Production du fer : méthode directe et méthode indirecte, bas-foyer et haut-fourneau, fer et fonte

Les techniques de production du fer à partir du minerai de fer ont certes bien évolué dans le temps mais, de façon schématique, on peut distinguer deux filières de production, l’une artisanale basée sur la réduction directe du minerai, l’autre industrielle passant par une étape préalable de production de fonte suivie d’une réduction indirecte de celle-ci pour obtenir le fer. Les deux textes ci-après expliquent ces deux filières sidérurgiques.

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Bibliographie


1 - DEUX TECHNIQUES FONDAMENTALEMENT DIFFÉRENTES
In La métallurgie artisanale, Mayn Séry, Christian Moretti, Éditions Vial, 2014, pp. 16-17

Réduction directe et réduction indirecte... Que recouvrent donc ces termes ? Ils sont fondamentalement importants, car c’est là que réside la différence entre les deux techniques et non en quelque écart de taille des foyers. Lorsque l’on parle de bas-fourneau ou de haut-fourneau, plus qu’affaire de dimensions il s’agit de hauteur de température, donc d’une référence à la technique…

La réduction directe se déroule dans un bas-foyer, nom préféré à bas-fourneau qui pourrait indiquer une enceinte fermée. La température y reste basse, c’est-à-dire quelle ne doit pas dépasser 1 350 °C. Cette température est un seuil critique. C’est à cette température que se déroule l’agrégation des grains de métal entre eux, mais au-delà de laquelle le risque d’hypercarburation augmente rapidement pour engendrer une production de fonte lorsqu’est atteinte la fusion à 1 600 °C. Le bas-foyer reste en dessous de ce seuil. Donc la séparation entre les molécules de fer et toutes les autres molécules présentes dans le minerai s’effectue par un enchaînement de réactions chimiques, relativement lent et doux, et non pas par un passage à l’état liquide issu de la fusion.
Le fer à cette température reste semi-solide, on peut dire pâteux, donc les grains de fer s’agglutinent entre eux au sein d’un “lac” liquide constitué des autres molécules (essentiellement de la silice) qui fusionnent à température plus basse. La masse de fer, que l’on obtient sous forme d’un volume approximativement semi-sphérique appelé loupe ou massiot, s’extrait avec des pinces du sein du foyer. Le fer est ainsi obtenu directement de son minerai. Il peut dans certains cas être directement forgé en lingot.

La réduction indirecte s’effectue dans le haut-fourneau. La température y atteint 1 700°C au minimum. Le métal passe bien au-dessus de son seuil de fusion. Le minerai de fer, mais aussi tous les autres minerais secondaires, ainsi que tous les autres éléments constituant la matière minérale, silicium, manganèse, etc., deviennent liquides. À cette température, les réactions chimiques complexes provoquent au sein du fer une absorption énorme de carbone provenant des dégagements gazeux. Ce carbone s’intercale entre les molécules de fer. Le fer allié au carbone en tel pourcentage (plus de 2 %) donne de la fonte.
La fonte liquide est coulée dans des moules. On obtient des gueuses de fonte. Cette fonte est dite sauvage car elle est constituée d’un mélange aléatoire en fonction des éléments qui ont été rassemblés dans le creuset de fusion. Cette fonte doit être décarburée dans des convertisseurs à grand renfort d’injection d’oxygène pour obtenir des aciers par décarburation partielle. Pour obtenir du fer, l’acier devra passer à nouveau dans des convertisseurs pour subir une nouvelle décarburation. Très énergétivore, et nécessitant de nombreuses étapes ce principe d’obtention du fer est celui de la méthode indirecte. Le fer ne peut y être obtenu qu’indirectement en passant par la fusion, puis par l’état de fonte, puis l’état d’acier.
Remarquons qu’actuellement le recyclage des métaux constitue une grande partie de la matière première de la sidérurgie actuelle. Cette technique, sans aucun rapport avec les réductions traditionnelles, se déroule par fusion à l’arc électrique. Ce procédé qui possède un caractère de recyclage des matières plutôt favorable à la conservation des réserves planétaires recèle pourtant un inconvénient majeur. Un pourcentage important de métaux que l’on ne parvient pas à évacuer complètement, dont particulièrement le chrome et l’aluminium, fond en se mélangeant dans le creuset. Toutes les molécules mélangées deviennent liquides et intimement mélangées. Ces aciers sont définitivement pollués. La méthode directe de la métallurgie artisanale met en œuvre les moyens les plus simples de la manière la plus efficace : l’obtention de fer directement à partir de son minerai. Voilà pourquoi nous qualifions de “premiers” les métaux issus de ce procédé.


2 - UN PEU DE TECHNOLOGIE

In Un passé oublié. Essai sur la sidérurgie dans le triangle d’or. Roger Bailly, Caracter’s, 1998, pp. 10-13

 

Pour obtenir du métal le minerai doit, évidemment, être fondu. Pour ce faire on a utilisé, au cours des siècles et sommairement, deux procédés : la ferrière ou bas fourneau (méthode directe) et le haut fourneau (méthode indirecte).

Sur les ferrières on ne sait que peu de choses. Les premières ont dû être réalisées à l’aide d’argile pétrie et de pierres, d’un mètre environ de hauteur et de moins d’un mètre de diamètre. Puis on faisait durcir l’ensemble sous un feu doux et continu de manière à ne pas faire éclater la paroi. Ces opérations terminées on chargeait le fourneau alternativement de lits de charbon de bois, de minerai préalablement trié, concassé et lavé dans des bocards et éventuellement d’herbue, terre argileuse et ferrugineuse qui jouait le rôle de fondant et l’on mettait le feu. Un soufflet actionné manuellement activait la combustion (note : afin d’obtenir la fusion du minerai et de sa gangue, il fallait atteindre une chaleur voisine de 1 500°C. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner si, dans la haute antiquité, le fer était plus rare que l’or). Le métal, plus lourd, se déposait à la base de l’appareil, la crasse, plus légère, s’échappait par des orifices spécialement aménagés. L’opération se soldait par l’obtention d’un bloc de métal pouvant peser une vingtaine de kilos.
Ce fourneau [bas-foyer, ferrière] ne devait servir qu’une seule fois mais comme le procédé présentait l’avantage de ne pas exiger l’utilisation d’une grande quantité d’air sous pression l’appareil pouvait être construit sur les lieux mêmes de l’extraction du minerai, hors de la présence d’un cours d’eau, comme ce fut le cas au hameau de Ferrière (commune de Goux-les-Usiers) ou sur la côte de Rochejean ou dans les environs des Verrières dont le nom proviendrait de la déformation du mot “ferrières”.

Ce procédé primaire fut ensuite amélioré afin de répondre à une demande accrue de métal, militaire en particulier ; le volume de l’appareil constitué de pierres brutes et de terre réfractaire a été sensiblement augmenté et surtout on dotait l’ensemble d’une soufflerie actionnée par l’eau d’un ruisseau Ce type de fourneau, rechargeable au cours d’une même opération de fondage et utilisable plusieurs fois, appelé ferrière hydraulique, fonctionnait selon la “méthode catalane” et pouvait produire jusqu'à 150 tonnes de métal par an.
Remarque importante : dans les deux cas visés ci-dessus le métal obtenu était du fer et non de la fonte. À ce sujet P.-L. Pelet a écrit : “Dans le second quart du XVIe siècle les anciennes ferrières à soufflerie hydraulique mais produisant du fer doux ont en effet cédé la place aux hauts fourneaux coulant des gueuses de fonte et à leurs indispensables auxiliaires les forges d’affinerie”.
La dernière modernisation de l’installation destinée à fondre le minerai de fer c’est donc le haut fourneau.

Description d’un haut fourneau comtois par l’intendant d’Harroys au début du XVIIIe siècle (citée par F. Lassus) :
“C’est une grande tour carrée de pierre de taille dont les murs ont de quatre à cinq pieds d’épaisseur et de vingt à vingt deux pieds de hauteur. Le vide de cette tour est de sept à huit pieds ; dans ce vide, on élève depuis le bas jusqu’au dessus un autre mur qui a deux pieds et demi d’épaisseur par le bas et se monte en s’étrécissant par le haut en sorte que l’embouchure au-dessus du fourneau n’a guère que deux pieds au carré. C’est le second mur bien maçonné qui contient la mine et le charbon que les ouvriers appellent la chemise, elle empêche que l’ardeur du feu ne brûle la tour qui la renferme.
Dans la base de la chemise, il y a un grand creuset fait de grands quartiers de pierre à feu des meilleures qu’on puisse trouver. Au bas de ce creuset il y a une issue pour en faire couler en dehors le fer cru que l’on appelle la fonte dont on forme deux gueuses en 24 heures ; dans certains fourneaux l’on va jusqu’à trois qui pèsent chacune 15, 16 à 1 700 livres.
Dans le bas du fourneau, à l’un de ses côtés, il y a un trou par lequel on insinue jusqu’à l’entrée du creuset un grand tuyau de fer battu en forme d’entonnoir qui traverse l’épaisseur de la tour et de la chemise ; il reçoit le vent de deux gros soufflets de bois qui ont 15 à 16 pieds de longueur, garnis d’un fer de deux pieds par où sort le vent”.
Le haut fourneau, comme les ferrières était rempli de couches successives de charbon de bois, de minerai et éventuellement d’herbue ou de castine.

Suivant sa destination la fonte était soit coulée directement dans des moules afin d’obtenir des objets finis de taille relativement importante (enclumes, chaudières, marmites, taques ou platines de foyers domestiques ou d'affineries, parties de poêles - en particulier fourneaux dits à quatre marmites - etc.) soit coulée sous forme de gueuses (note : la chaleur transformant la pierre calcaire en chaux, la chemise devait être refaite périodiquement. La durée moyenne d'un haut fourneau était d’environ vingt ans).
Par rapport à la ferrière le haut fourneau présentait l’avantage de traiter dans un même temps une plus grande quantité de minerai et par conséquent d’obtenir un produit meilleur marché. Par ailleurs l’opération de fonte pouvait s’étendre sur une période beaucoup plus longue et comprendre une vingtaine de chargements successifs. Mais la chaleur obtenue dans cet établissement étant plus élevée du fait de l’importance de la soufflerie il se produisait une série de réactions chimiques complexes qui aboutissaient à la formation d’acide carbonique sous forme gazeuse qui attaquait le fer en fusion et, par adjonction de carbone, le transformait en fonte. Il fallait ensuite décarburer la fonte trop cassante en faisant brûler le carbone excédentaire par l’oxygène de l'air dans des affineries ou renardières. On partait du principe que “l’affinage au bois ne convient qu’aux fontes de qualité supérieure”. Cet affinage pouvait d’ailleurs se poursuivre soit au marteau soit au laminoir. L’acier obtenu était travaillé dans des martinets mus par la force hydraulique d’où sortaient les articles les plus importants ou dans des forges qui produisaient de l’outillage plus léger. Les innombrables outils indispensables à la vie rurale des siècles derniers ont été essentiellement fabriqués dans ces deux types d’établissements.


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