Il convient d'être très prudent en
ce qui concerne la datation des croix que l'on peut observer ici
ou là. Les
données épigraphiques (inscriptions) que l'on peut relever sur
le piédestal des croix ou sur les croix elles-mêmes peuvent
facilement induire en erreur. C'est plus
particulièrement vrai pour les croix de mission. Plusieurs
considérations doivent être prises en compte avant d'interpréter
trop vite ce qui se donne trop facilement à lire.
- Il est souvent écrit, dans la littérature spécialisée, que
les missions se terminaient par l'érection d'une croix dite de
mission. En fait, la situation est beaucoup plus complexe. Une
croix a pu être érigée lors d'une première mission, mais pour
les missions suivantes (car elles sont parfois nombreuses...
4, 5, 6... sur un siècle ou deux) on est amené à surtout se
contenter d'une procession et d'une cérémonie à la croix
existante. Cela peut se traduire très concrètement par la
gravure de plusieurs inscriptions (et dates) sur le piédestal
ou par la pose de plaques (marbre, fonte...) multiples pour
chacune des diverses missions : des situations de ce type sont
observables à Gilley et à Sirod (voir détails plus bas).
- Les paroisses ont souvent été amenées à choisir des croix
existantes dans le village pour célébrer la fin de mission
récentes, notamment lors de jubilés. Ainsi, comme l'écrit
C.-P.-A. Loye, vers 1834-35, dans ses “Souvenirs
historiques” sur Rochejean, “le piédestal d’une autre croix
qui existe sur l’ancienne place de la halle, porte la date
de 1690, époque sans doute d’une autre mission, antérieure à
la précédente ; cette dernière croix a été choisie pour
croix du jubilé universel de 1826”.
- Les missions se terminaient par l'érection d'une croix (avec
procession et transport de la croix), mais celle-ci pouvaient
être de simples croix en bois, temporaires, remplacées 10, 20
ou 30 ans plus tard, à l'occasion ou non d'autres missions.
- Les croix se dégradent ou subissent des destructions
(foudres, corrosion...) : on est amené à les remplacer au même
endroit, sur l'ancien piédestal ou sur un nouveau (cas de 2
croix à Pontarlier).
- Des inscriptions anciennes ont aussi pu être effacées ou
plus simplement recouvertes de plaques en marbres ou fonte
plus récentes. Des missions ont pu aussi se dérouler sans
qu'on en ait reporté la date sur la croix.
- Un piédestal de qualité (surtout lorsqu'il a été réalisé au
XVIIIe siècle) peut être réutilisé après destruction d'une
croix existante (en pierre notamment), une nouvelle croix en
fer forgé ou en fonte venant prendre la place de l'ancienne,
mais les inscriptions épigraphiques subsistent (cas de la
croix de La Cluse-et-Mijoux).
- Dans certains cas, une croix existante (en fer forgé
notamment) est transportée ou réinstallée avec réalisation
d'un nouveau piédestal (par exemple, croix du cimetière de
Pontarlier).
- Une ancienne croix de la première moitié du XVIIIe siècle se
voit dotée 50 ans plus tard d'une voisine, une nouvelle croix
érigée sous la Restauration (Chaux-des-Crotenay) avec mention
sur le piédestal de la nouvelle des dates relatives aux deux
croix.
- Des inscriptions différentes (dates) sont gravées
correspondant non seulement à la possible érection originelle
mais aussi à des actions de restauration des croix.
- Etc.
Les données épigraphiques sont de plusieurs natures :
- gravure en creux sur la pierre du piédestal (cas le plus
fréquent) ;
- gravure sur le pied du fût en pierre (cas des croix
anciennes, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle) ;
- inscription sur plaque en marbre ou en fonte apposée sur le
piédestal ;
- cartouche en fer forgé ou en fonte présent souvent au
carrefour des branches de la croix ;
- monogrammes avec dates et quelques lettres intégrés à la
structure même de la croix (cas du fer forgé) ;
- marques laissées par l'artisan dans le fer même de la croix
(cas de la croix du cimetière de Mouthe).
La datation précise de la croix (la partie croix proprement
dite, non le piédestal) et la validation des données
épigraphiques nécessitent :
- de s'appuyer sur des données d'archives (elles-mêmes parfois
problématiques : ainsi la décision de faire un legs pour
ériger une croix ne signifie pas que la croix est
instantanément réalisée) ; les mentions sur les croix dans les
archives restent toutefois très délicates à manier (rarement
mention du lieu d'érection des croix ou de la nature des
matériaux utilisés et encore plus rarement des conditions de
commande et de réalisation) ;
- d'établir des filiations dans la réalisation de certains
groupes de croix sur la même période : c'est le cas des croix
du modèle ALS dans le Jura (toutes réalisées entre 1826 et
1830 avec des caractéristiques voisines), dans le cas des
croix du Haut-Doubs des années 1830 et bien sûr des croix en
fonte (industrielles et commandées sur catalogue) ;
- d'apprécier concordance et discrépance entre piédestal et
croix elle-même (cas évident de la croix de l'église et
cimetière de la Cluse-et-Mijoux) ;
- de caler chronologiquement les allures des croix et les
détails de ferronnerie de celles-ci : certains motifs
(volutes, fleurons, fleurettes...) sont plus largement
reproduits à certaines périodes plus qu'à d'autres.
Détails et iconographie associée
A -
Une même croix, un même piédestal, plusieurs missions
Il est fréquent de trouver, sur les croix,
plusieurs inscriptions, gravées, apposées ou intégrées, donnant
des dates différentes pour des missions successives. Une même
croix a ainsi pu être lieu et objet de multiples célébrations de
fin de mission. Un même piédestal a aussi pu servir de base à
plusieurs croix successives (y compris de natures différentes)
pour diverses missions. Les différences peuvent se constater au
niveau des gravures des faces du piédestal. On peut aussi
relever la discrépance entre mention gravée dans la pierre du
piédestal d'une part et inscription métallique intégrée à la
croix elle-même d'autre part.
Les Fourgs
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St-Antoine
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Mignovillard
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St-Lothain
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1831 et 1875
(rest. 1931)
Croix en fer forgé (1831)
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1788 (fer) et
1827 (piédestal)
Croix en fer forgé (1788)
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1836 (piédestal)
et 1851 (fer)
Croix en fer forgé (1851)
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1714 et 1847
(piédestal)
Croix en fer-fonte (1847)
|
B -
Des inscriptions intégrées aux croix en fer forgé (FF) ou en
fonte (Fon)
Dans le cas des croix métalliques (fer forgé ou fonte), il est
possible de relever des dates explicites, inscrites soit dans le
matériau lui-même, soit dans la structure de la croix (décor
ajouté), soit sous forme de plaque métallique (fer étampé ou
fonte) apposée sur la croix ou même intégrée à celle-ci. Il est
évident que ces dates correspondent le plus sûrement aux dates de
création des croix, contrairement aux dates portées sur les
piédestaux, pouvant être antérieures (réemploi du même piédestal)
ou postérieures (missions tardives).
Mouthe (FF)
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St-Antoine
(FF)
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Bannans (FF)
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Syam (FF)
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1783 gravé dans
le fer
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1788 en tôle
découpée
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1806 en tôle
découpée
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1830 en fer
étampé
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Mignovillard
(FF)
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Malpas (Fon)
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Bonnefontaine
(Fon)
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La Marre
(Fon)
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1851 en fer
étampé
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1854 en fonte
moulée
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1865 en fonte
moulée
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1866 en fonte
moulée
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C -
Dates gravées au pied des colonnes-fûts en pierre
Plusieurs croix en pierre ou mixtes (colonne en pierre et
croisillon en fer forgé) de la 1ère moitié du XVIIIe siècle ont
souvent une date gravée au niveau du pied de la colonne-fût de la
croix. L'inscription se trouve sur la face avant du dé
parallélépipédique (la colonne étant ensuite à section circulaire
ou octogonale. Compte tenu du style très typé de ces croix, la
probabilité est grande que ces dates gravées soient bien celles de
leur érection.
D -
Dates voisines des croix du groupe ALS (Ain-Lemme-Saine)
Six croix jurassiennes en fer forgé et à structure
tridimensionnelle forment un groupe homogène, caractérisé par une
architecture et des décors assez proches (modèle appelé ALS car
ces croix se trouvent sur un territoire compris entre les 3
rivières Ain supérieur, Lemme et Saine). Il est probable qu'elles
soient l'œuvre d'un même créateur (forges de Syam?) surtout
qu'elles peuvent toutes être datées des années 1826 (année de
jubilé) et 1830 (Restauration). Quatre de ces 6 croix portent des
mentions des dates de création et érection.
Chaux-des-Crotenay
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Entre-deux-Monts
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Foncine-le-Bas
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Syam
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1826
Croix en fer forgé
Piédestal en pierre (date)
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1826
Croix en fer forgé
Piédestal en pierre (date)
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1828
Croix en fer forgé
Piédestal en pierre (date)
|
1830
Croix en fer forgé (date)
Piédestal en pierre |
E -
Concordances et discrépances
L'analyse attentive et comparative du corpus des croix, des
piédestaux, des parties métalliques et des multiples inscriptions
fait vite ressortir soit des concordances (les inscriptions
épigraphiques, notamment les dates, sont bien en cohérence avec le
style des croix), soit des discrépances (les inscriptions ne
concordent pas avec tout ou partie des monuments).
NB. Outre les vignettes cliquables pour voir le détail des
inscriptions, on peut accéder, ci-dessous, aux vues des croix
entières en cliquant sur le nom des villages.
Concordances
- La petite croix mixte en pierre et fer forgé devant le
cimetière d'Arçon est d'un style classique incontestable, avec
un piédestal rigoureusement maîtrisé, une colonne-fût
cylindrique également bien proportionnée et croisillon
losangique en fer forgé typique des réalisations du XVIIIe
siècle : il ne fait aucun doute que la date de 1779 gravée sur
la face avant du piédestal est bien celle de la croix.
- Le piédestal très ornementé de la croix de l'église des
Longevilles-Mont-d'Or est en parfaite cohérence avec l'œuvre
en fer forgé. Sur une des faces de la corniche en pierre
figure la date 1783 avec l'inscription “Fait par Moy PAC” :
difficile d'imaginer que l'ensemble du monument ne soit pas
datable de cette année 1783.
- Changeons totalement d'époque. La croix moderne en fer forgé
d'Oye-et-Pallet (route de Friard) affiche “Mission 1946” sur
la face avant de son “moignon” de piédestal. Là encore, tout
concorde.
Discrépances
- Le piédestal de la croix de l'église de La Cluse-et-Mijoux
est manifestement de style Louis XV avec les faces
chantournées de son dé élancé. L'église St-Pierre remonte à
1698 avec des agrandissements en 1734 : le piédestal pourrait
avoir été réalisé à ce moment-là pour supporter une première
croix. La croix actuelle en fer forgé semble, en effet, plutôt
dater des années 1830-1840 (par comparaison avec d'autres
croix du corpus des croix FF3D) en ayant été installée sur le
piédestal existant. Enfin, une plaque apposée sur le piédestal
mentionne, elle, une mission de 1899, bien plus tardive.
Difficile de ne pas constater la discrépance entre tous ces
éléments.
- La croix du cimetière de Pontarlier date, pour sa partie en
fer forgé, de la période bien typée des années 1820, alors que
les missionnaires d'École relançaient les missions dans les
paroisses. Dans ses Notices historiques, le curé Lallemand
indique qu'en 1859, la croix a changé de place et qu'elle a
été installée sur un nouveau piédestal (celui que l'on voit
aujourd'hui). Il est probable (mais à valider) que la croix en
fer forgé soit celle fde la grande mission de 1827 bien
décrite par H.-G-Cler. Un exemple de croix ancienne
pré-existante replacée sur un nouveau piédestal.
- Les 2 croix tridimensionnelles en fonte d'Arçon et de
Vuillecin sont quasiment identiques (et presque voisines). La
plaque apposée sur le piédestal de cal croix du cimetière
d'Arçon donne la date 1842. Celle apposée sur le piédestal de
la croix de Vuillecin indique une tout autre date, 1904.
Manifestement le style “tardif” de ces deux croix en fonte
imitant les anciennes croix en fer forgé serrait plus à caler
sur le début du XXe siècle que sur la fin de la première
moitié du XIXIe siècle. Il est clair que le piédestal de la
croix du cimetière d'Arçon est celui d'une croix
ancienne remplacée 50 ans plus tard par une croix en fonte.
F - Pot-pourri
d'épigraphies... et de dates
De nombreuses croix présentent des inscriptions épigraphiques,
en particulier des monogrammes de dates. Ces inscriptions
gravées sont la plupart du temps en lien avec le déroulement
de missions. Sans vouloir être exhaustif (tâche impossible),
on présente ci-dessous un kaléidoscope ou sélection de telles
inscriptions comportant des dates (en plus de celles qui ont
déjà été présentées plus haut). Cela concerne des croix de
toutes natures (pierre, fer forgé, fonte, mixtes...). Les
inscriptions sont présentées de façon chronologique.
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