Le management stratégique de l’information-documentation

au sein de l’entreprise :

un enjeu et un défi pour un professionnalisme repensé?

JM 354

 
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Guide Pratique Archimag ... Manager et développer son service infodoc...

Janvier 2007, pp 13-16

Article publié sous le titre: "Le centre de doc est mort... vive le service infodoc stratégique!"

 

 

Un tournant historique : la mutation des centres de documentation

L’avenir des structures info-documentaires traditionnelles est plus que jamais incertain. Les centres de documentation, comme beaucoup d’autres organisations tertiaires de médiation, subissent de plein flouet l’impact du développement explosif et dévastateur du “numérique” et de l’interconnexion mondiale des réseaux informatiques et de télécommunications. Le questionnement de leur utilité et de leur économie est devenue une réalité dans beaucoup d’entreprises, alors qu’Internet, Google et le Web2 sont devenus, de facto, les référentiels dominants pour la production, la diffusion et le partage de l’information.

La mutation des structures info-documentaires est inéluctable et il faut la préparer, la soutenir et la réussir. Cela passe par un re-positionnement de cette fonction collective dans l’organisation et par un ré-alignement stratégique radical. Pour les professionnels de l’information-documentation, un changement de vision s’impose qui doit s’accompagner d’un développement de compétences nouvelles et changement aussi de posture pour relever les défis du “numérique de la nouvelle compétitivité”. Essayons de le démontrer et de proposer des pistes pour cette transformation du milieu professionnel.

La première informatisation des services info-documentaires dans les années 70 et ce qui s’est développé dans les 20-25 années suivantes ont conduit à l’émergence d’un modèle particulier de management des ressources documentaires, conduisant à ce que certains ont appelé “l’industrie de l’information” et consistant en la production généralisée de bases de données, en leur diffusion par voie télématique et en la consommation quasi obligée de ces ressources en ligne. Les centres de documentation se sont tous conformés à ce modèle technico-économique dominant, mais sans vraiment repenser leur finalité, leurs fonctions et leur positionnement dans l’entreprise. Et sans doute même se sont-ils enfermés dans une approche trop technicienne de la documentation au détriment d’une vision plus prospective et stratégique de leur mission de médiation autour de l’information.

La révolution numérique et la nécessité d’un autre management de l’information

Le phénomène Internet (l’interconnexion mondiale des ordinateurs) et la généralisation du fait “numérique” viennent bousculer le modèle “industriel” de cette période glorieuse et rendent nécessaire l’émergence de nouveaux concepts de production et de partage de l’information. Vers la fin du 20ème siècle, le mail, le web, le multimédia et aujourd’hui les fils RSS, les blogs et le P2P modifient en profondeur le rapport des hommes à l’information et à la connaissance. Acteurs désormais autonomes de la société de l’information, nombre de personnes s’interrogent désormais sur l’intérêt de l’intervention de documentalistes et les responsables économiques vont même jusqu’à considérer cette médiation professionnelle comme inutile et coûteuse, ce qui conduit à une remise en cause de l’existence des centres de documentation.

Cette crise est toutefois salutaire et surtout ouvre de nouvelles perspectives. En effet et paradoxalement, plus la “soupe numérique” se généralise, plus se pose la question de sa maîtrise et plus monte la nécessité d’un autre regard sur le management des ressources info-documentaires dans les organisations. Mais pour cela, il faut repenser le modèle organisationnel, reconsidérer les périmètres d’intervention, changer les paradigmes de la documentation et bien entendu ses pratiques. Surtout il faut donner du sens à la médiation professionnelle et à la fonction collective de dynamisation de l’information-documentation, définir de nouveaux projets plus ambitieux, plus stratégiques qui n’auront plus rien à voir avec le traditionnel engrangement de références dans de grosses bases de données ou avec la production si peu valorisante des inusables panoramas de presse.

D’une posture de pur technicien ou gestionnaire de la documentation, le professionnel doit désormais passer à une véritable dimension de manager, c’est à dire développer des modalités et compétences d’intervention qui le positionnent autrement et pour “autre chose” dans l’organisation. Cette nouvelle posture de manager ne se limite surtout pas à la seule gestion des ressources qu’elles soient informationnelles, humaines, technologiques ou financières. C’est vraiment au niveau du management stratégique de l’information de l’entreprise qu’il doit se placer. Cela veut dire être en mesure de penser l’information comme ressource stratégique partagée, ambitionner d’agir en transversalité et de façon globale et pas seulement dans l’enfermement de son centre de documentation devenu aujourd’hui trop étriqué et inutile.

L’Infopolis et la dimension urbanistique du management de l’information

Les périmètres d’intervention doivent être complètement redéfinis avec une vision large, urbanistique, du management global et transversal de l’information dans l’entreprise. L’information est partout, elle est au cœur de tous les processus de travail, de tous les métiers. Les documents utiles (et malheureusement aussi inutiles) prolifèrent de façon dramatique sans qu’on sache bien maîtriser cette “infobésité”. La gestion efficace de cette “documasse” numérique devient un impératif collectif et un enjeu stratégique pour toute organisation qui veut rester compétitive. Il faut donc désormais redonner du sens à tous ces flux et stocks de ressources info-documentaires, se recentrer sur la valorisation et l’exploitation raisonnée du patrimoine informationnel de l’entreprise, mais dynamiser aussi les échanges d’idées et de connaissances et associer l’ensemble des acteurs à la construction et au développement d’une “infopolis” durable. Cette vision urbanistique du management de l’information conduit à repenser de façon dynamique et créative l’équilibre entre ordre et désordre dans les dispositifs à promouvoir et sûrement à éviter deux écueils sérieux aujourd’hui :

- l’anarchie totale ou “bidonvillisation” des pratiques info-documentaires (chacun fait ce qu’il veut, libre qu’il est de recourir à ses mémoires autonomes et nomades et à ses moteurs de recherche préférés) ;

- l’encadrement technocratique stérile des ressources info-documentaires dans des schémas informatiques rigides, de plus en plus éloignés d’une bonne compréhension des besoins des hommes.

Un nouveau professionnalisme doit émerger ayant pour objectif de relever ce défi difficile que constitue le management stratégique de l’infopolis, jouant de la synergie des compétences variées (informatique, documentation, communication, gestion…) et visant la transversalité de l’information dans l’entreprise.

La perspective globale IDC - information+document+connaissance -

Au cours des vingt dernières années, de multiples perspectives ont été ouvertes qui ont souvent conduit à l’apparition de nombreuses “chapelles” professionnelles. Aux traditionnelles professions ou milieux des bibliothèques, des archives et de la documentation (malheureusement déjà bien cloisonnés) sont venues s’ajouter les spécialités de la veille, de l’intelligence économique, de la GED, du records management, du content management, du knowledge management, du webmastering, etc. sans oublier tous les modalités d’intervention des gens de l’informatique et des “systèmes d’information”. L’infobazar est la règle de fait sur ce terrain alors que tout le monde professionnel de l’information souffre d’un manque de reconnaissance évident. Cette prolifération d’appellations et de pratiques professionnelles toujours plus segmentées dénote d’une rare incapacité globale à penser le management des “choses de l’info-documentation” comme un tout. C’est la raison pour laquelle on ne peut que militer pour un management de l’information qui prend en compte et intègre trois composantes indissociablement liées, à savoir :

- l’information, ressource immatérielle puissante, regard des hommes sur leur monde et expression même de valeurs d’altérité, enfin force de progrès dès lors qu’on en dynamise l’échange ;

- le document, trace matérielle objective de l’information et objet nécessaire pour l’échange de celle-ci, mais ressource coûteuse par nature et dont il faut gérer efficacement la production, la mise à disposition et la conservation (que ce document soit physique ou virtuel) ;

- la connaissance, l’au delà ou l’en deça de l’information, démarche (plus que ressource) de dé-construction et construction (mais surtout pas d’accumulation) qui permet d’agir individuellement et surtout collectivement.

Les nouveaux managers de l’information, ayant une vision stratégique de leur rôle, doivent être en mesure de jouer sur les multiples curseurs permettant de mélanger judicieusement, en fonction des besoins et de la stratégie, ces trois composantes I, D, C.

Les principes ou fondamentaux d’un management stratégique de l’information

Le management ne se résume pas à “gestion de ressources”, et encore moins le management stratégique. Et en ce qui concerne le management stratégique de l’information, rien ne serait plus absurde que de le limiter à la seule gestion quotidienne du centre de documentation, à la seule question de la résolution de conflits au sein des équipes ou encore à l’inévitable et obnubilante préoccupation du choix de techniques plus ou moins sophistiquées. Retenons plutôt un certain nombre de grands principes ou fondamentaux qui doivent en permanence éclairer les décisions des managers de l’information, de l’IDC et de l’Infopolis :

- s’assurer du bon “alignement stratégique” du dispositif que l’on met en place ou en œuvre ce qui veut dire être à l’écoute des préoccupations fortes de l’institution, interpréter professionnellement les axes stratégiques de celle-ci, donner une dimension “politique”, responsable, à son action, assumer et revendiquer sa juste part dans les démarches collectives de progrès ; de façon plus directe encore, le management stratégique de l’information c’est être en mesure d’avoir une vision de la ligne à suivre (valeurs, missions, objectifs) et de mettre en œuvre les processus de convergence vers cette ligne ;

- bien penser “système” et promouvoir une démarche systémique (gestion de la complexité en contexte de rationalité limitée), c’est à dire tenir compte des relations multiples, complexes mais actives, de diverses parties prenantes ; le professionnalisme ne peut pas ignorer cette réalité d’aujourd’hui qui pousse plus à rechercher ensemble le moins mauvais compromis acceptable plutôt que rêver en solitaire une perfection inatteignable et coûteuse ;

- adopter résolument une démarche “prospective”, c’est à dire être capable de comprendre les phénomènes dans leurs évolutions sur la longue durée ; il faut impérativement “sortir le nez du guidon”, voir au delà du mur de brouillard, anticiper (techniques, ressources, comportements…) et aussi aider les autres (hiérarchie, partenaires, collaborateurs, clients…) à comprendre ce qui est en train de se passer ou ce qui va se passer ;

- avoir en permanence le souci de créer de la valeur (ou de ne pas se laisser la valeur se dégrader), ce qui veut dire penser la meilleure articulation entre besoins à satisfaire et ressources à y consacrer, entre services rendus et coûts, et ceci en optimisant le bénéfice pour tous ;

- donner la priorité à l’homme dans les démarches de progrès, mettre les compétences au cœur des projets, favoriser la synergie des efforts et surtout ne jamais oublier l’homme derrière ou devant la machine : le management stratégique de l’information ne se résume pas un choix de technologies (machines, logiciels), c’est d’abord et avant tout une philosophie de l’innovation pour et par les hommes.Quelques recommandations utiles pour franchir le cap vers le management stratégique

Mutation des structures info-documentaires, changement de posture des professionnels en charge de leur pilotage, vision urbanistique large pour prendre pleinement sa place dans la dynamique de la nouvelle Infopolis… certainement beaucoup d’efforts à faire pour parvenir à une nouvelle identité. D’expérience, on sait que c’est possible et surtout “payant” in fine.

Plusieurs points méritent toutefois une attention particulière que l’on présentera ici sous formes de recommandations

- ne pas craindre la critique de l’existant, accepter sereinement audits et autres démarches plus ou moins volontaires ou participatives d’évaluation ;

- oser présenter, monter et défendre les projets au meilleur niveau hiérarchique possible et surtout communiquer positivement avec le top-management sur les perspectives qui s’ouvrent aujourd’hui ;

- soutenir une démarche de communication et de pédagogie auprès de et avec l’ensemble des autres acteurs de l’organisation ;

- rester souple dans la conduite de son projet, en sachant jouer au mieux, des opportunités, des forces et faiblesses du moment, sans pour autant renier sa détermination ;

- accepter de se faire aider, appuyer, dans cette démarche de repositionnement stratégique en faisant appel soit à des ressources internes compétentes, soit à un coaching externe ;

- travailler avec un soin tout particulier le langage, le vocabulaire, les appellations, les signes et formes de l’identité, le ton même de l’ambition ;

- prendre de l’intérêt et du plaisir à oser défendre un nouveau management de l’information pour l’entreprise ou l’organisation.