les centres de documentation, structures centralisant les ressources et pratiques traditionnelles, laissent progressivement place à d'autres modalités de management de la documentation, avec des approches de plus en plus variées, recherche de nouvelles proximités avec les services clients, fusion avec d'autres entités traitant des informations et des documents (services informatiques, archives, communication...), repositionnement sur les finalités... Dans les entreprises, le rôle des secrétaires et autres assistants est également repensé à l'heure des technologies du numérique. C'est donc tout un vaste ensemble de compétences articulées qu'il faut désormais prendre en compte quand on parle de management des dispositifs et ressources info-documentaires, conduisant alors à privilégier une approche systémique et urbanistique pour gérer la nouvelle Infopolis (4).

La "chaîne documentaire" perd rapidement de son intérêt face à la disponibilité accrue et planétaire de sources surabondantes et face à la puissance des outils informatiques (texte intégral, ingénierie linguistique et sémantique, traduction automatique...) et donne l'impression de n'être plus qu'un frein à une dynamisation des nouveaux processus info-documentaires. Les documents hypermédias se mettent en relation et produisent des effets intéressants en termes de navigation ("surfing"), de fluidification de la pensée, d'interactivité entre des acteurs de plus en plus autonomes et interdépendants.

Cette nouvelle accessibilité généralisée aux ressources info-documentaires soulève de nombreuses questions. Comment "saisir matériellement" (préhension) ce caché essentiel que constitue la connaissance des individus et des groupes ? Comment donner du sens aux milliards et milliards de bits qui circulent ? Comment valoriser et exploiter ce sens pour en faire autre chose qu'une immense agitation brownienne stérile ? Ces interrogations ont le mérite de replacer l'homme et sa connaissance au coeur de la réflexion sur l'information, alors que le modèle productiviste des années 1970-1995 avait, à l'opposé, fondé son ambition sur une approche purement "chosifiante" de la documentation.

Le "knowledge management" ou gestion de la connaissance est désormais la nouvelle coqueluche des entreprises. Si le vocable est maladroit et inapproprié (la connaissance ne se gérant pas mais se construisant en permanence contrairement aux boulons documentaires que l'on peut gérer, additivement), il n'en reste pas moins que c'est bien l'interrogation clé du moment. Les professionnels de la documentation sont partie prenante de cette nouvelle démarche collective qui suppose confrontation de points de vue multiples (experts, informaticiens, documentalistes...), recherche de cohérence mais aussi nécessaire respect de la diversité des perspectives. Face à cette situation nouvelle, comment le milieu professionnel se comporte-t-il ?

  

Des professionnels de l'information et de la documentation en quête d'un périmètre et d'une identité

 Une forte hétérogénéité, une profession très éclatée mais en renouvellement

Les chiffres qui circulent pour apprécier le périmètre du milieu professionnel de la documentation sont difficiles à obtenir et à vérifier. Si "L'Association des professionnels de l'information et de la documentation", - ADBS - compte environ 6 000 membres, ce chiffre pourrait être multiplié par trois ou quatre pour avoir une idée plus précise du nombre des personnes qui interviennent avec un certain niveau de professionnalisme en documentation. Il faudrait aussi regarder aux marges de ce premier groupe et prendre en compte des professionnels voisins (bibliothécaires spécialisés, archivistes d'entreprises, records managers, webmasters, veilleurs.., sans parler d'informaticiens qui opèrent de fait comme des gestionnaires de contenus info-documentaires). Globalement, un chiffre de 30 000 professionnels pour la France (150 000 en Europe) ne paraît pas déraisonnable. Le chiffre n'est pas excessif et montre bien que la documentation agit surtout de façon catalytique : pas besoin de gros bataillons de professionnels, il faut surtout disposer de gens bien formés et bien placés pour mettre un peu de lubrifiant dans les rouages des dispositifs documentaires.

Les importants flux de formation (en France, une quinzaine d'IUT, une quinzaine de formations de niveau maîtrise ou DESS, de nouvelles formations liées aux nouvelles technologies de l'information et de la documentation) donnent à penser que la profession se régénère bien, avec une élévation notable des niveaux de qualification.

Globalement, cette profession reste malgré tout très hétérogène, très diversifiée et éclatée. En regardant de plus près le "stock", on peut noter la coexistence des groupes suivants

- des professionnels, avec des niveaux de qualification variés, recrutés dans les années 1960-1980 qui ont souvent pratiqué leur métier dans les mêmes structures documentaires. Ce groupe qui a vécu le traumatisme de la première informatisation de la documentation est aujourd'hui à l'heure de son renouvellement et semble avoir du mal à passer à de nouveaux schémas de management de la documentation

- des personnes placées en documentation (toujours dans les années 1960-1980) sans réelles qualifications professionnelles et qui ont développé progressivement leurs compétences. Cette population n'a pas à l'évidence de vision claire sur les évolutions de la profession et pose souvent de sérieux problèmes d'adaptation aux responsables des unités documentaires

- des professionnels plus jeunes, sortis massivement des formations qui se sont multipliées depuis quinze à vingt ans, et qui constituent désormais le noyau actif (et le gros des troupes) de la profession sans pour autant avoir toutes les armes pour imposer de nouveaux modèles à leur hiérarchie ou leur environnement ; ce groupe sera déterminant dans l'avenir pour le basculement massif de la profession du modèle traditionnel vers de nouveaux schémas de développement;

- de nouveaux professionnels qui sortent depuis cinq à dix ans de formations plus nettement orientées sur les TIC et les nouveaux schémas de management de l'information (veille, KM, etc.) et qui exercent désormais en dehors des structures traditionnelles de la documentation (dans les services clients, dans les unités de terrain, en indépendants, etc.) ; c'est l'avant-garde qui piaffe et qui ne se reconnaît pas toujours dans l'image de la ou du documentaliste

- enfin des quantités non négligeables de débutants ou stagiaires, recrutés pour certains avec des Contrats emploi jeune ou intervenant ponctuellement (pour 3 ou 6 mois) sur des chantiers documentaires proposés par les entreprises. Cette forme de précarité dans l'exercice de le profession est dénoncée violemment par certains qui y voient une dévalorisation de la profession et un encouragement à l'exploitation à bon compte de jeunes en recherche d'emploi. D'autres considèrent au contraire qu'il y a une chance importante à saisir par ces jeunes dans la mesure où la profession connaît une mutation profonde et qu'elle peut offrir désormais des opportunités de carrière intéressantes.

Si l'hétérogénéité est patente en ce qui concerne les groupes en termes de "générations", elle l'est aussi en termes de positionnements en niveaux de qualification et en type de métier exercé. Dans le cadre de ses réflexions et son action sur le devenir de la profession, l'ADBS a clarifié le référentiel des métiers et qualifications, devenu récemment un Euroréférentiel partagé par 9 associations professionnelles d'Europe (6). Couplé avec le dispositif de certification des compétences individuelles mis en place en 1994, ce référentiel met clairement en avant différents niveaux de compétences des professionnels de l'information et documentation

- assistant

- technicien-gestionnaire

- ingénieur-manager;

- expert.

S'il n'est bien sûr pas possible de déterminer en théorie, de façon absolument objective, les délimitations précises de ces niveaux de compétence, les travaux de l'ADBS ont permis malgré tout de cerner des critères de différenciation pertinents et qui recoupent assez largement ce que l'on peut observer sur le terrain. Si le gros des troupes de documentalistes professionnels se répartit à égalité entre les niveaux technicien-gestionnaire et ingénieur-manager (75 % environ), une proportion non négligeable de personnes (15 à 20 % en première approximation) travaillent en documentation avec un niveau d'assistant. Et un des problèmes critiques pour les documentalistes réside dans la difficulté à penser en termes d'évolution de carrière. Nombre de professionnels de la documentation travaillent surtout dans de petites structures de 3 à 10 ou 15 personnes alors que beaucoup exercent en solo (ou à un et demi ou deux).

Il est intéressant de souligner encore un point qui caractérise la profession, à savoir son taux exceptionnel de féminisation. Estimé à 80-85%, ce taux élevé de féminisation conditionne fortement la façon dont sont développées les pratiques professionnelles dans les centres de documentation (nécessité d'une plus grande disponibilité dans le temps personnel notamment). Par contre, il n'est pas aussi important dans les effectifs de jeunes professionnels et parmi les étudiants des filières de documentation. Il n'est désormais plus rare d'avoir 25 à 40% de garçons dans ces filières, la raison majeure en étant le caractère attractif d'un domaine professionnel qui recourt de plus en plus à des solutions technologiques avancées. A noter aussi l'arrivée dans la profession de jeunes professionnels ayant suivi des formations initiales en écoles d'ingénieurs ou de gestion ou des formations scientifiques à l'université (traditionnellement, la documentation recrutait surtout dans la filière littéraire).

La reconnaissance et l'identité d'une profession en évolution

La question de l'identité et de la reconnaissance de la profession de documentaliste se pose régulièrement, souvent après chaque grande révolution technologique (les nouvelles solutions donnant parfois à penser que l'on pourra se passer désormais des documentalistes). Au sein du milieu professionnel, les débats sont parfois vifs sur cette question et il est difficile d'aboutir à des résolutions collectives tant la diversité et l'hétérogénéité de la profession sont fortes.

Culturellement, le milieu ne se positionne pas traditionnellement comme profession dominante, leader, attractive, mais plutôt comme un rouage dans une "chaîne" de transmission de l'information et du savoir avec souvent de fortes valeurs de "service public", profession de nécessité collective en quelque sorte. Ce positionnement est aujourd'hui remis en cause par les plus jeunes et les plus diplômés des professionnels (15 à 20 % des personnes en place) qui raisonnent plus en termes d'opportunités nouvelles de business et de carrière et qui font évoluer considérablement les pratiques professionnelles. Par ailleurs, nombre de professionnels avertis sont aujourd'hui conscients des menaces qui pèsent sur la profession si elle n'évolue pas au rythme des mutations technologiques et cherchent à accélérer la prise de virage. Malheureusement cette évolution n'est pas facile à assurer du fait de l'importance des bataillons de professionnels de terrain et de l'inertie des structures en place (il est symptomatique que le changement même du nom de l'association professionnelle se soit avéré récemment impossible en dépit d'un accord unanime sur la nécessité d'un tel changement pour clarifier l'identité de la profession).

L'explosion des usages d'Internet, le développement des outils de type Intranet ou groupware, l'évolution vers la gestion des connaissances ouvrent aussi le débat de la détermination de la valeur ajoutée spécifique du professionnel de l'information-documentation. En effet, les nouvelles approches de la gestion de l'information et de la connaissance donnent plus d'autonomie aux acteurs de terrain, brouillent les cartes, impliquent de nouvelles compétences et mobilisent des professionnels de champs voisins. Dans ce contexte et plus que jamais se pose la question de savoir à quoi sert la ou le documentaliste et quel est son apport spécifique (qu'il n'est pas possible d'avoir par d'autres moyens). Des réponses sont apportées ici ou là, sur le terrain comme au niveau des structures professionnelles, qui mettent l'accent sur de nouvelles nécessités telles que la cartographie des sources info-documentaires, l'orientation vers les meilleures sources, la capitalisation des cheminements individuels et collectifs, l'extraction du sens caché, la digestion du trop-plein, etc.

Le problème de l'identité n'est pas facile à résoudre car à l'extérieur même de la profession l'image globale de celle-ci n'est pas excellente. Nombre de cadres dirigeants d'entreprises ou d'organisations n'ont qu'une vision étroite de la profession de documentaliste. N'ont-ils pas eu tendance à utiliser les structures documentaires comme de bons dispositifs de placement des "cas difficiles" de l'entreprise ? Les autres acteurs de l'entreprise travaillant sur des terrains proches (directions informatiques et services de communication) ont la chance d'avoir des périmètres sans doute mieux délimités et bénéficient d'avantages que n'ont pas toujours les services documentaires : budgets plus consistants (avec souvent autonomie de décision sur ces budgets), point de passage technique obligé (informaticiens), proximité du décideur et image plus brillante (communication). La documentation est souvent perçue (et se perçoit) comme la "Cosette" de l'entreprise.

Où va , où peut aller la documentation?

La profession est fortement préoccupée par son avenir. L'ADBS est certainement l'instance professionnelle qui a fait le plus pour aider à une prise de conscience collective des nécessités d'une évolution inéluctable. Les débats internes, les publications, les formations continues, les outils de diffusion contribuent à une clarification de l'identité et du positionnement de la profession même si les choses ne vont pas toujours aussi vite que les plus avant-gardistes le souhaiteraient. Dans les entreprises et les organisations, la mutation est perceptible avec son lot d'espoirs, de prises de risques et parfois aussi d'aigreurs et désillusions. Du côté des établissements de formation, le changement est très visible au niveau des contenus des programmes, mais on reste encore prisonnier de recrutements qui ne sont pas les plus appropriés pour investir les nouveaux territoires professionnels.

Les axes critiques ou déterminants de développement pour le succès de l'évolution de la profession de documentalistes sont assez évidents

- investir de façon volontariste dans la maîtrise des technologies du numérique sous toutes leurs formes en cherchant surtout à les employer judicieusement, efficacement pour satisfaire les nouveaux besoins en information, documentation et connaissance (attention, les documentalistes n'ont pas à se transformer pour autant en informaticiens)

- privilégier une vraie culture de l'information, c'est-à-dire s'attacher autant sinon plus au sens de ce qui est véhiculé documentairement qu'au seul dispositif de gestion des boulons documentaires ; cela passe par une élévation constante des niveaux de formation, par un recours fort à la double compétence (croisements disciplinaires) pour les professionnels des niveaux les plus élevés, par une meilleure connaissance des besoins et une meilleure intégration des professionnels dans l'entreprise

- élargir fortement le champ des préoccupations professionnelles, passer de la documentation à l'information et surtout à la connaissance, ne plus se cantonner à la seule gestion de la chaîne documentaire (l'abattage quotidien des couches de documentation) et privilégier une approche plus systémique du management de l'information (aller vers l'Infopolis)

- travailler désormais de façon étroite avec tous les autres acteurs de l'entreprise, sortir la documentation de son isolement, coopérer sur des projets collectifs avec les directions informatiques, avec la communication, avec des journalistes, avec des formateurs (bibliothèques et universités virtuelles), avec les méthodes, les qualiticiens et autres spécialistes du transversal dans l'entreprise

- faire preuve d'audace et d'esprit d'innovation, ne pas hésiter à repenser les structures et solutions documentaires, investir en créativité, stimuler la conception de nouveaux produits et services, gagner en flexibilité et en réactivité, être aussi intelligemment opportuniste et résolument prospectif.

Notes