Documentation

La mission de 1827 à Pontarlier

Dans leur ouvrage de 1985 sur l'histoire religieuse de Pontarlier et du Haut-Doubs, M. Malfroy, B. Olivier et J. Guiraud reprennent et commentent la narration par H.-G. Cler, professeur de rhétorique du collège de Pontarlier, de la mission qui s'est déroulée, avec un certain faste, à Pontarlier au printemps 1827. La mission dure près d'un mois et est organisée autour de multiples conférences, sermons, messes et autres cérémonies ostentatoires. Elle s'est terminée par une longue procession suivie de la plantation d'une croix. On reprend ci-après cette narration de la mission, avec une restructuration appropriée du texte.

Sources :
  • Michel Malfroy M., B. Olivier, J. Guiraud, Histoire religieuse de Pontarlier et du Haut-Doubs, Cêtre, Besançon, 1985, 373 p.
  • et H.-G. Cler, Relation de la mission de Pontarlier, donnée par les missionnaires de Beaupré, du 27 mai au 24 juin, de l’année sainte 1827, Pontarlier, 1827, 8 p.

La mission de Pontarlier, donnée entre le 27 mai et le 24 juin 1827,  est relatée avec suffisamment de précisions pour qu’il soit possible d’en donner ici un aperçu. L’auteur de cette relation, H.-G. Cler, professeur de rhétorique au collège de Pontarlier en 1827, retrace, jour après jour, chaque cérémonie et analyse l’ensemble des sermons — plus exactement les  “conférences”, auxquelles “bien des personnes n’avaient jamais assisté”. Ce fut, dit-il, “un mouvement marqué de joie, d’espérance, d’inquiétude, qui, sorti de l’église, se répandit dans la cité”, à l’annonce de l’arrivée des missionnaires ; la Mission devenait “le sujet unique des entretiens” et la nouvelle occasionnait “cet ébranlement qui précède toutes les circonstances extraordinaires”.

La “Mission” et les missionnaires du diocèse de Besançon

C’est Antoine-Pierre I de Grammont, archevêque de Besançon au XVIIe siècle (1663-1698), qui avait décidé de constituer une communauté de prêtres chargés de donner des missions et des retraites ; il l’avait installée dans la maison de campagne des archevêques à Beaupré, à quelques kilomètres au nord de Besançon. La Révolution avait arrêté la mission, dont les biens avaient été confisqués en 1790 ; les missionnaires, qui avaient refusé le serment, avaient dû s’exiler. Les exercices avaient repris en 1801, mais la mission n’était rétablie qu’en 1816 (ordonnance royale du 3 février).
La maison de Beaupré ayant été détruite, on en construisit une nouvelle à École, où les missionnaires s’installent le 1er novembre 1818.
Toute l’activité des missionnaires diocésains est tournée vers la prédication : et comme ils parlent au nom de Dieu, la mission apporte un véritable bouleversement des habitudes quotidiennes lorsqu’elle s’installe dans une commune : ce n’est pas alors au missionnaire de s’adapter à la vie courante ! C’est aux directeurs d’usines de s’arranger pour que les ouvriers puissent assister aux offices ; c’est au paysan de laisser là les travaux des champs ; c’est à l’instituteur de libérer les enfants pour qu’ils viennent aux exercices. Le missionnaire apparaît un peu comme le “maître” devant qui tout doit s’incliner.

Une mission à “grand spectacle” avec des cérémonies exceptionnelles

Le chanoine Ledeur parle d’une “Église ostentoire” lorsqu’il évoque le catholicisme comtois de cette période. De son côté, Edmond Préclin avait souligné les “missions à grand spectacle” organisées dans les campagnes et les villes par les missionnaires d’École : “après une amende honorable, les assistants plantent la croix portée par des pénitents. Puis des multitudes exhortées par de vibrants sermons communient publiquement. Des processions où sont représentés l’armée et les fonctionnaires, terminent la mission”. Outre les conférences ordinaires quotidiennes, le temps de mission est marqué de cérémonies exceptionnelles : à Pontarlier, on en compte cinq, les 8, 15, 19, 23 et 24 juin.

a) Ouverture et  “cadrage” lors de la messe du 27 mai
Le premier orateur [de la mission de 1827 à Pontarlier], “
M. Prudhon
, un beau vieillard” aux cheveux blancs, habité par le calme et la paix, “dont le front serein brille d’une céleste sécurité” et dont le sourire dit “la charité et la bienveillance” s’emploie à la définir dès la cérémonie d’ouverture le 27 mai au cours de la messe de 9 heures. Le droit de mission remonte au commandement de Jésus Christ à ses apôtres : Allez, enseignez les Nations”. La mission est “un temps de grâce, où l’Église ouvre tous ses trésors au pécheur en lui prodiguant tous ses secours”. L’orateur insiste sur la nécessité d’assister à la mission, aussi bien pour le “juste”, qui a besoin d’un tuteur pour le soutenir, que pour le pécheur, qu’un bras puissant peut seul relever d’une chute déplorable. La mission, ajoute le régent du collège, c’est donc une “mobilisation générale”, une “grande bataille engagée entre la vertu et le péché”.


b) La cérémonie d'amende honorable, le 8 juin

La première cérémonie exceptionnelle est une “cérémonie d’amende honorable” ; la mise en scène est soignée : “Dans le chœur, un vaste amphithéâtre, annonçant le retour des fêtes et des triomphes de la religion... Il sert de base à un reposoir élevé à une grande hauteur, paré de 4 colonnes blanches qui portent des vases fleuris, surmonté d’un baldaquin, dont les pièces rouges prenant depuis le dôme, viennent se rattacher à chacun des piliers du chœur : ces piliers sont enlacés, ainsi que les colonnes, de guirlandes de verdure, de buis, de mousse, parsemées de fleurs de couleur rouge, festons qui s’étendent de l’un à l’autre. Sur les gradins semi-circulaires de l’autel, sont alternativement disposés des fleurs et des flambeaux, dont la lueur, réunie à celle des bougies qui garnissent les piliers de la grande nef et du chœur, à celle des lustres, jette un éclat que conservent les tentures des fenêtres, éclat présage et garant des flammes que vont allumer dans le cœur du divin Jésus les soupirs du repentir, les sanglots de la pénitence ”.
Le prédicateur, M. Vermot, parle des “péchés des peuples” qui attirent la vengeance du ciel ; il rappelle “les malheurs de la France, la désolation de l’abomination dans le temple du Seigneur, les désastres ultérieurs”.  Pour éviter des calamités plus graves encore, il faut une supplication sincère. La prière de tous les assistants est suivie de la bénédiction du Saint-Sacrement qui “apprend au peuple que Dieu s’est laissé fléchir”.

c) La cérémonie de rénovation des vœux du baptême, le 15 juin
La cérémonie suivante est celle de la rénovation solennelle des vœux du baptême : si le rouge dominait pour la cérémonie expiatoire, cette fois c’est le blanc, symbolisant le caractère virginal du baptême, alors que le rouge est la “figure du sang des génisses et des taureaux immolés dans l’ancienne loi”. Pas de reposoir, mais un baldaquin de forme carrée entouré de draperies garnies de guirlandes de mousse ; au-dessus, “une superbe et brillante couronne”. C’est M. Prudhon qui explique l’objet de la cérémonie : le baptême nous a lavés de la tâche originelle, mais ce sont nos représentants qui ont parlé pour nous ; il nous faut donc contracter de nouveaux engagements “sans le secours d’une bouche étrangère”, et surtout promettre que désormais rien ne pourra nous faire rompre nos vœux.

d) La cérémonie du sacrifice funèbre, le 19 juin
Ces deux cérémonies avaient été “programmées” en fin d’après-midi (à 16 h 30 et à 17 heures) ; la troisième a lieu le mardi 19 à 9 heures du matin, sous forme d’“un sacrifice funèbre”. On avait prévenu les fidèles et on les avait invités à y assister avec des habits de deuil. Dans la grande nef, on avait installé un catafalque, “avec son drap mortuaire, ses flambeaux, ses larmes, ses squelettes, ses têtes décharnées”. Des murs descendaient des tentures noires ; l’autel et le costume des ministres “représentaient les attributs de la mort”.

e) La cérémonie consacrée à la Vierge, le 23 juin
Contraste brutal le samedi 23, à 16 h 30 pour une cérémonie consacrée à la Vierge : sur l’autel, une Vierge à l’Enfant, entourée de draperies, de guirlandes et de fleurs ; une prodigalité de lumière, avec les bougies, les lustres, les candélabres ; une grande “gaîté” dans le costume des prêtres...

f) La cérémonie de clôture, le dimanche 24 juin, avec messe, défilé et plantation de la croix

Messe d'abord, puis défilé — que notre chroniqueur pense avoir été suivi de plus de “4 000 âmes” ; beaucoup de monde aux fenêtres et dans les rues, beaucoup d’étrangers (des Suisses principalement). Les missionnaires, les curés des paroisses voisines, les vicaires s’étaient placés “de distance en distance” pour “régulariser la marche”. En tête du cortège, bannière déployée, les “petits garçons et les petites filles” (moins de onze ans) ; puis viennent les jeunes filles, suivies d’abord des “hommes de tout âge”, puis des femmes mariées.
Enfin... “Enfin paraît un chœur de trente six demoiselles, sur six rangs, toutes vêtues uniformément en blanc et bleu, sous de modestes voiles de simple gaze, un cantique d’une main, de l’autre une oriflamme de couleur bleue ; devant elles, flotte une bannière superbe, en soie blanche bordée de bleu, où est peinte une lyre, au milieu de deux palmes de laurier, avec cette inscription : Chœur des Demoiselles. Un maître de musique... les suit et les sépare d’un chœur de 24 jeunes gens, vêtus de noir, munis chacun d’une oriflamme rouge, ayant aussi une bannière bordée de vert, avec ses dessins analogues et cette inscription : Chœur des Hommes.”
...Vient alors “le Christ... escorté de sa garde brillante de la variété de ses oriflammes”. A la musique vocale de l’Église se mêlent alors les airs “de l’orchestre de la cité”. Les autorités participent au défilé : “le premier administrateur de l’arrondissement”, le tribunal, le collège, les chefs des diverses administrations, “entre la double haie de cette milice urbaine qui garantit les propriétés de l’irruption d’un élément terrible”(!)
Le début du défilé est allé plus loin que prévu (“plus loin que le Moulin Maugain du côté de Saint-Pierre de La Cluse”) et revient en ville, “après trois heures” — on était parti après la messe de 9 heures et demie ! —

La croix de mission

La cérémonie de clôture se termine par la plantation de la croix, le dimanche 24. Une souscription auprès des habitants avait rapporté une somme de 2 000 francs : la croix avait 12 pieds de haut et était fort lourde. Deux cents hommes s’étaient inscrits pour la porter au long du parcours de la procession : on les avait divisés en 8 sections de 24, et, en trois jours, on les avait habitués à se remplacer “avec tant de célérité que l’on ne s’apercevait pas, par la suspension de la marche, du moment où une section succédait à celle qui était en activité”.
On se range alors autour du piédestal où la croix va être déposée, “les deux sexes étant séparés” ; les ouvriers fixent la croix, pendant que la musique et les chants se déversent à flots. Dernière bénédiction, dernière allocution. La mission est terminée... ou presque, puisque le lendemain matin une cérémonie d’adieu réunit les principales autorités au presbytère et que le départ des missionnaires est accompagné “assez avant sur la route” par un grand nombre de fidèles.

Note JM. Il est difficile de savoir précisément ce qu'était cette croix, sauf qu'elle avait 12 pieds de haut, qu'elle était fort lourde et qu'elle allait être déposée sur un piédestal pré-établi. Difficile aussi de savoir où elle a été plantée. Sa hauteur d'environ 3,5 m évoque l'idée de quelque chose de monumental, soit environ 5 m au total avec le piédestal. Il ne peut être question de la croix en fonte de la route de Salins dont le curé Lallemand indique qu'elle a été achetée en 1855 au fondeur Ève à Besançon. S'agirait-il de la croix dite de Beaumont, refaite en 1853, selon le curé Lallemand, après destruction d'une croix plus ancienne par la foudre?
Ne s'agirait-il pas plutôt de la croix en fer forgé du cimetière : le curé Lallemand indique dans ses Notices Historiques qu'en 1859, on a changé de place la croix du cimetière (dont la création remonte à une décision municipale de 1808) et que la croix a été installée sur un nouveau piédestal. En tout cas, le décor en fer forgé de cette grande croix du cimetière est tout-à-faite en cohérence avec les thématiques des prédications de la mission de 1827.

Outre les grandes cérémonies, la mission au quotidien

La mission se déroule durant un mois, chaque jour, sauf le jeudi, à raison de trois séances, dont l’une le matin et deux l’après midi (9 h 30, 13 h 30, 15 h 30, puis 16 h 30) ; les horaires sont modifiés à partir du 18 juin, la première manifestation étant avancée à 5h 30 (messe basse et sermon). Le vendredi 22 juin connaît un sort spécial : la conférence du matin, à 8 h 30, est réservée aux hommes, alors que celle de 15 h 30 est destinée aux femmes et aux filles. Les thèmes ont été pour l’occasion adaptés à l’auditoire. Parmi les devoirs de l’homme — outre ceux envers Dieu et le prochain — il y a ceux qu’il doit à lui-même : la chasteté, la tempérance, “la fuite des auberges et des cafés” ; les plus jeunes devront “s’abstenir de chansons dissolues, de discours obscènes, des assemblées du monde, des danses, de la fréquentation et de la compagnie des personnes du sexe opposé”. Les femmes doivent pratiquer sept vertus principales, dont trois communes à tous les âges (l’esprit de recueillement, de piété, de charité), deux propres aux mères de familles (la vigilance sur elles-mêmes et sur les enfants, et “la patience dans leur ménage”), et deux pour les filles (la modestie dans les habits, le maintien et les discours, et la chasteté).

Des prédications évocatrices et dramatisantes

Les qualificatifs proposés par le chanoine Ledeur et par Edmond Préclin ne nous paraissent donc pas exagérés, appliqués à la mission de Pontarlier. Il faut y ajouter, pour en bien comprendre l’esprit, une volonté de dramatisation des prédications, tant au niveau du langage que de l’effet oratoire. On nous permettra quelques exemples, à partir du témoignage de H.-G. Cler, qui n’hésite pas, de son côté, à dramatiser son reportage.
Il évoque l’un des prédicateurs, M. Girod : “À l’aspect de ces sombres regards, de ce feu allumé par une sainte indignation, les cœurs se glacent, les poitrines sont oppressées ; on devine que le nouvel orateur est spécialement chargé de faire entendre les éclats du tonnerre... Il commence : les effets terribles d’un geste tragique, uni au timbre funèbre et sépulcral qui prolonge sous la voûte du temple, et dans l’étendue de la nef, ses lugubres accentuations, conduisent l’imagination éperdue sur les bords d’un tombeau, et comblent l’effroi et l’horreur... ”
Voici un autre missionnaire, M. Vermot, parlant de “la certitude de la mort” : “ ...dans un large tableau, son pinceau hardi et exercé a tracé la peinture d’un mourant, d’une mort. Il a figuré aux yeux des spectateurs, les angoisses, les tourments, les convulsions de l’agonie, les cris, les sanglots, le deuil du convoi funèbre, la putréfaction du tombeau, et les vers rongeurs s’attachant au cadavre... ”.
C’est à nouveau M. Girod qui évoque, dans le sermon qu’il prononce au cours du service funèbre du 19 juin, le rôle du Purgatoire — qui doit assainir l’âme impure par “des flammes vengeresses, flammes terribles, qui ne diffèrent de celles de l’enfer que sous le regard de la durée”. L’orateur montre l’une de ces infortunées, et “l’imagination croit la voir, avec l’huile bouillante qui la pénètre, les charbons qui la consument, avec son noir géolier maniant l’horrible trident dont l’arme la pensée épouvantée”.

Laissons à M. Malfroy et al. le soin de dégager les fils directeurs de la mission

Nous ne saurions suivre ici tous les thèmes abordés par les prédicateurs : religion (Dieu, la parole de Dieu, le péché, le salut, le jugement dernier, le purgatoire, l’enfer, la messe, la confession...) et morale au sens large du terme (le mariage, la famille, les commandements de l’Église, le travail, les vertus chrétiennes...) se partagent les quelque 60 conférences de la mission. Les visions dantesques alternent avec des vues certes plus sereines, mais l’essentiel du message repose sur la crainte du mal et le seul désir valable est celui du salut. Le péché mortel est “le souverain mal de Dieu” — il provoque Dieu dans sa justice — et “le souverain mal de l’homme” — qui ressemble alors à “la branche arrachée du tronc, pourrissant privé de sa sève”. Mourir hors de la grâce, c’est tomber “sous la main vengeresse du Dieu vivant” ; “de là, le danger du délai de la conversion”. La peur de la mort devient ainsi l’un des ressorts de la morale quotidienne ; la certitude d’une autre vie doit détacher les fidèles des biens de la terre : “ni les ivrognes, ni les avares, ni les impudiques, ni les homicides, ni les sacrilèges, ni les oppresseurs ne pénétreront dans le royaume des cieux... ”. Seule la religion chrétienne — les autres (“paganisme, judaïsme, mahométisme”) sont exclues — apporte la Vérité et il n’est pas possible de bâtir une société sans la religion


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