- Paul Huot-Pleuroux. La Vie
Chrétienne dans le Doubs et la Haute-Saône d'après les
Comptes-Rendus des Missions Paroissiales (Thèse
complémentaire pour le Doctorat ès Lettres présentée à
la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de
l'Université de Paris). Besançon, chez l'auteur, 1966,
381 pages.
- Compte rendu par Dominique Julia,
in Revue d'histoire de l'Église de France, année
1967, 151 , pp. 364-365
Dans sa thèse secondaire,
l'auteur [Paul Huot-Pleuroux] s'est préoccupé d'étudier la
“vitalité chrétienne” dans le diocèse de Besançon. La
pauvreté des visites pastorales (le cardinal Mathieu se
préoccupait plus de l'aspect extérieur des édifices du
culte que de la pratique religieuse), comme des rapports
triennaux des curés de canton l'ont conduit à utiliser les
rapports de mission, source très abondante. La Société des
Missionnaires Diocésains, fondée au XVIIe siècle, refusa
le serment à la Révolution, et ne reprit ses activités
qu'à partir de 1816. La période retenue par M.
Huot-Pleuroux s'étend de 1860 à 1900 ; avant cette date,
les rapports ne nous ont pas été conservés ; après cette
date, ils n'apportent rien de caractéristique. Les
rapports publiés sont d'abord classés par ordre
géographique (le canton étant l'unité de base) ; ensuite,
à l'intérieur de chaque canton, par ordre chronologique.
L'auteur s'est efforcé, dans son
introduction, de dégager des lignes plus générales au
niveau de chaque arrondissement et de déterminer les
attitudes des différentes classes sociales.
Les missions se répartissent d'une manière
très inégale entre 1860 et 1900 : si, au cours de cette
période, 670 missions ont pu être prêchées, le plus grand
nombre d'exercices se déroule au cours de la dernière
décennie (1890-1900 : 50 %). Les missions ont été
considérablement renforcées après la guerre de 1870 ;
elles jouissent alors de la confiance des curés comme de
l'autorité épiscopale. Dans l'espace, la répartition est
aussi inégale : c'est essentiellement dans le Doubs,
c'est-à-dire dans la région la plus chrétienne du diocèse,
que sont prêchées les missions. La mission s'adresse donc
d'abord aux chrétiens : il s'agit de réveiller la pratique
religieuse et la morale chrétienne.
A travers les rapports, plusieurs zones de
pratique apparaissent : la montagne est zone d'unanimité,
alors que l'indifférence s'installe déjà nettement dans la
vallée du Doubs, et que le sud de la Haute-Saône est, dans
sa totalité, non pratiquant.
L'attitude des différentes catégories
sociales mérite qu'on s'y arrête. Parmi les “notables”,
les membres des professions libérales comme les patrons
d'usine sont les plus bienveillants pour les missions ; la
bourgeoisie est déjà plus indifférente, les élus locaux
calquent leur attitude sur celle de leur électorat,
cependant que l'attitude des fonctionnaires, profondément
républicains, est presque unanime dans l'indifférence. Sur
le monde ouvrier, les notations sont peu nombreuses,
d'abord parce qu'il y eut peu de missions ; mais les
populations ouvrières semblent moins détachées de l'Église
qu'on ne l'a dit, et leur abstention provient moins d'une
hostilité explicite à l'Église, que des conditions de
travail qui constituent un empêchement matériel à
participer aux exercices religieux.
Enfin, les missions prennent un caractère
différent suivant que la religion catholique est
majoritaire ou minoritaire : lorsque les protestants sont
nombreux, voire majoritaires, les missionnaires prennent
une attitude bienveillante, voire cordiale à leur égard,
mais lorsqu'ils sont minoritaires, l'attitude est
franchement hostile : “Fiat ! fiat! cette secte est le
plus terrible des dissolvants” (Nantilly,1863).
Les rapports de mission sont un bon
révélateur pour étudier la vie religieuse d'un diocèse
dans la mesure où, la mission étant un exercice religieux
extraordinaire qui ne se reproduit que tous les dix ans,
l'abstention y prend une signification beaucoup plus
importante. Il reste qu'à se limiter aux rapports des
missionnaires, on risquerait d'avoir une vue fausse des
transformations : la conversion durait-elle ou
n'était-elle qu'un feu de paille? Que peut-on savoir de la
persévérance ? Il semble bien que les missions furent
incapables d'agir profondément, dès que la vitalité
religieuse n'existait plus : l'attitude des notables,
l'éloignement des bourgeois sont signalés sans être
aucunement expliqués. Il faudrait pouvoir connaître la
teneur exacte des sermons, mais aussi d'autres sources,
telles que les rapports des préfets et des sous-préfets
sous le Second Empire et la Troisième République, ou les
dossiers de police, pour pouvoir apprécier à leur juste
valeur ces rapports qui, trop souvent, ont une allure
triomphaliste.