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La vie religieuse à Pontarlier et dans le Haut-Doubs du XVIe au XIXe siècles

Dans ses publications, l'historien Michel Malfroy a bien décrit le développement de la vie religieuse à Pontarlier et dans le Haut-Doubs frontalier. Il montre que ce territoire a été, de longue date, un bastion du catholicisme militant face aux menaces que représentaient la Suisse protestante voisine et les réformes luthérienne et calviniste. Ce militantisme ultramontain s'est aussi vivement manifesté pendant la période sombre de la Révolution, avec un Haut-Doubs vite devenu secteur privilégié des “réfractaires”. Ce catholicisme engagé s'est traduit par le développement de missions d'évangélisation (ou ré-évangélisation) tout au long du XVIIIe siècle, missions qui, plus tard sous la Restauration, prendront une véritable allure ostentatoire et conquérante, dans un contexte de “sur-encadrement ecclésiastique” du territoire.

Sources :
  • Michel Malfroy M., B. Olivier, P. Bichet, J. Guiraud, Histoire de Pontarlier, Cêtre, Besançon, 1979, 325 p.
  • Michel Malfroy M., B. Olivier, J. Guiraud, Histoire religieuse de Pontarlier et du Haut-Doubs, Cêtre, Besançon, 1985, 373 p.
  •  Michel Malfroy, Pontarlier d’hier et aujourd’hui, Editions de la Vallée, 1990, 165 p.

1 - Le Haut-Doubs, traditionnel bastion de la Contre-Réforme

Au XVIe siècle, le Haut-Doubs demeure un bastion du catholicisme et de la Contre-Réforme. Le Haut-Doubs a résisté à la pénétration du protestantisme. Mieux : il se présente comme le bastion de la Réforme catholique, que le concile de Trente (1535-1563) avait “programmée” et que les archevêques de Besançon - Ferdinand de Rye et Antoine-Pierre de Grammont en particulier - avaient imposée dans leur diocèse. L’action de ces prélats est relayée par celle de nouveaux ordres religieux - à Pontarlier même, où cinq couvents sont autorisés à s’installer en un demi-siècle, entre 1612 et 1665.
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Les Jésuites connaissent toutefois des problèmes d’installation, le Magistrat de Pontarlier se montrant d’abord hostile à leur présence et tout particulièrement à leur activité enseignante. Ils finissent par obtenir les lettres patentes nécessaires (1613) et, après un passage dans l’ancien château au nord de la ville, ils achètent une maison de l’hôtel de ville. Les Capucins ont vécu les mêmes difficultés - et un échec en 1614 - avant d’obtenir en 1618 du Magistrat les autorisations pour s’implanter au faubourg Saint-Pierre.
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Gallicanisme, jansénisme ne rencontrent pas d’adeptes dans le clergé (du Haut-Doubs) ni chez les fidèles. L’affaire des Jésuites montre aussi le particularisme comtois. Après la dissolution de cet ordre en France en 1764, le Parlement de Besançon tente de s’opposer et retarde au maximum l’application des décrets royaux. Le catholicisme demeure donc solidement implanté dans la contrée. Pontarlier apparaît même comme un îlot de résistance du catholicisme à une époque où l’esprit de foi tend à diminuer.

2 - Au XVIIIe siècle, une foi traditionnellement solide, renforcée par les missions, mais se traduisant par un fort immobilisme


Le XVIIIe siècle commence “dans une atmosphère de catholicisme militant”. La ferveur observée s’explique en partie par l’action persévérante et la forte personnalité des archevêques qui s’emploient à former un clergé solide. Parmi eux, une famille domine le diocèse : celle des Grammont. Antoine-Pierre Ier, qui est archevêque depuis 1662, meurt en 1698. Il est remplacé par son neveu François-Joseph (1698-1717) ; puis, après un bref intermède, un nouveau membre de la famille réapparaît en la personne de Antoine-Pierre II de Grammont (1735-1754).
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L’évangélisation qui apporte aux hommes non seulement “une vision consciente de leurs faiblesses”, mais aussi les secours de la religion, est assurée par le prêtre et des missions diocésaines. Malgré les progrès de l’instruction, l’essentiel de l’information religieuse reste oral. Le message du Christ est rappelé lors de la célébration de la messe, au moment du prône lorsque le prêtre commente l’Évangile et essaie d’éclairer, de conseiller, de guider les fidèles. Son action est complétée et relayée par des missions, organisées à sa demande ou à celle des paroissiens, et qui durent trois à six semaines.  Dans ce domaine, les prêtres missionnaires de Beaupré ont joué un rôle important en s’employant “à réveiller la foi endormie, dissiper l’ignorance et purifier les mœurs”.
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Au cours du XVIIIe siècle, les missionnaires se rendent dans la plupart des paroisses du Haut-Doubs. Par exemple, ils viennent six fois à Boujailles (1697, 1708, 1718, 1739, 1756, 1784), quatre fois à Gilley (1730, 1745, 1763, 1778) et à Pontarlier (1679, 1746, 1766, 1781), trois fois à Rochejean (1721, 1752, 1768)... Au cours de ces missions, les Pères veillent au maintien et au respect de l’orthodoxie. Lorsqu’ils se rendent à Boujailles en 1739, c’est à la demande des paroissiens et non du curé Poulain, né à Arc-sous-Montenot et suspecté de jansénisme. Afin de ne pas se compromettre, les missionnaires “ne logèrent pas chez lui, ne mangèrent point avec lui”.
Les missionnaires en profitent pour lutter contre les mauvaises mœurs, le développement des cabarets “école d’impiété et d’immoralité..., séjour du blasphème et des discours libertins”. Ils cherchent à en limiter non l’action du moins le nombre. Par exemple, en 1763, les habitants de Gilley s’engagent par acte notarié à ne pas avoir plus d’un café dans leur paroisse.
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La population laborieuse demeure dans l’ensemble profondément attachée à la religion catholique. Le protestantisme n’a pu s’implanter au XVIe siècle. La Contre-Réforme a ensuite trouvé dans ce milieu rural et montagnard un terrain propice. Aussi a-t-elle exercé une action profonde. Au XVIIIe siècle, le protestantisme n’est toujours pas reconnu et la législation lui reste hostile. C’est ainsi qu’au milieu du siècle, un Pontissalien, souhaitant embaucher un directeur et des ouvriers suisses dans une manufacture de toile qu’il vient de fonder, doit solliciter une autorisation de l’intendant.
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Si la ville (de Pontarlier) se donne un visage neuf dans le domaine de l’urbanisme, les forces traditionnelles demeurent dominantes jusqu’au tournant des années 1770/80. L’immobilisme économique (et donc social) conforte le conservatisme politique.

3 - La Révolution tourmente mais un Haut-Doubs plutôt “réfractaire”

Période de tourmente pour la vie religieuse que celle qui va de la Constitution civile du clergé (1790) au Concordat (1801).... Le Haut-Doubs a vécu intimement les luttes et les déchirements provoqués par le schisme. La tradition religieuse et la présence de la frontière suisse peuvent expliquer, semble-t-il, cette originalité historique. Gaston Bordet a souligné la vitalité remarquable de l’Église comtoise à la fin du XVIIIe siècle. “En grande partie épargnée par le jansénisme, aux frontières des bastions du protestantisme genevois et montbéliardais, elle maintient, en plein siècle des Lumières, le dynamisme prolongé de la Réforme catholique”. Mais déjà se dessine la physionomie du diocèse et des futurs départements du Doubs, de la Haute-Saône et du Jura : les ordinations sacerdotales sont beaucoup plus nombreuses dans le premier département (le Doubs), et, à l’intérieur de celui-ci, les “cantons” du Haut-Doubs sont, d’une façon générale, bien représentés.  De même faudrait-il dresser une carte de la Franche-Comté durant la Révolution ; la partie basse est une zone de prêtres assermentés alors que la montagne est le domaine des réfractaires.

4 - La Restauration, une religion triomphante et un “sur-encadrement ecclésiastique”

La Restauration politique — le retour des Bourbons, Louis XVIII, puis Charles X — s’accompagne d’une véritable restauration religieuse, marquée dans le diocèse par l’abondance des manifestations extérieures du culte. Pour beaucoup de catholiques, le triomphe de la religion et la restauration de la monarchie ont été ressentis comme allant naturellement de pair — “Vive Jésus Christ, Charles X et la France”, proclame un cantique! En 1823, le nombre des ordinations l’emporte sur celui des décès de prêtres ; le clergé est plus jeune, mieux formé. Pourtant les querelles liturgiques et l’influence mennaisienne partagent le clergé bisontin, et la “quasi-vacance” du siège épiscopal — quatre archevêques se succèdent à Besançon en moins de vingt ans — aurait pu affaiblir le catholicisme comtois. Il n’en fut rien et c’est bien d’un “renouveau” qu’il s’agit.
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Mais le poids du passé, c’est aussi l’influence de l’Église : après 1815, la “Restauration” politique s’accompagne d’une véritable restauration religieuse, particulièrement nette dans le Haut-Doubs. Ainsi la période révolutionnaire qui, pour les contemporains, a pu être vécue comme une rupture sur le plan religieux, apparaît aujourd’hui aux historiens comme une transition, et les années du début du XIXe siècle comme un réveil. Le Haut-Doubs bénéficie d’un véritable “sur-encadrement” ecclésiastique, avec, par exemple, “un prêtre pour 319 habitants dans le canton du Russey, tandis que d’autres contrées sont sous-équipées : le nord de la Franche-Comté voit le canton de Luxeuil se satisfaire d’un prêtre pour 1 675 habitants !”. Si, dans le reste du diocèse, chaque commune ne constitue pas toujours une paroisse à elle seule, dans la montagne paroisses et communes coïncident le plus souvent. Ainsi le canton de Mouthe compte, au XIXe siècle, 15 paroisses sur 19 communes ; dans le canton de Levier, on ne trouve qu’une seule paroisse regroupant deux communes. Certaines communes rurales peuvent même être divisées en plusieurs paroisses (Villers-le-Lac est partagé en trois paroisses). Les cantons catholiques du Haut-Doubs continuent ainsi à participer largement au recrutement sacerdotal, qui connaît alors dans le diocèse un essor extraordinaire.
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Dans l’ensemble du diocèse, les missions se déroulent avec un faste exceptionnel ; à Pontarlier, celle de 1827 est bien l’un de ces “grands spectacles” (
suivant l’expression d’E. Préclin) que l’Église sait mettre en scène, tant à l’intérieur de Saint-Bénigne (sermons, offices) que dans les manifestations extérieures (plantation de la croix de mission et procession, à laquelle participent les personnalités municipales). Ces “missions à grand spectacle”  dans les campagnes sont terminées par des processions auxquelles participent l’armée et les fonctionnaires. De semblables manifestations ont eu lieu également à Besançon (1825), Vesoul (1829) et Pontarlier (1830). Sous la Restauration, il semble bien que dans le Haut-Doubs, les notables (et donc le conservatisme politique) bénéficient de l’immobilisme économique et social. Ce poids du passé, c’est aussi celui de l'Église.

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