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Les Missions en Franche-Comté, leur histoire et leur ambition

Dans son étude de 1981 consacrée à la grande Mission de 1825 de Besançon, Gaston Bordet apporte d'utiles précisions sur l'histoire des Missions en Franche-Comté. Si l'esprit de mission remonte au début même du Christiannisme, c'est après la Réforme et lors de la Contre-Réforme que les Missions seront développées, avec, dès 1676 en Franche-Comté la création d'une maison de Mission à Roche-les-Beaupré, près de Besançon. Après une mise en sommeil provisoire pendant la Révolution, c'est sous la Restauration que les Missions vont se redévelopper, avec une nouvelle maison établie à École. Gaston Bordet montre que derrière l'intention religieuse se cache une ambition politique incontestable. On joint 2 petites notes tirées de documents divers précisant l'histoire de la Mission de 1676 à la Restauration.

Source : Gaston Bordet, Fête contre-révolutionnaire, néo-baroque ou ordinaire ? La grande Mission de Besançon, Janvier-Février 1825, Collection de l'Institut des Sciences et Techniques de l'Antiquité  Année 1981  262  pp. 183-345

À la Restauration est attaché le souvenir des innombrables missions qui se sont déroulées un peu partout en France. A vrai dire, la mission n'est pas quelque chose de nouveau, et elle est presqu'aussi ancienne que le christianisme : c'est un temps fort de la vie religieuse conduit généralement dans le cadre paroissial, mais où les populations sont enseignées et pratiquent le culte sous la responsabilité d'un clergé qui n'est pas paroissial. C'est une cure intensive. Dès le moyen âge, ce fut une des activités essentielles des ordres mendiants et prêcheurs des Franciscains et des Dominicains. Au moment de la Réforme, lorsque ces ordres manqueront de l'efficacité et de l'ardeur indispensables pour tenter de reconquérir au catholicisme les régions passées au protestantisme, on eut recours aux
Jésuites, en Bavière, en Allemagne du sud, en Bohême, en Hongrie.

Les Missions intérieures au XVIIe et au XVIIIe siècles
Au XVIIe siècle, l'œuvre des missions intérieures prit de l'ampleur. En France, ce mouvement évoque surtout le nom de Vincent de Paul, mais il y en eut bien d'autres et nombreux furent les diocèses où les évêques ont entrepris l'instauration de missionnaires diocésains et la construction de maisons de Mission. Et à côté de Vincent de Paul, combien de prêtres de l'époque attachent leur renom à ces missions populaires.
Au XVIIIe, le mouvement s’amplifie encore : en France, grâce à Grignon de Montfort et à ses Montfortains ; en Italie, avec les Jésuites et, à partir du milieu du siècle, dans le sud notamment, avec les Rédemptoristes ; en Espagne, avec les Franciscains, les Dominicains et les Jésuites.

La Mission en Franche-Comté et la Maison de Mission de Roche-les-Beaupré avant la Révolution
En Franche-Comté, depuis 1676, date de la fondation de l'œuvre de la Mission, des prêtres séculiers diocésains n'ont cessé de sillonner le diocèse depuis leur maison de Roche-les-Beaupré, à quelques 10 kilomètres à l'est de Besançon, prêchant, tout au long du XVIIIe, des centaines de missions. Dispersés au moment de la Révolution, ils n'en continuent pas moins leur prédication clandestine, sous forme de retraites de quelques jours que les populations des plateaux et de la montagne suivent assidûment, en pleine période de persécution et de déchristianisation... - et, le mouvement se prolonge sans autorisations pendant toute la durée de l'Empire.

Les Missions, un projet autant politique que religieux sous la Restauration
Mais, ce qui est nouveau avec la Restauration, c'est que les missions prennent leur place dans la vaste offensive de reconquête des esprits, entreprise conjointement par le clergé et les royalistes, pour effacer les séquelles de la Révolution et de l'impiété et ramener à la religion catholique et à la royauté légitime les masses populaires ; autrement dit, alors que, jusqu'ici, les missions avaient un caractère exclusivement religieux et moral, sous la Restauration, elles prennent d'autres résonnances.
D'abord, elles constituent des opérations autant politiques que religieuses et trahissent un projet royaliste dans une manifestation catholique : elles sont ambivalentes, équivoques. En outre, elles représentent une opération de très grande envergure, conduite de façon systématique, planifiée, dans laquelle on cherche à quadriller peu à peu tous les villages, les bourgs et les villes, en une entreprise de longue durée, menée à l'échelon national par une société spécialement constituée à cet effet : la société des prêtres des Missions de France, en leur maison du Mont Valérien, dirigés par un chef assez remarquable dans son domaine, l'abbé Jean-Baptiste de Rauzan, issu d'une des grandes familles nobles du pays.
Enfin, et peut-être surtout à cette époque - c'est original et nouveau par rapport au XVIIIe siècle - la mission n'est pas seulement une cure thérapeutique momentanée, elle est au contraire un point de départ, un acte de naissance pour la mise en place de structures permanentes d'encadrement de laïques, d'associations de jeunes gens ou d'adultes rappelant à la fois les confréries d'Ancien Régime et les clubs de l'époque de la Révolution et annonçant les organisations d'action catholique spécialisée. Il ne faudrait donc pas retenir dans l'histoire des Missions le seul temps fort et spectaculaire de la prédication au détriment de ses prolongements quotidiens et durables.

La renaissance en 1816 et la maison de la Mission à École
Au début de la Restauration, en 1816, en Franche-Comté, la Mission diocésaine est reconstruite. Une nouvelle maison, belle bâtisse de pierre, est édifiée à École, village de la banlieue nord de Besançon : Avant la fin des travaux, les missionnaires franc-comtois reprennent le chemin des paroisses comtoises. Ils semblent avoir procédé avec circonspection, évitent certains excès, souvent signalés ailleurs, et, partant des endroits favorables, cherchent à gagner progressivement les secteurs plus récalcitrants. Ils opèrent un double mouvement ; d'une part de la montagne très catholique, véritable terre de chrétienté, en direction des zones plus basses de la Haute-Saône et du Jura, marquées par les idées révolutionnaires et plus réticentes et d'autre part de la campagne vers le bourg et les villes de plus en plus importantes. Ainsi, à dater de 1820, c'est la première tentative en milieu urbain, la mission de St Claude, sous-préfecture de la montagne. En 1823 se tient la mission de Poligny, sous-préfecture de 5300 habitants à la jonction entre les plateaux et la plaine, à propos de laquelle on s'était exclamé avec satisfaction dans les milieux cléricaux : “Que l'on dise maintenant que les Missions ne sont pas pour les villes ! !” . En 1823, mission de Lons-le-Saunier, préfecture du Jura de 8500 habitants. Après le succès de ces trois manifestations, on tente la grande opération de propagande et de prestige : la mission de Besançon. Mais il s'agit là d'une histoire autrement importante, d'une tout autre ampleur, d'audience nationale : car, en ce début d'hiver 1825, les yeux de toute la France se portent sur la capitale de la Franche-Comté : c'est la seule mission que raconte Achille de Vaulabelle dans sa volumineuse - et très légitimiste - Histoire des 2 Restaurations.


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Compléments

Note 1
: Antoine-Pierre de Grammont, archevêque de Besançon (1662- 1698), avait décidé en 1676 de constituer une communauté de prêtres qui donneraient missions et retraites ; quelques années plus tard, cette communauté s’était installée dans la maison de campagne des archevêques à Beaupré (au nord de Besançon). Après une interruption durant la Révolution, les exercices avaient repris en 1801 - "officiellement" en 1816, par ordonnance royale — et les missionnaires diocésains avaient établi leur résidence à École en 1818.

Note 2 
: Les missionnaires diocésains, créés par le franc-comtois Crétenet de Champlitte, se sont installés d’abord à Besançon (Église St Pierre) puis à Beaupré (Thise) où ils ont résidé jusqu’à la Révolution.  En 1814, en vertu du concordat, les missionnaires ont fait construire à École-Valentin (1816-1818) un vaste ensemble avec chapelle où ils sont restés jusqu’en 1977. Cette mission de l’Église étant supprimée, les locaux ont été vendus. Seule la chapelle a été conservée par le diocèse et utilisée depuis à stocker le patrimoine artistique diocésain.

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